Il faut sauver le soldat Kerath [Etat-Major]

Durant les dernières heures de la nuit de la 7e ennéade de verimios de l'an 16

Sio’Rax, un éclaireur du Second Ost, est partit le plus vite possible du petit camp préparé pour l’assaut sur le fort de la despote, celle qui est responsable de l’attaque sur le ravitaillement du siège de Sol’Dorn. Lorsque Gor’Vel est arrivé au camp avec Jalev et Hes’Tan ils ont tous su que quelque chose ne s’était pas passé comme prévu. Alors ça n’a pas traîné, l’officier qui avait accompagné le Senger fit un rapide résumé de ce qui s’était passé à l’éclaireur pendant qu’on préparait un cheval afin qu’il rentre le plus vite possible. Lorsqu’il part, Sio’Rax peut voir que Gor’Vel se retourne vers la quinzaine de soldats pour les rejoindre alors qu’ils partent déjà renforcer la position assiégé de leur général dans le fort pendant que le reste de la centaine de guerriers se préparent à suivre le mouvement.

Quant à lui, le messager enfourche son cheval et part directement au galop, il n’a pas vraiment eu le temps de se familiariser avec la région mais ce n’est pas un soucis car il lui faut seulement retourner à Sol’Dorn et ça il sait faire. Il arrive d’abord en vue du camp nord, Malal est informée avec les streeas, ils ne savent pas ce qu’il se passe mais ils sont d’accord : la nouvelle ne doit pas s’ébruiter pour éviter que des rumeurs ne voient le jour, il faut éviter que le morale des troupes n’en souffre. Lorsqu’il arrive enfin au camp sud il ordonne qu’on ouvre les portes, il a un message capitale pour l’Etat-Major, ce n’est sûrement pas son ordre qui est écouté car ce n’est qu’un simple soldat, un affranchi qui plus est, qui se sent pousser des ailes mais ça il s’en fout complétement, tant qu’il est écouté et qu’il n’a pas à perdre de temps.

« Ouvrez les portes ! »

L'un des gardes en faction gueule une seconde fois son ordre, ponctué d'une insulte propre à motiver tous les esclaves qui se retrouvèrent à ouvrir l'un des battants et Sio’Rax ne perds pas de temps, il abandonne sa monture tremblante qui s’écroule peu de temps après qu’il se soit engouffré dans le camp. Lorsqu’un officier vient le voir pour savoir ce qu’il se passe, le messager exige que l’Etat-Major soit rassemblé. L’officier obtempère, soit le soldat a effectivement un message de la plus haute importance soit il a des tendances suicidaires mais dans tous les cas ça ne veut pas dire qu’il n’aura pas droit à des coups de fouets bien sentis une fois qu’il aura délivré son message ; le zèle c’est bien mais le respect de la hiérarchie c’est mieux. Le même officier accompagne donc Sio’Rax jusqu’à une tente en lui disant d’attendre et que l’Etat-Major arrivera sous peu. L’éclaireur attends donc ici, il se dit qu’il n’aimerait pas être celui qui réveillerait tous ces gens importants même si, en un sens, c’est lui qui les réveille et plus il y pense plus il se laisse intimider par la situation. Lorsqu’enfin tout le monde est présent il commence après un salut un peu raide, ça ne fait pas très longtemps qu’il est dans l’armée alors il n’a pas encore une maîtrise parfaite du geste. Il n’attend pas non plus qu’on lui donne la permission de parler, tant pis il en assumera, plus tard.

« L’Obok Senger est tombé dans un piège cette nuit au fort de la despote Swatilda. Lorsque je suis parti il était encore vivant, des renforts sont partis sur le champ pendant que le reste des troupes se préparaient pour les rejoindre. Il pense que l’Ombre, son guide, l’a poussé dans un piège, que ce soit par traîtrise ou par incompétence. C’est peut-être les deux m’a-t-on dit. La veldruk Gor’Vel Rilor m’a dit qu’ils avaient pu voir le campement où se cachaient les traîtres depuis les remparts du fort, remparts dans lequel a été planté des pitons par l’Ombre pour faciliter l’escalade, il semble donc improbable que le guide n’ait pas lui-même vu le campement des traîtres, il a donc décidé de garder une information vitale. » Son rapport terminé il resta figé dans son salut, attendant qu’on lui donne l’autorisation de rompre le rang.

Shyn'tae aimait travailler dehors à la lueur vacillante des lampes à huile. La plume installée entre ses doigts graciles glissait sur le papier face à elle avec vivacité pour ajouter des notes à celles qu'elle avait déjà accumulé à partir de la pile de rapports sur sa droite.  Puis, elle posait la plume, déplacer le rapport sur la pile de droite, reprenait la plume et lisait le suivant. Il ne se passait jamais rien de bien intéressant à Sol'dorn, mais il était d'autant plus important de s'assurer d'y maintenir les bonnes habitudes.

La Phor'dur exigeait donc des rapports journaliers de ses subordonnés, et faisait l'effort de les lire pour en produire des résumés que la Ditrown da're lirait peut-être, ou pas. C'était une constante de l'univers apparemment. Quelles que soient ses activités, elle écrirait toujours des rapports.

Mais, contrairement à lorsqu'elle était un rouage de l'étude noire, elle avait ici comme plafond la voute céleste, et son tapis de diamants. La noirelfe n'avait qu'à lever la tête pour se plonger dans un monde inconnu et rêver de l'immensité du ciel nocturne.

Un rapport de plus. Bientôt elle pourrait enfin dormir. Devait-elle rejoindre sa paillasse, ou juste s'affaler sur son bureau? C'était une bonne question, car cette journée avait été aussi longue qu'épuisante, physiquement surtout. La drow meurtrie, éraflée, griffée par les épreuves penchait donc pour la seconde option. Elle bailla… Peut-être pourrait-elle s'accorder une petit somme avant de finir la suite?

Le bruit inimitable du claquement de botte s'infiltra dans ses rêves. Brusquement, la drow se réveilla en sursaut, craignant que le soleil ne se soit levé. Devant la table se tenait un soldat au garde à vous qu'elle salua sans y penser avant même de reprendre complétement ses esprits. Et il faisait toujours nuit, pensa-t-elle. Combien de temps avait-elle dormi?

- Phor'dur, vous êtes convoquée d'urgence à l'Etat major," annonça-t-il d'une voix forte et claire.

Ses oreilles frémirent. En un instant, elle fut entièrement éveillée et se leva de sa chaise pour le rejoindre d'un pas rapide. Quelque chose de grave avait du arriver pour qu'on vienne la déranger au milieu de la nuit.  "Merci, allez-y, je vous suis."

***

A peine quelques minutes plus tard, elle se trouvait dans une tente aux cotés du reste de l'état major à écouter le compte rendu.

Ses oreilles s'étaient tendues, sa moue désapprobatrice. Ce n'était pas en raison des erreurs du soldat, car le protocole avait beau être utile, il l'indifférait profondément.  Non, le problème était tout autre: qu'est ce que son père avait donc fait exactement? C'était un leader expérimenté, et bien qu'elle le considère comme une andouille sur de nombreux points critiques, Shyn'tae était forcée de reconnaitre ses compétences. Lui avaient-elles fait défaut. Peut-être croyait-elle la situation pire que ce qu'elle était réellement. Cela l'ennuyait plus que cela aurait du.

Quant au compte rendu, il était médiocre, car Shyn'tae avait du mal à comprendre quel était son but. Il se focalisait sur les preuves qui incriminaient le guide plutôt que sur la situation du terrain. Or Shyn'tae se fichait communément de savoir qui était responsable: Ce qui l'intéressait, c'était les faits et de trouver des solutions. Les punitions viendraient ensuite, et ne la concernait pas. Que leurs guides locaux les trahissent était forcément un risque identifié. Cela restait toutefois un précédent fâcheux, qu'il faudrait prendre en compte.

-  L'Obok Senger vous a-t-il envoyé ici surtout pour rapporter cette trahison ?  Oublions l'Ombre pour l'instant." , Elle fit un geste d'apaisement de la main droite.  "Décrivez les faits. Quelle est la situation tactique? Est-elle sous contrôle? Incertaine lorsque vous êtes partis? Stabilisée dans un sens ou dans l'autre? L'Obok a-t-il du se replier ou.. a-t-il été capturé, était-il dans une situation difficile? Bref, veuillez élaborer.

La voix de la daedhelle était aussi douce que ce que lui permettait son irritation, car ce n'était pas ajoutant plus de pression sur le soldat qu'elle l'aiderait à s'exprimer plus clairement. Ses questions le feraient déjà bien assez.

Une fois n'était pas coutume, l'infatigable triumvir avait laissé tomber la lecture des rapports, des demandes des despotes, des inquiétudes du Conseil de Thaar et la préparation des prochaines rencontres avec le Conseil Théocratique de Sol'Dorn. Un morceau du passé de Ssassha, la Grande Prêtresse de Teiweon, était enfin tombé dans son oreille attentive et la Doth'Ka avait été envoyée pour trouver toutes les informations possibles sur ce noble personnage. Il y avait eu une réunion avec les officiers de la Maison des Ombres pour réexpliquer encore les moyens autorisés pour parvenir à leur fin sur le sol Thaari - qui étaient curieusement moins nombreux qu'au Puy - et l'éternelle discussion sur l'emploi de locaux pour se faire plus discret. Une fois fait, le Prime Feu n'avait pas eu le courage de recommencer à brasser de la paperasse.

Cela faisait plusieurs ennéades qu'elle se demandait si prendre un secrétaire ne serait pas une meilleure idée que de tout traiter elle-même... Mais elle n'avait pas confiance en grand monde qui aurait pu tenir ce rôle. Même sans toucher à l'intendance et aux diverses organisations internes gérées par les Obok'Senger, il restait beaucoup d'informations à brasser. Et puis elle avait Myr'Hennis. Elle ne lui avait pas proposé, considérant que rabaisser son compagnon à un lecteur-résumeur n'était pas des plus respectueux, mais lui s'était très vite rendu compte de la charge de travail que cela représentait, même quand il ne se passait rien. Il avait lui proposé son aide et c'était avec la plus fervente reconnaissance qu'elle l'avait acceptée. Avec le temps, le fait qu'elle profite de l'appui et des conseils du Grand Architecte avait fini par être assumé. Une confiance toute relative avait même surgit au détour de quelques propositions pertinentes de la Triumvir. L'esprit analytique et le sens de la déduction du grand architecte lui avaient permis plus d'une fois d'éviter que de petits problèmes se transforment en situations réellement problématiques. Que se soit par son amour des plans, ou par simple habitude, il avait une capacité à traiter les informations en repérant et recoupant les détails importants là ou elle se faisait rapidement une idée globale et la reliait à l'ensemble pour maintenir une vue d'ensemble et prioriser les problèmes.

Plus qu'un secrétaire, son compagnon était devenu un véritable conseiller... Ce qui créait aussi des tensions lorsqu'ils n'étaient pas d'accord, dont une mémorable prise de bec nocturne que la toile de leur tente avait bien peu étouffée. Mais pour l'instant, ils s'en sortaient bien tous les deux.

Ce soir là, repue par un combat dans la fosse crée par les prêtres de Meingal et de Zhak'Bar, elle rêvait d'un bain chaud, d'un massage, d'un air de oud et d'une narguilé... On avait pas toujours ce que l'on voulait. Le sommeil vint tout de même la cueillir plus tôt que d'ordinaire, c'était toujours ça de prit...

- Sesmika ! Des informations urgente du IIe Ost. On demande une réunion de l’État Major ! "

Krish se retrouva assise, un couteau à la main, avant d'être réellement réveiller. Il lui fallut une pair de seconde pour imprimer le fait que la silhouette qui venait d'entrer dans la grande tente et regardait obstinément droit devant elle n'était pas un danger, et encore deux secondes de plus pour réordonner les mots qu'il venait de prononcer.

D'un geste souple, elle replaça la courte lame sous le bord du matelas, totalement réveillée.

- Allez prévenir les autres. J'arrive. "

L'homme frappa sa cuirasse en un salut militaire parfait et tourna les talons de façon à n'avoir jamais poser les yeux sur la femme nue assise dans son lit. Krish passa une main dans ses cheveux pour y remettre de l'ordre en laissant ses yeux tomber sur l'épaule qui lui servait d'oreiller quelques instants plus tôt. Elle y posa un baiser, puis un autre sur les lèvres de Myr'Hennis, et glissa à son oreille avant de se tirer prestement du lit.

- J'y vais. "

Deux minutes plus tard, pieds nus, ne portant qu'un large pantalon de toile et une tunique sans manche dont le col n'avait pas été le moins du monde ajusté, la noire elfe arrivait dans la tente du conseil de guerre. Elle n'était pas la première d'ailleurs.

... Et elle fronça les sourcils de mécontentement en entendant le rapport lacunaire. Pourtant, elle resta silencieuse quelques instants, laissant l'occasion à Shyn'tae de prendre la parole, plongée qu'elle était dans des considération de trahison... Qu'est-ce que ce couillon d'éphémère avait pu faire encore... ? Certes c'était une loque un peu misérable et complètement tarée, mais s'il y avait bien une chose sur laquelle on ne pouvait attaquer l'Ombre, c'était son professionnalisme. Il n'avait certainement pas agit par conviction personnelle, vu qu'il n'en avait pas. S'il avait reçu une meilleure offre pour ne pas aller au bout de leur mission malgré le risque que représentait une trahison, elle ne connaissait qu'un seul organisme capable de payer assez... Et ça sentait mauvais.

- Le lieu. L'heure. Le nombre de soldats accompagnant Kerath'Elghinn. L'état des pertes quand vous êtes parti. Les renforts qui ont été envoyés pour l'instant. Nombre et types. " compléta la noire elfe aux questions que la Phor'Dur sans mettre de gants pour sa part. Elle avait fait quelques pas pour se pencher sur l'immense carte tactique qui recouvrait deux bon tiers de la grande table de leur contre névralgique.

Quelque chose arrive. C’est la seule information qu’on m’apporte au début, et elle suffit à me pousser à me lever. Tu es peu bavard en ce moment mais tu me fais remarquer que l’effort n’est pas très grand, et j’acquiesce juste après avoir fixé mon masque sur mon visage, juste après avoir vérifié que la pierre y est bien fixé. Comme il m’arrive parfois, j’ai uniquement opté pour une longue méditation cette nuit, une longue communion avec Toi. Son interruption n’est pas violente, l’informateur n’est même pas entré, et il a simplement parlé à travers la toile de la tente. Quand on vient me chercher pour me convoquer, je ne suis pas surpris et je fais face à l’eldéen comme si je l’attends depuis plusieurs jours, il est étonné mais ne dit rien et je le suis quand il m’y invite.

Le chemin n’est pas bien long et je le parcours silencieusement, sans poser une seule question, alors que seul mon bâton en martelle le sol de manière très irrégulière, chaotique. Mon escorte tourne la tête à plusieurs reprises dans ma direction mais ne pose pas de question.

Lorsqu’il repousse un battant de la tente, je suis le premier arrivé, du moins, le premier de ceux qui comptent, le premier de ceux qui ne sont pas là dès le début. Un être non-important se tend en me voyant mais je me désintéresse de lui, ou plutôt, je ne m’y intéresse tout simplement pas. Je prends place un peu en retrait, m’appuyant très vite sur mon long bâton, me faisant légèrement oublier, prêt à attendre le temps qu’il faudrait. Tu restes muet sauf quand la seule Triumvir du camp entre, mais c’est précisément le moment où je cesse de pouvoir t’entendre. Puis, quand il ne manque personne, le non-important parle. Les tout premiers mots provoquent déjà une réaction que je garde en moi.

Mon visage est sérieux, mais tout mon être ne l’est pas. L’Obok Senger du Second Ost, Kerath, tombé dans un piège par excès de confiance en un humain. Et comme si c’est son arrogance même qui parle cette nuit, le rapport tente de justifier son échec plus qu’il ne donne les armes pour régler la situation. Le moment de délectation passe et ironiquement, c’est à ce moment là qu’un sourire nait sur mon visage. Il ne me reste plus qu’à écouter la Phor’dur et Krish Al’Serat s’enquérir de détails plus pragmatiques, de façon toujours trop mielleuse pour la première, de façon sèche et directe pour la seconde. Tu me dis que je m’entendrais bien avec elle, je hausse un sourcil, et tu rajoutes trois mots. Pas Ssol’riss Ulnen.

Sio’Rax ne s’était pas attendu à ce qu’on lui pose des questions, il ne sait pas grand-chose, il a simplement attendu avec les autres au camp. Il regarde la représentante du C’nros et hésite à sa première question.

« Je… je pense, oui, madame. » Il hoche ensuite la tête, attendant la suite et il interprète son geste comme une autorisation de rompre les rangs, ne sachant quoi faire de ses mains il les met dans son dos, s’attrapant le poignet de l’une avec l’autre. Il se fait surprendre par les questions de la tirumvir. « L’Obok Senger se trouve dans le fort de la despote Swatilda, depuis… ça fait quelques heures que je suis partis… » il laisse tomber l’idée de calculer exactement depuis combien de temps le général se trouve là-bas, il passe directement aux autres questions. « D’après ce que l’on m’a dit il est en claire infériorité numérique, il s’est replié dans une tour du fort pour nullifier l’avantage du nombre. » Il se retourna ensuite vers Krish. « Il avait vingt soldats sous son commandement direct, dix-huit fantassins et deux éclaireurs ; cent autres en renfort sous le commandement de T’ros Vuran, un détachement composé de dix éclaireurs, quatre-vingts fantassins et dix chevaucheurs de félins avec leurs montures, la monture personnelle de l’Obok Senger nous a accompagné mais il l’a laissé au camp que l’on a établi non loin du fort de la despote. Je n’ai aucune idée du nombre de perte, lorsque Gor’Vel Rilor est venue elle a pris la quinzaine de soldats prêts sur le champ et est partie immédiatement. Pardonnez-moi mais elle n’a pas vraiment pris le temps de me donner beaucoup de détails. »

« Je… je pense, oui, madame. »

Un bref instant, dans son esprit, le visage souriant de Grayle remplaça celui du soldat qui la surplombait d'une bonne trentaine de centimètres. Ce n'était pas très bon signe. La Phor'dur aurait cru que le second Ost formait un peu mieux ses hommes au protocole. A moins qu'ils aient envoyé le plus inutile informer l'état major. C'était irritant. Toute cette situation l'était encore plus. Elle aurait aimé bénéficier d'un peu plus de concision, et d'un peu moins d'opinions. Elle et le feu d'Uriz en demandaient-elles trop? Et qui lui avait demandé de rompre les rangs? quelqu'un moquait-il d'elles? Le feu d'Uriz allait-elle lui casser les deux jambes? Tant de questions, si peu de réponses.

D'autant plus que maintenant qu'elle était bien réveillée, elle se souvenait de quelle operation il s'agissait. Excès de confiance. Ce n'était pas vraiment la meilleure image à renvoyer aux despotes.

Elle soupira, irritée. La réputation, c'était important. S'il avait été au C'nros… Un petit sourire aussi malicieux qu'inquiétant grandit sur ses traits fatigués. Elle pouvait faire comme si.

La daedhelle posa un pied nu devant elle, s'approchant de lui et releva le bras droit. "Qui vous a dit de rompre le rang?" Elle haussa un sourcil, sa main s'ouvrit lentement, ses doigts fins dansèrent dans l'air avec grace à la suite de son bras.

Le corps du soldat se raidit. Et soudain une pression irresistible écrasa sa gorge, coupant sa respiration. La magicienne fut bientôt si proche. "Je suis déçue par votre attitude…", murmura-t-elle avec une douceur et une sensualité des plus inquiétantes, ses yeux brillants. La pression se fit plus forte, menaçant d'écraser sa trachée. "...soldat," conclut-t-elle.

Brusquement, la jeune drow brisa le sort. Le mâle vacilla en reprenant son souffle. Sans un mot, elle s'en alla se pencher au dessus de la grande carte aux cotés de le triumvir.

- Feu D'Uriz, si mes souvenirs sont exacts, les forces de la despote avaient été estimées à une centaine de guerriers. Si l'Obok est réellement tombé dans un piège, le rapport de force lui est défavorable." C'était une évidence, nul doute que Krish y avait déjà pensé. Mais était-ce prémédité?  Au moins personne n'avait évoqué de mages chez leur adversaire. Ce qui, vu la qualité du rapport, ne prouvait rien. "Il n'a pas pris de mages avec lui, j'imagine que la despote n'en a pas à sa disposition? A sa place en tout cas j'éviterais de tuer l'Obok du deuxième ost. Si elle parvient à le faire prisonnier, elle voudra peut-être plutôt s'en servir d'otage."

La drow se pencha plus prés pour scruter l'endroit où son père était intervenu, et ajouta quelques mots de plus avec sérénité. "C'est  peut-être une bonne opportunité pour envoyer un message aux autres despotes. Qu'en pensez-vous, première flamme?"

La despote s'était mise dans une situation fort désagréable. Il était si tentant de lui en faire payer toutes les conséquences.

Pas beaucoup d'informations, mais celles qu'il donnait étaient des plus encourageantes. A tel point que les épaules de Krish se détendirent et qu'elle se redressa en soupirant. Si l'Ombre était là, c'est qu'ils avaient procédés par infiltration et attaques ciblées au lieu d'une attaque massive. Rien d'anormal à ce qu'il soient aussi peu nombreux. Et à vingt, ils avaient réussit à se replier dans une tour, ce qui diminuerait l'avantage du nombre et ferait d'eux les assiégés, non les assiégeant. Même en comptant qu'ils n'avaient pas réussit à éliminer un seul adversaire avant de se replier, ce qui était fort peu probable, à cinq contre un, ils avaient tout de même de quoi tenir. Alors avec les renforts tout proches pour prendre à revers les hommes de la despotes et dix félins à pointes, cette histoire faisait beaucoup de bruit pour rien. Kerath reviendrait couvert de sang et de gloire.

Elle pouvait respirer à présent.

Il ne restait qu'à décider ce qu'il convenait de faire pour mettre un confortable filet de sécurité sous les intrépides abrutis du IIe Ost et rappeler aux despotes que ce genre de trahison était hors de question.

Niveau persuasion, le fait que vingt eldéens attaquent un fort contre cent défenseurs, s'en sortent et se paient le luxe de gagner serait des plus sympathique. Tesso était de leur côté après tout. Quelque assassins archers. Quelques prêtres doués pour créer des illusions. Quelques médecins-mages. ça suffirait en soutient directe. Juste assez pour débloquer une situation sans sous entendre que l'état major ne faisait pas confiance à ses hommes pour s'en sortir. A moins qu'une démonstration de réactivité et de force... Moui mais au bout de plusieurs heures ce ne serait pas particulièrement impressionnant, autant faire un pari qui rapporte.

Pendant que la triumvir regardait la carte et déterminait la zone dans laquelle la nouvelle avait pu se répandre en repérant rapidement les distances, Shyn'tae faisait des remontrance au jeune soldat. La tête baissée sur ses calcules sommaires, elle ne vit pas la mage user de ses pouvoirs pour essouffler le gamin et ne prêta qu'une oreille distraite au cours de savoir vivre militaire qui l'accompagnait.

Elle releva la tête lorsque celle dernière vint lui faire par de son point de vue. Elle valorisait trop les mages, mais c'était sa fonction. En revanche elle avait la confirmation des effectifs ennemis... Ils étaient tout juste dans les clous.  En revanche, en ce qui concernait

- Le message, notre très estimé Obok'Senger a déjà du s'en charger à l'heure qu'il est, et si ce n'est pas le cas, il s'en chargera dans les heures à venir. Vous ne devriez pas le sous-estimer. " Mais il n'étais pas temps de parler. Pas encore. Se tournant vers le Kyorl venu la sortir du lit, elle parla sans attendre.  " Rassemblez cinq illusionnistes et cinq mage guérisseurs - peu importe qu'ils soient prêtre ou profanes - et cinq membres de la garde silencieuse. Je veux qu'ils soient partis dans moins de cinq minutes. Que le messager les emmène vers le lieu de la bataille avec nos montures les plus rapides. " Avec autant de cinq, ça devrait leur rester dans le crâne. " Les ordres sont simples : limiter les pertes et faire en sorte que la bataille tourne à notre avantage sans se faire voir. Priorité à la survie de Kerath. Si la bataille est déjà finit à votre arrivée, que les mages se placent sous le commandement de l'Obok'Senger et que les gardes silencieux commencent à chasser les éventuels survivants adverses. Qu'ils se fassent plaisir. Oh. Et qu'ils renvoient le messager dès que nos hommes sont hors de danger. " Ce serait toujours ça de pris. " Rompez. " L'homme frappa sa cuirasse sans attendre, se raidissant une seconde en un parfait salut militaire avant de tourner les talons pour sortir à grand pas. Krish allait reporter son attention sur Shyn'tae, mais tiqua sur un détail. " Suis-le. " lança-t-elle à la bleusaille qui leur avait apporté des miettes d'informations. " Et reprend toi. Ta mission n'est pas finie. " Il avait cinq minutes, c'était large.

Enfin, il ne restait plus que le gratin, et elle pouvait prendre le temps de discuter de ce qu'il convenait de faire pour une seconde vague.

- Reprenons... Le rapport de force était défavorable pour les soldats de Kerath, même sans le piège. S'il y est allé à vingt contre cent, il avait un plan. Et si l'Ombre était là c'est qu'ils avaient prévu d'y aller de façon chirurgicale. " Elle s'assit à demis sur le bord de l'épaisse table de façon à avoir à peu près tout le monde dans son champ de vision. " Je ne dit pas que l'assassin n'a pas trahi, mais le plan d'origine devait être bien rodé. Deuxièmement, Kerath a visiblement réussit à se réfugier dans une partie du fort qu'il attaquait. En intérieur, étant donné son expérience en terme de stratégie, la différence de nombre sera imperceptible. ça se jouera à la fatigue, donc au temps. Et le temps est de notre côté. " Elle exposa quelques tactiques classiques en tirant avantage des chevaucheurs et des éclaireurs. Les uns étaient redoutables pour rompre n’importe quelle formation et les seconds feraient un carnage sur tous ceux qui ne pourraient se mettre à couvert. La victoire ne semblait pas si improbable. Et si les choses s'embourbaient un peu plus, le coup de main qu'elle venait d'envoyer suffirait amplement, que ce soit pour sauver ce qui resterait à leur arriver ou pour donner le coup de pouce décisif. " Par contre, je serai directe sur ce point... " elle vrilla son regard dans les yeux de Shyn'tae. " Je ne vois aucune raison pour une despote de garder ton père en vie. Ils savent très bien qu'une fois restitué, nous les détruiront sans difficulté et nous pouvons donc être sûr qu'ils ne nous rendrons jamais un otage. La dangerosité de cet otage en particulier est aussi à prendre en compte. Par contre, être celle qui a tué le Kerath'Elghinn pourrait fédérer bien des contestataires. Mais bon, j'espère qu'il aura su se protéger et de toute façon, nous sommes trop loin pour faire quelque chose de véritablement imparable à l'issue de ce combat. Par contre, cela ne veut pas dire que le message aux despotes dont tu parlais tout à l'heure ne doit pas être répété. Dans l'idéale, j'aimerai en parler avec Kerath, mais il ne sera peut-être pas là. " Un sourire carnassier s'étira sur ses lippes. " Demain matin, nous pourrions envoyer un bon tiers du IIe ost sur les terres de cette despotes. Toute personne trouvée sur ses terres, quelle que soit sa nature ou son origine, sera réduite en esclavage ou tuée sur place et laissée à pourrir sans le moindre sacrement. Chaque bâtiment sera pillé, ravagé et démantelé pierre par pierre pour renforcer nos propres fortifications. Que tous sachent que personne n'attaque impunément le peuple eldéen et que tous ceux qui suivent un ennemis sont à leur tour des ennemis. Qu'ils portent des armes ou des fourches de fermier ne change rien. Chacun doit être conscient de la portée de ses actes. " Son visage s'était éclairé d'une lueur chaude, presque enthousiaste, tout au long de sa tirade. Elle se tourna soudain vers Ssol'riss Ulnen, ajoutant avec un sourire. " Et si les nôtres l'emportent cette nuit, quelques rumeurs contant les exploits de vingt eldéens capables de résister à cents hommes des seigneuries, ne formeraient-elles pas un double message des plus sympathique ? " puis de nouveau à la cantonade. " Qu'en pensez-vous ? "

La Phor'dur avait écouté avec une attention dont Krish avait maintenant l'habitude lorsqu'elle lui avait exposé les stratégies dont son père ferait probablement affaire. La jeune sombre n'était pas du genre à négliger les occasions d'en apprendre plus sur des sujets qu'elle maitrisait mal. Puis elle haussé un sourcil et légèrement rosie lorsque les yeux de la flamme d'Uriz s'étaient vrillé dans les siens. Krish n'avait pas tort, évidemment. Ce n'était pas raisonnable de le prendre en otage. Mais rien de cette affaire n'était raisonnable. Si ils avaient réellement eu affaire à un piège, il devait avoir un but, et la despote avait du prévoir un plan de sortie. Du moins si elle n'était pas stupide, ce qui tout de même était l'hypothèse la plus probable compte tenu de ce que la drow lisait de la carte.

- Que Kerath soit mon père n'a pas d'influence sur mes analyses Flamme d'Uriz. Ou alors dans le sens opposé." soupira-t-elle. "Désolée d'avoir douté de ses compétences. Cette despote s'est peut-être faite manipulée, ou elle a perdu le contrôle de la situation qu'elle avait elle-même créé. J'essayais de chercher du sens à quelque chose qui n'en a peut-être pas. Je doute qu'on sache facilement si c'était un piège ou sa nature. Dans sa fureur, l'Obok Senger est plutôt du genre à avoir éliminé tous ceux qui auraient pu nous renseigner sur la question."

Lorsque Krish avait fini, le visage à moitié caché du haut prêtre de Tesso s'était fendu d'un sourire inquiétant qui fit se hausser une des oreilles de Shyn'tae, suivit d'une demi révérence exagérée à l'attention de leur supérieur. Lui était d'accord, évidemment, et ferait ce qu'il fallait. La magicienne était par contre restée pensive.

- Bonne idée,  Dommage qu'on ne puisse utiliser un vrai survivant pour porter le message. Ce serait encore plus... puissant." Elle souriait, charmée par l'idée, puis posa les yeux sur sa premiere flamme. "Par contre.. Etes-vous sûre qu'il n'y aurait pas mieux à faire du territoire de la despote quand il sera à nous?" La daedhelle s'éloigna de la carte pour aller fouiller dans un tas de rapports et en ramener un et en étaler les feuillets. "Une dizaine de villages regardez. Des cultures, des artisans. Peut-être devrions nous faire subir notre vengeance à ceux qui ont bénéficié des attaques de nos convois, et les asservir. Avec un administrateur fidèle, cet endroit pourrait être l'occasion de montrer qu'on peut être à la fois forts et justes, et nous servir sur le long terme.  Peut-être aussi l'occasion de diviser plus encore les autres despotes et de mettre en défaut nos opposants?" Elle sourit timidement, son regard malicieux, observant la reaction de sa supérieur. S'opposer à elle était peut-être audacieux, mais elle avait demandé son avis, et si la jeune drow en était honorée. Krish regarda les plans, mais une moue se dessina sur son visage.

- Nous nous sommes montré juste mais ils nous ont directement attaqué. l'Obok Senger d'un ost aurait pu être tué. Cela fait un an que les hommes se tournent les pouces et nous n'avons eu à gérer qu'un agacement mineur. Le IIe Ost mérite de pouvoir assouvir sa vengeance. Si Kerath est mort, nous ferons de cet endroit un champ de ruine. Sinon, c'est à lui que reviendra le choix. Mais je suis d'accord, j'intercèderai en la faveur d'une purge en gardant les cultures et les infrastructures indemnes. "
La demoiselle s'inclina souplement. "Merci premiere flamme. Je comprends que les hommes aient besoin de vengeance.  Je souhaite seulement que nous n'oublions pas notre premier objectif. Que personne n'ait osé tenter sérieusement de nous arrêter jusqu'à présent a préservé nos ressources pour les grandes batailles à venir, en plus d'endormir la vigilance de nos ennemis et leur capacité à s'unir." Une idée lui traversa l'esprit. "Il n'est pas non plus impossible, bien qu'improbable, que la despote ait été manipulée pour nous pousser à commettre une erreur." La sombre n'y croyait guère, et cela se sentit dans le ton qu'elle employa, mais le regard de la Première Flamme montrait un intérêt certain. Ce n'était certainement pas à balayer de la main avant d'avoir au moins conduit les vérifications de base et Krish salua le rappel d'une profonde inclinaison de la tête.
"Il ne reste plus qu'à attendre le retour d'un messager. J'ai encore du travail à terminer." Malgré elle, elle espérait que son père n'ait pas trouvé la mort. Il était hors de question que cet enfoiré disparaisse sans qu'elle n'ait son mot à dire. Sur un vague mouvement de main, Krish s'assit à la longue table.
- Vas-y. Et prends un peu de repos. Les jours prochains pourraient être particulièrement longs. " sourit-elle avant d'adresser un sourire profond au Haut-Prêtre. " Vous pouvez disposer. Je vais prendre quelques notes pour ne rien perdre.
- Merci, je vous enverrai demain un résumé plus consistant de ce que nous savons du territoire de la despote." La daedhelle sourit en retour, appréciant l'attention, puis salua ses deux supérieurs, avant de faire volte face et s'en aller: Il lui restait du travail à terminer rapidement, car les ordres étaient clair. Ca plaisait bien à Shyn'tae de suivre ceux-là, s'avoua-t-elle en baillant.

Le surlendemain de l’attaque sur le fort de la despote, au milieu de la matiné.

Kerath commençait à en avoir franchement marre de cette région du monde. Il était parti du siège pour se changer les idées, pour noyer son ennui dans le sang de traîtres, quoi de plus sain que d’apporter une justice on ne peut plus expéditive sur ceux qui ont tourné le dos au Puy mais surtout aux dieux ? Le problème c’est que non seulement ça ne s’était pas passé comme prévu mais en plus au retour il était tombé dans une embuscade. Sa première réaction fut de tout brûler d’ici jusqu’à Thaar mais sa raison réussit tout de même à passer à travers l’épais voile de sa rage pour lui signaler qu’il était perdu en plein territoire hostile, coupé du reste de ses forces, et qu’il serait rapidement encerclé et éliminé s’il ne rentrait pas le plus vite possible à Sol’Dorn. Alors, serrant les poings à s’en faire blanchir les phalanges le général passa ses nerfs sur des esclaves récupérés au fort de Swatilda et trois humains plus tard il put s’assurer que le camp était monté correctement ; ce qui n’était pas nécessaire parce que ce n’était pas la première fois que les soldats sous ses ordres le faisait mais bon, sait-on jamais. Il passa sa main sous son plastron, qui avait bien besoin d’être réparé, pour se rendre compte qu’il saignait encore, la manœuvre lui arracha un grognement de douleur. Il défit la seule lanière en un seul morceau qui permettait à ce bout d’armure de tenir encore sur lui pour mieux inspecter sa blessure, ce n’était pas la seule, loin de là, mais c’était la seule qui saignait toujours. Celles qu’il avait reçu au fort avaient été rapidement traités durant les quelques heures qu’ils avaient passé au camp avant de repartir et maintenant qu’il regardait sa jambe il se rendit compte que l’une de ces blessures s’était réouverte lors de l’embuscade. Comme c’est souvent le cas, maintenant qu’il s’était rendu compte qu’il était davantage blessé qu’il ne le pensait la coupure se mit à le faire souffrir.

Gor’Vel vint s’asseoir en face lui, faisant attention à ne pas déranger Murrpau, le félin était roulé en boule à côté de son maître, les yeux fermés, Kerath ne savait pas vraiment s’il dormait mais à chaque fois qu’il le regardait dans cette position il avait du mal à se dire que cette grosse bestiole était capable de tant de destruction. Le général lui gratouilla le cou, du moins la moitié accessible et l’animal se mit à ronronner distraitement puis le Senger retira rapidement sa main lorsque le félin à pointe se mit à bouger pour se replacer, menaçant de broyer ladite main sous son poids. La veldruk de l’autre côté du feu de camp laissa échapper un petit rire. Au départ Kerath était contre l’idée de faire un feu, c’était donné leur position à tout le monde mais vu les pertes infligées à ceux qui avaient eu la mauvaise idée de les attaquer, les chances que d’autres despotes tentent quoi que ce soit était assez faible, négligeable même. Le général leva la tête.

« Faut faire attention avec ces animaux. »

« Bien plus que tu ne le crois. Tout est prêt ? » Gor’Vel hocha la tête.

« Je double la garde ? »  

« Non, ça m’étonnerait qu’ils soient suicidaires. Et puis il s'est échappé. Ils ne reviendront pas. »

« Même pas pour les restes de Swatilda ? »

« Ça m’étonnerait, la moitié qui a pu s’enfuir devrait s’estimer heureuse d’avoir survécut. »

« Et les autres despotes ? »

« Le temps que la nouvelle leur parvienne et qu’ils organisent quelque chose nous seront à Sol’Dorn. » Il regarda à nouveau sa blessure avant de se retourner vers Gor’Vel. « Va me chercher Jalev. »

Un hochement de tête plus tard la veldruk se releva pour aller chercher le drow qui se débrouillait le mieux avec du fil et une aiguille du détachement. Le soldat fit aussi attention à Murrpau, personne ne voulait vraiment le réveiller, en s’agenouillant auprès de son supérieur pour commencer à soigner ce dernier. Pendant ce temps les soldats se mirent à manger et le félin à pointe se leva puis après un feulement agac alla se coucher plus loin. Après quelques blagues militaires les langues se délièrent petit à petit et même si Kerath ne se joignait pas à la discussion, il faut dire que c’est compliqué de participer sans s’interrompre toutes les trente secondes à cause de l’aiguille, les drows rassemblés autour du feu ne se gênaient pas pour discuter comme s’ils n’avaient pas été la cible d’une attaque à peine une demi-heure plus tôt. Le Senger les aurait repris s’il ne savait pas que, même si la garde n’avait pas été doublée, le nombre de sentinelle était plus important que d’ordinaire et puis après une journée comme celle-ci il avait aussi besoin de se détendre alors il les écoutait en mâchouillant une tranche de cerf séché et en avalant de temps à autre une gorgée d’eau pour faire passer le goût du sel. Jalev recula un peu pour admirer son œuvre, ce n’était pas fou, ça ne valait pas le travail de la prêtrise de Kiran mais c’était tout ce qu’il pouvait faire avec ce qu’il avait sous la main, c’est-à-dire pas grand-chose. Kerath le remercia d’un hochement de tête et le soldat pu enfin profiter d’un repos bien mérité, il allait rester une petite heure à plaisanter et manger avec les autres puis il irait refaire un tour pour voir si les blessés allaient bien, de toute façon si quelque chose n’allait pas il y avait quelqu’un pour les surveiller et qui viendrait le chercher. Mais contrairement à Jalev, Kerath n’eut pas l’occasion de se reposer davantage car une sentinelle à cran vint le voir.

« Obok Senger, on a de la visite. » En voyant que tout le monde se précipitaient sur leurs armes la sentinelle sentit bon de préciser. « Ce sont des alliés. »

L’Obok Senger en question soupira avant de se lever pour remettre son plastron en place et de suivre le soldat. Les renforts furent autorisés à rentrer dans le camp avant que Kerath ne les voit et puis de toute façon les gardes silencieux auraient sans doute pu trouver un moyen de rentrer et d’assassiner le général sans trop de difficulté, surtout à cinq.

« Vous nous avez trouvé rapidement. »

« Vous n’êtes pas bien difficile à trouver. » Celui qui semblait diriger les quatre autres gardes silencieux montra du menton la fumée qui se dégageait des feux de camp et même si Kerath ne pouvait pas voir son visage il pouvait tout de même sentir son sourire moqueur. « Je vous transmet le commandement des guérisseurs et des illusionnistes et j’aimerai que vous partagiez avec nous ce que vous savez sur nos cibles : ceux qui vous ont échappé. »

«  Et Sio’Rax ? »

« Il est retourné au camp, nous avions pour ordre de le renvoyer si nous vous trouvions. » Le général hocha la tête puis la tourna vers les prêtres de Kiran.

« Allez voir les blessés, ils sont stabilisés mais vous pourrez sûrement faire quelque chose de plus. » Il regarda ensuite les illusionnistes. « Je n’ai plus de prisonnier donc vous êtes libre. »

Finalement il fit signe aux assassins de le suivre pour aller s’asseoir autour d’un feu où il restait assez de place pour six, au cas-où il oubliait quelque chose un soldat pourrait peut-être compléter. Finalement, contrairement à ce que s’imaginait Kerath, les gardes silencieux parlaient et s’étaient mélangé assez naturellement aux soldats ; ce qui n’était pas si surprenant au final, ils devaient être capable de s’approcher de n’importe quelle cible après tout. Cela dit ils ne restèrent pas très longtemps, ils avaient des cibles à traquer et plus ils s’attardaient autour du feu plus ces dernières prenaient de l’avance. De toute façon la fatigue commençait à rattraper le général qui ne veilla guère longtemps, surtout qu’il avait décidé de prendre le dernier tour de garde. Alors lorsqu’on le réveilla c’est avec un grognement qu’il se leva, ses blessures se rappelèrent douloureusement à lui, pour surveiller les points d’accès principaux du camp, laissant sa place à une des sentinelles qui en avait sûrement plus besoin que lui. Après s’être frotté les yeux pour se débarrasser des dernières brumes de sommeil qui s’accrochaient à ses paupières il s’étira en poussant un long grognement avant de mettre son ceinturon d’arme et se mit à marcher autour du camp pour se dégourdir les jambes. Son anneau étant sous son plastron et comme il ne portait pas d’autres signes le désignant comme un officier supérieur, lorsqu’il patrouillait ainsi les soldats avaient interdiction de le saluer et même si les soldats sous ses ordres étaient habitués un observateur extérieur se poserait peut-être des questions.

Puis vint le temps de lever le camp pour se mettre en route et termine leur périple jusqu’à Sol’Dorn. C’est donc en milieu de matinée que la centaine de soldats du second ost accompagné des mages qui les avaient rejoints arrivèrent finalement au camp nord avec un tier des esclaves qu’ils avaient réussi à récupérer mais bon on n’a pas toujours ce qu’on veut. En arrivant au camp la formation de marche classique s’était trouvé légèrement modifiée, Kerath marchait devant une colonne large de cinq drows, les cinq chevaucheurs de félins à pointe juste derrière lui puis les illusionnistes, les guérisseurs, les vingt rangs de soldats et enfin les esclaves.

Cependant le Senger ne s’effondra pas dans sa tente pour se reposer comme il aimerait pouvoir le faire et pour ça il enviait un peu Sio’Rax, le messager qui avait chevauché une distance assez impressionnante en peu de temps. Au contraire il avait deux choses à faire avant de goûter à un doux sommeil. La première était simple : aller voir les forgerons du second ost et commander une nouvelle épée forgée à partir des armes de Swatilda et de l’Ombre dont il se servirait désormais pour chasser les traîtres. Ensuite Kerath remonta sur le dos de Murrpau pour se rendre au camp sud et faire son rapport à Krish mais avant ça il devait la trouver même s’il avait une vague idée d’où elle pouvait bien être, à condition qu’elle ne le trouve en premier.

La journée avait été longue... Puis la nuit... Puis la journée... Et elle allait finalement se coucher pour quelques heures en fin de matinée. La nouvelle de la survie de Kerath avait considérablement détendue la triumvir, mais étrangement, bien des détails restaient en suspend et elle n'arrivait pas à trouver le sommeil plus tôt. Pour l'heure, elle n'avait envoyé personne sur les terres de la traitresse et personne non plus à Frontière pour placarder la tronche de Dante sur tous les murs en donnant la date de son exécution publique. Ce précédent avec un mercenaire à la réputation sans tâche pouvait donner des idées à certains imbéciles et elle préférait temporiser jusqu'à l'avoir elle même charcuté.

Émergeant de sa sieste deux heures plus tard, elle quitta sa tente avec un large carnet, une pochette de cuir, et s'installa en tailleur près de l'entrée de l'espace des félins à pointes, griffonnant au fusain sur les pages blanches avec un sérieux consommé pour prendre quelques minutes de pause. Étrangement, et bien qu'elle ne soit pas à l'endroit le moins exposé du camp, le soldat chargé de la mettre au courant de l'arrivée prochaine de Kerath revint bredouille rendre compte à son supérieur.

Il était possible de dire sans trop de risque de se tromper que Kerath n’était pas vraiment le plus modéré des drows ni le plus à cheval sur le protocole, une perte de temps pure et simple qui, selon lui, devrait être abolie. Cependant il pouvait comprendre que quelques daedhels bouffis d’orgueil et d’insécurité veuillent le garder, après tout si on arrive à un rang plus ou moins élevé autant s’assurer que tout le monde le sache et que surtout personne ne l’oublie. Alors sa tenue était somme toute légère, s’étant débarrassé de son armure, qui n’en était plus vraiment une au vu de son état, il avait abandonné sa tunique qui était dans un meilleur état que son armure mais loin d’être acceptable pour une rencontre avec une triumvir c’est donc torse-nu sur son félin à pointe qu’il avançait jusqu’au camp sud ; il avait eu le droit à quelques nouvelles cicatrices, notamment une poignée sur son torse qui rendait son tatouage qu’il avait fait pour marquer son ascension au rang d’Obok Senger, comme le voulait la tradition du deuxième ost, encore plus difficile à lire. Le tatouage en question n’était déjà pas bien facile à appréhender lorsqu’il avait été fait, il faut dire que c’était par-dessus des siècles de combat que sa peau fut marquée, alors au final quelques cicatrices ne changeait pas grand-chose au patchwork qu’était son corps.

Le général n’avait envie que d’une chose : s’affaler sur le premier lit de camp venu et ne plus bouger pendant au moins les six heures à venir. Il avait mal dormi les deux dernières nuits, pour le peu qu’il avait réussi à dormir, et ce que la longue marche presque forcée jusqu’à Sol’Dorn n’avait pas consommé comme énergie les soins magiques des prêtres de Kiran avait pris le reste. Cela étant dit il avait un rapport à faire, il détestait que ses subordonnés le fassent attendre alors il ne comptait pas le faire avec ses supérieurs, enfin sa supérieure pour l’occasion vu que des deux triumvirs seule une était présente au siège. Il espérait surtout que le rapport serait expédié, une simple formalité, car en plus d’être fatigué il était à bout de nerf, ses plans pour le futur proche comprenait seulement deux choses : dormir et aller frapper des trucs dans l’arène gracieusement mise en place par les prêtres de Zhak’Bar.

Ainsi lorsqu’une fois arrivée aux portes du camp sud il demanda où se trouvait la triumvir et qu’un officier lui répondit que Krish n’était pas trouvable il poussa un long soupir et répondit qu’il allait simplement l’attendre devant les tentes de l’Etat-Major ; avec un peu de chance il aurait la possibilité de fermer les yeux une petite demi-heure avant qu’elle n’ait terminé de faire il ne savait trop quoi, et de toute façon il se moquait un peu de ce qu’elle faisait de son temps libre. Le Senger mit pied à terre et conduisit Murrpau par la bride pour le laisser entre les mains expertes des prêtres de Zhak’Bar dont il voulait profiter de l’arène plus tard. Etrangement les membres de l’Etat-Major n’était pas toujours à l’aise avec une montagne de muscle cuirassée dans les parages alors en rajoutant un félin à pointe ça pouvait causer des problèmes. Kerath préférait se séparer de sa monture le temps d’assister aux conseils de guerre, un sacrifice auquel il consentait pour le bien commun. Ce fut donc avec une certaine surprise qu’il trouva la triumvir qu’il cherchait tant devant un des enclos réservés aux grands chats de guerre. Après un salut irréprochable, il prit d’ailleurs note que c’était une mauvaise idée de se frapper la poitrine avec la même force que d’ordinaire lorsqu’il ne portait pas son armure de plate rouge, il se mit au garde-à-vous ; sans pour autant être à cheval sur le protocole il se retrouvait face à sa seule supérieure dans un rayon de sept-cent kilomètres, il n’avait pas oublié ce que c’était de saluer un supérieur et d’attendre que ce dernier daigne vous autoriser à parler.

Une ombre. Un coup. Krish releva le nez pour découvrir l'écrasante silhouette couturée de Kerath sur un fond de ciel bien trop lumineux. Elle eut un instant de surprise et son regard dériva sur l'énorme fauve couvert de plaques granitiques qui se secouait à côté de lui, visiblement tendu par le port prolongé de son harnachement. Un sourire appréciateur étira les lèvres de la triumvir qui referma son carnet large d'un claquement sec, dérobant quelques traits de fusain à la vue de l'Obok Senger pour se lever souplement.

- Repos. " Elle tendit la main vers l'énorme bras du grand militaire pour le saluer d'égal à égal. Au passage, il fallait noter les cicatrices encore à vif qui parsemaient son torse et le fait qu'il n'avait visiblement pas pris le temps de se reposer avant de venir étant donné les marques de fatigue qui cernaient son visage impassible. " Merci d'avoir fait vite. Et contente de te voir entier. Les premières nouvelles n'étaient pas spécialement optimistes. " Elle se tourna du côté de l'animal, approchant la paume pour lui permettre de la sentir ou de s'en détourner à loisir sans forcer son espace. Un fin sourire appréciateur ne la quittait pas tandis qu'elle examinait les muscles puissants et la silhouette racée de la créature capable de supporter le poids de son colossal compagnon. " Lors de son dernier retour, le messager nous a dis que tu étais en vie, mais rien de plus. " Les yeux rouges cherchèrent à nouveau le haut profil du guerrier massif. " Je t'écoute. Que s'est-il passé et qu'est-il advenu de l'humain ? "

« Si ce qu’ils avaient était assez pour se débarrasser de moi je n’aurai jamais atteint ce rang. »

Murrpau s’approcha de la main tendue et la renifla avant d’y donner quelques coups de langue, pendant ce temps Kerath arrêta d’un geste de la main un prêtre de Zhak’Bar qui s’approchait pour s’occuper de l’animal. Le félin à pointe avait les couleurs de son maître : ses pointes et plaques polies sur le dessus et aiguisées sur le côté prenaient une couleur rouge formant un dégradé allant du rouge sang sur la tête, du rouge vif sur le corps et se terminant par un rose pâle à l’extrémité de la queue. L’animal se tourna ensuite vers le prêtre qu’il connaissait très bien, sans pour autant lui être attitré il était vrai que c’était souvent le même qui s’occupait de Murrpau.

« Je n’ai pas vu Sio’Rax la seconde fois. Le garde silencieux de tête a dû prévenir les autres puis ils l’ont renvoyé à Sol’Dorn. »

Ce dernier recula ensuite pour aller de lui-même vers le prêtre, visiblement bien trop content d’enfin pouvoir se débarrasser de ce poids qui permettait à son maître de le monter sans risque. Le maître en question hocha lentement la tête, il n’était pas vraiment d’humeur pour des banalités alors autant terminer ce rapport rapidement.

« J’ai rencontré l’Ombre au point de rendez-vous prévu, notre premier contact fut… tendu. Après un rapport sommaire nous nous sommes mis en route, il est parti de son côté. Sur le chemin nous avons trouvé une patrouille et une fois débarrassé de ce problème nous avons continué vers le mur nrod de la forteresse, le passage indiqué par l’humain. On est monté, on n’avait pas prévu de corde donc l’escalade s’est fait à nu malgré les pitons placé par l’Ombre justement ; j’ai perdu deux gars… » Kerath fit une rapide prière à Uriz en leur nom puis repris. « Et une fois arrivé au sommet du rempart on a pu voir qu’il n’y avait personne dans le fort et un campement non loin du fort lui-même. A peine dix minutes plus tard la despote est rentrée à la tête de ses troupes, impossible de descendre et retourné au camp placé à une demi-heure du fort, une partie de mes soldats se seraient retrouvés coincé sur les remparts et le reste se serait fait avoir une fois en bas. Alors je suis descendu dans la cour, je me suis approché du donjon et j’ai défoncé les portes puis nous nous sommes repliés dans la tour où on s’est retranché. J’ai envoyé Gor’Vel chercher des renforts et on a attendu. L’Ombre est revenu à ce moment-là. Je l’aurai bien tué à ce moment-là mais ç’aurait surement trahis notre position. Pour éviter ça j’ai personnellement gardé un œil sur lui. Les traîtres du quatrième se sont divisés pour fouiller leur fort, une partie non négligeable est justement allé dans le donjon et j’en ai profité pour faire une sortie et tuer quelques ennemis isolés, neuf pour être précis. Le reste a été un siège des plus sanglants. En tout cas pour eux, j’ai perdu cinq gars pour une trentaine de traîtres. C’est là que Swatilda a voulu régler ça avec un duel. Ce qui m’allait très bien, elle ne l’avait sûrement pas vu mais elle n’était pas loin de pouvoir rentrer dans la tour. Je l’ai vaincu, sa tête est là-bas. » Il se tourna pour montrer du menton la tête de la despote accroché à la selle de Murrpau que le prêtre de Zhak’Bar était en train de méticuleusement retirer. « Les soldats du quatrième osts survivants se sont dispersés, nous n’étions pas en état de les poursuivre, et je me suis retourné vers l’Ombre et… il a demandé une ordalie sous les auspices de Meingal. Je lui en ai mis une pour avoir osé prononcer le nom d’un dieu mais j’ai accepté… il parlait notre langue, il a l’air de connaître nos dieux alors j’ai supposé qu’il est croyant. J’ai été assez con pour le croire. » Il s’arrêta à nouveau pour prier dans l’espoir que Tesso intercède en sa faveur auprès des autres divinités, après tout c’était une erreur honnête. « Ensuite on est reparti, hier soir, alors qu’on montait le camp, les survivants de Swatilda nous ont attaqué et dans le chaos l’Ombre s’est échappé. Ensuite les gardes silencieux nous ont trouvé et la suite… la suite tu la connais sûrement. »

Elle écouta sans l'interrompre, hochant la tête périodiquement, demandant quelques informations supplémentaires sur le rapport de l'Ombre, la façon dont il s'était comporté et la façon dont il avait été traité après sa capture.

- Les gardes silencieux n'ont pas encore donnés de nouvelles. C'est plutôt bon signe. " Ils avaient sûrement flairer quelque chose d'intéressant. Du coin de l’œil, elle regarda le félin s'éloigner et s'ébrouer, libre de ses chaines, puis revint à l'impressionnant torse de l'Obok'Senger. " Bon... A moins que tu ne veuilles lancer tout de suite une chasse à l'homme ; ce que je pense assez inutile étant donné le peu d'information que nous avons et la façon dont cela pourrait être déformé par les Thaaris ; rien d'urgent à lancer pour l'instant. " Elle changea d'appui et fit signe à Kerath de l'accompagné vers le centre du campement, là ou se trouvait les tentes les plus importantes et la tente d'état major. " Il faudra rapidement décidé de ce qu'il convient de faire des terres et des biens de la despotes responsable. Comme c'est le IIe ost qui a été le plus impacté, je trouvais normal que tu aies le dernier mot, mais cela peut attendre que tu aies au moins manger quelque chose et dormit quelques heures. On devrait recevoir des nouvelles de deux éclaireurs  parti recenser les limites de sa seigneurie d'ici la fin d'après-midi. "

Idée qui sembla particulièrement plaire à l'Obok'Senger épuisé. Sept heure plus tard, alors que le jour commençait à décliner, la tente de l'état major était à nouveau occupée comme il se doit. Krish avait fait prévenir Shyn'tae du retour de son illustre géniteur et demandé à ce que les trois intéressés soient prévenus dès que les messagers auraient confirmés l'état des terres de la despotes.

Au final ? Onze villages répartis dans une zone légèrement boisée en périphérie des seigneuries. Plusieurs milices villageoises se préparaient déjà à défendre les leurs contre les bandits des autres despotes... ou les représailles des eldéens. Les forces vives de Swatilda semblaient cependant éparpillées aux quatre vents.

- Bon... je n'irais pas par quatre chemins. Si toi et les tiens désirez une vengeance, je n'ai aucun soucis à ce que l'intégralité de ces villages soient brulés, pillés, et la population tuée ou asservie. Mais certains conseillers ont émis l'hypothèse qu'il serait plus intéressant sur le long terme d'offrir le tout à la garde d'un de nos despotes favoris. On peut en discuter et je peux te donner mon avis si tu le désire, mais tu auras le dernier mot sur le devenir de cette seigneurie. "

Une journée comme une autre se terminait à Sol'dorn, avec son lot de bonnes et de mauvaises nouvelles. Shyn'tae était d'un naturel plutôt complaisant avec les évènements inattendus, et la gestion du C'nros dans le desert n'en manquait pas. Lorsqu'elle avait reçu le messager l'informant que l'Obok Senger du second host était revenu sain et sauf de son expedition.

La Phor'dur avait simplement salué le soldat et repris ses tâches. Si Kerath était mort dans une escarmouche aussi peu glorieuse, elle lui en aurait voulu. Enfin, voulu un peu plus qu'habituellement en tout cas.

***

Chose promise, chose due, disait-on. Sur la table de l'état major trônaient côte à côte les rapports militaires des éclaireurs et les informations qu'elle même était parvenue à regrouper sur la seigneurie de feu dame Swatilda. Il fallait être bien honnête, la despote avait manifestement aussi bien géré son territoire qu'elle avait géré sa confrontation avec l'armée Eldéenne. Une dizaine de villages, plus de chèvres que d'habitants.

Il paraissait toujours aussi incroyable à la magicienne que cette despote entre tous ait toute seule crue être capable de piller les ressources du second Ost. Incroyable aussi qu'elle ait pensé à retourner leur guide local, ce qui laissait entendre qu'elle comptait gagner cette bataille. Soit tout ceci était le fruit d'une succession d'échecs improbables, soit d'une operation de manipulation particulièrement rusée.

La daedhelle écouta Krish des deux oreilles, impassible devant la table des cartes. Oui, ce serait à Kerath de décider. Il en avait l'autorité, et il avait lui-même affronté l'ennemi. Curieusement, et même si elle n'en était pas fière, l'accomplissement de la vengeance avait toujours laissé dans la bouche de Shyn'tae le même goût amer que la victoire. C'était le goût de la petite voix qui disait "Et maintenant?"

- Stratégiquement la qualité principal de cette seigneurie est sa situation vis à vis de nos routes d'approvisionnement. On a intérêt à la voir aussi stable et fidèle que possible, tout comme l'ensemble des seigneuries morcelées. Car elles seront notre base arrière pour la suite des operations."

Le regard de la daedhelle se posa alternativement sur le feu d'Uriz puis son père qui la dépassait de plusieurs têtes. Elle ne semblait pas en être particulièrement affectée. Elle parlait plutôt avec douceur.

- Oui il faut montrer à tous qu'on ne nous attaque pas impunément. La decision de Swatilda doit donc avoir des conséquences qui feront que d'autres tentés d'avoir la même idée y réfléchiront à deux fois. Mais nous avons fait de gros efforts de diplomatie et de propagande pour montrer que nous avions la volonté construire plutôt que détruire. Nos ennemis en sont devenus incapables d'agir. Est-ce que ca vaut le coup de leur donner des arguments pour le plaisir de bruler des granges et de massacrer des chèvres? Ils n'attendent que ca. De plus, sur le long terme, on a plus intérêt à faire en sorte que cet endroit ne devienne pas un nid à brigands et à rebelles."

- Mais vous, qu'en pensez-vous, Obok?

Lorsque Krish lui répondit qu’il ferait mieux d’aller dormir Kerath poussa un long soupir de soulagement, il hocha la tête et après un dernier salut il prit congé de la triumvir pour se diriger vers la première tente vide afin de s’y effondrer. Ce qui a dû le rendre un peu plus difficile à trouver que prévu pour le soldat qui était venu le chercher afin de lui annoncer que les deux éclaireurs étaient de retour et que sa présence était requise. Le général ne savait pas vraiment combien de temps il avait pu dormir mais ce n’était, selon son humble opinion, pas assez et même si d’ordinaire il ne dormait pas beaucoup il n’aurait pas été contre prolonger son sommeil d’une heure ou deux. C’est donc en étant encore à moitié endormi qu’il sortit de la tente. Il prit un moment pour s’asperger d’eau dans le premier bac qui trainait et trouver de quoi se sécher, il était déjà un peu en retard mais s’il venait encore endormi cette session n’allait servir à rien et surtout pas à lui, surtout qu’il devait avoir le dernier mot sur le traitement que devaient subir les traîtres sous le joug de Swatilda. C’est donc toujours torse-nu qu’il se dirigea vers la tente de l’Etat-Major, parce qu’avoir un peu de retard ce n’est pas si grave, il faut savoir se faire désirer, mais prendre l’heure nécessaire pour aller au camp nord afin de se changer et une nouvelle heure pour revenir risquait d’agacer quelque peu celles qui l’attendait et Kerath préférait ne pas jouer avec le Feu.

Une fois dans la tente il croisa les bras, écoutant, il n’avait pas pris de décision, il n’en avait pas eu le temps, alors il était ouvert aux propositions et il avait des soupçons sur l’identité du conseiller que mentionnait Krish et l’intervention de sa fille ne fit que confirmer ce qu’il pensait. Il attendit quelques secondes avant de répondre, rassemblant ses pensées car il avait une vague idée, avant de répondre de sa voix grondante habituelle, tourné vers Krish.

« Les brigands et autres rebelles ne seront pas un problème. Il n’y en aura aucun. Tuer sur un large territoire est une spécialité du Second Ost et je compte bien m’en servir. Si tu mets un autre despote à la place de Swatilda je le tuerai moi-même. Tous ceux qui se trouvent sur les terres de Swatilda, les forces des autres despotes y compris, seront asservis ; ou tués si l’asservissement est impossible. Une fois qu’il ne restera que des esclaves ou des soldats du deuxième ost sur ces terres cette seigneurie deviendra la propriété des treize soldats qui m’ont suivi et aidé pour l’attaque du fort ainsi que les quatre-vingt-sept soldats ont fait le plus de prisonniers, le tout sous le commandement de la veldruk Gor’Vel. Ça encouragera les troupes à ne pas simplement massacrer, la loyauté de cette seigneurie sera assurée et mes troupes auront leur vengeance... » il se rendit compte après une seconde qu’il avait oublié quelque chose alors il reprit avec un air moqueur en se tournant vers sa fille aorée. « Et en plus on construit quelque chose, rassurée ? »

Dire que Shyn'tae était méfiante de son paternel était un euphémisme. Il était exactement tel que sa "douce" mère l'avait décrit au fil des années dans ses efforts incessants pour que sa fille lui ressemble plus. Et à chaque fois qu'elle le voyait, les souvenirs faisaient grossir une boule de haine dans sa poitrine. Une emotion bien difficile à contrôler, que la sombre faisait donc de son mieux pour cacher, avec succès le plus souvent.

En l'occurrence, elle pouvait comprendre la difference de vision entre elle et le vieux guerrier. Lui pensait à ses hommes et à leurs recompenses, elle avait tendance à oublier que leurs objectifs à long terme n'étaient malheureusement pas toujours suffisants à motiver les troupes, malgré leur fanatisme. Elle hocha donc la tête, bien que la proposition de l'Obok soulevait autant de questions qu'elle apportait de réponse à ses yeux.

« Et en plus on construit quelque chose, rassurée ? » Il l'observait, moqueur. Le bras gauche de la jeune sombre fut prit d'un bref tremblement, tout comme son oreille droite. Elle pencha la tête sur le coté, impassible, pour observer son père si charmant. Elle fit un geste de la main et ravala ses émotions. Elle frapperait un truc plus tard.

-  Rassurée? là n'est pas la question… Personne ne comptait installer de gestionnaire là sans ton accord, quel qu'il soit… Nous ne sommes pas là pour nous tirer dans les pattes. Cela ne pourrait que bénéficier à nos ennemis." Elle répondit au regard moqueur par un sourire trop doux pour être vrai, ses yeux ouvert avec curiosité.

- Mais je ne suis pas sûre de vous comprendre. Vous voulez partager la seigneurie entre tous tes hommes? Mettre la Veldruk Gor'Vel à sa tête? Quelle serait son autorité sur la terre, ses droits, ses devoirs? Ou est-ce autre chose que vous aviez en tête? Qu'entendez-vous par "propriété"?  Est-ce que, pour vous, ce mécanisme aurait pour vocation à être reproduit par la suite? Bref, pourriez-vous mieux détailler votre idée?"

La drow, hésita, puis continua avec sérieux, son regard dur autant que sa voix était douce.

- J'ai toute confiance en la fidélité de vos troupes, Obok, mais… c'est une decision plus importante qu'il n'y parait. Veut-on remettre des seigneurs militaires sur les terres reprises sur les traitres du IVème Ost ?" Elle chercha la bonne formulation, pensive. "Prêtons attention aux récompenses qu'on laisse miroiter aux soldats. Tout ceci appartient à l'Elda vengeur, et doit être utilisé de la meilleure façon possible pour ce but, et lui seul. Il ne faut pas risquer détourner nos hommes de leur véritable devoir."

Kerath se retint de rire devant la réaction et la réponse de sa fille. « Ce n’est pas ce que tu m’as dit la dernière fois… je vais finir par croire qu’il y a un lien entre la présence de Krish et ton changement de comportement. »

Alors qu’elle parlait Kerath se mit à marcher, faisant le tour de la tente en l’écoutant, les mains dans le dos. Les habitudes, car il restait à déterminer si celle-ci était bonne ou mauvaise, ont la vie dure et il était resté bien trop longtemps immobile. Il se rendit compte à ce moment qu’il manquait quelque chose et en bon militaire il ne mit pas longtemps à trouver ce que c’était : l’arme qu’il gardait à sa hanche lorsqu’il était dans le camp n’était plus à sa place. Il s’arrêta pour se frotter les yeux en se rappelant qu’il l’avait posé au camp nord à son arrivée, il n’avait pas assez dormi et ça lui jouait des tours. Le général reprit donc sa ronde de sa démarche pesante jusqu’à ce que sa fille bienaimée eut fini de parler.

« Je veux bien te croire quand tu dis que tu as confiance en mes drows. C’est de moi que tu doutes. » Il s’arrêta à nouveau pour regarder sa fille quelques instants avant de reprendre sa marche. « Qu’y’a-t-il de difficile à comprendre ? Autant pour moi… j’oubliais à qui je parlais. Tu peux nommer un gouverneur civil si tu veux, à condition que ce soit un eldéen. Pour ce qui est de Gor’vel et la centaine de soldats, ce ne sera qu’une simple garnison comme il y en a tout un paquet le long de la route nord, à une exception près : les esclaves qui travailleront n’appartiendront pas au Second Ost mais seront la propriété des soldats qui formeront la garnison. »

Si ce genre de récompense encourageait les soldats des osts à provoquer les despotes dans l’espoir de récupérer leurs terres ce n’était pas vraiment le problème de Kerath ; au contraire, ça formerait des colonies eldéennes dont la loyauté ne pouvait être remise en question tout en se débarrassant de traîtres, que demander de plus ? Peut-être que le général s’y mettrait aussi même si c’était peu probable, il avait autre chose à faire et préférait laisser ça à ses subordonnés, tant que la situation ne dégénérait pas. Au moins ça pousserait les despotes à se calmer et tranquillement attendre sous peine de subir le même sort. Et puis ça pouvait donner à l’Etat-Major un moyen de pression pour demander plus de ravitaillement ou d’aide militaire si nécessaire ; en cas d’assaut sur Sol’Dorn ils pourraient demander, pour ne pas dire réclamer, aux despotes de fournir la première vague.

« Les soldats resteront sous mon commandement direct et ils feront toujours partie du Second Ost, ce sera simplement un bataillon qui ne se trouve pas dans les camps pour participer au siège. Les produits de cette seigneurie devenant leur propriété, grâce au labeur de leurs esclaves, ils pourront faire don ou vendre ce qu’ils veulent ce qui fera une seigneurie de plus qui participe à l’effort de guerre. Pour ce qui est de la reproduction de ce système pourquoi pas ? Une fois Sol’Dorn tombée les soldats pourraient faire venir leur famille qu’ils ont laissé au Puy pour que quelqu’un s’occupe de leurs esclaves en leur nom après leur départ. »

Il ne doutait pas que ça plairait plus aux affranchis qu’aux soldats qui étaient là depuis un bon moment dans les osts mais il y avait fort à parier que chacun y trouverait son compte sans trop de difficultés. Il ne savait pas comment Sol’Dorn et les terres attenantes allaient être gouvernés une fois la ville tombée mais sans doute l’enrichissement de ses soldats ne pouvaient pas être une mauvaise chose ; si jamais ses troupes avaient besoin d’une autre motivation au moins défendre leur propriété laissé derrière leur donnerait une raison supplémentaire de se battre.

Un des sourcils de la Phor'dur s'était dressé devant la remarque de son père. Qu'avait-il compris de ce qu'elle avait dit? Et quand d'ailleurs? Et surtout, que sous entendait-il? Elle supposa que la pire interpretation qu'elle pouvait imaginer serait la bonne. La voix de la raison ajouta qu'en réalité, elle n'en savait rien. C'était peut-être, bien que probablement pas, un compliment très maladroit.

- Je serai très honorée de discuter de mon comportement avec vous et la première flamme, mais peut-être pourrons nous le faire en dehors d'une réunion d'état major." répondit-elle au colosse, souriant malicieusement.
En tout cas elle avait écouté attentivement ses explications, et comprenait maintenant mieux où il voulait en venir et qu'il la prenait pour une demeurée. Elle n'y préta pas attention, car le contraire lui aurait certainement apporté du plaisir. "En définitive, ce que vous souhaiteriez, c'est installer une garnison, ce qui est une bonne idée au regard de nos problèmes dans la région."

Elle fit à son tour le tour de la pièce, pensive. Comment expliquer ce qui la chiffonnait avec ce plan. Était-ce parce qu'elle avait une dent contre lui? "Il ne faut pas faire ca. C'est une mauvaise idée." affirmait son intuition.

- Par contre.. donner à la fois un pouvoir économique et militaire total à un petit groupe de personnes qui se connaissent si bien me met mal à l'aise. Mon but n'est pas de m'opposer à vous par principe, je ne cherche pas non plus à arracher des concessions. Ce qui compte c'est la cohérence de la decision, quelle qu'elle soit. Donc autant se passer d'un gouverneur civil s'il venait à être aussi utile qu'une plante en pot."

La sombre s'arrêta et dansa d'un pied sur l'autre, pensive, puis jeta un oeil à Krish.

- En réalité, le territoire de Swatilda n'a pas grande importance. Ce qui me gêne, c'est l'idée de distribuer les ressources économiques des territoires conquis à des soldats qui en deviendront les gardiens armés. Cela fait beaucoup dans les mêmes mains, et autant cela donnera beaucoup de pouvoir au second Ost, autant…"

Elle s'arrêta avant de reprendre, interrogeant Krish et Kerath du regard. Elle avait saisit un des pions posés à coté de la carte et jouait avec.

- Y-a-t-il un risque qu'ériger cette pratique en habitude puisse éroder l'autorité du Puy sur ces regions à long terme?"

Son sourire carnassier revint sur ses lèvres alors qu’il s’arrêtait de tourner en rond. « Mais personne n’a dit que tu t’opposais à moi par principe ou que tu voulais des concessions. Serait-ce ta conscience qui parle ? »

Ne pouvant rester en place bien longtemps il se remit à faire le tour de la pièce. « Si tu pouvais être honnête ça changerait, il semble que finalement tu doutes de la fidélité de mes soldats. Si tu te mettais à réfléchir un peu ça changerait aussi : certes le gouverneur civil ne servirait à rien si le Second Ost restait à Sol’Dorn une fois la ville tombée mais ça ne sera pas le cas. »

Il jeta un regard à Krish, espérant qu’elle n’allait pas ordonner à son armée de rester protéger la région. Il reprit ensuite sur un ton las, presque professoral. « Pendant le temps qu’il reste avant que la ville ne tombe le gouverneur aura tout loisir d’apprendre à connaître les terres sous sa future protection et il aura un peu de temps pour prouver sa loyauté avant qu’on ne lui donne des responsabilités ; quand le second ost repartira je ne compte pas laisser une centaine de soldats expérimentés derrière. D’ailleurs si la seigneurie attire des gens, le gouverneur pourrait très bien avoir une milice formée et entraînée par des guerriers compétents. »

Il s’arrêta pour planter un regard froid et dur comme l’acier dans les yeux de sa fille, il croisa les bras avant de reprendre d’une voix grondante qui ne cachait en rien la colère qu’avait fait naître les insinuations de Shyn’tae. « A ta place je me méfierai de cette plante en pot avec le potentiel de devenir un nouveau despote au lieu de remettre en question la loyauté de soldats qui ont versé leur sang pour l’Eda Vengeur alors que tu ne fais rien si ce n’est être une insulte sur patte. »

- Assez. " laissa-t-elle tomber sur un ton neutre en voyant voler la pique de trop.

Les bras croisés, les yeux baissés sur la carte, Krish avait écouté d'une oreille attentive la joute inepte entre le père et la fille. Faire une garnison soudée tout en leur donnant un poids économique, transformant un éventuel pouvoir administratif en pouvoir fantoche. Une occasion de stabiliser la région jusqu'à la chute de Sol'Dorn avant de redistribuer les cartes.

- Si nous nous appuyons sur les anciennes pratiques, les armes et les esclaves qui seront pris durant les opérations appartiendront directement aux Ost à hauteur de leur participation. " Pour ce cas précis, l'ensemble reviendrait donc au IIe Ost. " Les officiers choisiront seuls comment répartir ces ressources entre les besoins de l'Ost et les récompenses des soldats. Ils seront également responsables de l'entretient du cheptel d'esclave qui en découle sans dotation supplémentaire de la part d'Elda. Les vivres reviendront à l'intendance générale. La terre et tout le reste des ressources reviendra à Elda. Si les soldats veulent faire travailler la terre de cette région à leurs esclaves, ils devront les placer comme n'importe qui et ils seront soumis à la loi d'Elda comme tout propriétaire habitant sur nos terre et sous notre égide." Elle passa ses doigts dans ses cheveux. " J'aurais bien autorisé les soldats à garder les maisons et les terres qu'ils sont capable de prendre et de défendre, mais cela encouragerait les rixes fratricides pendant les opérations et les duels judiciaires après les batailles pour répartir à nouveau le butin hors de véritables faits d'armes. " Elle s'appuya sur la bord de la table, jetant un bref regard à Kerath avant de dessiner du bout de l'index les contours flous du fief de Swatilda tels que les avaient rapportés les éclaireurs. " Les temples de la zone se verront dotés de prêtres supplémentaires venant directement de chez nous. Les temples non eldéens seront rasés. Une garnison sera mise en poste sur la région sous les ordres d'un satrape eldéen chargé de la protéger et de l'administrer selon les lois de notre peuple, accompagné d'un prêtre de Meingal pour veiller à la Justice. Hiérarchiquement, les satrapes répondront de leurs actes directement devant le triumvirat. Une fois que Sol'Dorn sera à nous, leur armée de défense sera constituée de soldats levés
localement et d'une garnison du IIIe Ost. J'attends que vous me donniez les noms des personnes que vous jugez digne d'un tel rôle d'ici le retour de la mission punitive. Militaires comme civiles. " Elle se redressa, croisant de nouveau les bras pour regarder successivement les deux conseillers. " Je récapitule pour notre cas. Kerath, tu peux organiser la mise au pas de sa seigneurie comme tu l'entends du moment que les locaux se souviennent de ce qu'il en coute de s'attaquer à nous. Tous les esclaves et toutes les armes que vous récupèrerez seront directement au IIe Ost et tu pourras choisir à qui ira le butin. La nourriture sera ramenée au camp et répartie par l'intendance générale. Le reste fera l'objet d'un recensement par le satrape que nous choisirons et qui s'occupera de la région avec l'aide d'un prêtre de Meingal et d'une garnison de cent de tes hommes jusqu'à ce que Sol'Dorn tombe entre nos mains. Des objections ? "

- Aucune, feu d'Uriz. " La drow salua aussitôt, se sentant comme une enfant qui avait était prise à se chamailler par un adulte. La réplique de son père l'avait fait reculé aussi bien que l'aurait fait un coup, la surprise, puis la colère dans ses yeux... Qui s'était effacée aussitôt. Il savait toucher là où cela pouvait lui faire le plus mal. Combien de vétérans du C'nros pensaient comme lui, prêts à lui faire payer ses erreurs? La Phor'dur était certaine d'être la meilleure personne à cette fonction pour L'Renor. Mais l'était-elle vraiment dans l'absolu? Elle était la premiere à en douter.

Il écouta attentivement en continuant de marcher et lorsqu’elle demanda s’il y avait des objections il s’arrêta et regarda brièvement la carte avant de remonter les yeux vers la triumvir.

« Oui j’en ai une. Enfin deux si on peut compter la première comme une objection. Sans pour autant être considérable le territoire de Swatilda prendra quelques jours pour être couvert et pendant ce temps il va falloir que les soldats mangent. Il y a peu de chance que la nourriture trouvée soit ramenée au camp.
- Bonne remarque. Va pour les denrées à gérer sur place.
- Pour ce qui est de la terre tu ne comptes même pas leur faire un prix ? Parmi ceux qui ont survécut à l’attaque du fort certains étaient des affranchis, ils n’auront pas de quoi louer et encore moins acheter un bout de terre alors qu’ils le méritent comme les autres, par droit de conquête. »

Certains soldats nés libres n’auraient sûrement pas de quoi acheter non plus mais c’était leur faute s’ils passaient leurs soldes aux dés, en alcool ou bien en paris stupides mais les affranchis n’avaient pas eu la possibilité d’économiser suffisamment.

- Le problème de la dizaine de survivants de l'embuscade est encore différent. Ils ont accomplis quelque chose d'exceptionnel. Ne jouons pas les Doeben à compter les écus. Leur gloire leur vaudra d'être reconnu. Les promotions dépendent entièrement de toi, mais si tu penses qu'un lopin de terre est une récompense appropriée pour eux, j'accepte. Si tu préfères les recommander pour une charge, c'est le moment. Autant en faire quelque chose d'officiel et acter l'idée de reconnaissance pour ceux qui seront assez brave.

« Pour le rôle de satrape je propose Gor’vel avec Sio’rax, le messager qui vous a relayé les nouvelles, pour faire la liaison entre la seigneurie et les camps.  » Kerath lança un regard qui en disait long sur le traitement que sa fille avait réservé à l’éclaireur. Krish quand à elle leva un sourcil dubitatif à propos du jeune messager qui avait même du mal à trouver ses marques dans l'armée. Il se mouquait complètement de la charge... C'était bon à savoir et mauvais à avoir. « Cela dit j'aurai peut-être d'autres noms à recommander en fonction  du déroulement de l'opération. Ah et tant que j’y suis, j’espère que nous sommes d’accord : la garnison retournera sous mon commandement lorsque Sol’Dorn sera tombée et qu’une nouvelle garnison prendra sa place. »  
- Oui. le Ier et le IIe Osts resteront en ligne de front. Je suis déjà en train de voir avec l'Obok Senger du IIIe ost pour que des rotations soient effectuées entre le Puy et nos nouvelles terres pour éviter un nouvel effet IVe Ost.
Shyn'tae s'était tué pour écouter la discussion qui avait suivi. La solution qui se dessinait lui semblait représenter un bon équilibre, et apaisa son agacement. D'autant plus que son père soulevait des points valides.
- Ce serait une bonne chose à mon avis qu'il y ait aussi des rotations chez les administrateurs… Mais c'est une question qui se posera plus tard. Par contre…" Elle sourit à son paternel, un peu crispée après la volée qu'elle venait d'encaisser. "Je crois aussi que les survivants méritent d'être mis en avant pour leur bravoure.... Ne pourrions nous pas faire chanter leurs exploits, organiser une cérémonie et une fête en leur honneur? Ce sera bon le moral des troupes, et contribuera à user l'esprit de nos ennemis."

« Les terres ne sont qu’une récompense temporaire et l’or n’a pas beaucoup d’utilité pour un soldat, pour ce qui est des avancements ça va poser un problème : à moins d’augmenter la taille de mon ost je ne peux faire progresser personne, aucun gradé n’est mort. Shyn’tae propose quelque chose qui n’est pas dénué de sens, ni d’intérêt, étonnamment ; une cérémonie en l’honneur d’Uriz où ils seraient mis en avant et une prière commune à Teiweon pour les cinq morts dans la tour, à qui je dois ma vie, par exemple. »
- Parfait. Les terres et les rites. Tu préfères qu'ils soient organisés avant ou après l'envoie de tes hommes sur les terres de la despote ?
« Après, avec un peu de chance d'autres se distingueront durant l'opération. »
- Bien... " Un sourire amusé étira les lèvres de la triumvir. " Il semblerait que nous soyons arrivé à un consensus. Nous vous y habituez pas trop, j'ai une réputation de tyran belliqueux à tenir. On peut s'arrêter là pour aujourd'hui je pense. "
« Je vais organiser l'opération qui va cibler la seigneurie de Swatilda. » Après un dernier salut où Kerath se frappa le torse comme s'il avait son armure de plate, comme quoi il avait un peu de mal à apprendre de ses erreurs à moins que ce soit le manque de sommeil, il sortit de la tente.

Alors qu'il était sur le seuil, Krish le rappela une seconde.

- Tant que j'y pense. Si vos querelles de famille s'invitent à nouveau sous cette tente, c'est en duel dans la Fosse sous l’œil de Meingal que vous les finirez. "

Shyn'tae hocha la tête. Elle ne pouvait que partager le point de vue de la Triumvir. Elle n'avait certainement pas à réagir comme elle l'avait fait pendant une reunion de l'état major, et ses émotions avaient certainement affecté son jugement. Et la decision que Krish avait reussi à obtenir satisfaisait manifestement à la fois l'Obok et la Phord'ur. Shyn'tae pouvait admirer ce talent. C'est donc pensive qu'elle se leva et salua Krish puis regarda Kerath les laisser.

- Rappel justifié, merci..." Son expression gênée se mua en timidité. "Je crois que votre réputation est sauve. Mais si vous pensez que c'est necessaire, n'hésitez pas à me convoquer…." Était-ce de la malice dans son regard?

Le camp sud. Il était tellement proche de Frontière que déjà la drow y était. Elle le connaissait pour y avoir suivi des cérémonies religieuses et autres réunions. Alors elle savait à qui confier les rênes de sa monture, et où se trouvait la tente de l'état-major.

Un garde lui apprit qu'ils étaient déjà en discussion. C'est à cet instant que Kerath sortit de la tente d'un air princier. Aussitôt, la guerisseuses et le garde se mirent au garde à vous. Elle attendit qu'il soit à son niveau pour lui parler.

- Obok Ni'Styx. Je souhaiterai solliciter l'état-major pour remettre un rapport urgent. Cela concerne un humain. Humain, elle avait presque craché l'espèce. Le ton était inhabituel pour ceux qui la connaissaient.

Bien qu'elle avait les yeux fixés sur un point imaginaire comme était la coutume, elle ne pu s'empêcher de constater que son supérieur paraissait harassé. Fait improbable, il ne portait pas d'armure, son torse nu arborait à la fois les tatouages de son statut et de nouvelles blessures.
Elle se sentit honteuse et furibonde d'avoir passé une journée à se "prélasser" dans un lit tandis que d'autres avaient besoin d'aide. De son aide.

- Pardonnez moi, ce ne devrait pas être très long. J'ai subi une attaque à Frontière.  Il semblait important à la soignante que le général soit présent, et elle tenta de le retenir.  De la part d'un humain qui souhaitait manifestement vous transmettre un message.

La sombre attendait une réponse. Elle avait déjà attendu bien longtemps, ce n'était pas une poignée de minutes supplémentaires qui changerait la donne.
Contrairement aux soldats revenus plus tôt, elle n'arborait aucune blessure. Elle n'avait pas refait son turban, mais le linge était mis en écharpe. Le lourd tissus de sa robe était froissé. Nul ne saurait dire si du sang avait coulé sur la robe.

L’avertissement de Krish fit sourire le général qui se retourna avec son habituel sourire carnassier, il hocha profondément la tête, il aurait bien rajouté que ce serait avec plaisir mais il ne voulait pas risquer que ce soit vu comme de l’insubordination alors il se contenta de se tourner à nouveau pour retourner au camp nord ; il voulait dormir davantage mais il avait du travail. Il aurait bien demandé la carte de la seigneurie à la triumvir mais ce n’était pas nécessaire, bien que fatigué après quelques siècles à regarder des cartes il avait pris l’habitude de les imprimer dans sa mémoire, il compléterait la représentation mentale qu’il s’en était fait sur le chemin du retour. De toute façon il devait bien y avoir quelques cartes des environs dans sa tente, il n’aurait qu’à ajouter les détails qui manquaient. Le plan n’était pas vraiment un problème : il serait simple. La difficulté se trouverait dans l’équilibre à trouver pour ne pas mettre le siège en péril. Déjà absorbé par des calculs guerriers Kerath ne fit pas attention aux deux drows devant la tente qui le saluèrent mais il s’arrêta en entendant son nom, le nombre de personne le connaissant dans les environs était risible alors il s’arrêta pour confirmer ce qu’il pensait.

Il fronça les sourcils et croisa ses bras sur son torse, sentant la colère monter il fallait mieux que ses bras ne soient pas laissés libres pour éviter tout malheur ou en tout cas laisser un temps pour que ceux autour de lui puissent esquiver. Son premier réflexe fut de se mettre de profil pour lui indiquer l’ouverture par laquelle il venait de sortir afin qu’elle aille faire son rapport, Na’ri étant sous ses ordres il la suivrait dans la tente évidemment, il préparerait son opération un peu plus tard. Cependant les derniers calculs qu’il voulait terminer s’évaporèrent en entendant la nouvelle de l’attaque, remplacé par une colère impérieuse qui engloutit toute raison. Sans arme pour cristalliser son agressivité et sans la présence de Murrpau à ses côtés pour absorber sa sauvagerie le général se trouva sous l’emprise d’un mélange des deux qui se fit plus puissant alors que la prêtresse terminait son début de rapport.

Kerath avait une idée assez précise de l’identité de l’humain en question, après tout des humains qui voulaient lui transmettre un message il n’y en avait pas beaucoup. « Le fils de pute… » ce fut la seule chose qu’il put répondre avant que la haine ne prenne complétement le dessus, il leva la tête en direction de Frontière et décroisa les bras ; ses ongles étaient entrés dans sa chair au point de faire couler quelques gouttes de sang mais il s’en moquait, il ne le sentait pas non plus. La mâchoire serrée il fit un pas en avant, poussant quiconque se trouvait devant lui sans avertissement ni ménagement. Il fit un second pas puis un troisième, son allure accélérant à chaque fois puis au quatrième il se mit à courir, il n’y avait espérer que quiconque se trouvant sur son chemin serait assez rapide pour se pousser car il ne comptait pas ralentir et encore moins s’arrêter ; ce qui était assez imposant pour l’arrêter dans sa course se trouvait généralement dans des enclos.

Elle avait voulu attirer son attention, c'était gagné. Elle avait voulu le retenir, c'était raté.

Attendez ! cria la pretresse en s'élançant à la poursuite du colosse. Elle courut à en perdre haleine et cela lui fit du bien. Elle courut mais ne pu le rattraper. Peine perdue. Alors, elle sauta et s'agrippa avec la force du désespoir.
Elle posa sa joue contre la peau tannée par les siècles de conflit. Elle était chaude. Elle avait passé un bras au niveau de l'aisselle et l'autre au niveau de l'épaule. Elle tenta de se hisser plus haut pour ne plus avoir les pieds qui trainent par terre.
Mais c'était sans compté sur l'adversité de son supérieur. Il y a des moment où d'instinct, le corps agit, réagit avant de penser à quoi que ce soit. La colère n'aidait pas la sombre. Elle récolta violent un coup de coude dans les côtes.

Définitivement, ce n'était pas son jour. La douleur irradiait mais la sombre ne lâcha pas sa prise pour autant.  

Kerath… S'il te plait… C'était ce matin… A l'aube. Il a dû partir depuis. Je t'en prie… Ecoute moi… Les dents serrées, le souffle court, elle implorait son leader.

A peine Shyn'tae avait-elle achevée son ambiguë proposition -et avait-elle regretté de l'avoir énoncée-, que l'hurlement caractéristique du Kerath en colère jaillit d'en dehors. Contrairement à celles de sa supérieure, les deux oreilles de la demoiselles se dressèrent aussitôt, et, d'un seul mouvement, elle bondit pour écarter la toile. Sa tête apparut à l'extérieur, et ses sourcils se froncèrent devant la scene qui se déroulait devant elle. Qu'est ce.. prononçait-elle à peine alors que Krish la rejoignait, finalement attirée par la course du colosse et les cris de la prêtresse. La Triumvir se figea à la même hauteur que la représentante du C'nros.

Kerath s'en allait à grandes enjambée, il trainait Na'ri qui s'était accrochée tant bien que mal à son dos, et l'Obok tentait de la dégager à coup de coude.

La Phord'ur était parvenue à maitriser la colère que son père parvenait avec si grand talent faire monter en elle. Mais à cet instant, elle avait l'impression de voir un enfant. Quoique Na'ri ait pu lui dire, rien ne justifiait d'assister à ca. Et il courrait vers la sortie du camp. Quel que soit ce qu'il projetait de faire, elle se doutait que cela ne lui plairait pas. La daedhelle s'élança pour libérer l'entrée de la tente, Eveil quitta son fourreau, et, comme d'habitude, en fidèle maitresse, la magie répondit à son appel.

- ça suffit ! " La voix de Krish claqua comme un fouet. Le garde en faction près de l'entrée se retrouva méchament au garde-à-vous. Deux soldats qui passaient par là s'étaient également approchés au pas de course en entendant le chahut et restaient à présent tétanisés devant la scène, ne sachant que faire. Mais le coup de semonce n'eut que bien peu d'effet sur la principale cible. Le colosse ralentit bien un peu, mais ne s'arrêta pas pour autant, soufflant ragueusement sous la prise de la prêtresse qu'il avait sur le dos.

Le regard sombre, Krish s'élança à la suite de Shyn'tae sans couper la route du mastodonte enragé pour autant. La magicienne évalua ses options rapidement. Elle avait entendu l'avertissement de sa supérieur et ralentit, ses pas s'élevant légèrement avec grace. Impassible, elle savait quoi faire. Eveil fit un arc de cercle, et le sort s'élança, altérant subtilement les motifs de la réalité sur son passage. La lame trembla sous l'effort du poignet. C'est que son paternel était lourd et puissant.

Soudain, l'Obok découvrit que Na'ri pouvait le retenir bien plus fort qu'il n'aurait cru possible.

Un voile rouge s’était abattu sur les yeux de Kerath et le voile en question filtrait tout ce qui n’était pas nécessaire à l’exécution de sa vengeance. Ainsi dans son champ de vision n’apparaissait que trois choses : la porte, l’enceinte que cette dernière permettait de franchir et le chemin qui y menait. Les tentes désormais d’un rouge sang se fondait dans le décor et les drows sur son passage n’étaient tout simplement plus là, il sentait bien parfois quelque chose le heurter mais rien qui ne puisse l’arrêter et à chaque impact sa fureur ne faisait qu’augmenter ; le voile se faisait plus épais, les sons alentours plus lointains, distordus, comme s’il les entendait avec la tête sous l’eau, la sensation de fatigue envolée, remplacée par l’adrénaline qui poussait son corps à ignorer ses courbatures et autres douleurs que lui causaient encore ses blessures nouvellement refermées. Alors les coups que Na’ri recevait dans les côtes n’étaient pas volontaires, c’était davantage les mouvements réguliers de son bras dans sa course qui lui faisait s’enfoncer ledit bras dans les côtes de la prêtresse. Le mastodonte était plus proche de l’état sauvage que de celui d’Obok Senger civilisé ; en obtenant Murrpau cet état s’était fait de plus en plus rare mais c’était en étant juste assez proche du drow pour pouvoir tenir son arme sur les champs de bataille que son surnom s’était popularisé.

Cependant, malgré la distorsion des sons il entendit un ordre retentir même s’il n’était pas tout à fait compréhensible. D’ordinaire, en bon soldat, Kerath obéissant sans poser de question mais la situation n’avait plus rien d’ordinaire. Cela dit ça faisait à peine onze ans que le drow avait atteint le rang de Senger et ce n’est pas en si peu de temps que la discipline née de siècles passé à recevoir des ordres disparaissait, ce fut bien la seule chose qui poussa le Senger à ralentir. Peut-être que si Krish avait répété son ordre il se serait complétement arrêté mais la triuvmir ne devait pas avoir l’habitude de répéter un ordre alors l’éclaircit qu’elle avait créé en criant, sans personne pour l’exploiter, se remit à lentement se résorber. Puis il comprit que quelque chose le retenait en sentant un poids qui l’empêchait de reprendre de la vitesse et le voile rouge laissa apparaître Na’ri aux yeux du mastodonte ; enfin pas Na’ri réellement, la silhouette qu’il voyait sur son dos était dépourvue de traits, un visage lisse auquel il manquait sa bouche, son nez et ses yeux. Le général, comme s’il ne voyait pas déjà assez rouge, se mit se débattre contre la prêtresse qui avait profité de l’accalmie pour continuer son ascension, sûrement soulagée de ne plus se prendre des coups dans les côtes.

A la place Kerath attrapa le bras qui s’accrochait à son épaule d’une main ferme, ne contrôlant plus sa force il ne fit pas attention aux dommages que sa poigne pouvait causer puis il tira d’un coup sec, se penchant en avant pour que le poids qu’il avait dans le dos parte plus facilement. Il ne lâcha pas Na’ri cependant, d’une torsion du poignet il lui tordit le bras pour l’empêcher de bouger le temps de lever le pied pour l’abattre sur le crâne de la prêtresse.

« Kerath ! Arrête ! C'est une prêtresse ! De ton Ost ! »

Son nom crié d’une voix autoritaire empêcha le voile de se refermer. L’ordre élargit la percée et la suite permit au Senger de redonner un visage à la personne qu’il avait projeté au sol. Il lâcha le bras qu’il tenait. Il recula d’abord en titubant, la fatigue revenant d’un coup le frappa de plein fouet.

Le sang de Krish se figea dans ses veines en comprenant que ce n'était pas qu'un simple coup de sang. Elle commença immédiatement à courir pour le rattraper, passant Shyn'tae sans se préoccuper d'elle.

- Kerath !

En un an à le côtoyer au camp, elle avait finit par croire que son surnom était plus une lubie personnelle qu'une décoration remise par ses pairs. L'homme qu'elle avait sous les yeux correspondait bien plus aux récits que la Doth'Ka avait trouvés en fouillant dans son passé en même temps que son véritable nom. D'ailleurs, elle faillit utiliser ce nom oublié pour l'obliger à s'arrêter, mais encore une fois, si la Doth'Ka avait tapé juste, il n'appréciait pas particulièrement l'attention.

Elle le contournait à peine lorsqu'il commença soudain à se débattre contre la prêtresse au lieu de continuer à avancer. Elle fit un écart pour tenter de tirer la prêtresse de son dangereux perchoir, mais du s'éloigner d'un bond pour éviter le coude massif qui servait de contre poids au mouvement du colosse. Elle dérapa à demi, son pied nu retrouvant in extremis son appui dans une envolée de poussière sèche. Elle posa une main au sol pour se stabiliser. Le temps qu'elle relève la tête et rejette sa crinière blanche en arrière pour libérer sa vue, le militaire balançait la servante de Kiran devant lui. Un mouvement de lutte simple dont l'exécution montrait à quel point les bases du combat faisaient partie de lui.

Sans autre arme qu'un coutelas utilitaire, comme toujours ou presque lorsqu'elle était au camp, Krish ne pris pas même le temps de se redresser ou de dégainer. Elle fondit vers l'avant, n'hésitant pas à glisser sur la terre battue pour se placer entre eux.

- Kerath ! Arrête ! "

Kerath, était toujours penché vers la femme au sol. Il levait sa jambe arrière comme pour faire un pas... ou monter un escalier... Puis un peu plus haut encore.

Et merde !

- C'est une prêtresse ! De ton Ost ! "

Il y avait bien plus de morgue que d'inquiétude dans la voix de la triumvir. Son mouvement vif lui permis tout juste de se laisser tomber au niveau de la prêtresse pour que son épaule ou ses côtes prennent le coup à la place du crâne sans protection de la victime... Mais aucun impact ne vint.

La poussière qu'elle avait soulevée lui grattait la gorge, mais elle vit distinctement le bras de la jeune femme à plat dos retrouver sa liberté. Kerath tituba en arrière, cherchant visiblement à retrouver ses esprits. L'eldéenne en profita pour lancer un regard par dessus son épaule et constater que la prêtresse était bel et bien consciente. Bien... Enfin presque.

Elle avisa l'attroupement qui commençait à se former et ajouta sur un ton qui ne souffrait ni question ni contradiction. " Un guérisseur. Tout de suite. " Puis elle se leva en portant à nouveau toute son attention sur l'Obok Senger problématique. Ramassée sur ses appuis, elle était prête à se mesurer à lui physiquement.

Shyn'tae n'avait jamais assisté à rien de tel. La puissance arcanique grandissait autour d'elle, elle avait du étendre ses mouvements tel un oiseau étend ses ailes pour parvenir à ralentir le drow massif. Il n'était clairement pas dans son état normal. Elle se concentra un peu plus sur le sortilège, le fit grandir. La lame vibra sous l'effort.

Et Kerath saisit soudain Na'ri. Le coeur de la magicienne manqua un battement, alors que si vite, le colosse la projetait au sol. La triumvir cria quelque chose, Shyn'tae ne l'entendit pas, ses mouvements brusques alors qu'elle modifiait précipitamment le sortilège. Un haut le cœur la saisit, son corps soudainement en sueur.

Une poupée de chiffon… voilà ce que la soignante était devenue. Désarticulée sous la poigne de fer, elle ne voyait plus rien et les cris qui lui parvenaient été tellement déformés qu'ils n'avaient plus aucuns sens. Elle était loin de Sol'Dorn, mais en Anaëh... Autour d'elle des corps. De ses amis principalement. Il fallait fuir. Fuir loin de  tout ça. Fuir... Mais seulement elle était empêtrée par quelque chose... par quelqu'un. Elle chercha son épée à son côté, mais le bras ne voulait pas bouger. Prise de panique, elle avait de plus en plus de difficulté pour respirer. Sans qu'elle ne comprenne ni le pourquoi du comment, la sombre embrassait la terre alors elle se recroquevilla toujours dans son passé.

Le grand drow leva la jambe au dessus de la petite forme de la soigneuse. Plus vite Que lui arrivait-il. Il allait la tuer? La magie se diffusa dans les motifs. Tissage imparfait, dans la precipitation. Krish s'était jetée au sol pour protéger Na'ri. Eveil finit de parcourir son arabesque, dressée. Un fin nuage de poussière s'éleva autour des drows couchées.  Shyn'tae se prépara à un choc…  Qui ne vint jamais.

Le regard de son père lui sembla perdu. Il tituba. La magicienne se précipita vers son amie sans prendre le temps de rengainer. L'épée tomba au sol alors que sa propriétaire se mettait à genoux et posait sa main valide sur l'épaule de la guérisseuse.
- Na'ri ? Ca va aller… Reviens, dis quelque chose...

La voix de l'arcaniste dissipa les limbes dans lesquelles la medecin s'était noyée. Petit à petit la respiration fut moins sifflante, le champ de vision s'élargit et la douleur vibrait dans ses membres. Alors, en guise de réponse, Na'ri sourit un peu tristement.
Aide moi à me relever, s'il te plait. Elle savait que c'était une requête un peu ardue pour Shyn'tae mais si elle ne se sentait pas la possibilité de remonter seule.
Une  fois sur ses deux pieds, la servante découvrit une silhouette qu'elle ne reconnaissait pas entre elle et Kerath. Mais la position était agressive vis à vis de son général. Obok qui était au bord du malaise.
- Obok Ni'Styx ! Il va tomber ! Faisant fit de ses propres blessures, elle s'élança vers le colosse pour le retenir. Cependant elle fut arrêtée par la Triumvir qui d'un geste ample et gracieux lui barra le passage. Il n'était pas question qu'elle se refasse taper dessus. Shyn'tae, le regard noir fixé sur ledit Obok, s'accroupit pour ramasser sa lame et la rengainer.