Un cri dans la nuit

Été - 7e jour de la 7e ennéade de Verimios de l'an 16:XI
Lendemain de l'attaque sur le fort

Les mains crispées sur les rênes mêlées aux crins de la monture, la jeune femme incitait l'animal à redoubler de vitesse. Le tonnerre des sabots créait un roulis perpétuel, à la fois écrasant et lointain. Ses jambes étaient si serrées sur les flancs de la bête qu'une douleur sourde émanait sans cesse des muscles fatigués. La cavalière n'en avait qu'à peine conscience, ses talons plantés dans le ventre de son destrier au souffle de plus en plus court. Le vent chaud de la nuit estivale des plaines de Valmar lui fouettait le visage et tirait ses courts cheveux en arrière. L'écume commençait à affleurer sur les muscles saillants de son coursier. Elle le poussait encore. Frappant. Criant. Lui maintenant la tête haute, tirant sur le mors dans sa propre tension. L'obsession qui accaparait son esprit lui donnait des ailes.

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Été - 8e jour de la 7e ennéade de Verimios de l'an 16:XI
Surlendemain de l'attaque sur le fort
Nuit

A la porte nord du camp, au pied des épaisses palissades renforcées de pierre, une silhouette encapuchonnée approchait à grands pas dans la lumière des torchères plantées de chaque côté des immenses battants. Une cape de voyage gris sombre masquait ses traits et floutait sa carrure.

- Olah ! Arrêtez-vous et montrez votre visage ! " Des chemins de rondes au-dessus de la porte tombait une voix forte. La garde en faction fronça le nez en pointant son arbalète sur le voyageur solitaire.
- Il faut que j'entre. Ça ne peut pas attendre. "

Une voix féminine. Une voix posée. Cela ne lui disait rien qui vaille. La face du camp qu'elle était sensée surveiller était du côté de la cité assiégée. Personne n'aurait du pouvoir venir jusqu'ici sans que les sentinelles à la porte de Sol'Dorn ne s'en occupent. Ils l'auraient accompagné ou ils l'auraient tué, mais ce qu'elle voyait n'était pas normal. Ses deux camarades qui piquaient un petit somme se levèrent prestement à côté d'elle. De la plateforme surélevée où ils étaient, les trois drow pouvaient voir loin sur l'étendue obscure désespérément plate, mais rien de particulier ne semblait bouger. Elle hésita à donner toute suite l'alerte... Mais le visage de son supérieur vint flotter dans sa mémoire. Si elle réveillait l'Obok Senger Kerath pour rien, elle était bonne pour être de corvée de plonge pour le reste du siège. Seul les courageux prennent du galon, pas les téméraires... Mais là ce n'était pas être téméraire que de gérer une inconnue seule. Elle tenait fermement l'apparition en joug et s'il s'agissait d'un mage, il n'aurait pas cligné de l'oeil avant qu'elle ne l'embroche.

- On fait quoi ? " murmura l'un de ses compagnons en serrant la main sur son arc.
- Je vous ai dit de montrer votre visage. Je ne le répèterai pas. "

Enfin l'apparition abaissa sa capuche d'un mouvement rageur, découvrant une peau pâle sous de courts cheveux de feu. Un visage humain tatoué de part en part, et dont la tempe et l'une des joues étaient rougies de sang. Les grands yeux noirs de l'inconnue cherchèrent l'arbalétrière, tête levée et dos raide.

- Je n'ai pas de temps à perdre ! Prévenez Shyn'tae, la Championne des Grand Jeux. Réveillez-la. Dites lui qu'Irulan est ici et veut la voir immédiatement. Dites lui que c'est une question de vie ou de mort et si ça ne suffit pas, dites lui que la guérisseuse Na'ri est en danger. " Le ton de l'humaine était tranchant, habituer à être obéi. La garde tressaillit tout en affichant un sourire mauvais. Ses camarades lui jetèrent un coup d'oeil. C'était elle qui était en charge après tout. A quoi jouait cette petite garce ? " Le temps presse ! " rugit l'humaine, sa voix de plus en plus sonore.

Encore une foule de secondes. Que pouvait-elle faire d'autre qu'obéir de toute façon. S'il y avait vraiment quelque chose d'important, la responsable du C'nros devait être informée. Si l'humaine mentait elle mourrait de la main de la dite responsable. Sur la plateforme en haut de la porte, quelques paroles échangées. Un peu de mouvement. Et l'un des trois drows disparait.

- Restez bien en vue, dans la lumière et ne tentez rien de suspect. " prévint la garde tandis que l'humaine faisait deux pas en arrière. Pas de réponse. A la place la jeune femme repoussa sa cape d'un mouvement ample et se laissa tomber au sol, en tailleur. Sa tête se baissa, ses mains bougeant avec légèreté devant elle. Plus de doute, soit cette femme était dingue, soit elle était mage, soit les deux. De temps à autre, l'oreille de la garde frémissait. Elle rêvait peut-être mais un murmure chatouillait ses tympans. Des bribes d'étranges psaumes rauques, bien trop graves pour sortir de cette gorge fluette. Les ombres que projetaient les flammes des torchères dansaient curieusement. Le silence... et de nouveau ce mirage sonore, trop faible pour donner la moindre certitude sur sa réalité. Le ventre de la garde se nouait peu à peu. Ses mains se tendaient sur son arme. Ses yeux ne quittaient plus l'étrange visiteuse des yeux. Près d'elle, son frère d'arme murmura quelque chose, mais elle n'y prêta pas la moindre attention.

... Jusqu'à ce que la représentante du C'nros ne se montre

L'humaine n'attendit pas une seconde pour se relever. Pour s'approcher. Si elle le pouvait, elle ne parlerait qu'à la seule mage, mais si on ne la laissait pas venir, elle le crierait autant de fois qu'il le fallait.

- Shyn'tae ! J'ai besoin de ton aide ! Je répondrai à toutes tes questions, sans exception, mais j'ai besoin de ton aide maintenant. Chaque minute compte ! " La tension dans la voix était réelle. La rage et l'orgueil face aux gardes était devenue colère et... peur ? Si elle hésitait de trop, l'humaine la supplierait. Et à genoux s'il le fallait.