Il faut sauver le soldat Kerath [Etat-Major]

Kerath recula d’un pas, puis d’un autre, il titubait comme s’il était à deux doigts d’un coma éthylique, il fit un troisième pas en arrière et enfonça ses pieds dans le sol, refusant de reculer davantage. Il haletait, retirer le poids que représentait Na’ri avait demandé bien plus de force que prévu et sa course couplée à la fatigue rendait sa respiration d’autant plus laborieuse. Il se redressa complétement et poussa un long rugissement, un rugissement qui n’était pas sans rappeler celui de Murrpau lorsqu’il voyait un troupeau de chameaux sauvage. Continuant à respirer comme un buffle il baissa finalement la tête vers celles qui se trouvaient devant lui et il ne vit pas Krish tout de suite, ses poings formés, ses muscles bandés, il commença à se mettre ne position de combat ; jusqu’à ce qu’il finisse par reconnaître la triumvir, ses traits revenant petit à petit sur le visage de sa supérieure. Il ne fallut pas longtemps pour que les esprits du général finissent par traverser le vernis de sauvagerie écaillé par les deux ordres reçus plus tôt.

Les épaules du mastodonte s’affaissèrent en se rendant compte de ce qu’il avait fait et qu’il était allé bien trop loin, il mit un genoux en terre et baissa la tête devant le Feu d’Uriz qui ne changea pas sa posture le moins du monde.

- Debout. " cracha-t-elle, l'esprit à vif.

Ses poings aux articulations blanchies ne se détendirent pas. Son bras tendu devant Na'ri ne fléchit pas.

La prêtresse était hors de danger. L'Obok Senger semblait avoir reprit ses esprits. Tout était bien qui finissait parfaitement bien... A ceci près que Krish ne se tenait plus qu'à grands peine. Les estocades verbales sous la tente avait déjà éroder sa patience, mais également sa marge de manœuvre. Elle aurait voulu que l'un des deux ajoute un mot, un seul, pour les trainer elle même jusqu'à la Fosse et prendre le vainqueur en duel. Malheureusement, elle avait - encore une fois - fait passé les plans avant cette pulsion qui la rongeait de l'intérieur. Cette colère sanguine, ce chaos primaire...

Il obéit, comme un automate. L'air agar. Épuisé. Se remettant sur pied malgré tout. Elle avança d'un pas... Puis d'un deuxième, pour regarder en face la montagne de muscle. Son poing droit s'abattit avec toute la force que pouvait déployer une forgeronne et une guerrière maniant toutes sortes de masses et de marteaux depuis un cycle, droit sur la mâchoire de l'Obok Senger.

- Demain matin au levé du soleil, je te veux en arme dans la fosse. Prêt au combat. " gronda-t-elle en s'approchant de son visage pour glisser plus bas. " Et d'ici là, je serais toi, je prierais tous les dieux pour qu'il m'accordent leur pardon d'avoir lever la main sur une de leur servantes. "

Puis elle se tourna soudain vers le spectateur le plus proche sans se soucier de son grade ou de son appartenance.

- Envoyez un prêtre des Jumelles à la tente de l'Obok Senger Kerath et un autre à la tente de commandement. Et foutez moi le camp ! " termina-t-elle en s'adressant à la cantonade. Ses iris se posèrent sur Shyn'tae et la prêtresse qui s'était retrouver au milieux de tout ça. " Vous deux. Dans la tente de commandement. "

La tête baissée, son menton touchant son torse, présentant sa nuque nue à cause de ses cheveux courts, que pouvait-il faire mis à part obéir ? Il poussa sur sa jambe pour se relever lentement et une fois de bout il releva la tête pour faire face à la triumvir qui commençait à avancer vers lui. La bande qui cerclait ses yeux, d’habitude d’un jaune vif, ardent, était terne et même si son visage restait neutre les épaules de Kerath étaient affaissées par le poids de la culpabilité. Il s’était attendu à un coup, il l’avait même souhaité et il avait tout fait pour se forcer à rester complètement immobile, de toute façon il n’était plus assez rapide pour l’esquiver même en l’ayant vu venir. Son corps se tendit, ses abdominaux se contractèrent et il serra la mâchoire mais ça ne changea rien au fait qu’il se retrouva au sol avec la tête qui tournait et un goût métallique dans la bouche. Après quelques secondes pour se remettre du coup il se massa la mâchoire et tourna la tête pour cracher du sang puis il se releva avec quelques difficultés et après un salut militaire pas tout à fait parfait il se retira sans demander son reste ; il ne doutait pas que l’ordre de foutre le camp lui était aussi destiné.

Il alla dans sa tente mais n’y resta pas longtemps, une vingtaine de minutes tout au plus pour enfiler son armure à l’aide d’esclaves, il avait quelque chose d’important à faire alors, après s’être rincé la bouche, il prit son marteau de guerre et alla directement vers les quartiers réservé à la prêtrise de Kiran et Leetha, croisant peut-être au passage le prêtre qui se rendait à sa tente, ce n’était pas bien grave il allait voir le prêtre qui supervisait la centaine de guérisseurs rattachés à son ost. Dans l’hôpital de campagne quasiment vide, à l’exception de quelques drows allongés après des combats dans la fosse qui étaient allé trop loin ou des victimes d’accidents fortuits il alla trouver le prêtre qu’il cherchait.

Le général ne put s’empêcher de noter que les dieux avaient un certain sens de l’humour. En effet c’était à cause de l’abandon de Na’ri que la prêtrise de Kiran avait perdu sa place privilégiée dans le Second Ost et c’était grâce au sacrifice de la prêtresse que ladite prêtrise retrouvait désormais son statut et sa place légitime dans l’armée de Kerath. Mais redorer le blason du culte des Jumelles en levant les sanctions imposées quelques années plus tôt n’était qu’une des choses qu’il avait prévus, il s’agenouilla devant un autel dédié aux déesses il pria plusieurs heures durant pour leur pardon. Il chercha une représentation du Prime Dragon, chose qui était loin de manquer dans le camp nord. Il demanda la lame sacrificielle d’un prêtre et ajouta des cicatrices à son palmarès dans l’espoir que Zhak’Bar daigne lui accorder son attention après quoi il demanda à des prêtres du Maître des Cataclysme de lâcher un animal dans une fosse. En attendant que son souhait soit réalisé il décida de retirer son armure et lorsqu’il entra dans l’arène les prêtres lui demandèrent une dernière fois s’il était prêt, il répondit oui d’un hochement de tête, une herse se leva pour laisser entrer un scorpion géant et le Senger saisit à deux mains Elrie ; observant l’animal en face de lui faire claquer ses pinces il nota que les dompteurs de la créature avaient gravé un dragon aux ailes déployés dans la chitine.

Le combat fut plus long que prévu, Kerath ne pouvant pas compter sur son armure pour dévier les coups dût principalement esquiver, déviant le dard du scorpion d’un coup de marteau, il broya plusieurs pattes et à partir de là ce fut bien plus facile de ne pas perdre un membre entre les pinces aiguisées de l’animal. Ce dernier finit par s’effondrer après qu’une de ses pinces fut écrasée sous le marteau à deux mains de son adversaire. Le Senger acheva ensuite le scorpion d’un coup dans la tête. Il scanda une prière à Zhak’Bar en touchant le symbole du Prime Dragon sur la chitine de l’animal qu’il avait pris grand soin de ne pas endommager, il demanda au dieu de bien vouloir lui accorder la force nécessaire pour dompter cette partie sauvage de lui qu’une fine couche de civilisation recouvrait. Après quoi il s’autorisa à se reposer. Sur la poignée d’heures qui restait avant le lever du soleil il en dormit à peine la moitié alors le réveil fut dur et le reste il les passa à se préparer. La sueur de son combat nocturne toujours collée à la peau il se lava rapidement avant d’enfiler à nouveau son armure et d’empoigner Elrie puis de partir pour le camp sud ou il attendit la triumvir. Lorsqu’elle arriva sans arme et lui dit que le combat serait à main nue il fut surpris mais il acquiesça et posa arme et armure dans un coin. Il fit jouer ses articulations, faisant rouler les muscles sous sa peau ce qui était bien visible pour ses bras, sa tunique n’ayant pas de manches.

Le combat ne fut pas très long mais intense sous le regard de ceux qui en avaient eu vent et qui n’avait pas de poste à remplir à cette heure si matinale et plus le temps passait plus les spectateurs se faisaient nombreux. Le Senger encaissait les coups avec des grognements de douleur, serrant les mâchoires et tentant d’ignorer la douleur, son combat nocturne bien qu’il ne fut pas des plus reposants avait eu l’avantage de lui vider la tête alors même si Kerath était encore fatigué et donc pas au top de sa forme il opposa assez de résistance à Krish pour qu’elle ne s’ennuie pas. De son côté, peu de coups du mastodonte touchaient leur cible, ce qui n’était pas plus mal pour tout le monde car il ne voulait pas insulter son adversaire en se retenant et si tous ses muscles permettaient une chose à leur possesseur c’était bien de frapper très fort. Cependant, ce qui en surpris peut-être un ou deux dans l’assistance, ce qui était peu probable en voyant l’état dans lequel Kerath avait commencé le combat, ce fut le Feu d’Uriz qui remporta la victoire, le Senger étalé sur le dos regardait le ciel et il ne put s’empêcher de sourire. Il attrapa la main que Krish lui tendait et une fois levé il hocha la tête.

« Félicitation. »

Brandie en direction de Kerath alors qu'il rugissait comme un animal sauvage, la lame effilée ne s'était abaissée que lorsque les mots de la triumvir avaient Il n'y avait rien à dire. La colère de la daedhelle envers son père s'effaça aux mots durs de la triumvir. Elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait pas ce qui venait de se produire, quel sens y donner. Pour tout ce qu'elle savait de son père, ses hommes comptaient plus que tous. Ils étaient ses enfants, ses véritables enfants. Pourtant, dans cette rage aveugle, il venait de mettre la main sur l'une d'entre eux. Aux yeux de Shyn'tae, cela aurait été inconcevable quelques minutes auparavant. Elle détourna le regard. Il n'y avait nul plaisir à contempler la culpabilité d'un sombre, quel qu'il soit.

Elle tressaillit au coup de poing puissant que l'avatar d'Uriz infligea au guerrier renfermé. Il regrettait, et elle soupçonna que la douleur qu'elle lui infligeait était peu de chose par rapport à celle qu'il s'infligeait à lui-même à cet instant. Il est comme nous tous, il a des faiblesses, murmura la petite voix.

La drow s'abstenu de tout commentaire. Rien de ce qu'elle aurait pu dire n'aurait été adéquat. Dans son corps qui lui semblait soudain bien frêle, l'effet puissant de l'adrénaline s'évanouissait peu à peu, remplacé par le prix à payer pour ses actes. Prudemment, elle rengaina la lame.

La magie est une maitresse fidèle, mais impitoyable. Shyn'tae la connaissait si bien. Ce n'est pas tant qu'elle avait trop canalisé de puissance, mais surtout, elle avait brusqué sa muse. Elle l'avait attirée à elle comme une amante qu'elle aurait si ardemment désiré, et cette dernière, malicieuse, ne s'était pas faite priée. Maintenant, elle se vengeait.

Elle frissonna, prise d'une fraicheur soudaine que la chaleur ne justifiait aucunement, laquelle qui pénétra tous les pores de sa peau sombre. Une sensation nausée monta en elle. Elle se raidit et vacilla. Elle connaissait cette sensation… Son bras gauche fut prise d'un spasme, elle le saisit du droit, impassible. La triumvir se tourna vers elle, et la magicienne fit de son mieux pour faire disparaitre la lueur de doute dans son regard. En un instant elle était au garde à vous: Elle se sentait coupable.

" Vous deux. Dans la tente de commandement. "

La daedhelle lui emboita le pas, sa gène imperceptible. Pourquoi ce sentiment? Ce n'était pas rationnel. Quelqu'un d'important aurait pu mourir aujourd'hui. Il y a tant de choses qu'elle aurait pu mieux faire. Était-elle en colère contre lui? oui certainement. Il était inadmissible qu'il ne soit pas capable de se contrôler. Quoiqu'il ait entendu, il entendrait certainement bien pire avant la fin de cette campagne militaire. Et ce jour là… ELLE attendait de lui qu'il garde la tête froide. Mais elle? Avait-elle vraiment fait ce qu'il fallait depuis le moment où elle était entrée dans la tente de l'état major? Cela n'aurait rien changé. C'était probable. Mais les sentiments ne sont pas rationnels.

Essoufflée. Éreintée. Krish avait pris quelques instants pour souffler, pencher en avant, les mains sur les genoux, avant de s'approcher de Kerath en boitillant pour l'aider à se relever. Comme toujours, ce combat lui laissait un arrière goût amère. En temps normal, lorsque le Père ne s'en mêlait pas, son corps n'était pas différent de celui des autres drow, à ce ci près qu'Il lui avait donné un instinct du combat des plus particulier. Elle semblait connaître une multitude de styles et d'écoles et les utiliser d'instinct... et si son corps n'était pas suffisamment puissant ou souple pour certains mouvements, tant pis pour elle. L'apprentissage était long, mais une constante revenait sous la forme d'un souvenir. Une voix qui lui assurait qu'elle vaincrait... Et que ces victoires ne seraient jamais les siennes. Aujourd'hui, pourtant, elle faisait taire cette voix du mieux possible. Cela faisait un sacré bout de temps qu'elle n'avait pas eu l'occasion de se laisser aller à ce point. Pas autant qu'elle l'aurait souhaité, mais tout de même.

Il l'avait obligé à rester constamment en mouvement pour le prendre de vitesse et de souplesse plutôt que de tenter de rivaliser en technique. Le claquage de son mollet avait faillit lui couter la victoire, mais ça n'était visiblement pas dans les plans de son Maître. Kerath avait été un sacré adversaire. Elle n'avait pas reçu beaucoup de coups mais ceux qui avaient fait mouches étaient dévastateurs. Ses côtes, sa hanche et son épaule droite s'en souviendraient un moment et elle ne comptait pas demander aux prêtres des Jumelles de s'en occuper tout de suite, contrairement à sa jambe. Elle avait besoin de l'éprouver un peu plus longtemps... du moins jusqu'à ce que Myr lui demande de laisser les guérisseurs régler ce problème.

Elle frotta distraitement sa joue pour en ôter grossièrement le sable et gronda sous l'effort que lui demanda la simple remise sur pied de son adversaire.

- Je n'ai pas de mérite, Il est de mon côté. " Elle lui serra fraternellement le bras à la manière des militaires, sans même s'en rendre compte. " Merci de ne pas avoir retenu tes coups. " ajouta-t-elle un ton en dessous avant de reculer pour commencer à dégripper un peu son épaule malmenée " Quand tu auras le temps... Et qu'on m'aura remise en état, il faudra qu'on aille prendre un verre. "

Kerath tenta de remonter seul tant que faire se peut, il savait bien qu’il n’était pas léger et qu’après un combat soulever son poids était d’autant plus difficile cela dit il n’était définitivement pas au meilleur de sa forme alors il dut beaucoup se reposer sur le Feu d’Uriz pour se mettre sur ses pieds ; un grognement lui échappa au passage, le coup qu'il avait reçu juste en dessous des côtes allait le faire souffrir un certain temps, du moins jusqu'à ce qu'il aille voir des guerrisseurs, hors de question qu'il parte purifier la seigneurie de Swatilda avec ça. Ça lui rappelait qu'il avait perdu du temps, quelques heures qu'il aurait pu passer à planifier l'opération à venir et il était certain que ça allait demander un peu d'organisation et de préparation, il allait devoir parler avec l'autre Senger.

« C'est un honneur d'avoir pu combattre contre toi en tout cas. »

Et ça il le pensait réellement, de toute façon Kerath n'était pas du genre à flatter même si ça avait pu lui compliquer la vie. Il haussa difficilement les épaules, une pointe de douleur remonta sa colonne vertébrale. A la place de Krish il aurait détesté que son adversaire retienne ses coups, il l’aurait pris comme une insulte et puis quel faible demandait à combattre quelqu’un en espérant que ce dernier le laisse gagner ? Si ç’avait été le cas de l’avatar du Père des Batailles il aurait été particulièrement déçu et se serait posé quelques questions et chacun sait que lorsqu’un soldat se met à se poser des questions c’est mauvais signe.

« Ce serait avec plaisir mais je crains que ça ne sera pas avant un moment. Quoi que, à la cérémonie en l’honneur des treize qui ont survécut nous trouverons bien un moment pour boire un verre. »

Il ne savait pas combien de temps allait prendre la purification des terres de Swatilda, une ennéade tout au plus, mais que ce soit avant ou pendant il n’allait sûrement pas avoir l’occasion de boire et encore moins en compagnie du Feu d’Uriz. Kerath jugea inutile de révéler qu’il ne buvait que de l’eau ou des boissons au taux d’alcool ridiculement élevé même pour des drows car ayant toutes les papilles brûlées il buvait simplement pour s’hydrater ou s’enivrer ; sa corpulence couplée à son habitude faisait qu’il devait ingurgiter des quantités absurdes de boisson pour ressentir les effets de l’ivresse alors autant boire des liquides qui dépassait les quatre-vingt voir les quatre-vingt-dix degrés.

« D’ailleurs si je puis me permettre... » commença-t-il en se massant le poignet, serrant les dents, il allait vraiment avoir besoin de voir un prêtre de Kiran avant son départ, heureusement qu’il leur avait rendu leur place légitime la vielle. Normalement ils ne devraient pas trop rechigner à le soigner, malgré ce qu’il avait fait à Na’ri. « Avant une bataille ou une opération importante le Second Ost fait une prière collective dans l’espoir qu’Uriz nous juge digne de son attention, souvent à l’aube même si ce n’est sûrement que pour le symbole, nous feras-tu l’honneur de mener le rituel ? »

Encore une ce n’était pas par flatterie qu’il disait ça, Kerath n’avait rien à reprocher au grand-prêtre rattaché à son ost, au contraire même, il pouvait le complimenter et le recommander sans réserve et le nombre de personne dont il pouvait dire la même chose était risible. Cela dit il connaissait suffisamment ses drows pour savoir qu’avoir la haute-prêtresse et triumvir s’occuper du rituel ne pouvait que les pousser vers des sommets toujours plus hauts. Et puis si c’était l’avatar d’Uriz qui menait la cérémonie alors il était certain que le regard du Père se poserait sur eux, ainsi Kerath était certain que tous ses soldats se battraient comme jamais ils ne l’avaient fait et c’était justement le moment de se distinguer ; après tout il n’y avait que treize drows qui seraient récompensés par une cérémonie en leur honneur, c’était tristement peu et ce n’était pas le général qui allait dire à ses troupes de modérer leur élan guerrier pour éviter de grossir les rangs des treize.

« Tant que j’y suis : quel était le message que voulait me faire parvenir le traître ? »

Bon... Visiblement, Kerath était aussi premier degré qu'il en avait l'air. Elle n'avait pas vraiment eu le temps d'user d'ironie ou de second degré dans leurs rapports quotidiens alors les rumeurs étaient restées lettres mortes. Pourtant, il était loin des guerriers bêtement violent qu'elle avait eu l'occasion de côtoyer. Il parlait de façon si naturelle et franche que ça produisait un étrange cocktail de sympathie.

- Bien sûre. Ce sera un honneur de guider la prière. " acquiesça-t-elle a sa demande.

Jusque là, elle avait bien plus de temps à prendre des notes pour avoir une vu d'ensemble de la situation diplomatique de Sol'Dorn, d'Elda et de Thaar qu'à bénir des champs de bataille. Elle connaissait les rites - même si elle devrait peut-être réviser un ou deux détails - et elle priait toujours autant. Depuis son passage dans les Ombres, les dévotions rythmaient ses journées aussi précisément qu'une horloge. Cela faisait parti d'elle comme une seconde nature. La seule chose qui avait changé c'est qu'elle ne s'arrêtait pour se mettre à genoux qu'une ou deux fois par jour, au moment de saluer la puissance de leur Créateur. Pour les Piliers et les Alliés, elle ne gardait que quelques versets prononcer dans le secret de son coeur au moment propice sans avoir à interrompre ses activités. Parfois, elle se demandait si Elghinn en avait lui aussi gardé l'habitude, mais elle ne se faisait pas trop d'illusions à ce sujet. Elle avait surtout hâte de passer à la véritable guerre après cette mascarade... Même si elle devrait renoncer à des choses qui comptaient tant pour elle.

Clopinant au côté de l'Obok Senger, ils s'approchaient pas à pas de la sortie de la zone sableuse.

- Il voulait que tu saches qu'il n'était qu'incompétent. " ricana-t-elle. Ce n'était pas forcément ce que Kerath avait envie d'entendre, mais le rapport brouillon du messager était resté gravé au fer blanc dans l'esprit de l'eldéenne dans la catégorie répliques mémorables. S'il n'avait le choix qu'entre la traitrise et l'incompétence, Dante avait fait passé le message pour choisir son camp. " Il se sent blessé qu'on puisse le considérer comme un traitre, se réclame comme un négociant impartial injustement accusé et la suite n'étaient faite que des menaces habituelles d'humain au pied du mur. " Puisque c'est comme ça, je vais vraiment vous faire chier, etc, etc... En tant que Princesse Marchande, elle en avait essuyé encore plus qu'avec sa place de Triumvirat des machins comme ça. Elle secoua la tête. " Honnêtement je me fout de ce crétin. Nous pourrons placarder sa tête partout une fois que Sol'Dorn sera à nous, mais jusque là il faut la jouer fine pour éviter qu'il ne soit récupéré par les Princes Marchands. Tu sais, quand je te proposais de boire un verre tout à l'heure c'était en partie pour te parler de ça. " Elle lui sourit en passant sous la herse sommaire qui évitait que les bêtes fauves ne s'échappent lorsqu'elles venaient à être lâchées dans la fosse. " Si tu as des récriminations par rapport à tout ça ou des idées pour gérer cette histoire, je suis toute ouïe. Que ce soit maintenant ou plus tard. "

Avant de sortir de l’arène il se tourna vers deux soldats de son ost et leur ordonna de ramener son arme et armure dans sa tente puis il emboita le pas à la triumvir, se forçant à ralentir son allure et à réduire la taille de ses pas pour rester à ses côtés. Il pensa à l’aider mais se ravisa en supposant qu’elle le prendrait mal. Quant à l’explication elle ne le satisfaisait, pas au contraire, il lâcha un grognement dépréciateur.

« Tu peux être un traître incompétent. Et puis je trouve étrange que quelqu’un d’innocent préfère s’enfuir plutôt que de faire face à Meingal. » Il en avait vu quelques-uns et c’était assez triste à voir. L’idée de ne rien faire jusqu’à la chute de Sol’Dorn lui arracha un nouveau grognement, plus long cette fois et surtout plus sonore. « Et quand est-ce que la ville va tomber? » Il ne s’y intéressait pas, les tractations n’étaient pas son fort et d’ailleurs il ne comprenait pas pourquoi est-ce que ça prenait si longtemps.

« En tout cas tu aurai au moins neuf mille volontaire si tu lançais une traque. Et je ne doute pas que le premier ost voudrait aider aussi. Sans compter les autres osts. Sans compter sa traîtrise j’ai perdu deux gars à cause de son incompétence. Deux bons gars. C’est bien plus que n’importe quel humain ne mérite. » Il s’arrêta pour emprunter la gourde d’un soldat qui les saluait et reprit après l’avoir proposé à Krish. « Je n’aime vraiment pas l’idée d’attendre et qu’on me réserve une place dans les P’leiks si je suis le seul. Un traître, un incompétent ou les deux ne change rien au fait qu’il s’est foutu de la gueule de Meingal. Il a attaqué une prêtresse… consciemment, lui. S’il a un jour été sincèrement croyant c’est aujourd’hui un apostat, en plus d’un blasphémateur. »

La question était lâchée et Krish y répondit avec une confiance déconcertante. " Sur les onze grand-prêtres du conseil, nous en avons paralysés dix. Il en reste un à détruire et une à convaincre. Si tout ce passe bien. La seconde devrait se charger du premier et mettre fin à tout ça d'ici un mois, grand maximum. Elle fait simplement trainer les choses pour garder la tête haute... Et étant donné les raisons qui l'ont amené à quitter le Puy, je connais des puysards moins eldéens qu'elle. " Elle savait que la phrase était par bien des point un affront suprême à son propre peuple, mais elle parlait là d'une icône qui l'impressionnait par bien des aspects. " Ssassha, la Grande-Prêtresse de Teiweon qui a presque deux cycles au compteur et une fille inutile. " compléta-t-elle. L'Etat major avait bien émit l'idée de s'emparer de sa progéniture pour la faire fléchir, de ça Kerath était bien sûr au courant, mais ils s'étaient vite rendu compte que la fille était si déshonorée qu'ils auraient arrangé la mère en la faisant tout simplement disparaitre. Fanatique au dernier point et respectueuse de toutes les traditions anciennes, même les diplomates eldéens avaient du mal à savoir par quel bout la prendre. " Elle s'est mis à dos un prima un peu trop révisionniste et je te parie qu'elle va tout faire pour troquer Sol'Dorn et son retour dans la hiérarchie habituelle contre la tête de cette grande gueule. Ce qu'elle ne sait pas, c'est que l'homme en question est déjà mort pendant les Purge. Donc nous n'attendons plus qu'un peu de franchise de sa part pour en finir. "

Mais ce n'était pas la seule question. Elle accepta la gourde avec reconnaissance et en avala de longues gorgée avant de la rendre à son adversaire du jour. " Je comprends... " et elle ne mentait pas. Ce petit con était comme un moustique. Trop enquiquinant pour vous laisser dormir. Trop insignifiant pour sortir le lance flamme. " Si tu veux tout savoir, j'ai ordonné à nos agents de la Doth'Ka d'ouvrir l’œil et de nous le ramener, mort ou vif, s'ils en avait l'occasion sans nous porter préjudice. Mais pour le moment, en faire plus serait pousser les Princes Marchands à prendre la défense de cet éphémère et à en faire la tête d'affiche d'une résistance Vaanie là ou nous pourrions directement régler leur compte aux traitres du IVe et marcher vers l'Aduram. " Une flamme d'anticipation luit un instant dans son regard avant qu'elle ne parvienne à ravaler le frisson qui lui remontait le long du dos. " Le jour même où tes hommes prendront leurs quartiers dans la forteresse du IVe, je te jure que je mettrais toutes mes relations, que ce soit en tant que Princesse Marchande ou en tant que Triumvir, pour te ramener cet humain, ou le tuer, à ta convenance. "

Kerath haussa un sourcil en entendant qu’il restait un membre du conseil à détruire mais malheureusement il se doutait qu’il ne serait pas question de détruire physiquement ledit membre du conseil alors ça ne servait à rien de s’y intéresser. Encore que, le conseil de Sol’Dorn était composé de prêtres et même s’ils ne reconnaissaient plus le clergé au Puy ils vénéraient bien les mêmes dieux. Du moins c’est ce qu’avait compris le Senger et si ce n’était pas le cas il se demandait bien pourquoi est-ce qu’on ne lui avait pas donné l’autorisation de raser la ville.

« Une ordalie accélérerait les choses. Quel dieu pense-t-il représenter ? »

Kerath se proposerait comme champion pour représenter la divinité en question. Se sentant encore coupable de ce qu’il avait fait la veille il avait une envie impérieuse de faire quelque chose pour les dieux. De plus ça pourrait aider les soldats à patienter en attendant la capture, ou la mort, de Dante sans que les soldats en question ne fassent une connerie qui pourrait ruiner les efforts déployés par Krish. Et puis là il n’aurait aucun remord à frapper un prêtre, même un haut-prêtre.

« Je t’avoues que peu m’importe comment la ville tombe tant qu’elle tombe. » Ce n’était pas tout à fait vrai, évidemment il ne voulait pas que ce soit fait en trahissant les dieux mais sinon, pour les affaires des mortels, il s’en foutait complétement. « J’attendrais. Et avec moi le Second Ost. Mais ne tarde pas trop, les dieux sont rarement patients. Tant qu’il meurt ça me va, peu importe comment. Je préférerai l’avoir vivant pour le sacrifier à Meingal mais je préfère qu’il meurt plutôt qu’il s’enfuie une fois de plus parce que quelqu’un a fait la même connerie que moi. »

Une ordalie... Au début de leur siège ça avait été hors de question, mais au point où ils en étaient, cela pouvait être envisagé... Au point même qu'elle l'envisageait. Elle s'arrêta et fixa l'Obok Senger tout en l'écoutant embrayé sur la suite. Acquiesçant face à la logique implacable de Kerath et notant dans un coin de son esprit qu'ils traqueraient donc Dante à Mort une fois qu'ils en auraient l'occasion, un sourire un peu plus mordant se dessina sur ses traits.

- Une ordalie serait une excellente idée... Si nous la gagnons. Et l'adversaire n'est pas des moindres. " Elle chercha le regard cerclé de jaune. " C'est le Grand Prêtre de Meingal. " Et sa réputation le précédait ne serait-ce qu'un peu. Ancien du IVe Ost ayant épouser la prêtrise après plusieurs siècles en tant que soldat, l'homme avait à plusieurs reprise représenter lui-même les intérêts de son ordre sous le regard de son dieu, une lame à la main. L'eldéenne détaillait le militaire avec attention, repassant dans son esprit le combat qui venait d'avoir lieu, sans ouvrir la bouche. La question qu'elle se posait, elle ne l'articulerait pas, car il n'aurait d'autres choix que de répondre par l'affirmative, en bon eldéen qu'il était. Mais tout de même... l'idée était tentante.

C'était décidé. Si les Dorniens n'en finissaient pas d'eux-même avant la fin du mois suivant, elle mettrait fin à ce siège dans l'arène en écrasant ce serviteur de Meingal quitte à se mettre son ordre et une partie de la ville à dos... Mais elle escomptait bien ne pas avoir à en arriver là.

Kerath fronça les sourcils, se demandant s’il avait bien entendu ce qu’elle venait de dire. Ou du moins s’il avait bien compris. Non, il avait forcément mal compris, c’était l’avatar d’Uriz qu’il avait en face de lui, le Senger avait forcément mal interprété ce que Krish avait dit.

« Comment pourrait-il gagner ? »

Comment Meingal pourrait-il décider d’accorder la victoire à un traître ?

- Tu oserais présager des volontés divines ? " répondit-elle, particulièrement sérieuse, tout sourire envolé. " C'est un combattant redoutable. Nous affirmons que son clergé, ses hommes, valent moins que nous parce qu'il y a dix ans, il a tourné le dos à Elda. Nous le traitons de traitre. Il a dévoué sa flamme à Meingal et ce serment, il ne l'a jamais renié. Il y a dix ans, quand l'Ithri'Vaan nous a échappé, tu te souviens à quel point nous avons été viles ? Qu'avons-nous fait pour empêcher ça ? Comment avons nous réagit ? " Rien. ils n'avaient rien fait. Ils étaient bien trop occupés ailleurs, à avancer des pions condamnés à reculé manque de base arrière. Aucun pouvoir, aucun leader ne s'était montré assez ferme pour remettre de l'ordre. La Colère lui montait au nez sans qu'elle n'en perçoive véritablement la cause. " L'effondrement du IVe et la formation de ce conseil sont les conséquences directe de la faiblesse d'Elda. Ils n'avaient pas à s'abaisser à notre niveau médiocre ou à rester sous la tutelle d'un empire mourant. " le dégoût déformait peu à peu ses traits. " La Purge, la relance de notre guerre sacrée et ce siège qui n'en finit pas. Tu crois que tout ceci serait nécessaire si Elda n'avait jamais trébuché ? Nous relevons la tête. Nous nous montrons chaque jour un peu plus digne de l'aide des Alliés et du soutient des Piliers. Mais peux-tu me dire droit dans les yeux que Meingal décidera à coup sûr que notre champion a moins fauté que ce Grand-Prêtre qui refuse de se rendre par principe, même acculé par seize-milles hommes ? " Elle serrait les poings " Alors certes, la bataille qui nous occupe depuis un an n'a pas eu besoin de lames et mon sang bouillonne de voir enfin notre armée sur un véritable champ de bataille. Mais nous réapprenons à utiliser les mots de Tesso, les ombres de Teiweon et les sourires d'Isten car ces sont des armes qu'Il nous a donné. Parce qu'aucune bataille, aucun affrontement n'est gagné d'avance. Et parce que contrairement à tous les adversaires que nous avons affrontés jusque là, les Dorniens son Ses enfants de la même façon que nous. Les détruire au lieu de les rallier serait une perte terrible alors que le reste du monde obéit à cette traitresse que les elfes appellent Mère. " Avis tellement impopulaire dans leur armée... Mieux valait crier le bon droit et la gloire d'Elda que reconnaitre les fautes passées. C'était toujours plus simple... C'était pour ça qu'ils continuaient à vouloir foncer bêtement au lieu de convertir. " Les anciens du IVe sont des traitres et peu sont encore de fervent croyants. Des lâches que nous utilisons à notre avantage avant de les sacrifier, nous le savons tous les deux. Mais ceux qui ont tenu les rênes de Sol'Dorn lors de leur déchéance sont des prêtres. Si tu avais assisté aux rencontres diplomatiques tu aurais constaté qu'ils servent les Dieux avec autant de sincérité que nous. Souvient toi que l'Avatar d'Isten a vécu parmi eux, elle a même fondé ce foutu Conseil. Cette ville est dirigée et habitée par des drows. Les humains sont des citoyens de seconde zone et la plupart sont surement déjà morts de maladie étant donné les restrictions que nous leur imposons au niveau des soins. Les temples de nos dieux sont les seuls à y être représentés et les parvis sont rougis du sang des sacrifiés lors des jours de fêtes. Alors au nom de quel dieu, toi, tu peux décréter que le Conseil fondé par l’Élue d'une Déesse n'est pas un adversaire qui mérite le respect ? " Une quinte de toux la secoua, coupant son élan. Elle cracha un peu de sang et s'essuya les lèvres du revers de la main. Regardant Kerath presque aussi sombrement que la veille. Tous ces hommes qui prenaient leur victoire pour acquise au lieu de la mérité...

" Au début de ce Cycle, Tebirahc a tué un roi indigne et il est parti en croyant que notre peuple se montrerait assez fort pour prendre la relève sans Feu pour les guider. Il avait tort et c'est pour ça que je suis ici aujourd'hui... Aucun de nous n'est parfait. Alors ne présume pas de ce que pensent les dieux et ne prend jamais une victoire pour acquise. Jamais. " Elle prit un instant pour respirer avant d'ajouter. " Maintenant, si tu te penses digne de défendre cette guerre sous le regard de Meingal face à son serviteur, je ne m'y opposerai pas. Au contraire. Je pense sincèrement que les dieux ont de quoi être de ton côté à présent. Mais ne sous-estime pas nos adversaires. "

Bien qu’il avait désormais une armée à diriger et aucun supérieur militaire, lorsqu’un supérieur, tout civil qu’il soit, parle on ne l’interromps pas même si l’on en a particulièrement envie. Il attendit donc patiemment, du moins aussi patiemment qu’il le pouvait, il écoutait avec attention, se demandant comment pouvait-on en venir à dire ça. Une fois le long monologue de Krish terminé il avala une gorgé d’eau avant de lui tendre à nouveau la gourde, parler autant ça donne soif. Au départ le brasier ronflant de la colère qui d’ordinaire l’animait s’était tût petit à petit, laissant place à de l’inquiétude, c’est donc les sourcils froncés qu’il la regarda pendant quelques secondes avant de prendre la parole.

« Tu manques d’assurance à ce point ? »

Ce n’était pas une remarque moqueuse, il se posait honnêtement la question car c’était ô combien dangereux. Tout le monde doute lui avait-on un jour dit, mais les dirigeants et ceux qui occupent des postes à responsabilité en général ne devrait pas le montrer ; le doute étant bien trop contagieux il représentait un risque trop important pour être vu par ses subordonnés. Surtout qu’il était question de louanges de leurs ennemis, Kerath n’était pas aveugle au point de ne pas voir les bons côtés de ses ennemis mais tous n’étaient pas comme lui et ceux qui passaient autour avaient sûrement pu entendre le Feu d’Uriz. Si elle comptait répondre il l’arrêterait, certes ce n’était pas à lui de le faire et elle pouvait considérer ça comme de l’insubordination mais il était prêt à prendre le risque pour s’assurer de la cohésion des osts, tant pis s’il devait être puni pour ça. Après lui avoir proposé de trouver un endroit plus privé pour continuer cette discussion dont Kerath n’était pas certain de savoir quoi penser il chercha un tel endroit du regard et ses yeux s’arrêtèrent sur un entrepôt, il poussa la porte ; ici ils n’auraient pour seuls spectateurs des caisses, des râteliers d’armes et des mannequins portant des armures. Satisfait il entra et attendit que Krish fit de même pour fermer la porte derrière elle puis il alla s’adosser à des caisses empilées les unes sur les autres.

« Il n’était pas question de sous-estimer qui que ce soit et surtout pas un haut-prêtre. Justement parce que les dieux n’accorderont pas la victoire à celui qui prend à la légère quoi que ce soit qui les touche de près ou de loin. » Il croisa les bras, parlant étrangement bas, enfin pour lui ça voulait dire parler normalement, faisant des efforts pour ne pas être entendu par des gens qui passeraient près de l’entrepôt dehors. Il allait demander s’il pouvait parler librement mais il l‘avait fait jusque-là alors autant continuer sans poser la question. « Cela dit c’est comme ça que tu justifies leur acte ? A mes yeux c’est pire, bien pire, qu’une simple trahison et je vais te dire pourquoi je n’ai pas participé aux négociations : le conseil est pire que le Quatrième Ost. » Toujours la gourde à la main, tant pis pour le soldat qui allait devoir en demander une autre, il avala une gorgée. En réalité Kerath se sentit un peu mal car il était possible que le soldat en question ait à faire à Brannel pour en récupérer une nouvelle.  « Ce sont des traîtres, des déserteurs, tout comme le Quatrième Ost. Mais en plus de ça ce sont des lâches. Ils auraient pu reprendre le contrôle du Quatrième Ost et marcher sur le Puy pour remettre de l’ordre. Certes ç’aurait été difficile mais quel est l’intérêt d’une épreuve facile ? Mais non, ils ont choisi la facilité et se sont déclarés indépendants, tournant le dos au Puy lorsque ce dernier en avait besoin. Contrairement au Quatrième Ost qui s’est désintégré ils ont gardé leur unité. Ils auraient pu faire quelque chose. Mais non. Tu peux leur trouver toutes les excuses que tu veux mais ça ne change rien au fait qu’ils ont vu une opportunité facile de gagner du pouvoir et qu’ils l’ont saisi. Toutes tes excuses n’y changent strictement rien. Et c’est justement parce que ce sont Ses enfants que c’est pire. Qui est le plus fautif entre un soldat qui a perdu ses repères et se rattache à ce qu’il peut et un prêtre qui a non seulement une vision d’ensemble mais qui, de par son office, a la chance d’être plus proche des dieux et s’en sert pour trahir et cracher sur ceux qu’il devait protéger et guider ? Les deux méritent la mort et les deux y auront droit, quitte à ce que je doive m’en occuper personnellement mais l’autre est bien plus coupable que l’un à mon sens. Donc non je ne le respecte pas et je ne compte pas le faire mais ça ne veut pas dire que je vais faire l’erreur de le sous-estimer. » Il avala une nouvelle gorgée d’eau. « A ta place je ferai très attention à qui je dirai ce que tu viens de me dire, entre les mauvaises mains tes paroles pourraient aisément justifier une rébellion et nous n’avons clairement pas besoin de ça, n’est-ce pas ? »

Par pure provocation, une colère qui n'avait aucune raison d'être sienne calée au fond du ventre, elle ouvrit la bouche pour répondre par l'affirmative. Heureusement, l'homme l'arrêta d'un geste, partageant une nouvelle fois sa gourde tandis que les quelques hommes alentours vaquaient à leurs occupations. Elle en tira de nouveau traits avant de la lui rendre et accepta de le suivre sans hésitation.

Dans le silence de l'entrepôt, elle l'écouta jusqu'au bout. Il n'était pas dans son habitude d'interrompre qui que ce soit à moins d'une insulte directe... ou d'un coup de sang prodigieux. Mais ce qu'il disait lui rappelait une fois encore la posture des soldats qu'elle était sensé fédérer. Une posture si différente de la sienne. Elle ne devait pas leur en vouloir pour ça... Tous ceux qui n'étaient pas avec eux étaient contre eux. Et tous ceux qui étaient contre eux méritaient la mort. Ils avaient fonctionné ainsi pendant si longtemps... Des Cycles. Comment leur faire comprendre que la force dont avait besoin le Destructeur n'était pas seulement celle de champs de cadavres.

Alors pour maintenir la cohésion des siens, des centaines de prêtres ayant réussit à protéger la foi de milliers des leurs devraient être sacrifiés ? Devrait-elle assister à un tel blasphème pour continuer sa tâche ? Aurait-elle l'occasion de se baigner sa lame dans le sang des parjures ? Elle en frissonnait de dégoût et d'excitation.

Le calme tranquille de Kerath lui faisait froid dans le dos... Mais pourquoi ? Parce qu'il était certain de ce qui devait être là ou elle ne voyait que des possibilités indéfinies ? Parce que ce qu'elle savait de Tebirahc planait au-dessus de son avenir en épée de Damoclès ? Parce qu'elle avait l'impression de sentir quelque chose lui filer entre les doigts... et que le poids qu'elle tenait à bout de bras depuis six ans lui semblait soudain bien trop lourd ?

Pendant l'explication de l'Obok Senger, elle s'était perché sur une caisse pour soulager sa jambe. La douleur lui vrillait toujours le crâne, mais elle n'était plus vraiment à ça près.

- Tu as raison. Je n'aurais pas du en parler sans faire attention. " Sa voix était rauque. " Je ne peux pas partager ta vision des choses en sachant que tout ça a été mis en place par May'Inil et que ça leur a permis de protéger la foi de millier des nôtres alors que d'autres sombraient tout autour... Mais je l'entends. Et je comprends que ce soit le point de vue d'une grande majorité de nos soldats. Merci de me l'avoir rappeler. Je vais avoir besoin d'un peu de temps pour faire le tour de la question. " Elle repoussa sa tresse à moitié défaite derrière son épaule et grogna en se rappelant que c'était son épaule blessée. Elle joua de l'autre, étirant les parties de son corps qui n'étaient pas trop endolories pour luter contre la lassitude mentale qui menaçait de la submerger.

Sa propre stratégie la tuait à petit feu...

Elle avait été Choisit parce qu'elle ne renonçait jamais, qu'elle jugeait uniquement sur le talent et qu'elle ne reculait pas devant les défis pour faire ce qu'elle voulait. Aujourd'hui, après six insupportables années à éteindre sa flamme et sa passion dans le devoir et la raison, elle hésitait à achever un ennemi presque à terre et se contentait de penser si loin qu'elle était même plus raisonnable que ses conseillers les plus tempérés. Et comme si cela ne suffisait pas, en plus de se perdre, elle en souffrait jusque dans sa chair.

La colère qui lui était venue à l'innocente question du chef du IIe ost n'était pas liée à la considération des Dorniens... Non... Elle enrageait de devoir leur trouver des excuses. Elle enrageait de devoir retenir ses coups... par peur. Peur de briser une nouvelle fois l'avancée d'Elda. De ne pas bâtir quoi que ce soit d'assez durable pour aborder la prochaine marche de cette guerre sereinement.

Ça la frappait à présent.

Elle était folle de rage à l'idée de devoir penser à la guerre dans sa globalité pour cent-mille abrutis incapables de faire la part des choses.

Folle de rage de devoir penser à construire et à conserver là ou son instinct voudrait brûler, ramasser les graines et voir ce qu'il en ressortait.

Folle de rage de ne pas pouvoir pleinement s'amuser de cette puissance absurde qu'Il avait mis en elle et qu'elle payait chaque jour !

Elle prit une longue inspiration.

" Accepterais-tu que je serve sous tes ordres pendant la mission qui se profile ? " Malgré son ton calme, ses yeux se levèrent à nouveau vers ceux de l'officier et une flamme ardente y brûlait.

Il ne préférait pas bouger, se tenir contre une surface dure faisait du bien à son dos même s’il avait envie de faire des tours d’entrepôt en parlant ou en écoutant son interlocutrice. Alors il faisait ce qu’il pouvait pour rester immobile, sachant pertinemment que s’il bougeait il allait le regretter pourtant qu’est-ce que c’était tentant… mais c’était bien là que se trouvait le danger, la veille il n’avait pas réussi à se contrôler et il l’avait regretté, il avait fait une offrande à Zhak’Bar pour que le dieu l’aide alors si Kerath ne faisait pas d’efforts pourquoi une divinité daignerait lui offrir son aide ? Alors à la place il jouait avec la gourde et la lanière de cuir qui permettait de l’attacher quelque part.

« En effet nous n’avons pas la même vision des choses. Là où tu les vois comme des protecteurs je vois un groupe qui a abusé de leur position, délaissant leurs devoirs pour satisfaire leurs abmitions personnelles. » Il regarda la gourde qu’il faisait passer d’une main à l’autre, jonglant presque. « Je pourrais discuter avec un ancien du Quatrième mais je laisserai les elfes souffler le Brasier Eternel avant d’adresser la parole à un membre du Conseil. »

En réalité sa position était sûrement une des plus extrême dans l’armée mais pas de chance il était Obok Senger. En réalité Kerath les détestait aussi parce que lui était resté fidèle alors qu’il aurait pu déserter aussi en emportant assez de félins à pointe de son régiment avec lui pour se tailler un domaine conséquent autour de Sol’Dorn ; alors qu’on traite de la même façon ceux qui n’avaient pas eu la force de résister et ceux qui étaient restés loyaux l’énervait au plus haut point. Il voulut lui répéter qu’elle ferait mieux de se dépêcher car les dieux n’étaient pas patients mais en tant qu’avatar elle devait sans doute le savoir mieux que quiconque. La question le surprit puis le temps que l’information arrive jusqu’à son cerveau abruti par la fatigue et la douleur il la regarda sans trop comprendre avant de rire franchement. Encore une fois ce n’était pas moqueur, il ne s’y était simplement pas attendu et compte tenu de leur discussion il trouvait la question amusante.

« T’es fatiguée de discuter ? » Il haussa ensuite les épaules, peu important en réalité ses motivations, il était surtout surpris qu’elle lui demande. « Oui j’accepte, bien sûr que tu peux venir, de toute façon j’aimerai bien voir quelqu’un tenter de t’en empêcher. Mais je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée pour toi d’être sous mes ordres, en tout cas officiellement. Certains ont déjà douté de toi et j’ai peur que ça ravive ces Flammes séditieuses. »

- Si tu savais à quel point... " laissa-t-elle tomber avec un rire mauvais face à sa question qui avait toutes les chances d'être rhétorique. Puisque c'était en étant butée et imprévisibles qu'elle avait fait ses preuves aux yeux des dieux, il était temps qu'elle s'écoute un peu plus. Ça apprendrait aux diplomate à se débrouiller tout seuls et aux Dorniens que sa patience arrivait à son terme. " Je ne pensais plus à placer deux ou trois repentis sous ta direction, mais si tu préfères que je vienne à visage découvert... Comme ça t'arrange. "

Il se doutait un peu du point auquel elle en avait marre mais il se demandait surtout si elle n’en avait pas assez du siège dans son ensemble, ce qu’il pouvait tout à fait comprendre, lui aussi commençait à en avoir plus qu’assez et il était à deux doigts d’encourager ses drows à provoquer les despotes, en plus ça avait l’intérêt de mêler l’utile à l’agréable, que demander de plus ? Il avait bien une idée ou deux en tête, comme attaquer Sol’Dorn, mais c’était peu probable qu’on le lui accorde alors il se contenterait des despotes, c’était déjà pas mal.

« Ce n’est pas nécessaire, mener la cérémonie avant le départ sera bien suffisant. Ça serait mieux pour le morale des troupes s’ils te voyaient combattre à leurs côtés au lieu de simplement parlementer avec leurs ennemis mais ça fera l’affaire. Tant qu’on parle des repentis j’ai une idée qui me trotte dans la tête depuis que je suis rentré et plus spécifiquement depuis qu’on a parlé des récompenses hier. Je compte faire une sorte d’unité aussi bien d’élite qu’honorifique du Second Ost, proposer une place dans cet ordre à quelqu’un serait un moyen de récompenser un acte de bravoure extraordinaire sur le champ de bataille. Mais pour que ça ait un quelconque poids il va me falloir la bénédiction d’Uriz, ce qui veut dire au passage que la tête du clergé du Père, toi pour le coup, aurait un droit de veto sur qui entre dans cette unité et serait la seule personne capable de virer quelqu’un. »

- Excellente idée. Tu as déjà une idée du nom ?

« Pas vraiment. J’ai pensé aux Fils d’Uriz mais… disons que ça n’a rien d’exceptionnel pour des drows d’être appelé ainsi. Si tu as une idée je suis preneur. D’ailleurs j’aimerai bien l’étendre à tous les osts mais je pense que ça risque d’être mal vu des autres Senger, certains pourraient le voir comme une façon de les priver de leurs meilleurs éléments. Cela dit ça ne poserait pas de problème s’il y avait un Karliik Glenn. »

Cette fois, Krish se laissa aller à un sourire amusé. Encore un peu cynique, certes, mais amusé quand même. Mieux valait en rire.

- Tu veux pas me laisser cinq minutes avant d'aborder le prochain sujet chaud ? Ou alors tu as décidé de te faire la totale tant qu'on peut pas se sauter à la gorge, c'est ça ? "

La chute de Sol'Dorn. Le Conseil. Les despotes. Les récompenses. Et maintenant il embrayait sur le futur Karliik Glenn. Soit il cherchait les limites, soit il avait vraiment décidé de tous se les faire. Le triumvirat avait été clair sur le sujet pourtant. Le mérite et la loyauté durant ce siège primerait... Et malheureusement le siège n'était pas terminé. Elle tendit la main en espérant qu'il lui enverrait la gourde avec laquelle il jouait encore.

« J’essaie de régler les problèmes les uns après les autres. » Répondit-il avec son sourire carnassier habituel. « Cela dit je ne serai pas contre un nouveau combat. Pas tout de suite évidemment. » Il lui lança la gourde comme demandé, regrettant un peu de perdre son jouet.

- J'ai pas d'idée pour le moment, désolée, mais que cette unité prenne chez les autres Sengers ou non, pour l'instant cette élite restera dans l'Ost d'où elle vient. Les intégrer de façon transverse alors que les troupes du Ve et IIIe n'ont presque aucune occasion de se démarquer serait complexe. "Elle descendit de la caisse pour se remettre tant bien que mal sur pied. " Enfin... Si tu nous sommes d'accord, j'ai encore quelques petits détails à régler avant de disparaitre des radars. "
Il hocha lentement la tête en entendant la réponse, il s’y était attendu mais c’était toujours bon de l’entendre.
- Je ne doute pas des soldats d’autres osts mériteraient d’intégrer cette unité, ou du moins l’ont mérité par des faits d’arme passés. Mais soit, pour le moment elle restera confiné au Second Ost, pour l’opération elle sera lancée… demain au plus tôt, sûrement le surlendemain le temps de tout préparer.
- Et si tu me prends encore à déballer des détails théologiques douteux devant nos hommes, met moi une droite. "

Kerath se massa à nouveau le poignet et fit jouer les articulations de sa main, son sourire revenant.
- Avec plaisir. »