Tu veux faire quoi cette nuit? La même chose que chaque nuit, Krish!

Nuit du second au troisième jour de la deuxième ennéade de Karfias de l’an 17 : XI

Myr’Hennis regardait le plafond de la tente, il n’arrivait pas à dormir, un comble lui qui se plaignait tant du manque de sommeil qu’impliquait le siège. Quelle drôle d’idée en même temps de réveiller tout le monde juste avant l’aube, à la limite s’ils faisaient attention et qu’ils ne faisaient pas un vacarme capable de réveiller les morts au point d’en faire rougir un prêtre de Teiweon pourquoi pas mais là tout le monde était concerné. Le matin il regrettait d’être venu, se lever à neuf ou dix heures lui manquait et ses grasses matinées n’étaient plus qu’un doux souvenir. Et ça n’était que pour les matins, il n’était pas rare qu’il soit réveillé durant la nuit même si c’était rarement lui qu’on demandait, c’était plus généralement sa compagne. En y pensant il tourna la tête pour trouver Krish endormie à ses côtés, il l’observa un long moment, c’était pour elle qu’il était venu ; c’était pour elle qu’il avait abandonné son lit ô combien plus confortable et plus accueillant. Plynnil aussi lui manquait, il travaillait beaucoup plus qu’avant et maintenant qu’il était dans le rôle de l’assistant il appréciait à sa juste valeur le dévouement de son esclave. Bon il faut dire que c’était aussi lui qui avait proposé son aide mais ça il ne le regrettait pas, même si ça réduisait considérablement son temps libre ; il avait voulu commencer son cadeau mais le temps que les matériaux soient acheminés jusqu’à Sol’Dorn, les retards étaient on ne peut plus fréquent étant donné que ce n’était pas vraiment prioritaire, il était déjà au service de sa chère et tendre et n’avait plus de temps à consacrer à la sculpture.

Ce n’était pas la première fois qu’il ne fermait pas l’œil de la nuit mais ça ne rendait pas la chose plus facile à supporter. Bien au contraire d’ailleurs, chaque fois qu’il n’arrivait pas à dormir les dieux avaient visiblement décidé que le lendemain serait particulièrement chargé et lorsque la charge de travail était supportable, ce qui n’arrivait que trop peu, il se disputait avec Krish pour une différence d’opinion. Il se frotta les paupières avant de se lever, de s’asseoir sur le bord du lit, le dos vouté, les avant-bras posés sur ses genoux, la tête baissée. Il passa quelques instants à penser, il avait fini par apprécier les moments de silence où le Monstre se taisait, le laissant seul quelques instants. C’est fou ce que ça pouvait faire du bien de ne plus entendre de dissonance. Il se leva, tentant d’être discret, ce qui n’était malheureusement pas son fort, pour ne pas réveiller sa compagne et il s’approcha de la table. La coupe presque vide qu’ils avaient partagé la veille trônait toujours sur la table et attirait son œil, il avait bien envie de la remplir mais ç’aurait ruiné ses efforts alors il n’en fit rien, à la place il chercha son pantalon du regard, il le trouva devant le bureau et un sourire lui vint aux lèvres. En quelques enjambées il se retrouva devant le vêtement qu’il attrapa en se baissant et après s’être modestement habillé, il faisait trop chaud pour qu’il ne reste pas torse-nu, il alla s’asseoir au bureau ; quitte à être insomniaque autant que ce soit utile.

La pile de rapport qu’il devait encore lire, comprendre et synthétiser était plus importante qu’il ne lui semblait la vielle, c’était à se demander si un agent de la Doth’ka n’était pas rentré durant leur sommeil pour rajouter un paquet de feuilles. Il soupira et se mit donc au travail mais il arrêta bien vite, les lettres dansaient devant ses yeux et ce qu’il arrivait à comprendre il n’arrivait pas à le réduire suffisamment pour que ce soit d’une quelconque utilité. Il se frotta à nouveau les paupières mais les lettres ne voulaient pas arrêter leur ballet alors il reposa le rapport sur le sommet de la pile et chercha une feuille vierge, de quoi écrire et une carte de la région qu’il savait traîner quelque part.

Allongée sur le ventre de tout son long, le visage à moitié enfouit dans l'oreiller raplapla qu'elle enlaçait et la hanche frôlant discrètement la cuisse de son compagnon, Krish n'avait pas tardé à s'endormir ce soir là. Si c'était venu moins facilement qu'escompté et qu'ils en avaient parlé à quelques reprises, cela faisait déjà un ou deux mois qu'elle abandonnait son dos à la merci de tous les poignards que voudrait y planter Myr'Hennis. Elle arrivait même à dormir profondément et d'une seule traite... De temps en temps.

Partager son lit pour plus que quelques heures de bagatelle avait aussi permis à son compagnon de se rendre compte que la triumvir n'était pas aussi inébranlable qu'elle voulait le faire croire à l'ensemble du Puy. Si elle restait toujours immobile, entendre sa respiration troublée ou voir se dessiner sur son visage une expression crispée n'était pas si rares. Il suffisait de l'enlacer pour qu'elle s'apaise à nouveau dans une torpeur totale. Et il ne pouvait pas avoir conscience du nombre de réveils lors desquels elle restait contre lui jusqu'à ce que la fatigue la rattrape... Mais bon, au moins elle se réveillait dès que quelqu'un passait les pans de leur domaine et le clairon matinal lui convenait tout autant que l'entrainement quotidien qui suivait ses ferventes prières aux aurores.

Le reste du temps, elle était ce qu'elle avait tout fait pour éviter d'être pendant six ans. Avec la disparition d'Urgoll et l'absence de diplomates connaissant mieux la région qu'elle, elle se retrouvait à enchainer les papiers, les missives, les réunions stratégiques et les rencontres diplomatiques avec Sol'Dorn... Un Avatar d'Uriz jouant les gardiens de la paix. Cela lui retournait chaque jour un peu plus l'estomac, mais les Grands Prêtres de la cité assiégée commençaient à céder les uns après les autres. Les moments passés véritablement seule étaient d'une rareté consommée et ceux volés pour être avec Myr'Hennis restaient de petits havres malgré le fait qu'ils soient parfois entamés par leurs prises de bec au sujet des rapports ou des tracas quotidiens. Elle n'arrivait plus à imaginer son quotidien sans lui, tant d'un point de vue personnel que pour l'aide qu'il lui apportait avec les rapports. Pour ne pas abuser de son investissement, elle essayait de rester attentive à ses désirs et à son état malgré ses obligations. Savoir si les résultats étaient probants, c'était une toute autre question cela dit.

En attendant, il y a une chose qui la réveillait toujours à coup sûr, même si ça ne durait parfois que quelques secondes avant qu'elle ne se laisse à nouveau entrainer dans l'abime : sentir son compagnon quitter leur lit. Cette fois ne fit pas exception. Son oreille frémit tandis que la courbure du matelas changeait. Elle entraperçu une silhouette assise et mis encore de longs instants empreints de nombreux bruits anodins, avant d'aligner deux pensées consciente. Le grincement d'une chaise. Les froissements du papier... Elle se redressa sur un coude, repoussant sa chevelure en désordre. Il travaillait ? ... En plein milieu de la nuit ?

Encore mal réveillée, l'ombre se glissa au bord du lit, enjamba machinalement le livre recommandé par Myr'Hennis qu'elle avait commencé six ennéades plus tôt sans trouver assez de temps pour le finir,  et se leva silencieusement. Pas à pas, elle se faufila dans le dos de son infatigable travailleur et l'enlaça doucement par derrière. Elle posa un baiser sur sa joue avant de laisser sa tête se poser sur son épaule.

- Insomnie ? " demanda la voix pâteuse encore ensommeillée. Elle étouffa un immense bâillement contre son propre bras et jeta un œil sur ce qui trônait sur le bureau sans lire ou déchiffrer précisément. " Qu'est-ce que tu écris de beau ? "

Myr’Hennis bougea quelques papiers, il en écarta d’autres du revers de la main et sa langue claqua d’agacement : comment peut-on perdre une carte de cette taille ? Surtout qu’elle n’était pas sensée bouger du bureau et encore moins de la tente. Heureusement cette dernière ne s’était pas volatilisée car l’architecte en repéra le coin caché sous une petite pile de livres, les seuls ouvrages sur l’architecture guerrière qu’il avait pu trouver dans sa bibliothèque qui, pourtant, devait être la plus importante du Puy sur l’architecture en général. Mais bon, ce n’était pas comme s’il participait régulièrement à des sièges alors il ne s’était jamais vraiment penché sur le sujet, laissant ce plaisir au Grand Ingénieur mais maintenant qu’il en avait besoin il se disait qu’en rentrant il devrait régler cette lacune, même si ça serait trop tard. Cela dit il ne doutait pas qu’il y aurait d’autres sièges, il y avait fort à parier que Krish n’abandonne pas son idée de réaliser l’Eda Vengeur le plus tôt possible et il comprenait bien mieux pourquoi depuis ses aveux alors il faisait tout ce qu’il pouvait pour l’aider. En sentant quelqu’un l’enlacer il sursauta légèrement, son cœur rata un battement avant de reprendre un rythme plus ou moins normal, un peu accéléré peut-être. Il hocha lentement la tête pour répondre à sa question.

« Désolé de t’avoir réveillé. Me surprendre commence à devenir une habitude, si je ne t’arrête pas maintenant tu vas me voler ma coupe. » Il hésita un instant à lui dire de retourner se coucher mais elle était assez grande pour le décider seul alors il tourna la tête pour la regarder. « Rien en réalité mais ça a un petit lien avec mon insomnie. » Reportant son attention sur la carte devant lui il se frotta à nouveau les paupières puis il la tira vers lui, par-dessus la page qu’il avait trouvé. « Sol’Dorn n’est qu’une formalité n’est-ce pas ? Le conseil commence à céder et ils doivent bien savoir qu’ils n’obtiendront guère plus de concession de notre part. » Un sourire amusé passa sur ses lèvres. « J’ai entendu dire que certains soldats proposaient de raser la ville pour recommencer sur des bases saines mais ça prendrait bien trop de temps n’est-ce pas ? »

Il ne la laissa pas vraiment répondre, de toute façon c’était une question rhétorique, il avait une vague idée du nombre d’année nécessaire pour reconstruire la ville et puis les bâtiments gouvernementaux se devraient d’être plus grandioses que les précédents, ne serait-ce que pour le message. Et puis après il y avait les temples, les palais de l’élite et surtout l’infrastructure… une moue remplaça son sourire rien qu’à l’idée du casse-tête que ça allait représenter : il y avait peu de chance qu’en rasant la ville les conduites d’eau, par exemple, soient rasées avec alors il devrait se servir du réseau endommagé et incomplet pour faire quelque chose de… potable si on lui passait l’expression.

« Est-ce que tu as réfléchis à l’après Sol’Dorn ? Moi oui, j’y pense beaucoup ces temps-ci d’ailleurs. Vouloir réaliser l’Eda Vengeur est très bien, tu as mon soutien plein et entier mais il va falloir faire des changements et des gros si tu veux y arriver avant le prochain cycle. » Il se retourna pour embrasser sa compagne, ce n’était peut-être pas le moment pour avoir une telle discussion mais l’occasion s’était présentée alors autant la saisir. « Je ne sais pas ce que tu as prévu pour la suite mais il va falloir se mettre à construire un empire si tu veux pouvoir continuer l’expansion eldéenne et te racheter aux yeux d’Uriz. Regarde la Sente Noire, tout est dans le nom. » Son index tapota un endroit au hasard de la route représentée sur la carte. « Il va au moins falloir la paver, si ce n’est pour le commerce alors faisons-le au moins pour permettre aux communications d’être le plus rapide et efficace possible… bon maintenant elle est gardée, c’est déjà ça. De plus les routes sont autant un outil qu’un symbole, c’est un moyen de relier le Puy avec le reste de l’Ithri’Vaan. Mais une seule route ne suffira jamais et vu qu’il est impossible de déplacer le Puy et que personne n’acceptera que Sol’Dorn devienne la capitale politique il va falloir multiplier les routes. Je ne suis pas un soldat mais je suis certain que les Senger seraient content de pouvoir accélérer le déplacement de leurs troupes ou de leur ravitaillement. Il n'y a qu'à voir le temps que j'ai dû attendre avant de recevoir ce que j'ai demandé, si seul les militaires et les triumvirs n'ont pas à attendre on risque d'avoir des problèmes. Enfin ça tu le verras bien avec eux. Et puis si tu veux te servir de Sol’Dorn comme base avancée il va falloir t’assurer que cette fois les dirigeants sont loyaux, dans ces contrés les gens ne sont loyaux qu’à l’or et justement : maintenir un empire ça coûte cher. Très cher. Je comprends bien que diplomatiquement ça passera pas très bien mais il serait peut-être temps d’utiliser la présence de deux osts juste à côté pour forcer les thaaris à signer des traités commerciaux inégaux ? Tenter de les assimiler serait sûrement plus efficace mais je comprends que le temps joue contre nous, contre toi… si reprendre une partie du monde qui nous appartenait autrefois, des territoires avec lesquels nous avons des affinités culturelles, alors qu’est-ce que ça sera pour la Péninsule ou le Zagazorn, sans parler de l’Anaëh, les païens vont représenter un véritable défi, il n’y a qu’à regarder les résultats des guerres passées… »

- Ta coupe est en sécurité pour le moment. " La triumvir se força à remettre en route son esprit fatigué pour écouter consciencieusement les mots de son compagnon. Elle tenta bien de détourner son attention en venant nicher plusieurs langoureux baisers le long de son cou, mais au bout du trois elle du se rendre à l'évidence qui aurait déjà du la frapper : ce qui tournait dans la tête de l'architecte était suffisamment important à ses yeux pour l'empêcher de dormir. Alors, après avoir reçu un baiser, elle vint s'appuyer sur le bord du bureau pour regarder la carte qu'il avait sortit tout en hochant la tête à plusieurs reprise. Oui, Sol'Dorn était une formalité qu'ils se devait de finir en douceur pour avoir le temps de s'implanter correctement. Oui, les soldats étaient avides de destruction mais non, ils ne feraient pas peau neuve sur ce coup là. Oui, elle pensait à la suite. Elle y pensait souvent, même... Mais certainement pas de la même façon que lui. Ça, elle pouvait le jurer avant même qu'il lui explique ce qu'il avait en tête. Et Bingo... Enfin presque bingo puisque la direction qu'il visait était étonnamment raccord avec celle que la Triumvir avait en tête, bien que les points d'attention diffèrent.

Elle se frotta les yeux pour en chasser les derniers éclats de sommeil et écouta encore plus attentivement. Paver la Sente Noire. Ouvrir une seconde voie par terre serait une bonne chose également. Mettre en place un système de surveillance plus pérenne que d'utiliser les cavaliers du Ve Ost, quitte à faire une levée de volontaire juste pour ce travail. Mettre en place des relais ainsi que des colombiers ou assimilés pour faire circuler rapidement l'information.

En plus des axes, fidéliser Sol'Dorn avec de l'or. Contraindre Thaar de céder des accords commerciaux en large faveur des eldéens par la présence de l'armée.

Oui.

oh oui...

Ce qu'elle aurait aimé pouvoir répondre simplement oui.

- Lors des guerres passées nous avons justement essayer d'écraser au lieu de convertir. Sur le moment, ça fonctionne... puis ceux qui ont tenu les rênes de la conquête disparaissent et le pouvoir s'oublie. " commença-t-elle avec un sourire jaune. " Et c'est pour ça que je me retrouve accompagnée de 16 000 hommes, à demander au lieu de prendre. " Elle pointa la sente noire sur la carte, puis le chemin qui passait entre les principauté et la Zurthanie, traversait les plateaux où le Naal prenait sa source, et suivait la côte jusqu'à Esion. " Pour les voies d'accès je suis tout a fait d'accord. Il va falloir pavé, protéger et monter des relais. Mais la sente actuelle est beaucoup trop près de la frontière elfique pour être pérenne si nous ne commençons pas par attaque l'Annon. Nous pourrions la doubler par l'intérieur des plateaux du nord. Cela sera couteux en protection face aux tribus locales mais nous pourrions aussi en ouvrir une troisième le long de la rive et pourquoi pas placer un comptoir eldéen juste au sud de Methylène. " Elle passa les doigts dans ses cheveux et laissa son regard revenir sur Thaar, puis sur le visage de Myr'Hennis. " Construire et consolider le lien entre Sol'Dorn et Elda prendra du temps, j'en ai conscience. Mais si nous ne voulons pas refaire les erreurs de notre première tentative et garder cette première marche vers le reste du monde, c'est avant tout ce lien qu'il faut mettre en place. " Elle caressa la joue de son compagnon du bout des doigts. " Merci de t'en faire pour moi... Et j'aimerai sincèrement pouvoir accélérer les choses en tranchant quelques têtes... Mais je pense sincèrement qu'à nous mettre Thaar à dos, nous ne ferons que refermer un piège à loup. Pour l'instant le Conseil de Thaar est neutre et apprécie plutôt de commercer avec nous, mis à part la grognasse elfique et le nabot. Mais surtout, les Thaaris commencent à accepter l'idée d'un voisinage pacifique. Les Grand Jeu, notre siège sans effusion de sang, nos accords commerciaux légitimes. La population y est sensible. Les bourgeois, les marchand, les guildes locales... Et le Conseil ne peut faire de la propagande contre nous sans montrer une énorme dissension interne puisque je suis toujours une Princesse Marchande et que je m'y rends encore régulièrement pour les sessions courantes. Si nous brusquons les Thaaris, nous nous retrouverons entre un volcan prêt à entrer en éruption au nord, et un autre au sud. Si vraiment nous devions agir, faisons plutôt effondrer les mille caves, répandons une maladie qui ne touche que les nains ou montons les Princes les uns contre les autres avec une série d'assassinats, qu'ils réussissent ou non. Mais tant qu'ils ne mouftent pas et ne font que se plaindre, mieux vaut les garder intacte. " Elle fit une courte pose, rassemblant ses esprits pour repartir sur ce qu'elle avait elle même penser de la suite tout en prenant en compte ce qu'il disait à présent... " Après avoir pris Sol'Dorn, je pensais utiliser le temps qu'il nous faudra pour pacifier et ordonner les seigneuries morcelées pour fidéliser les hautes sphères de la ville et découper ce nouveau territoire en quatre ou cinq provinces d'importances équivalentes... A vrai dire j'essaie encore de me renseigner sur des exemples historiques ou des traités administratifs pour affiner cette idée, mais si nous devons garder main mise sur la région il ne faudra pas simplement de l'argent." Elle croisa les bras sur sa poitrine nue, soufflant un peu pour continuer sur sa lancée. " Je sais que tu vas encore dire que je pense plus en terme de gens que de choses, que je n'ai pas le sens des réalités et que je suis trop confiante, mais à mon sens, l'argent est un confort plus qu'une nécessité. Je pense que pouvons rapidement faire en sorte d'être indépendant d'un point de vue alimentaire, même si ce sera sur le fil du rasoir. Il y a trop de substances rares ou particulièrement dangereuses à acquérir endémiques aux régions sous notre contrôle. Les pierres précieuses et semi-précieuses que nous avons à profusion au Puy ont également une valeur bien supérieur ici. Les Seigneurie Morcelées nous permettront d'avoir une source de revenue ou d'approvisionnement correcte si nous nous investissons pour les faire prospérer, et elles pourront agir comme un tampon entre Sol'Dorn et les terres païennes. " Son coude toujours coller à son flanc, sa main suivait ses explication en de brèves circonvolutions. " A vrai dire, je m'en fait bien plus pour l'organisation du pouvoir... C'est ce qui nous a perdu la dernière fois. Et puisque le mot empire a été lâché... J'étudie la possibilité de mettre en place des gouverneurs pour gérer toute la partie administrative et économique de chaque lieu que nous annexerons, tous au service d'une seule tête. Ça me permettrait de prendre le chemin de l'Aduram sans mettre en péril la stabilité de ce que nous avons déjà acquis. " Altesses ou Majesté, là serait aussi une autre épineuse question à se poser en temps voulus.

Il hocha la tête à sa réponse, tout écraser n’était pas possible, principalement parce que les osts ne pouvaient pas être de partout, le monde est vaste et surtout hostile. Cela dit il pouvait comprendre pourquoi.

« Non, le pouvoir ne s’oublie pas, il change de main et les nouvelles mains qui le détiennent n’ont pas les mêmes priorités, leur attention se concentre sur d’autres problèmes : asseoir leur autorité, concentrer leur pouvoir, ne pas être retrouvé suicidé de trois carreaux dans le dos… par exemple. »

Il lui rendit son sourire puis il tendit les bras pour aller chercher la coupe et la bouteille à moitié vide que les esclaves avaient laissés avant de sortir de la tente et après avoir rempli la coupe en question il en but une gorgée puis il attendit que Krish lui la prenne des doigts avant d’y tremper à nouveau les lèvres. Il haussa les épaules.

« Et bien commençons par l’Annon alors. Cela dit j’imagine mal les elfes sortir de leur forêt mais tu les connais sûrement mieux que moi. » Ce qui n’était pas bien compliqué en réalité, des elfes Myr’Hennis ne savait que ce que sa tante lui avait raconté et ce qu’on lui avait appris lorsqu’il était encore un enfant, c’est-à-dire pas grand-chose. « Pourquoi ne pas tenter de convertir les tribus qui risquent de nous causer tant de problème ? Je suppose que ces sauvages resteront dans leurs montagnes mais tant qu’ils restent chez eux… » il observa la carte et posa sa coupe sur un des coins de celle-ci et il étudia cette partie des plateaux pour déterminer le meilleur tracer pour cette futur route. La caresse de Krish lui fit tourner la tête, le sortant de ses pensées et ce qu’elle luit dit le fit sourire. « C’est bien normal, l’empathie tout ça tout ça… » il la laissa continuer, son sérieux remplaçant son sourire.

Il ne savait rein de Thaar alors il n’avait rien à répondre, il lui faisait confiance, il se contenta donc d’hocher la tête. Pourtant il prit bonne note, la ville l’intéressait grandement, surtout pour les plans qu’il avait en tête. Il profita de la pause prise par sa compagne pour regarder à nouveau la carte et se faire une idée plus précise de la position de chacune des villes critiques pour les intérêts du Puy, la suite de principautés qui longeait l’Oliya évidemment mais aussi Methylène. Il se frotta ensuite une énième fois les yeux alors que Krish reprenait et ses oreilles se dressèrent, il avait du mal à se concentrer alors il reprit une gorgée d’alcool pour se fouetter le sang, il regarda à nouveau la carte : ça l’aidait grandement d’avoir un support visuel. Un petit rire passa ses lèvres, ce n’était pas exactement ce qu’il allait dire mais c’était suffisamment proche pour qu’il ne réponde rien, il pouvait lui accorder ce point-là, ce n’était pas bien grave, ça serait plus simple de lui faire accepter une de ses propositions.

« Oui, bien sûr que l’organisation du pouvoir est le principal problème et c’est pour ça que tu as aussi raison : il faut convertir et non écraser ; construire et non détruire. C’est un empire qui est en train de se reformer et si tu cherches des précédents ou des exemples historiques autant regarder du côté du seul empire qui a tenu la région pendant près de six cycles ; on ne tient pas un tel territoire aussi longtemps seulement par la force. De plus ils n’ont pas disparu depuis si longtemps que ça, si on reprend, en partie en tout cas, leurs institutions pour gouverner et administrer ces nouvelles terres, ça sera bien plus simple à mettre en place, les gens se souviennent probablement encore du joug nisétien, les immortels en tout cas. Taya, si tu me permet d’user de son prénom, parlait bien leur langue… je ne sais pas comment ils s’occupaient de leurs provinces mais mettre en place des gouverneurs risque de poser des problèmes. De gros problèmes. La cause principale desdits problèmes étant le Puy lui-même : il est bien trop loin de l’Ithri’Vaan, c’est très pratique pour se défendre mais ça l’est beaucoup moins pour administrer. Ces distances gigantesques vont rendre impossible une centralisation uniforme de l’empire, les gouverneurs vont devenir de nouveau despotes au mieux et l’équivalent eldéen des seigneurs péninsulaires au pire. Au fil du temps ils vont demander davantage d’autonomie jusqu’à ce qu’une poignée d’entre eux se liguent pour faire comme le conseil théocratique derrière ces murs. » Myr’Hennis se tourna vers l’entrée de la tente et désigna les remparts de Sol’Dorn du menton. Il regarda encore une fois la carte et il s’étira. « Qu’est-ce que tu entends par tampon d’ailleurs ? Tu ne comptes pas intégrer les seigneuries morcelées ? Mais ça peut attendre au moins la prise de Sol’Dorn, en attendant j’ai pensé à quelque chose et je te fais confiance pour la nourriture ainsi que notre autosuffisance dans le domaine. » Sur le sujet la seule chose qui l’intéressait c’était que la nourriture en question passe entre les mains expertes de Ssuorr, le reste il s’en moquait.

« En attendant la prise de Sol’Dorn il nous faut déjà nous assurer un certain contrôle sur Thaar, plus important que celui que tu as déjà. J’ai bien compris que la violence n’est pas une solution acceptable, je ne vais pas te demander d’user des osts… ce qui est bien dommage d’ailleurs car comme tu l’as très justement fait remarquer : les pierres du Puy valent une petite fortune ici et Thaar n’a pas d’armée professionnelle, pas d’armée qui ne nous rejoindrait pas si l’on y met le prix. Mais peu importe, je compte installer à Thaar une petite organisation de mon cru, rien d’officiel, je ne voudrais pas te faire de l’ombre. » Il fit une pause d’une poignée de battements de cœur, le temps d’afficher un sourire goguenard avant de poursuivre. « Durant les jeux j’ai envoyé une poignée de mes gardes se renseigner sur le crime organisé de la ville et je compte m’y faire une place, je ne pense pas que des petits criminels puissent faire face bien longtemps à une milice sous le contrôle direct d’anciens du premier ost. L’ennéade dernière j’ai parlé à Ssol’riss de ce projet et j’aurai son soutien, nous n’avons pas encore réglé les détails mais il partagera avec moi ou mon représentant sur place ce qu’il apprendra, lui ou ses prêtres ; ça réglera le problème de la collecte d’information nécessaire à la survie d’une telle entreprise. Qu’en penses-tu ? »

Un sourire. Infiltrer la pègre de Thaar... " Et bien je dirais que c'est une excellente idée mais qu'il faudra faire attention. " Elle changea d'appui et profita du fait qu'il s'éloigne un peu de sa carte pour venir s'asseoir sur ses genoux, lassant lâchement ses bras autour du cou de Myr'Hennis. " Les Princes Marchands sont ni plus ni moins que des mafieux. Même si c'est loin d'être la totalité et qu'ils passent souvent par des intermédiaires, une partie de ce que la plupart des civilisations considèrent comme la pègre leur appartient. Je peux te donner accès à quelques contrebandiers qui ont survécus à la purge que j'ai perpétré il y a une petite dizaine d'année. Ce ne sont pas les plus influents, mais ils sont très débrouillards. Il va aussi falloir que tu choisisse un angle d'attaque, un service pour lequel sur seras reconnu et un quartier d'influence et que tu te trouve des protecteurs pour éviter d'être évincer par les plus gros poissons avec les soutiens des plus grosses fortunes. Sous estimer les talents des mercenaires et des assassins thaaris serait une erreur. Etre ancien des osts eldéens ne suffira pas pour les prendre de haut, surtout si nous parlons de pur maniement des armes. En plus ils n'auront pas la même cohésion, mais leur capacité d'adaptation est excellente et ils sont capables des pires coups bas. Il faut aussi se souvenir qu'une partie du 'crime organisé' a pignon sur rue. Les guildes d'assassin ou de lame-louées par exemple, sont totalement acceptées derrière un vernis des plus risibles. Après j'avoue que je ne suis pas une experte en petites entreprises, qu'elles soient légales ou non... "

Elle réfléchissait presque à voix haute. Quand elle avait commencer à placer son affaire, Thaar était encore un petit comptoir autour d'un port minuscule. Elle n'avait jamais eu à subir de plein fouet la concurrence qui existe entre les plus petits pour se faire une place simplement suffisante pour survivre, bien qu'elle connaisse de très près celle ayant lieu dans les hautes sphères et qui était tout aussi mortelle pour bien d'autres raisons.

- Depuis que j'ai annoncer mon titre de Triumvir au Conseil, ils ont aussi pris soin de redresser le Guet. Ses hommes ne sont plus aussi corruptibles qu'avant. Ils ne rackettent plus aussi souvent les petits commerces pour leur protection. Ils effectuent même de vrai enquêtes. " ajouta-t-elle en ricanant. Si elle donnait les informations dont elle disposait et qu'elle pointait plusieurs points de danger, elle n'en était pas moins heureuse de voir son compagnon prendre des initiatives de ce genre, même risquées... surtout risquées. Il tentait toujours de voir un coup plus loin et elle en éprouvait un respect à chaque fois renouvelé malgré la fatigue que cela pouvait représenter parfois. " Et tu comptes faire quoi avec ton empire du crime ? "

« Faire attention… ça ne te ressemble pas. » Il l’enlaça alors qu’elle se plaçait sur ses genoux puis il alla prendre la coupe qu’il avait délaissé pour avaler une gorgée. Il écouta ensuite attentivement et, sentant la fatigue le rattraper doucement il prit la feuille qu’il avait isolé avant que sa compagne ne se lève pour y écrire, du bout des doigts puis il chercha une plume et de l’encre pour prendre quelques notes ; s’eut été dommage d’oublier une partie de ce qu’elle lui disait le lendemain. Ecrire ainsi n’était pas vraiment dans ses habitudes mais ses habitudes étaient déjà chamboulées depuis deux ans maintenant alors il n’était plus à ça près. Le grattement de la plume sur le parchemin accompagnait les paroles de Krish que Myr’Hennis buvait comme du Sseren. La remarque sur la garde le fit rire, le faisant arrêter d’écrire pendant quelques secondes avant de reprendre où il s’était arrêté.

« Que va-t-on devenir si la garde se met à prendre son travail au sérieux ? » A la question de sa chère et tendre il haussa les épaules. « L’utiliser pour abolir le Conseil, devenir le maître incontesté de Thaar, ce genre de chose. Et puis tu te construits un empire il m’en faut bien un aussi, je pense qu’empereur est un titre qui me siérait tout particulièrement. » Il fit suivre sa remarque d’un sourire moqueur avant de poursuivre. « Plus sérieusement mon ambition est simplement d’étendre notre influence, les intérêts du Puy se doivent d’être protégés à l’étranger et je crains que lorsque ce sera nécessaire le Conseil fera tout ce qui est en son pouvoir pour te bloquer, si ce n’est pas déjà le cas. Donc je me dis qu’avoir des gens à Thaar sur lesquels le Conseil n’a pas de droit de regard me semble être une bonne idée et puis c’est toujours utile si ça tourne mal. Cela dit j’aimerai bien commencer gros mais ça risque d’attirer l’attention. » Son sourire moqueur revint quelques instants avant qu’il n’avale une autre gorgée.

« Je prends bonne note, si tu me permets l’expression, notamment sur le fait que je sous-estime les thaaris. J’avais hésité avec le racket et visiblement je ne risque pas de faire tant de concurrence que ça au Guet mais je ne crache pas sur les contrebandiers que tu n’as pas éliminés, je connais tous les passages du Puy et à terme j’aimerai pouvoir me vanter de la même chose pour Thaar alors la contrebande me semble un bon début ; après tout c’est une couverture comme une autre. En réalité ce n’est pas vraiment pour l’argent, ma fortune personnelle me suffit amplement, comme tu l’as si bien dit : celui qui s’est chargé des réparations du temple du Destructeur est un vrai requin. Mais bon si je peux faire rentrer quelques pierres via ma futur Guilde des Contrebandiers Extraordinaires de Thaar et d’Ithri’Vaan pour me faire de l’argent sans payer de taxe je ne vais pas me gêner ; pourquoi ne pas mêler l’utile à l’agréable après tout ? Pour le coup je ne compte pas gérer directement cette entreprise, ou alors de loin, je jouerai le rôle de la grosse fortune soutenant cette bande d’ambitieux cherchant à se faire une place. D’ailleurs si tu as un quartier en particulier à me recommander, si tu as d’autres contacts qui pourraient m’être utile… ce genre de chose, je suis tout ouïe. »

Le nom la fit rire et l'application avec laquelle il prenait des notes la rassura un peu sur son début du plan. Elle avait confiance et si son idée aboutissait, ils pourraient avoir des points d'entrée discrets dans lesquels elle ne tremperait pas du tout. C'était une excellente chose, surtout  avec les nouvelles des actions de Milynéa et des elfes.

- Voyons voyons... Déjà j'espère que tu vas réussir parce que ce serait en effet un nouveau point d'entré indépendant de la surveillance qui pèse sur ma pomme. En suite ça m'étonnerait que tu gagnes quoi que ce soit de plus que faire vivre tes gars pendant un certain temps. Et enfin, par pitié, met une armée d'hommes de pailles crédibles entre toi et cette fameuse guilde, même au niveau des investissement financiers que tu y fera. Si le Conseil fini par infiltrer ton œuvre, je préfèrerais qu'ils ne puissent pas remonter jusqu'à toi... et ce sont de fins limiers en ce qui concerne l'argent. " ajouta-t-elle avec un moue moqueuse. Le genre de chose qui allait sans dite mais qui allaient encore mieux en le disant. Tant pis s'il prenait la mouche, au moins elle pourrait dormir sur ses deux oreilles en sachant que l'idée lui avait traversé l'esprit. Elle attrapa la coupe pour en boire une gorgée avant de la reposer loin de la feuille sur laquelle Myr'Hennis prenait des notes à l'encre... Pourquoi pas avec un bête morceau de fusain, ça c'était un mystère qu'elle n'éclaircirait surement pas de si tôt. " Pour le quartier je ne sais pas trop... Les Lanternes et le Bazar abritent beaucoup de petites bandes et ont une hiérarchie assez codifiée mais ça te permettrait de ne pas te retrouver tout de suite face aux plus gros poissons. Sinon, selon comment tu veux acheminer ta marchandise, pourquoi pas tabler sur les Dock maritimes ou n'importe ou le long des bras de l'Oliya. Mais ce ne sont que des idées, je laisse ce genre de détails à mes contacts d'habitude. " Après un moment de réflexion pensive, Krish lui donna les adresses de trois receleurs des docks et de la basse ville qui avaient échappés de très peu à la lus de flèches qui avaient atteint les trafiquant d'armes. Une taverne, une maison de jeu et un marchand d'herbes à fumer. Et puis il y avait Gorgerin, le contrebandier qui lui servait d'entrée dans les endroits louches. " Mais il vaudrait mieux monter ton réseau de façon totalement indépendante du mien, non ? "

« De toute façon le profit n’est pas le but. » Répondit-il en haussant les épaules. Il hocha ensuite la tête, il n’avait pas vraiment complétement réfléchi à la façon de gérer sa guilde mais il avait tout de même une idée, il la changea donc afin de prendre compte de l’avertissement de Krish.

« Oui, il vaudrait mieux, mais de toute façon je ne compte pas glisser ton nom pour me faciliter la vie. Ça serait contreproductif. Ma question visait surtout à te faire partager tes sagesses avec quelqu’un qui ne connait absolument pas la ville. Pour les hommes de paille qui t’inquiètent tant je vais en intégrer dans l’organisation même de la guilde du coup ça va changer ce que j’avais prévu mais ce n’est pas bien grave, c’est aussi pour ça que je t’en parle avant de faire quoi que ce soit. » Il déposa un baiser sur les lèvres de sa compagne. « J’avais pensé à la traditionnelle organisation pyramidale mais tu as raison, mieux vaut être prudent. Enfin, l’organisation de la guilde en elle-même ne changera pas, même si le nom va changer ne t’inquiète pas. J’envisage la guilde, sûrement de mercenaire ou quelque chose du style, davantage comme une sorte de couverture pour les cellules semi-indépendantes de contrebandier. Ou bien je pourrais faire une banque… » il regarda ses notes du coin de l’œil alors qu’il réfléchissait puis il regarda à nouveau Krish. « L’esclavage de dette est-il en vigueur à Thaar ? J’ai aussi pensé à une alternative… » un sourire carnassier passa sur ses lèvres alors qu’il choisissait ses mots. « Disons amusante bien que dangereuse. D’aucun diraient trop dangereuse : créer une guilde qui s’occupe d’éteindre les incendies. Ça serait plus simple si le Guet ne s’occupe pas des incendies cela dit. Si un feu se déclare le maître de guilde peut envoyer des gens pour négocier l’extinction de l’incendie, si le potentiel client refuse et que le Guet n’est pas assez rapide, compétent ou payé et bien je pourrais acquérir une ruine calcinée sur laquelle construire ce que je veux… comme une succursale de la guilde par exemple. Ou un temple de Tesso. Ou des entrepôts pour mes contrebandiers. Ou un palais… enfin je suppose que tu as compris le principe. Et puis je pourrais peut-être passer un marché avec les habitants du quartier dans lequel je vais m’installer, ils payent une somme tous les… mois ? Deux mois peut-être et en échange si un feu se déclare chez eux il est directement éteint sans négociation… et sur le même principe ceux qui payent davantage pourraient avoir une clause dans leur contrat qui stipule que la guilde s’engage a s’occuper des réparations voir de reconstruire leur demeure, atelier ou entrepôt dans le pire des cas. » En se rendant compte de ce qu’il disait un gloussement passa ses lèvres. « Si on met de côté la partie contrebande ça fait très… légal finalement. »

Des extincteurs de feu... C'était inattendu... et assez bien pensé. La première réflexion de l'elfe noire alla aux dommages qu'il pourrait faire s'il se laissait tenté par du racket, mais elle l'avait déjà prévenu pour le Guet et le reste n'était qu'un risque qu'aucun Thaari un peu débrouillard aurait dédaigné. " Des tarifs fixes pour avoir l'assurance d'une aide et de compensations en cas de problème... Tu as de ces idées parfois. " Taquine, elle s'en trouvait à nouveau surprise et ses traits ne le cachaient pas. La façon de faire n'était pas stupide et méritait d'être tentée, même si elle n'était pas certaine de l'utilité. Une sorte de contrat d'assurance de réparation... C'était farfelu.

- Et parfaitement légales, oui. Rien qu'avec ça tu pourrais bien te faire un réseau. " gloussa-t-elle à son tour. Ses yeux fatigués mais alertes tombèrent une fois de plus sur la carte. " Mais pourquoi tu t'intéresses davantage à l'intérieur de Thaar qu'à l'intérieur du Sol'Dorn ? " En retrouvant le regard de Myr'Hennis, elle se rendit compte du reproche latent avec lequel pouvait être confondus sa dernière question et tordit le nez. " Ce n'est pas une question piège. Puisque tu as assisté à presque toutes les entrevues avec les Dorniens, je me demandais seulement pourquoi tu as l'air plus inquiet pour Thaar que pour la résistance discrète que nous aurons sûrement à Sol'Dorn une fois en place. "

Ils en avaient déjà discuté à mi-mot sans qu'elle ne s'épanche réellement ou qu'ils abordent sérieusement la question. Le titre de Reine ou d'Impératrice ne tentait pas la Prime Feu pour deux ronds... Mais elle était convaincue que le Triumvirat était un échec. Comme elle avait commencé à le dévoiler, quelques idées folâtres rodaient au coin de son esprit et s'effilochaient au fur et à mesure qu'on y ajoutait de nouvelles perspectives d’embêtements. Elle jouait sans y penser avec les mèches tombées sous ses doigts. " Et puis... ça veut dire que tu projettes de rester dans la région une fois que les portes de Sol'Dorn auront été ouvertes ? "

Il haussa simplement les épaules. « Je te l’accorde ça peut paraître absurde… et ça l’est sûrement mais l’objectif est d’apprendre à connaître Thaar et si ça peut me permettre d’en reconstruire une partie selon mon bon vouloir, de prendre le contrôle d’une partie de la ville alors pourquoi pas ? »

Il hocha la tête lorsqu’elle confirma ce qu’il pensait et l’architecte reprit la coupe entre ses doigts pour en boire une énième gorgée pendant qu’elle regardait la carte et en entendant la question qui suivit il faillit s’étouffer. Il s’éclaircit la gorge, la laissant continuer. Pour lui c’était évident mais trop souvent il oubliait que ce qui était évident pour lui ne l’était pas forcément pour d’autres. Il faut dire que tout le monde n’a pas la chance d’avoir son esprit. D’ailleurs il espérait qu’il était le seul à l’avoir et d’aucun diraient que ce n’était pas plus mal mais s’inquiéter de l’opinion des médisants sur sa personne n’était pas vraiment ce qui intéressait Myr’Hennis.

« Je… une chose à la fois tu veux bien ? » Il avala calmement une poignée de gorgée avant de reposer la coupe pour reprendre, humectant ses lèvres légèrement gercées au passage. « Je ne m’intéresse pas vraiment à Sol’Dorn parce que je sais que tu vas t’en occuper et que je risque de te gêner en tentant quelque chose, je préfère rester à ta disposition pour tout ce dont tu aurais besoin plutôt que de risquer de te mettre des bâtons dans les roues par inadvertance. Je ne m’inquiète pas vraiment pour la résistance dornienne non plus, elle se cantonnera aux ombres, comme celle du Puy, et même s’il n’est pas impossible qu’elle se fasse virulente quelques temps, je donne quelques ennéades, peut-être quelques mois, pour que les quelques récalcitrants finissent par venir te manger dans la main. Tu pourras faire ce que tu veux de Sol’Dorn, tu pourras transformer la ville en ton domaine personnelle, en ton fief comme disent les péninsulaires, si ça te chante ; tu pourras être aussi tyrannique que tu le désires, à Sol’Dorn. Mais à Thaar… » il s’arrêta un instant pour choisir ses mots. « A Thaar tu n’es qu’une voix parmi d’autres, à Thaar tu dois te battre pour obtenir l’aval de tes pairs pour faire quoi que ce soit. Une chose qui va être de plus en plus difficile à obtenir une fois Sol’Dorn tombée entre nos mains. On peut assiéger Sol’Dorn et forcer la ville à se soumettre, ses habitants vont résister un temps avant d’accepter leur sort et je ne doute pas qu’ils vont se rendre compte qu’ils ont fait le bon choix en se rendant mais avec Thaar c’est impossible. C’est pour ça que je m’y intéresse plus qu’à Sol’Dorn mais si tu veux que je me concentre sur les dorniens, tu n’as qu’un mot à dire, tes désirs sont des ordres, ussta valsharess. » Son sourire narquois ne resta pas longtemps à la vue de sa compagne, il disparut rapidement, caché derrière la coupe à laquelle il trempa les lèvres.

« Pour répondre à ta dernière question : non je ne compte pas rester. Non pas que je ne le veux pas mais il faut vraiment que je rentre au Puy. Il me faut trouver un nouvel apprenti et peut-être que j’en prendrais un troisième, pour compliquer la vie du second. Et puis il faut que j’écrase les primas une bonne fois pour toute, je ne peux pas les laisser redevenir une telle menace ; j’ai été chanceux que tu sois là mais seuls les dieux savent où tu seras la prochaine fois… mais si tu as besoin de moi je resterai, tout ça peut attendre et puis tes plans sont plus importants que les miens, qu’as-tu prévu de faire une fois que Sol’Dorn sera tombée entre tes jolies mains ? » Il prit la main droite de Krish et l'embrassa.

Bon... Au moins il ne s'était pas étouffé avec son verre. La façon dont il parlait de la futur suprématie de sa moitié sur Sol'Dorn était bien trop théâtrale pour être prise au sérieux, mais son regard n'était pas particulièrement joueur. Et il y avait une telle évidence dans ses caresses verbales qu'elle se prit à ne pas avoir cillé, captivée par sa prédiction. Enjôleur sans peut-être en avoir conscience, un léger frisson remonta le long du dos dénudé de la triumvir.

Elle ne se fendit d'une quelconque expression autre que cette attention magnétique que lorsqu'il lui donna encore du titre pompeux. Un sourire qui était passé par bien des phases durant les derniers mois. D'abord goguenard et irrité, l'agacement en était peu à peu parti. Puis l'amusement ironique n'avait pu s'empêcher de se teinter d'une pointe d’appréciation. Le timbre qu'il employait avait toujours une infinité de nuances. Elle aimait la façon dont les sonorités de leur langue natale roulait sur celle du jeune homme lorsqu'il prononçait ce mot en la tenant contre lui. Son air narquois n'y enlevait rien, bien au contraire.

Avant qu'il ait pu prendre une gorgée à la coupe qu'il tenait, elle l'écarta doucement en glissant le revers de sa main contre le poignet de Myr'Hennis. A la place de l'alcool, ce furent les lèvres de l'eldéenne qui épousèrent la forme de son sourire... Et puis qu'elle n'avait qu'un mot à dire, elle ne dit pas un mot.

Pourtant, elle aurait peut-être du pour l'empêcher de continuer... La première phrase suffit à éteindre l'éclat joueur dans son iris moucheté d'or. Elle ne se détourna pas, cependant. Il avait mis ses plans en pause pendant toute une année sur un coup de tête. Bien qu'elle doute sérieusement de sa victoire dans les prochaines décennies, chaque essai promettait d'être des plus intéressants, alors elle ne pouvait qu'être fière d'être aimée d'un tel homme... Mais ses besoins, ses désirs, ses prédictions et ses plans étaient en contradictions sur bien des points. Elle laissa sa main dans la sienne et posa la tête au creux de son épaule en soupirant.

- J'ai prévu de consolider notre emprise sur la région en installant un gouvernement local, tout en envoyant l'armée sur Naelis en passant juste au nord des Sept-Monts, dans les frondaisons de l'Aduram. Et si j'ai insisté pour que tu fasses parti des délibérations quotidiennes depuis notre arrivée, je suppose que c'est parce que j'aurai voulu que ce soit toi qui fasse de Sol'Dorn ton fief personnel. Quelqu'un de suffisamment intelligent, loyal, religieux et buté pour pouvoir mater la ville sans se faire corrompre et correspondre avec les Thaaris sans leur faire peur puisque tu n'es pas militaire. Mais... ce serait un mensonge de te dire que ce n'est pas également pour te savoir plus proche. " murmura-t-elle à mi voix sans se redresser. Tant pis, elle aurait quelques mots d'enfant, une envie qu'elle ne ferait pas tout pour assouvir. Un caprice qui n'avait pas lieu d'être. Le bras passé autour de son cou se serra cupidement. " Je veux te garder près de moi. "

Lorsqu’elle soupira il baissa la tête et la serra contre lui, caressant doucement son épaule. Alors qu’il écoutait ce qu’elle disait ses yeux passèrent de la triumvir à la carte étalée sur la sur la table pour avoir une idée claire de ce qu’elle prévoyait et ses sourcils se froncèrent. C’était dangereux et il se demandait comment le Conseil de Thaar allait le prendre, comment il allait être nécessaire de le tourner pour qu’ils acceptent… là il n’était plus question de reprendre une ville qui furent la leur, pour Sol’Dorn il était possible de passer pour des libérateurs venu sauver la population d’un conseil tyrannique et du joug des despotes ; quelle raison Krish allait trouver pour éviter de s’aliéner ses pairs ? Après tout Naelis se trouvait à la frontière de bien des puissances dont il fallait se méfier, c’était d’ailleurs sûrement ce qui lui avait permis de survivre jusqu’ici, il y avait donc fort à parier que ce petit royaume savait jouer sur le statut quo pour survivre. De plus le chemin pour y arriver était… ses yeux quittèrent la carte pour revenir sur sa compagne, la surprise facilement lisible dans ses yeux rouges.

En sentant le bras de Krish se serrer il l’imita, la pressant un peu plus tendrement contre lui, opposant une certaine sérénité à l’avarice de sa compagne, rien ne pressait, rien n’était encore décidé, il n’était pas encore parti. Cependant même s’il aurait aimé la rassurer il avait un serment à tenir mais il pouvait toujours tenter de trouver une solution, aussi bancale soit-elle.

« J’aimerai tellement te dire oui sans réserve mais… » ses yeux se posèrent sur la carte, plus précisément sur le Vatna. « Mais un Grand Architecte qui n’est plus au Puy ? En temps normal ça ne serait pas un problème, je donnerai ma place à un de mes apprentis, après tout c’est bien à ça qu’ils servent mais là je n’ai qu’une seule apprentie et je ne suis pas certain de vouloir la voir prendre ma place. » Et puis il avait toujours des comptes à régler avec les primas mais il ne voulait pas vraiment le mentionner, ça faisait mesquin, ç’aurait été un peu puéril aussi. « Mais ce n’est pas impossible pour autant, je devrais simplement faire des allers-retours fréquents entre Sol’Dorn et notre magnifique Cité Magmatique. Je prendrais ma garde personnelle, le prochain Grand Architecte devra se constituer la sienne, ça laissera le temps à Viconia de s’assurer de sa loyauté sans avoir à s’inquiéter ; je laisserai Plynnil pour m’assurer d’avoir quelqu’un de loyal sur place, en faire une sorte d’espion, et puis ça me permettra d’être certain que mon remplaçant ne fait pas n’importe quoi. »

Il prendrait Mililwen avec lui pour être certain que Shyn’tae ne profite pas de son départ pour la récupérer facilement et puis il aurait sûrement besoin d’une esclave docile et qui pourrait, à terme, remplacer Plynnil même s’il lui faudrait sans doute une décennie ou deux avant d’arriver au niveau de l’assistante actuelle de Myr’Hennis. Toutefois ce dernier ne pouvait pas s’empêcher de penser que diviser ses forces était une mauvaise idée, il avait perdu Vaervy et maintenant il allait abandonner Plynnil derrière lui, à ce rythme il se retrouverait seul dans une Sol’Dorn sûrement hostile. Mais il lui suffisait de reporter son attention sur Krish pour que ses réticences disparaissent comme les dernières bribes d’un rêve merveilleux au réveil. Il retint un soupir et il lutta contre l’envie d’aller chercher la coupe qui l’attendait patiemment sur la table ; ce n’était pas spécialement compliqué d’y résister pour une fois, ça voulait dire lâcher son aimée et même si c’était pendant quelques instants il préférait rester avec la gorge sèche.

« Est-ce que ça te paraît faisable ? »

- Ne me tente pas... " gronda-t-elle dans un soupir, toujours dans son cou. Qu'il tente de concilier toutes leurs idées contradictoires était un plaisir doux amer. Mais un plaisir tout de même. Ils n'y étaient pas encore, inutile de se miner pour ça après tout... Pourtant, sans l'idée qu'elle avait trouvé pour se tromper elle-même, elle aurait mi beaucoup moins d'entrain à faire céder les Dorniens. Peut-être était-ce même un peu pour ça que certaines parties de la négociation avaient trainées. Enfin, il faudrait bien faire avec et voir ce qu'il en ressortirait.

- Tes ambitions n'ont pas à souffrir de mes caprices et tu es très clair sur ton envie de retourner au Puy. On sait tous les deux qu'il te faudra des mois, peut-être des années, ne serait-ce que pour rétablir une situation vraiment stable autour du poste de Grand Architecte et résoudre les problèmes avec les Primas Sanguis. Je me suis déjà tellement reposée sur toi ces derniers mois, je ne peux pas indéfiniment t'en demander plus. " Un gloussement chatouilla la peau cendrée de l'eldéen. " Et puis, deux allé-retours du Puy à Sol'Dorn et tu me maudirais pour les trois prochains siècles. " Peau contre peau, elle respirait paisiblement son odeur. Il y avait juste une petite chose... " Je te demande seulement de te souvenir que ta vie compte pour moi et de modérer les risques que tu prends en conséquence... et ça vaut aussi pour tout ce que tu comptes tenter à Thaar. " termina-t-elle, son ton soudain plus décidé, près à argumenter si c'était nécessaire. S'il ne connaissait plus la peur depuis bien longtemps, elle s'autorisait parfois à être prudente pour deux histoire d'équilibrer. Elle évitait de l'enquiquiner avec ça, mais elle jugeait qu'une piqûre de rappel n'était pas inutile cette fois. " Du moment que tu gardes ça dans un coin de ta tête, tu as mon soutien pour tout ce que tu veux entreprendre. "

Ce fut à son tour de soupirer. Il savait bien que ça allait prendre des années pour que ses relations avec les primas se stabilisent un peu, sans parler de prendre l’ascendant sur eux. De toute façon il ne pouvait pas se permettre de déclencher une sorte de guerre de voisinage, ça risquait d’être mauvais pour tout le monde, même s’il s’était trouvé dans une position de force comme c’était le cas avant de partir pour Sol’Dorn, position qui de toute façon avait été érodé pendant près d’un an pour au final être sûrement affaiblie, sûrement plus qu’avant qu’il ne parte ; sa prise sur le Prime Quartier s’était sans aucun doute relâchée après son départ, l’éloignement oblige. Abandonner l’idée de se venger n’était pas spécialement quelque chose tout particulièrement qui le tentait mais c’était sans doute la plus… raisonnable. La plus utile au bien commun également, mettre ses talents au service d’une poursuite aussi vaine que temporaire n’aiderait personne, pas même Myr’Hennis au final alors autant faire quelque chose qui puisse être utile. De plus au fond de lui quelque chose lui susurrait que s’il ne pouvait pas laisser une marque indélébile au Puy au moins il pourrait essayer à Sol’Dorn et puis c’était peut-être un début, il se plaignait qu’être Grand Architecte ne lui permettait pas defaire quoi que ce soit qui puisse faire en sorte qu’on se souvienne de lui mais là il avait une opportunité de changer ce triste état de fait.

« Ce n’est pas vraiment quelque chose que je pensais dire aussi souvent mais : tu as raison. Ça va me prendre longtemps, trop longtemps et quand j’y arriverai enfin je ne sais même pas si ça vaudra toujours le coup. Si j’y arrive. Et puis je serai chanceux d’arriver à maîtriser les primas quelques années… de plus si je dois recommencer à chaque fois ça va vite devenir pénible. Mais je ne peux pas te laisser dire que ce sont de simples caprices, comme je l’ai dit à Ssol’riss : qu’y’a-t-il de plus important que réaliser l’Eda Vengeur ? Si ça te dérange vraiment considère que c’est ma façon de te remercier pour m’avoir sauvé la vie. Si tu juges que faire les aller-retours n’est pas faisable je peux toujours… acheter la paix si je puis dire : laisser Nath’Ryna prendre la relève tout en m’assurant que la garde me reste loyale au cas où elle tente quelque chose, ce qui ne devrait pas être trop compliqué au vu des derniers évènements. Le plus compliqué sera de transporter la maquette pour être certain qu’elle ne tombe pas dessus… mais je ne doute pas que tu trouveras une nouvelle cachette qui conviendra très bien à quelque chose d’aussi précieux et qui sait, peut-être que ça servira à quelqu’un, comme les repentis que tu as laissé au Puy par exemple, si jamais la nouvelle Grand Architecte commencer à poser quelques problèmes ; avant mon départ j’ajouterai à la maquette tous les passages que je connais et qui n’y figurent pas encore, ceux des temples, de l’Etat-Major et de ma villa pour ne citer que ceux-là. »

- Tu ne me dois rien. " gronda-t-elle. Elle lui avait évité un problème avec sa garde un an auparavant et déjà à l'époque elle se rebiffait quand il sous-entendait qu'il lui ne devait une. Si vraiment il voulait compter, elle avait failli le tuer quelques jours plus tôt, alors ils étaient quitte. " Évidement que je serais heureuse que tu restes pour tenter l'aventure, mais je veux avant tout que tu fasses ce que tu as envie de faire. Pas pour moi, mais pour toi. Ou que tu sois tu serviras l'Eda Vengeur, je n'en ai aucun doute. Ici, ou là-bas. "

Elle fronça les sourcils. Non, elle ne considérait pas que des allé retours seraient impossibles ou même qu'il devait obtenir son autorisation pour faire de telles choses, quelle que soit sa décision. Il changeait si vite de projet, déjà près à passer le flambeau de son titre de Grand Architecte... " On lui trouvera un endroit sûr si tu choisis de rester à Sol'Dorn. Mais je te l'ai dit, je n'ai que les grandes lignes de l'organisation en tête, quelques idées venues des satarques Nisetiens. Ce n'est pas le genre de décision qui se prend sur un coup de tête à trois heures du matin, tu ne crois pas ? " Toujours calée au creux de son épaule, elle embrassa la peau cendrée du cou de Myr'Hennis avant de la pincer légèrement entre ses dents.

Le fait qu’il ne lui doive rien était discutable et il avait d’ailleurs voulu en discuter quelques fois mais la discussion en question tournait généralement vite court. Ce qui n’était pas forcément plus mal mais tout de même, Myr’Hennis se sentait redevable et à chaque fois qu’il y pensait cette sensation revenait au galop, toujours plus irritante. Il doutait cependant être d’une quelconque utilité au Puy, en tout cas pour l’Eda Vengeur et après s’en être pris au Feu d’Uriz il se doutait qu’il n’aurait pas droit à une place au Nahali. Déjà qu’il avait fait une fois preuve de lâcheté, et puis à en croire les qualités requises pour que Teiweon prenne quelqu’un par la main et le guide jusqu’au palais des élus, Myr’Hennis était loin d’y mériter sa place ; pour le moment il cherchait simplement à ne pas terminer dans les P’leik, incertain même de mériter sa place à l’Elginyrr. La question de l’au-delà le terrifiait là où la question des traces qu’il laisserait derrière lui sur Miradelphia le préoccupait tout particulièrement. Que ferait-il s’il était simplement laissé au milieu ? Pas digne de l’Elginyrr mais pas assez infame pour les P’leik ? Et puis que dire de ces accomplissements terrestres ?

La coupe lui faisait de l’œil avec toujours plus d’insistance, alors que la main qui ceinturait Krish commençait, doigt par doigt, à quitter la peau de sa compagne dans l’unique objectif de s’humecter les lèvres et de se réchauffer le gosier et la Flamme, son attention fut distraite par un baiser ainsi qu’une petite morsure qui arrêtèrent net son geste. Il se rendit compte que son cœur avait accéléré ses battements sans qu’il ne sache pourquoi, il ne savait pas vraiment depuis combien de temps non plus, sûrement peu sinon sa compagne l’aurait probablement entendu. Peut-être était-ce pour ça qu’elle s’attaquait à sa jugulaire. Par habitude plus qu’autre chose il pencha la tête pour laisser davantage de son cou libre puis il tenta de ralentir son cœur en se forçant à ralentir sa respiration.

« Les désirs de ma reine sont des ordres et ses ordres sont ce que je désire. » Son sourire joueur était revenue tandis que sa main qui lui caressait l’épaule se mit à devenir plus langoureuse alors qu’elle descendait lentement de son bras. « Tu serais surprise du nombre de bonnes décisions qui sont prises à trois heures du matin. » Sans doute que Myr’Hennis aussi serait surpris, lui qui, avant le siège, dormais à cette heure-là. Ainsi les bonnes idées, lorsqu’il en avait, n’étaient décidé que plus tard mais ce n’était pas le style du Grand Architecte de laisser ce genre de détail se mettre en travers d’un peu de rhétorique.

Il la laissa l’aguicher en dévoilant un peu plus son cou d'un léger mouvement de tête. Cela ne méritait pas moins que la dévotion habituelle avec laquelle elle répondait à ce genre de signe. Qu'ils aillent plus loin ou non n'avait pas grande importante... pas toujours grande importance. Lorsqu'elle cessa d'effleurer la peau de son amant du bout des lèvres, ce fut pour réprimer un éclat de rire. Le pouls de Myr'Hennis lui semblait rapide et il était toujours aussi grandiloquent avec sa reine...

Les mots qu'ils venaient d'échanger tournaient encore dans l'esprit de l'eldéenne. Son prochain départ hypothétique... Et ses réflexions sur le fait de rester. Dans les prochains jours, nul doute qu'elle réfléchirait et discuterait des détails de la mise en place de gouverneurs locaux avec les membres de l'état major et la liste d'illustres conseillers dont le Grand Architecte occupait le premier rang. C'était une nouvelle motivation pour parfaitement ficeler le projet... Et pour faire en sorte que Ssassha soit définitivement de leur côté. Avec la vieille prêtresse comme conseillère pour connaitre un peu mieux la ville et un certain haut-prêtre pour compléter le tableau et garder Thaar à l’œil, l'arrière pourrait bien devenir plus stable encore que dans leurs prévisions optimistes.

Une langoureuse caresse lui rappela qu'elle aurait le temps d'y penser. Plus tard de préférence. " Et quelles sont ces bonnes décisions qui se prennent au cœur de la nuit, mon cher roi ? " murmura-t-elle à l'angle de sa mâchoire.

Sa main continua de lentement descendre le long du bras de Krish jusqu’à arriver à son coude où elle s’arrêta tandis que l’autre main descendait également, partant des reins de la triumvir sans cesser de l’effleurer jusqu’à arriver au genou, dégustant pour la énième fois le grain de la peau de son aimée ; il changea ensuite d’appui pour passer son bras sous les genoux de Krish, son autre bras passant déjà dans son dos il n’eut qu’à se lever pour prendre sa compagne avec lui.

« En réalité il n’y en a qu’une qui puisse se prendre à une heure si tardive, ilta val, surtout après une journée aussi éreintante et un lendemain qui promet d’être aussi chargé, si ce n’est pire : aller dormir. » Il avança jusqu’au lit alors qu’il parlait, regardant toujours les doux yeux rouges pailletés d’or de celle qu’il tenait dans ses bras, un sourire moqueur toujours accroché aux lèvres. « Je sais que tu n’as pas sommeil mais rassures-toi je ne compte pas te laisser seule et j’ai une idée pour te fatiguer suffisamment pour que tu t’endormes rapidement. » Il déposa la triumvir sur le lit avant de s’y allonger lui-même de tout son long sur le ventre. « Je suis horriblement stressé et tu n’as pas sommeil, un massage ferait d’une pierre deux coups. » Plaçant sa tête entre ses bras il faisait ce qu’il pouvait pour paraître le plus sérieux possible, profitant de cette position pour cacher son sourire. « Ne me remercie pas, je sers l’Eda Vengeur comme me le permettent mes piètres capacités. »

Non pas qu'il soit particulièrement stressé, en réalité la discussion qu'ils avaient eu l'avait soulagé, une partie non négligeable du poids qui lui écrasait la poitrine était parti ; même si de nouvelles questions s’étaient posées qui n’avaient pas eu la chance de recevoir de réponses au moins les préoccupations qui l’avait empêché de dormir en avait reçu, des réponses, et le sommeil commençait à lentement le rattraper. Il étouffa un bâillement et espérait que ça ne s’entende pas mais si c’était le cas peu importait réellement, ce qui importait réellement c’était qu’il ne s’endorme pas si elle acceptait de le masser.

Par réflexe, elle attrapa un peu plus fermement les épaules de son compagnon lorsqu'il se leva en la taquinant. Elle lâcha quelque gloussements et tenta d'en placer une, mais il lui coupa la parole sans vergogne pour lui glisser quelques alléchantes allégations. Pour une fois qu'elle était à la bonne hauteur, elle vint l'embrasser langoureusement alors qu'il arrivait à côté du lit. Sa main laissa doucement son point d'encrage pour caresser distraitement le pectoral du jeune homme et elle se laissa faire lorsqu'il la déposa sur le matelas qu'ils partageaient.

Avant la douche froide.

Elle leva un sourcil, amusé presque malgré elle.

- Oh mais si, je me dois de te remercier pour ton abnégation. " répondit-elle avec un rire jaune. Elle le regarda s'installer et poussa un soupire des plus ostensibles sans parvenir à gommer entièrement son sourire. Assise près de lui, elle dégagea sa nuque de ses longs cheveux, les repussant mèche à mèche sur le côté opposé. " C'est même un plaisir. Puisque ça veut dire que la prochaine fois, ce sera à tes piètres capacités de me faire un massage. " et ce serait alors non négociable.

S'éloignant un moment, elle tira de leurs affaire la fiole d'huile de Methylène qu'elle avait trouvé à Frontière le mois précédent pour en verser une once au creux de sa main. Quelques goutes tombèrent sur la peau cendrée qu'elle surplombait, répandant leur odeur complexe. Enjambant sa victime consentante, les paumes chaudes de l'eldéenne se posèrent avec précaution sur ses épaules pour descendre petit à petit jusqu'au creux de ses reins en dénouant chaque nœud rencontré sur son passage. Ses mouvements attentifs prenaient en compte tout ce qu'elle avait appris de cette charpente délicate durant l'année passée. Elle appuyait sans hésitation là où elle savait pouvoir le faire sans déclencher de vague de douleurs et passait avec une douceurs extrême sur les zones les plus sensible, quitte à y passer plus de temps que nécessaire. Suspendue au-dessus de lui, toujours dans le plus simple appareil, elle laissait distraitement ses courbes le frôler. Ses lèvres s'égaraient également sur sa peau de temps à autre, suivant le tracé de ses muscles ou se posant simplement à l'envie. Dans l'ombre et le silence, elle écoutait la respiration de Myr'Hennis.

Son sourire s’élargit alors qu’elle rentrait dans son jeu, de façon peut-être un peu moins enjouée qu’il aurait aimé mais c’était toujours ça, il se demandait si le sourire était sincère ou non mais il n’avait pas envie de se tourner pour vérifier, ç’aurait révélé le sien et même si Krish devait s’en douter ce n’était pas une raison pour le faire.

« Tu profites encore d’un pauvre architecte sans défense, qui te tourne le dos qui plus est, n’as-tu donc aucune pitié ? Mais soit, vu que ta cruauté n’a pas de limites… et que je n’ai visiblement pas le choix, j’accepte mais... » les goutes tombant sur sa peau le réduisirent au silence et il poussa un soupir d’aise, appréciant chaque pression car il fallait bien dénouer les nœuds d’une façon ou d’une autre ; même après le départ d’Urgoll.

En une année Krish avait visiblement appris bien mieux que ce que Myr’Hennis le pensait, les contours de la zone de son dos qui le faisait souffrir et même si ç’aurait dû le mettre mal à l’aise il n’en était rien, c’était même l’inverse et si le Grand Architecte avait eu la capacité physique de ronronner il l’aurait sûrement fait ; cependant il se contenta d’avoir une respiration profonde, de soupirer lorsqu’elle touchait un point particulièrement sensible et parfois même de trembler légèrement. Il appréciait particulièrement quand elle effleurait du bout des doigts la partie de son dos qui fut brisé quelques siècles auparavant, plus que la sensation physique c’était l’attention qui était agréable. Il aurait pu s’endormir entre les mains divines, presque littéralement d’ailleurs, de sa compagne si cette dernière ne faisait pas tout ce qui était en son pouvoir pour le maintenir éveillé. Mais avant de céder il se devait de la taquiner un peu, enfin un peu plus et, qui sait, peut-être que cette fois il n’en profiterait pas pour obtenir autre chose. En tout cas voler un massage n’était plus possible, la bouteille posée sur la table éventuellement. Un sourire passa sur ses lèvres en se disant qu’elle lui demanderait aussi un service en échange et qu’elle ne buvait pas tant que ça donc ça serait sûrement autre chose qu’une bouteille.Est-ce que ça en vaut la peine ? La question, ô combien légitime, occupa l’esprit de Myr’Hennis pendant quelques secondes à peine car la réponse était évidente : oui, sûrement. Après tout on n’a qu’une vie comme on dit, même si pour le coup la vie en question pouvait ne jamais s’arrêter mais là n’est pas la question.

Dépliant donc ses bras afin de s’étirer, Myr’Hennis réprima tant bien que mal un bâillement avant de finalement dire à voix basse et avec la bouche pâteuse : « je ne sais pas si je t’ai dévoilé cette faiblesse mais… » un soupir le coupa juste avant sa révélation et il profita pendant quelques secondes de cette délicieuse sensation avant de reprendre. « J’aime quand on m’enduit d’huile. »

Les massages avaient un grand pouvoir. Si grand qu'il avait quelque chose de surnaturel sur Myr'Hennis. Il se taisait sans même finir sa phrase. Remarque, même s'il avait continué à parler sans discontinuer, Krish aurait tout de même continué son œuvre de bon cœur, rien que pour sentir ce corps se détendre sous ses doigts. Mais ça, c'était une autre histoire. Elle n'aurait su dire combien de temps elle s'appliqua à délier les tensions de son cher et tendre, mais pour une fois, elle ne fut pas celle qui finit par s'étirer comme un chat. Le grand matou avait l'air aux anges et elle en était des plus satisfaite.

Elle rit en sourdine devant sa déclaration. " Non. Tu ne me l'avais pas encore dévoilée celle-ci. " murmura-t-elle en se penchant sur lui pour poser un baiser à la base de sa nuque. " Mais je saurais m'en souvenir. "

Elle pouvait plaisanter, elle qui se détendait presque instantanément lorsque quelqu'un posait les mains sur ses épaules. Il suffisait de masser ses trapèzes pendant un couple de seconde pour qu'elle tende plus vers l'état liquide que solide malgré toutes les tensions et toutes les courbatures qui pouvaient lui tenir au corps. Après des siècles à profiter d'un massage quotidien, il y avait bien une ou deux habitudes doebens qui avaient finies par s'imprimer dans son train de vie et qu'elle aurait préféré garder malgré le côté spartiate du camp.

- La prochaine fois qu'on ira à Thaar on pourrait profiter des termes et trouver quelques huiles de massage qui nous plairons à tous les deux.
- Et pourquoi ne pas y aller maintenant ? " Elle rit encore en se laissant rouler sur le côté, appuyé sur un coude pour surplomber son compagnon du regard. Son autre main allait et venait lascivement au creux de ses reins.
- Quelle bonne idée. Debout, habille-toi. Je fais apprêter une barge, on y sera dans deux jours."
« Content de te l'entendre dire, j'ai bien besoin d'une ennéade ou deux de vacance. » Dit-il en profitant des caresses de sa compagne après quoi il se leva lentement, encore engourdis par le massage, une fois debout il s'étira en bonne et due forme, faisant distinctement craquer sa colonne après un mouvement d'omoplate qui lui arracha un grognement dont il était difficile de déterminer s'il était causé par une douleur ou non. Il se mit à chercher du regard une tunique à sa taille, il n'avait pas envie de retarder leur départ en mettant une de ses toges qu'il affectionnait tant. Cela dit il chercha également quelque chose pour rincer l'huile dont il était enduit ; il aimait qu'on l'enduise mais rester couvert était moins apprécié par le Grand Architecte.

Krish le regarda se diriger vers le nécessaire de toilette dans le coin de la tente sans bouger du matelas. Étendue sur le flanc, la cheville entortillée dans la couverture roulée en boule au pied du lit, le bras que son amant avant délogé suivait savamment ses courbes dénudées. Son sourire de chat faisait briller ses yeux.

- Ou sinon on peut partir demain matin, sans affoler tout le camps, et profiter de ce qu'il reste de la nuit... "

« Oui, on pourrait. » Il s’arrêta pour prendre le temps de consciencieusement se débarrasser de l’huile qui empoissait sa peau. « On pourrait. Mais c’est beaucoup moins amusant…»  Un soupire amusé fit échos à sa déclaration. « Et puis rien ne nous empêche de profiter du reste de la nuit sur la barge, en descendant l’Oliya. Cette fois nous n’aurons pas à nous dépêcher pour nous assurer de la neutralités des princes marchands. » Son sourire joueur revint sur ses lèvres alors qu’il se tournait vers Krish, attrapant une serviette au passage pour se sécher. Serviette que deux mains d'un noir d'encre vinrent lui prendre pour continuer cette tâche ô combien difficile à sa place.

« Aussi capricieux qu'un Prince... Tu fais ressortir mes pires côtés, tu sais ? » Ses côtés préférés aurait été plus exacte. Elle posa un baiser sur son épaule en finissant avec application. « Etant avec une reine il faut bien que je me mette au niveau. » Répondit-il, son sourire joueur devenant moqueur.
« Qu'est-ce que je ferais sans toi ? » Le ton se voulait léger mais il la connaissait assez pour savoir qu'il n'en était rien... En vérité elle savait très bien ce qu'elle ferait sans lui et son grain de folie. Rien que d'y penser ça lui foutait le cafard... Non mais sérieusement, elle se laissait à ce point piéger par son foutu DEVOIR qu'elle se retrouvait à tempérer les envies de sa moitié au lieu de vivre chacun de ses coups de têtes comme elle le faisait auparavant. S'il y avait bien quelque chose qui l'énervait dans sa condition actuelle, c'était bien ça. Vivement que ce siège s'achève.
 « Ah, la réponse est simple : sans moi tu resterai dans le lit, à dormir ou regarder les remparts de Sol’Dorn éclairé par la poignée d’étoiles que les nuages ont oublié de couvrir. Peut-être que tu reprendrai le livre que je t’ai recommandé si tu n’arrives pas à te rendormir. Peut-être que tu irai voir quelqu’un. »  Il s’arrêta une seconde, regrettant d’avoir prononcé cette dernière phrase qui lui laissait un goût amer, un goût amer qu’il voulait rincer d’une gorgée de Sseren avant de reprendre rapidement. La serviette s'éloigna de lui pour tomber pesamment sur le rebord de la petite table. « Mais que je soit là ou non ne change rien au fait que tu retournera seule dans notre lit douillet car je m’en vais pour Thaar. Evidemment tu peux éviter une nuit de solitude en m’accompagnant, je suis certain que Renor sera ravie de faire un peu plus de paperasse que prévu pendant quelques jours. »
« Eh ! Pas la peine de me mettre un ultimatum. Tu sais que j'aime pas ça. » gronda-t-elle sérieusement. Qu'il lui rappelle ses propres caprices, oui. Qu'il la mette au pied du mur, beaucoup moins.
« Ce n’est pas un ultimatum, je te préviens simplement que je m’en vais, tu es libre de rester, de partir avec moi ou de me rejoindre demain. Si tu restes je ne t’en voudrais pas ; bien sur que j’aimerai que tu viennes mais si tes responsabilités t’en empêchent ce n’est pas grave, nous aurons d’autres occasion de nous rendre ensemble à ses fameux termes et profiter des huiles dont tu me vantes les mérites. »
« C'est un ultimatum... » grinça-t-elle en croisant les bras.

Elle détestait quand il s'obstinait comme ça. Un éclair de folie lui donna envie de le laisser partir seul sur sa foutu barge et d'aller réveiller n'importe quel imbécile assez malchanceux pour lui servir de défouloir. Peut-être bien Shyn'tae tient. ça l'énerverait sûrement d'autant plus... Une folie. Le contournant pour ramasser une des tuniques de son compagnon avant qu'il ne mette la main dessus, elle la passa et se dirigea vers la sortie sans autre forme de procès. Le vêtement lui arrivait largement à mi-cuisse de toute façon.

Il se retint de répondre que non ce n’en était pas un car ça n’avait aucun intérêt, Krish le voyait ainsi et peu importe ce qu’il pouvait dire ça ne changerait pas. Il tendit la main vers sa tunique mais ne fut pas assez rapide, parfois être grand à ses désavantages. Il haussa un sourcil en la regardant s’éloigner, se demandant où elle allait puis il grinça des dents en voyant qu’elle ne comptait pas se retourner et que visiblement son objectif n’était pas de faire apprêter une barge. Il hésita à la rattraper par le poignet après quelques enjambées, quitte à se faire projeter à terre mais quelque chose l’en empêcha. Ce n’était pas sa fierté, Krish était bien la seule personne avec qui il arrivait à la ravaler, c’était autre chose, quelque chose de plus sombre. Quelque chose qui prenait ses racines dans une des façons d’occuper sa nuit d’insomnie qu’il avait évoqué et le sentiment qui en découlait. La jalousie s’enroulait autour de son torse, remontant lentement pour planter ses crocs dans la gorge de Myr’Hennis. Il se mordit l’intérieur de la joue jusqu’au sang pour rebouger et il sortit de la tente mais au lieu de rattraper sa chère et tendre il se dirigea vers les quais du camp sud, là où il y aurait sûrement un navire qui irait jusqu’à Thaar, même à cette heure.

Des barges fluviales, il y en avaient tout le temps à quai, pour les marchands Thaaris et pour les diplomates eldéens. Krish était bien placée pour le savoir étant donné le nombre aller-retour qu'elle avait du s'enfiler pour pouvoir être en personne aux sessions ordinaires du Conseil de Thaar. Le campement était presque silencieux à cette heure de la nuit. Tandis qu'un certain nombre de flambeaux et de feux illuminaient le sol, l'Oliya était un gouffre d'un noir abyssal sur lequel étaient posées des ombres bien peu engageantes.

Après être passée dire au garde de la tente de l'état major qu'elle partait sur l'heure pour Thaar, lui faisant au passage une peur bleue et le pourrissant sur place à cause de sa réaction soit disant trop lente, l'eldéenne avait de suite obliqué vers les quais sombres. Mâchoire serrée et démarche raide, la fraicheur de la nuit lui faisait du bien, mais l'énervement lui restait en travers de la gorge. Elle avait envie de partir et ça bien avant qu'il ne lui fasse ce stupide chantage. Il se plaisait à la mener par le bout du nez ! C'était d'un désagréable ! Comme s'il avait le droit de choisir à sa place ! Mi récriminations, mi mauvaise foi, l'esprit de Krish tournait encore en rond et ses gestes étaient encore brusques lorsque ses pieds heurtèrent le ponton de bois à la recherche de Flamme qui vive. Elle ne savait pas combien de temps Myr'Hennis allait mettre à se préparer, mais vu comme il était parti, il ne tarderait pas à trouver une tunique de remplacement et à descendre cette putain de bouteille de Sseren.
Myr’Hennis n’avait pas l’habitude d’aller vers les quais, il ne sortait déjà pas beaucoup de leur tente et lorsqu’il le faisait ce n’était pas pour faire une croisière alors il se perdit dans le camp. Trop fier, ou stupide, pour demander son chemin aux soldats il déambula ainsi pendant quelques temps avant de retrouver l’Oliya dans son champ de vision et après avoir marché dans sa direction il fut interrompu par les fortifications du camp qu’il suivit pour arriver jusqu’aux quais. En voyant que Krish s’y trouvait il poussa un soupir de soulagement et la jalousie relâcha son emprise, le cœur plus léger il s’approcha de sa moitié prêt à subir son courroux.

Tout comme le soldat qui gardait l'état major, le contre-maître qui se fit sortir du lit manu militari en prit pour son grade. En une seconde, il était parti au pas de course pour faire apprêter la barge de la triumvir et réveiller à leur tour les trois passeurs chargés de la manœuvrer. Aussi, le quai était-il vide.

Droite sur les planches de bois, bras croisés, Krish gardait le regard sur l'autre rive et les quelques infrastructures qui y étaient organisées. Pour ne rien arranger, elle détestait la nuit. Il faisait froid. Il n'y avait ni soleil ni lumière. Et le paysage nu des terres entourant leur camp lui en rappelait un autre qu'elle ne voulait plus jamais voir. Ses mains se serrèrent sur ses bras tandis qu'un frisson désagréable venait lui glacer l'échine. Dire qu'une demi-heure plus tôt elle dormait tranquillement sans se douter qu'elle serait forcé de se manger deux jours de voyage dans la figure ! Elle aurait mieux fait de le laisser se démerder avec ses idées débiles de domination de Thaar ! Mare !

un craquement lui fit jeter un coup d’œil par dessus son épaule, prête à accueillir froidement celui qui viendrait lui apprendre que son embarcation était prête et que ses marins d'eau douce l'amenait par ici. Mais la haute silhouette qu'elle aperçu n'était pas celle du contre-maître. Elle serra les dents, le dos raide, et planta à nouveau les yeux sur l'autre rive. Il s’approchait sans la quitter des yeux et heureusement qu’elle ne le regardait pas car la voir dans sa tunique trop grande fit sourire Myr’Hennis mais le goût métallique dans sa bouche fit s’effacer son sourire. Il ne dit rien alors qu’il était juste derrière elle, en guise de paroles il enlaça sa compagne énervée, tant pis s’il finissait dans l’eau, il ne savait pas nager mais il apprendrait vite ; du moins l’espérait-il.

« Tu es content ? » gronda-t-elle sèchement sans le repousser pour autant.

« Oui mais je le serais davantage si tu me rendais ma tunique. Plus sérieusement… » se dépêcha-t-il de poursuivre avant qu’elle ne le prenne au mot, la colère a tendance à gommer le sens de l’humour... Et Krish était déjà en train de le repousser tout en agrippant la dites tunique pour la lui jeter à la figure. Si les mains qu'il avait posées sur elle n'avaient pas entravé son mouvement, elle serait peut-être parvenu à ses fins, mais à la place, elle se retrouva de profil, encore à moitié contre lui. « Est-ce que tu veux y aller ? »
« Mais évidemment, oui ! C'est pas la question ! Et puis sinon je serais pas là ! » Elle prit une inspiration excédée, tenta de s'éloigner et prit garde à contrôler sa voix pour qu'il soit seul à l'entendre. « Tu fais exprès de me prendre au mot et d'un coup tu l'ériges en vérité absolue et incontournable. Tu pars maintenant et moi je fais avec. Tu t'en fout. » Sa diction était rapide, emportée. L'accusation pointait dans chaque mot. « Si j'avais préféré rester, ça aurait été pareil. Il faut que tu fasses comme si tu étais seul à décider. Alors que j'avais déjà choisi de venir. Et je vais avoir des problèmes à cause de ça, et je le sais. Mais c'est pas grave, tu me laisses le choix après tout. Rester seule face à cette bande d'abrutis tout juste capables de se taper dessus ou venir là, maintenant, tout de suite comme tu l'as décidé en moins de cinq minutes. Super ! » Après un ample mouvement de bras, ces dernier revinrent autour d'elle, ses mains se crispants sur ses propres biceps. Ses yeux n'arrivaient pas à choisir entre  l'idée de regarder obstinément son compagnon ou de se détourner pour de bon. Il recula d’un pas, fronçant les sourcils, comprenant lentement le quiproquo.

« Si je pars maintenant c’est justement parce que tu as accepté. Si tu m’avais dit non je serais retourné me coucher. C’est bien sympa Thaar mais sans toi quel est l’intérêt d’y aller ? Donc si, pour moi, c’est bien la question. L’an dernier je t’ai pris promis que je ne disparaîtrais pas et tout comme mon serment je compte tenir ma promesse. » Sa voix d’abord neutre s’était lentement laissée influencé par les sentiments qu’il ressentait pour elle. « Alors laisse-moi reformuler ma question : est-ce que tu veux y aller maintenant ? »

Il lui tendit la main au cas où elle ne voulait pas lui répondre verbalement et puis ce geste était aussi devenu un symbole pour Myr’Hennis depuis la soierie, les mots pouvaient aisément être mal interprété mais le langage corporel était bien plus difficile à pervertir.

Une profonde expiration de la belle. Et maintenant, elle se sentait stupide... mais bien plus légère. Les doigts de l'eldéenne se glissèrent dans sa paume avant que ses yeux tachetés d'or n'arrivent à le regarder en face, encore chiffonnés par la moutarde qui avait du mal à redescendre.

Krish serra la longue main de l'artiste dans la sienne et s'approcha à nouveau de lui. « Oui... » acquiesça-t-elle enfin avant d'ajouter avec un demi-sourire un peu coupable. « Ce serait beaucoup moins amusant de faire ça dans les règles, non ? »

« Il va falloir que tu me donnes des cours de théâtre. » Se contenta-t-il de répondre avec une esquisse de sourire. « D'ailleurs peut-être que tu connais quelques comédiens, quelques acteurs. »
« Oh oui, les meilleurs acteurs de Thaar se trouvent au Joyau. »
Il la regarda de haut en bas avant de se retourner pour voir si les bateliers avaient bientôt fini leur tâche et en voyant qu'ils avaient encore quelques instants son sourire s'élargit progressivement avant de le rompre par un baiser. « Vu qu'on a un peu de temps devant nous on devrait peut-être aller s'habiller, ne serait-ce que pour le voyage, tu ne penses pas? »
« Pourquoi faire ? » Souffla-t-elle faussement innocente. « Ce serait une perte de temps... »

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