Bienvenue dans la famille.

Blanche avait quitté le Domaine de Clairssac plus tôt afin d’arriver un jour ou deux avant les festivités. Elle désirait revoir sa sœur et passer du temps avec elle sans qu’une kyrielle de gens ne viennent interférer dans leur retrouvaille. Depuis quelques mois, la Baronne de Hautval était plus silencieuse que d’habitude, n’envoyant que peu de lettres à sa cadette car des affaires la retenaient. Elle lui avait annoncé la mort d’Albérich quelques mois plus tôt qui l’avait profondément affecté, l’inquiétude qui l’habitait concernant son bien aimé cousin Aemon, ses tourments face à cette réputation qui la précédait depuis que l’Ivrey l’avait divorcé, sa colère vis-à-vis du mariage entre son ex-belle-sœur et son ex-époux. Madeleyne n’était, donc, pas sans nouvelle, cependant ses écrits restaient d’ordre sporadique mais elle mettait un point d’honneur à lui envoyer au moins un courrier tous les deux semaines, au moins. Le jour précédent la fête lui permit de découvrir son neveu, un magnifique bambin. Elle était heureuse que sa sœur donne un héritier à Odélian comme première naissance et lui souhaita d’autres bons auspices. Ce même jour, elle rencontra le Comte Grégoire avec qui elle discuta un peu, lors des repas en particulier. Le reste de son temps fut consacré à son sang. D’ailleurs, Raymond d’Ancenis et Eugénie de Hautval devaient tout autant les rejoindre demain. Ainsi Madeleyne pourra retrouver le reste de sa famille et féliciter en personne son père pour sa « promotion » en tant que Gouverneur d’Érac.

Le lendemain, la Baronne de Hautval s’était apprêtée d’une bien meilleure façon afin d’être présentable pour la fête en l’honneur de son neveu. On lui avait appris que le Comte et Régent, Aetius, serait présent. Cette dernière se contenta d’acquiescer d’un hochement de tête sans montrer aucune émotion, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Elle ajouta dans le plus grand des secrets à sa sœur qu’il fallait se méfier de l’intelligence de cet homme, qu’il était rusé et que chaque mot devait être calculé devant lui. Habillée d’une robe plus estivale afin de ne pas souffrir de la chaleur de l’été, Blanche rejoignit le couple au sein des jardins accompagnée de sa suite de gens. Elle fit la révérence face au Comte/Marquis ainsi que face à son épouse. Lorsqu’elle fut invitée à se joindre à eux, elle prit place afin d’admirer l’œuvre végétale qu’était les jardins de son beau-frère.


« Si, je puis me permettre, Monsieur le Marquis, je tenais à dire que vos jardins sont superbes et que vos gens font, de fait, un merveilleux travail… Leur talent est celui des artistes. »


Elle espérait que ce compliment le ravisse tandis que ses dames de compagnies acquiesçaient d’un hochement de tête, approuvant les dires de la Baronne. Blanche ne tarda pas à tirer son éventail de son petit sac afin de s’éventer machinalement. L’heure avançait et il serait bientôt temps d’aller accueillir les invités.

Il est vrai.
La Baronne aimait la chasse et se débrouillait plus que bien à ce titre. Elle savait manier l’arc comme tout habitant Hautvalois qui se respecte. Certes la pratique d’une meute de chiens savamment dressés pour traquer la bête était employée, tout comme celle des faucons pérégrins. La seule exception que faisait la Baronne était la mise à mort, bien plus rare, elle préférait achever l’animal d’une flèche entre les deux yeux plutôt que lui trancher la gorge. Enfin cela différait, elle ne rechignait pas à égorger l’animal. Cela avait des aspects peu pratiques mais que voulez-vous la tradition était la tradition. Déjà qu’elle dérogeait à la règle car la Chasse était une affaire d’homme et non de femme. Et effectivement ses manières de Dame effarouchée se débattant inlassablement pour imposer son juste droit dans un monde dominé par une société patriarcale lui ont causé quelques tracas. Cependant avec une poigne de fer, quelques jeux diplomatiques bien placés qui lui causèrent un très gros effort car elle n’excellait pas dans ce domaine mais qu’elle était assez bien entourée pour la conseiller, Blanche sut s’imposer en Hautval et se faire adorer par ses sujets. Evidemment personne n’est à l’abri des convoitises.
Confortablement installée sur l’un des sièges du Jardin, elle fixait l’étendue sauvage qu’était les Jardins du Marquis.


« Et bien, sachez votre Excellence que même si il manque certains détails comme vous le dites, vos jardins sont bien beaux. J’ose espérer pouvoir les admirer une nouvelle fois lorsque vous les jugerez terminés. Et d’ailleurs, lors de ma prochaine visite, votre Excellence, si vous me le permettez je vous ferai cadeau d’une des espèces de fleur de mon beau pays. »


Ceci étant dit, il était déjà l’heure de rentrer. Ainsi la Dame de Hautval, l’Obsidienne se leva à son tour, suivant religieusement le Marquis et sa sœur au sein du dédale du Château jusqu’à cette grande salle où il accueillerait les nobles et marchands venus ci et là pour féliciter le couple. Il faut le dire… Blanche n’appréciait pas ce genre de cérémonie ennuyeuse mais elle attendrait bien sagement que tout soit fini et se réservait déjà pour le Banquet et son vin ainsi que pour les divers saltimbanques invités. Elle appréciait les jeux et les spectacles de ces derniers. Vint le tour du Baron d’Etherna chez qui, elle avait passé quelques jours déjà. Blanche lui offrit un sourire de circonstance et fut étonnée par son geste, ce clin d’œil ? Elle le fixa longuement en silence en dépliant sèchement son éventail et s’éventa. Le minois se pencha vers sa sœur pour lui répondre.


« En effet, ma tendre Madeleyne, j’ai eu l’occasion de séjourner en ces terres, il m’a fait découvrir son beau pays, je ne sais pas si ton époux t’a fait visité Etherna mais tu devrais t’y attarder, j’espère que tu me feras visiter Odélian. » Elle marqua une courte pause. « Je présume que tu as déjà rencontré plusieurs fois le Seigneur de Clairssac pour me demander cela. »


Elle eut un petit rire discret, accentué d’un sourire par la suite. Une fois en compagnie de sa sœur, Blanche redevenait familière. Elle était son sang, elle avait grandi avec elle. Et souvent, durant leur enfance, sa cadette avait été bien plus sage qu’elle, l’avertissant des réprimandes qu’elle subirait si elle s’autorisait telle ou telle chose. Madeleyne avait toujours été plus calme et plus sage. C’était une femme intelligente, l’épouse parfaite.


« J’imagine déjà lorsque Père arrivera, il me dira de me tenir plus droite que cela, que ce n’est pas digne d’une Baronne et d’une Ancenis d’être aussi peu avenante et de me montrer plus enthousiaste vis-à-vis des fêtes… Et Mère sera là pour le tempérer comme toujours. »


Elle eut un nouvel éclat discret derrière son éventail en jetant un coup d’œil à Jérôme qui parfois l’observait lorsqu’il n’avait pas son attention tournée vers Grégoire. Elle glissa une caresse sur le dos de la main de sa sœur et rangea prestement sa senestre ensuite.