Mon Feu. Ma Loi.

Favriüs, cinquiète ennéade
An seize du onzième cycle
Le soir suivant le démantèlement des mécontents du Ier Ost

Je tends l'oreille.

Un crépitement. De plus en plus présent. De temps à autre, un claquement sec. Un craquement de bois. De charbon. De plus en plus proche. Un souffle insaisissable agite des flammes que je ne peux pas voir.

La chaleur qui me berce et m’emplit à chaque fois que je ferme les yeux monte au creux de mon corps.

Je la garde à distance. Je garde le contrôle. Je me bat. J'en ai l'habitude. Je refuse d'être uniquement Lui. Je garde ma volonté. C'est ainsi.

Mais la lumière est absente...

Le trône d'os et les batailles infinies portées par des époques trop lointaines pour que quiconque s'en souvienne. Tout est encore flou. ça ne tardera pas à prendre place.

ça tarde à prendre place.

La sensation de ces batailles communes. Cet unique cri de fureur qui s'échappe d'un millions de gorges reste muet. Cette endurance face à l'adversité et cette soif de vaincre se dérobent sous moi. Le trône d'os n'est plus que cendre. Mon corps en est le nouveau socle.

La chaleur qui me berce et m'emplit à chaque fois que je ferme les yeux ne cesse de grimper. Une vague de lave contre laquelle ma volonté ne peut rien.

Écrasée.

Je pensais être capable de résister ? J'avais tort.

Brulée.

Je pensais comprendre ses dessins ? J'avais tort.

Niée.

J'ai une utilité quand je n'oublie pas les Préceptes. Je joue sur la corde raide en œuvrant pour une paix courte et une guerre durable.

Aujourd'hui, j'ai fait le pas de trop.

...

Dans la tente que la triumvir partageait avec le Grand Architecte, la respiration de l'endormie devenait de plus en plus erratique. Puissante, courte, parfois tremblante. Elle grondait sous l'effort. Un filet de sueur empoissait son front. Ses doigts se serraient sur le draps, crispés.

De discrètes veinules rougeoyante apparaissaient peu à peu sur sa peau brûlante, partant de son ventre et de sa poitrine pour serpenter vers les extrémités de ses membres.

En deux mois, même pour quelqu’un d’aussi lent que Myr’Hennis, des habitudes commencent à se cristalliser, il faut dire que les habitudes en question généralement concernaient sa compagne ce qui aidait. Bon il avait aussi petit à petit perdu l’habitude de se lever tard mais elle était encore loin d’avoir disparu, il s’accrochait à cette habitude comme un naufragé à la corde qui lui permet de remonter sur un navire, il avait encore l’espoir qu’un jour peut-être le camp se lèverait bien après le lever du soleil et qu’il pourrait dormir quelques heures salvatrices. Il rouspétait encore lorsqu’il allait s’enquérir de la venue de son bloc de marbre noire et que l’intendance trouvait une nouvelle excuse pour justifier son retard, à croire qu’ils s’amusaient à en trouver le soir au coin du feu pour passer le temps ; il en venait lentement à croire que c’était personnel et que l’intendant qu’il allait voir lui en voulait pour il ne savait trop quelle raison, peut-être que le fait qu’il demande régulièrement des alcools toujours plus exotiques et cher avait un lien mais ça n’était pas son problème mais celui de Ssuorr. Enfin si c’était son problème mais pas directement. Il avait bien pensé à user de la force pour accélérer les choses mais il s’était vite rendu compte de deux choses problématiques. La première c’était que sa garde était restée au Puy et la seconde c’était le fait que les intendants appartenaient aux osts et que cette histoire risquait sans doute de mal se terminer.

Parmi ces esquisses d’habitudes il s’en dégageait une qui commençait à s’ancrer plus profondément que les autres au point que ça ne le réveillait plus, s’en était presque devenu un automatisme : enlacer Krish durant ses nuits agitées. Dans son sommeil Myr’Hennis avait fini par devenir étrangement attentif à autre chose que lui-même et malgré un sommeil d’ordinaire aussi lourd qu’un félin à pointe les mouvements de Krish, en tout cas si ces derniers menaçait de l’éloigner de lui, avait le don de le réveiller ; pour ce qui est du reste il l’enlaçait simplement et ça suffisait à la calmer mais pas cette fois visiblement et ce fut la température bien trop élevée qui réveilla l’architecte, ce dernier ayant eu pour réflexe de se reculer de la source de chaleur en ouvrant les yeux avant de se rendre compte de ce qui produisait la chaleur en question. L’adrénaline le réveilla aussi sûrement qu’une claque et c’est en sursaut, quelques gouttes de sueur commençant à perler sur son corps, qu’il s’assit sur le lit, son sang battant à ses tempes. Il ne prit pas le temps de réfléchir, agissant pas instinct plus que par raison, mû par un début de panique ; il posa une main sur l’épaule brûlante de sa compagne pour la secouer sans grande délicatesse dans l’espoir de la réveiller.

« Krish ! » Tenta-t-il de l'appeler à voix haute, une pointe d'angoisse dans la voix, ne pensant pas aux gardes en faction qui pourrait l'entendre.

Un seul cri. Bref.

Shundara et Jallyss échangèrent un regard derrière leurs masques d'argent. L'homme était dressé, bouclier au bras, déjà prêt à bondir. Mais ils hésitaient.

Rien n'augurait un problème. Pas un coup, pas un bruit d'objet qui tombe ou de tissus déchiré. Les éclats de voix n'étaient pas la chose la plus rare qui soit et surréagir ne leur vaudrait qu'une méchante soufflante et la rancune de Krish pour les jours à venir... Sans parlé de celle du Grand Architecte qui avait déjà du mal à supporter l'homme qui était en faction ce soir. Il fallait dire que le passif qu'ils avaient n'était pas des plus simple.

A l'intérieur, Krish n'avait pas réagit au contacte de son amant, si salvateur en temps normal. La trame rougeoyante qui se tissait sur sa peau, la craquelant comme un feu intérieur fissurerait du charbon, remontait jusqu'à la naissance de son cou. Ayant roulée sur le dos sous la brusquerie de son compagnon, elle n'ouvrit pas non plus les yeux lorsqu'il l'appela... Mais sa respiration s’apaisa et son visage se détendit presque instantanément.

Les veinules ne disparaissaient pas.

Un mouvement de bras. Infime. La main caleuse de la guerrière qui tente de se lever vers Myr'Hennis.

Ses sourcils se froncent. La main retombe. Ses paupières se lèvent sur deux iris d'or pur, comme éclairées de l'intérieur.

Le regard de la Prime Feu se pose sur le plafond de toile. Une seconde. Puis deux. Et trois. Avant de commencer à tourner alentours. Jusqu'à tomber sur le visage de Myr'Hennis, toujours sans aucune émotion. Sa respiration reste égale, ses lèvres closes. Mais ses yeux d'or se vrillent dans ceux du Grand Architecte comme s'ils étaient capable de voir en lui jusqu'à sa Flamme. Dérangeant. Intrusifs. Puissants. Un sourire mauvais se dessine sur les lèvres charnues de l'eldéenne. Elle commence à se redresser.

Refusant de retirer sa main il grinça des dents pour ignorer la douleur cuisante ; comme quoi ne plus avoir d’instinct de survie était une arme à double tranchant, si la chaleur continuait à augmenter il allait, littéralement, y laisser sa peau. Ce qui était un problème en soit parce que sa main c’était sa vie mais là il s’en moquait ou du moins il n’y pensait pas. Jusqu’à ce qu’enfin la respiration de son amante se mette à reprendre un rythme plus ou moins normal et qu’elle sembla se détendre, Myr’Hennis tenta de retirer sa main, laissant quelques lambeaux accrochés à l’épaule de sa compagne au passage.

L’architecte s’attendait à voir les veinules disparaître d’un moment à l’autre, d’ordinaire il se recouchait une fois Krish calmée mais la situation n’avait rien d’ordinaire alors il attendit, assit sur ses longues jambes. Il repéra le mouvement de bras dans sa vision périphérique et tourna la tête, il voulut attraper la main mais ne fut pas assez rapide et il reprit sa position initiale, ne reportant son attention sur le visage de son aimée qu’une fois que ce dernier se mit à bouger pour le regarder.

Myr’Hennis tenta pendant un battement de cœur de lutter contre ce regard intrusif, comme s’il pouvait faire quoi que ce soit, il tenta de cacher tous ses travers, toutes ses fautes, toutes ses peurs, tous ses moments de lâcheté, verrouillant à double tour les portes de son palais mental permettant d’accéder à ses souvenirs honteux. Pourtant, que ça ait eu une quelconque utilité ou non, ce dont il doutait d’ailleurs, le battement de cœur suivant ces préoccupations furent le dernier de ses soucis car cette étrange scène fit ressusciter ce qu’il pensait avoir tué il y a de cela quatre siècles. En réalité le Monstre n’avait pu qu’enfermer l’instinct de survie de son hôte dans une geôle, comme pour sa raison, et maintenant que le barrage était rompu la peur se déversa comme un torrent. C’était une peur viscérale, primale, animale et même si son instinct nouvellement retrouvée lui hurlait de se lever et de courir le plus loin possible il y avait une chose dont le Grand Architecte avait peur plus que tout : le kyorl qui lui avait brisé le dos. Même face à l’incarnation d’Uriz, Myr’Hennis avait bien trop peur d’un mort pour bouger à nouveau et s’enfuir comme il l’avait fait quatre-cent douze ans plus tôt.

Lorsque Krish commença à se relever il retrouva un semblant de contrôle sur lui-même pour se mettre à genoux, la tête baissée il attendait le jugement, et la punition qui allait avec, que le dieu jugerait approprié. A quoi bon tenter de résister ? Déjà que contre un guerrier quelconque Myr’Hennis n’avait aucune chance alors contre un dieu… comme pour l’en dissuader sa main brûlée se rappela douloureusement à lui et une pointe de douleur se fit sentir dans son dos alors qu’il inclinait la tête.

Laissant là l'homme prostré, elle s'assoie sur le côté du lit, regardant le chaos entropique de la tente. Elle cherche quelque chose. Passe en silence une tunique sans manche et un pantalon de toile noire. Les failles rougeoyantes visibles à son col et le long de son cou, forment une dentelle aux couleurs flamboyantes. Elle cherche encore, le visage toujours neutre, jusqu'à trouver enfin ce qu'elle cherchait, appuyé contre le bureau : le corbin de guerre de la triumvir. Sa main se posa sur le manche. Son sourire satisfait n'avait rien de joyeux et n'atteignait pas le moins du monde ses iris entièrement dorées.

Sans un regard en arrière, elle sort de la tente.

De là où il se trouve, Myr'Hennis peut distinctement entendre la grosse voix de Jallyss. Le Repentis n'a jamais su tempérer son timbre.

- ça va ? Eh... Ton cou. Qu'est-ce qu...! " la phrase se finit dans un son guttural. Puis un coup. Une masse tombe au sol non loin de l'entrée. Puis une autre, plus légère. Une chute contrôlée? Quelqu'un qui se jette au sol ?

Les pas de la triumvir s'éloignent dans le camp, arme en main. Le côté plat de son marteau est tâché de sang. Le bec argenté luit dans chaque raie de lumière vacillante. Le halo de ses yeux et des veinules de lave sur sa peau perçant l'obscurité sans problème. Sans se soucier des soldats qui peuple encore le tour des feus de camps ou accomplissent leur ronde, elle trace sa route. Par chance, aucun soldat ne se met directement sur sa route, ni ne lui adressa la parole pour plus qu'un rapide et respectueux salut. Elle se dirige avec précision vers la bâtisse de bois attribuée aux prêtres de Kiel en bordure des fortifications. Comme si elle connaissait les lieux depuis des siècles, elle y entra et se dirigea dans les soubassements, là ou avaient été creusées les salles les mieux isolées de leur campement vaani. Là ou reposaient les cris des transfuges, des ennemis et des déserteurs qui se voyaient interdit de mourir trop vite.

A l'extérieur, autour d'un feu de camp près des tentes des officiers supérieurs, une discussion enflammée dégénère. Le ton monte. Trois veldruk du Ier et IIe Ost en viennent aux mains.

La cité de Sol'dorn brille de milles et une lumières sur ses hauts remparts. La drow est assise sur les fortification, ses pieds nus pendent dans le vide, et elle contemple les étoiles, à deux pas d'une torche. Elle salue les soldats en patrouille qui passent auprès d'elle.

Mauvaise journée, se dit-elle, en y repensant. Cela n'est jamais bon quand des soldats commencent à remettre en question leurs chefs. Encore moins bon quand il s'agit d'une armée de fanatique, et que leur chef est l'avatar d'un dieu. Elle ne sait pas si le dernier point est vrai en effet, mais cela n'a aucune espèce d'importance… Car elle aime l'état d'esprit de la flamme d'Uriz. Et elle a entendu trop d'histoires pour qu'elles soient toutes fausses.

Mais les hommes doutent. Les hommes remettent en question leur stratégie, car ils voudraient de l'action. Ils voudraient mettre Sol'dorn à feu et à sang. Peut-être Kerath le voudrait-il aussi, mais il n'y a pas plus loyal, Shyn'tae en est certaine autant qu'elle le hait. La Phord'ur a entendu indirectement que certains accusent les "civils" dont elle s'est entourée d'être trop pacifiques, de l'influencer. C'est stupide. Ni elle, ni Myr ni quiconque ne pourrait empêcher Krish d'être celle qu'elle peut être. Un frisson parcourt son bras gauche, elle fronce les sourcils. Pourquoi les commères ne viennent-ils pas lui dire en face?

Quelle ineptie de vouloir combattre à Sol'dorn. La meilleure bataille est curieusement celle qu'on gagne sans même avoir eu à lever les armes. Sol'dorn leur sera utile pour la suite.. Et à quoi bonne perdre son temps et ses ressources à mener une bataille sans intérêt? La Phord'ur veut que tout soit prêt pour le jour où un véritable défi se présentera.  Sa main caresse le fourreau… Son cœur bat plus fort. Elle ne devrait pas ressentir autant d'agacement pour si peu.

Sauf que ca a été une mauvaise journée. Elle aurait du être satisfaite, car la conspiration avait été démantelée avec la promptitude légendaire des elfes noirs. Mais ils avaient eu un différent avec le feu d'Uriz. Pourquoi avait-elle refusé de donner aux conspirateurs une mort au combat contre elle? Facile, les réponses étaient toutes prêtes dans sa tête comme si cela avait été les siennes.  Cela aurait été faire ce qu'ils attendaient d'elle, leur offrir une mort honorable qu'ils ne méritaient pas. Cela aurait été donner de l'importance à des insectes.

Shyn'tae sentit la colère monter. Elle avait la preuve que personne n'était parfait. Krish prétendait ne pas se laisser dicter sa conduite par ces minables, mais au fond, par fierté, c'est exactement ce qu'elle faisait. Table rase, évaluation des risques, des opportunités, puis décision, et advienne que pourra. La decision aurait du être simple. La premiere flamme aurait du faire un exemple en démontrant sa valeur, non pas parce que c'est ce qu'on attendait d'elle, mais parce que c'était la meilleure chose à faire.

Et si elle avait vraiment voulu les punir, Elle aurait pu les estropier plutôt que de leur offrir une mort rapide. Puis les faire torturer Shyn'tae avait la certitude qu'elle en était largement capable.

D'autres dissensions suivraient, pour plus de temps perdu, plus de risque et plus de gâchis. Elle avait envie de hurler sa rage. Même Kerath avait été d'accord! Mais ils avaient tout de même trouvé le moyen de se chamailler. Comme des enfants. Elle était stupide. Sa main gauche fut secouée d'un spasme. Elle serra son poignet en représailles, si fort que ses doigts blanchirent. Elle aurait voulu sentir quelque chose. Elle aurait voulu que cela fasse mal. Ton père a raison, tu es pathétique.

- Non… pas tant que je me bats." Sa voix sonna creux. C'était difficile d'argumenter avec soi-même.

Ses oreilles se tendirent. Elle avait vu un éclat. La drow fronça les sourcils, se pencha en avant vers l'intérieur du camps. C'était le feu d'Uriz qui approchait… Il n'était pas bien difficile de déterminer où elle se rendait. Prise de remords? C'était un peu tard. Elle se pencha un peu plus. Un frisson parcourut son corps crispé par les émotions. Quelque chose n'allait pas.

La sombre déglutit, et eu un mouvement de recul. La peur se mêla à la colère, la laissant quelques instants incapable de réaction. Un soldat passa derriere elle. Avait-il vu comme elle?

La flamme d'Uriz... non… sans savoir pourquoi elle en était certaine, elle savait que c'était Lui.. Il pénétra dans le batiment de bois. Shyn'tae pencha la tête. La curiosité, l'excitation même… vinrent rejoindre le maelstrom d'émotions.

Elle devait partir. Mais elle pouvait savoir. Elle voulait savoir.

Le torse de la daedhelle se tendit, son bras se leva avec fluidité alors qu'elle canalisait un peu de magie, puis elle se laissa glisser avec fluidité des fortifications pour atterrir avec légèreté sur le sol. Puis, le cœur battant, elle suivit sans un bruit dans les méandres du bâtiment l'illustre visiteur. Les questions l'appelaient, tout comme le danger. Elle se sentait vivre.

Elle pousse la porte et traverse le la salle de prière dédiée à la plus résistante et la plus entêtée de Ses Créations. Elle descend les escaliers formés à même la terre et la roche par des mages approximatifs. Elle longe le couloir. A son approche, deux hommes en tenue de prêtre se lèvent du coin où ils montaient la garde. Ils approchent, l'air mécontent. L'estomac de l'eldéenne se tord. Ils s'arrêtent. Leurs yeux s'écarquillent. Ils se jettent à genoux, tête contre le sol, songeant à peine à se mettre hors de Son passage.

Ici, pas de geôles, mais des caisses disposées en rang dans grande cage. Chacune d'elle renferme un corps meurtris par l'immobilité, le confinement et la posture inconfortable. Deux sales monstrueuses se cachent derrière des portes de bois anodines. Des cris de douleurs ignobles entrecoupés de pleures s'échappent de l'une d'elle. Elle frémit à la fois d'appréhension et de satisfaction. Son but reste inconnu, mais Elle marche jusqu'à l'unique cellule aux allures de débarras. L'impact d'un coup de marteau sur de l'acier résonne dans la cave voutée. D'un geste brusque, Elle arrache la serrure qui vient d'être à demi enfoncée, l'alliage se tordant et fondant sous Son contact chauffé à blanc. La porte s'ouvre. Douze coups de marteaux. Douze verrous sautent des coffres gémissants. Douze couvercles se soulèvent sur douze profiles effrayés, perclus, à vif.

Il ne les regarder dans les yeux. Il n'en a pas besoin pour savoir lesquels ont déjà été brisés durant la journée qui venait de s'écouler. Elle tourne plutôt le regard vers les barreaux. Un sourire cruel perce le visage neutre. Les barreaux se tordent, s’aplatissent, se plient dans un concert de crissements douloureux pour les oreilles affutées des sombres. En un peu plus d'une minute, l'alliage cède. Sous les yeux des prisonniers agars, un monceau de lames aiguisées comme des rasoirs tombe au sol.

Les yeux d'or passent rapidement sur chacun des courageux impuissants qui avaient tout risqué pour tenter de partir bêtement à l'assaut.

- Sortez... Si vous l'osez. " La voix rauque et double passa ses lèvres pour se répercuter sur les mur et dans les corps. Celle de Krish mêlée de basses crépitantes. Le bruit d'un lac de lave. Semblable à une tempête, brûlant et enveloppant comme le soleil du désert.

Durant un instant, il n'y eut rien.

Puis un premier prisonnier s'approcha d'un pas, les yeux exorbités. Un mouvement bien faible. Ses jambes affaiblies tremblaient. Ses genoux voulaient mordre le sol pour échapper à ce regard. Mais dans son ventre grondait la fureur. La frustration. La soif de vengeance pour ce qu'on lui avait fait alors qu'il souhaitait seulement servir les Dieux ! C'était un signe ! Un honneur ! Une bénédiction ! Il était venu les libérer !

Un second pas. Il se baissa si près des pieds de son libérateur qu'il aurait pu en effleurer les orteils nus en étendant le bras. Mais sa main à l'auriculaire manquant se referma sur l'une des lames... Et frissonna. Les poignées des armes au sol étaient toutes identiques. Carrées, leurs coins aussi affutés qu'un couteau de boucher rentraient dans la paume de leur propriétaire. La gorge du prisonnier crachotait en boucle des mélopées à la gloire du Père des Batailles.  

A peine l'homme eut-il empoigné l'arme qu'un éclat de rire excité résonna dans la large pièce. Le claquement d'une langue de flamme qui s'élance soudain du néant pour lécher la silhouette de l'eldéenne.

L'Avatar n'était plus là. Le rire presque dément persista un instant après que son image se soit évanouie.

Dans le couloir, entre douze soldats armés et la sortie, il n'y avait plus qu'un messager, une manchote et deux novices pétrifiés. La rage au ventre, la vengeance au cœur et le nom du Père brûlant dans leur Flamme, dix des douze traitres s'élancèrent vers leur salut avec la force folle que donne le désespoir.

Et les deux dernier ? Qui pouvait se soucier de deux lâches ?

C'est Krish Al'serat, mais ce n'est pas elle, Shyntae en est certaine. Qu'est ce que ça fait d'être l'avatar d'un dieu ? "Qu'est ce que cela fait que le dieu impose sa volonté, feux d'Uriz ?" la magicienne craint d'imaginer pourquoi le dieu est-là ce soir, son instinct lui hurle de fuir. Pourtant ses pieds nus descendent une à une les marches de pierre irrégulières à la suite du dieu. La colère vibre en elle, son cœur bat comme un tambour. Elle ne s'en est pas aperçue, mais elle serre la poignée d'Eveil comme si sa vie en dépendait.

De son côté, yelahitr ne se pose pas trop de question. Pourquoi s'en poserait il? Il vient d'arriver et s'il connait les grandes lignes, il ignore tout du traitement infligé aux traitres. La main sagement posée sur sa dague de ceinture, en tout Eldéen qui se respecte, le membre du 5e Ost ne fait que suivre.

Il a des doutes sur la sagesse de son avancée au fur et à mesure des exploits divins qui marquent la progression de Krish'Al'Serath  vers le lieu de détention proprement dit. Alors que le pied botté de cuir souple se meut avec grâce et assurance sur les marches irrégulières, le mâle ne recule pas.

Pourquoi le ferait il? Intrigué, méfiant, les oreilles bien droites et les yeux lavandes plissés, il ne se rend pas compte qu'il y a quelqu'un derrière lui. Dans la pièce voûtée, Restant dans le cadrage de porte par réflexe, Yelahitr observe de tout ses yeux ce qui se passe devant lui. Et en reste bouche bée.

Shyn'tae s'est arrêté dans la pièce voûtée, et observe silencieusement, fermée, les agissements de l'avatar. Les deux novices sont paralysés alors que la sonorité brutale des verrous qu'on brise résonne. La jeune daedhelle sait ce que fait le père des batailles. Le pourquoi, elle a des idées. Un désaveu ? Une punition ? Krish est-elle consciente de ce que son corps fait ? Si oui, est-elle résignée ou lutte-t-elle jusqu'au bout, de toutes ses forces, bien inutilement ? La drow suppose le deuxième, comprend d'autant plus les décisions de la triumvir, et sa colère grandit encore. Tu n'as jamais cru que les dieux étaient juste, non?

Est-ce le genre de réflexion qu'une drow devrait avoir face au père des batailles? Shyn'tae se sent étrangement lucide, détachée au dessus du maelström d'émotions qui l'habite. Les possibilités, les conséquences, les risques se bousculent dans son esprit en milles scénarios.

La sombre quitte la scène des yeux un bref instant pour évaluer ses forces. Un soldat et deux novices de Kiel, tous hypnotisés par la scène qui se déroule devant leurs yeux. Qui ne le serait pas?

Le plat d'Eveil frappe doucement l'épaule d'un novice, la Phord'ur s'est penchée sur lui. Ses yeux sont toujours posés sur la silhouette de Krish alors que SA magie leur donne des armes. Il ne bouge pas, absorbé par le spectacle . La Phord'ur le maudit, et cette fois-ci c'est le tranchant qui l'effleure, et il sursaute, versant un peu de sang.  Mais elle a l'attention du novice, ses yeux sévères et froids dans les siens.

-Tentes du C'nros, demande Liss'na, dis lui que l'aspirante est dans les ennuis, Vas-y." Il la mire comme un parfait imbécile. La Phord'ur serre les dents "VITE. EXECUTION." Il ouvre grand les yeux, semble reprendre ses esprits, et se retourne soudain pour s'enfuir en trébuchant dans les escaliers.

Bien. Shyn'tae se tourne vers les dix hommes. Deux n'en sont pas sortis, ce qui agace la magicienne. Son cœur bat si fort, si vite dans sa poitrine. Elle pourrait partir. Un sourire mauvais grandit sur son visage. Eveil danse. Son corps la suit, fluide et souple. Non. A-t-elle peur? Oui, car son bon sens ne voit pas d'issue favorable à la situation. Mais au moins elle est là, au mauvais endroit, au mauvais moment. Là où elle peut agir. Là où le danger la fait vivre.
- Couvre moi, et essaye de ne pas mourir."

Shyn'tae danse. Sur un établi, un scalpel glisse de quelques centimètres, hésitant.  La poussière se soulève autour d'elle.

La voix du dieu déforme celle de Krish, Shyn'tae en grimace, les sombres ramassent les armes qu'IL a créé.

SON rire tonitruant résonne sous les voutes de pierre, et il disparait dans les flammes. Les dix hommes chantent SA gloire. Le scalpel s'élève avec son voisin. Des  lames crissent sur la pierre en s'élevant, d'autres quittent leur râteliers avec nonchalance.

Les dix la remarquent finalement.  Ces abrutis pensent-ils qu'Uriz les récompensent? La seule récompense qu'il offre, c'est la mort. Croient-ils qu'elle est de ceux qui corrompent SON feu? Nulle importance.

Flottant dans les airs, les outils de Kiel ont pris place aux cotés de leur maitresse, au repos. La magie vibre en elle, entêtante, électrisante. Le défi l'observe de ses yeux déments, excitant. Elle s'immobilise, et penche la tête sur le coté en admirant les fanatiques rassemblés, son sourire plein de malice.

- Vous devez être bien courbaturés. Un massage peut-être?"

[justify]
Bon, comment dirions nous... Il est dans la merde? Le messager sursaute et tourne la tête, le regard lavande, oblique, souligne le visage aux traits volontaires, étrangements familiers... Mais il n'y a pas à s'apesantir sur le sujet pour le moment, la situation est critique. Une oreille se dresse, se tourne vers l'arcaniste comme s'il l'écoutait. L'autre tournée vers le drame qui se joue de l'autre côté. Les cheveux courts du mâle sont ébouriffées en tout les sens. La mâchoire carrée se contracte, il semble entendre l'appel du sang, dans les prunelles lavandes, luisent une lueur homicide.  

Et pour l'écouter, il l'écoute... La mélodie de Shyn'Tae l'intéresse grandement. 

- Couvre moi, et essaye de ne pas mourir."

Si Shyn ne connait pas le messager, le messager la reconnait. Qui ne connait pas la Phor'Dur de Sol'Dorn? De plus qui ne sait pas ce qu'elle a fait pour sa petite nièce? 

Il réfléchit un bref instant, hoche la tête et se met en frais de se préparer. Les motifs géométriques autour de lui se réalignent et s'ajustent, touches d'ombres au motifs complexes. Il libère l'accès à la salle, laissant Shyn'Tae devant les dix.  Pendant ce temps, il semble... Danser lui aussi? Si on peut appeler se léger balancement de guerrier une danse. Les ombres semblent s'épaissir dans la pièces, évoluer autour de lui avant d'aller danser avec la phor'dur, les liants tout les deux dans une brume de ténèbres liquides jusqu'aux mollets. 

- Vous devez être bien courbaturés. Un massage peut-être?"

Du messager, il n'y a plus maintenant qu'une ombre intangible, mouvante avec les autres. Puis, qui s'incorpore, s'évanouit, quand le Yelàhitr passe dans le plan des Ombres. Va t'il fuir ou combattre? En apparence, Shyn'Tae est seule. Seule avec ses ombres liquides qui s'insinuent entre ses jambes. Proie tentante pour les dix.

Un geste du premier a avoir pris une lame aux pieds de l'Avatar et les neuf autres prisonniers s'immobilisent en remarquant les lames volés. Une mage. Et les ombres qui s'épaississent. Un second mage. Quelques ordres fusent. Les dangers sont identifiés et ils savent que la force brute pourrait leur couter beaucoup. Les hommes se groupent dos à dos, orientés de façon à ne pas laisser un seul angle mort. Malgré leurs faiblesses et l'acier qui leur ouvre les paumes, ils sont lestes. Leurs yeux sont vif. Ils bougent comme un seul homme et leurs cœur envoie de l'adrénaline en masse dans la moindre parcelle de leur corps. Ils restent militaires vétérans bien avant d'être prisonniers. Blessés. Souillés. Déshydratés. Égratignés... Mais aucun d'eux n'est sérieusement blessé. Pas encore. Les prêtres les préparaient à bien pire. Le temps était souvent la pire des tortures... au début.

Naturellement, le Veldruk Caelnill a repris sa place de leader au milieu de ceux qui ont crus en leur juste cause. Au milieu de ceux qui ont agis. Qui ont tenus. Et que le Père a élus. Les yeux amplis d'une joie sincère et le sourire extatique sur ses lèvres rappellent haut et fort :

- Laissez-nous passer, Soeur. L'heure est à la Guerre ! Nous porterons la mort sur nos ennemis ! Il nous a choisit ! Louez soit-il ! Louez soit sa venue purificatrice ! Gloire à uriz ! Ahaluth Uriz ! Ahaluth Uriz ! "

Chaque mot était prononcé avec plus de cœur, plus d'adoration. Dans son excitation, il crache un peu de sang et de salive avec sa verve fanatique. Les prisonniers, armes levées, reprennent le crient de ralliement. Les yeux brillent d'une soif de vaincre. Peut-être est-ce la première fois que les deux mages ont l'occasion de comprendre ce qui fait si peur aux autres peuples lorsqu'ils voient arriver les drows sur le champ de bataille. Aucune peur de mourir. Leur foi aux lèvres, une soif de sang au cœur. Aucun doute. Aucune retenue. Des bêtes sauvages avec l'entrainement et l’intellect de vétérans.

- Ahaluth Uriz ! "

Et soudain, au milieu des appels, comme s'ils avaient compris que tout compromit était désormais une hérésie, un ordre fuse. Et comme un seul homme, ils passent à l'attaque. Ils surveillent leurs arrières. Défendent leurs camarades. S'ils en ont la moindre occasion, ils feront une avancée pour provoquer la mage au corps à corps. Sinon ils l'épuiseront en lutant contre toutes les lames qu'elle tentera de leur opposer. Avant de leur offrir une occasion, elle et son compagnon près à bondir de n'importe quelle ombre en tueront peut-être un, peut-être la moitié, mais ils ont beau être épuisés, iles sont entrainés et prêt à donner leur vie les armes à la main. Il suffit d'un écart. Un seul. Et ils s'en serviront.

Un seul... seule... Seule, cette petite mage le serait toujours. Seule parmi l'étude noire et seule parmi le C'nros. Inutile... Inutile... Comme son bras. Comme dans les yeux de son père. Comme dans les regards des vétérans qu'elle avait comme subordonnés. Ces pensées s'insinuaient dans l'esprit de la jeune mage. La mordant comme une vipère. Attendant de diffuser son venin ou de voir sa tête tranchée.

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A l'extérieur de la maisonnée de bois, à une dizaine de pas de la porte, une silhouette solitaire regarde la porte ouverte, un sourire au lèvre, le corbin à la main. Il y a quelques instants, un novice insignifiant à quitté les lieux. Son regard l'a jaugé, mais Il l'a laissé passer. Les clameurs montent des entrailles du temple à l'apparence misérable. La terre elle-même semble cracher les voix rugissantes et grave qui en appellent à Sa Gloire. Et Elle sourit.

Il ne faut que quelques battements de cœur pour que la petite silhouette ne soit plus aussi solitaire. D'autres ombres s'approchent. Sortent des tentes alentours. Un prêtre de Kiel étonné, s'approche plus près des autres. Assez pour voir le profile. Pour voir les yeux. Pour voir les failles sur la peau devenue charbon. Pour sentir Son regard. Les jambes coupées, il reste tétanisé. Un sourire mauvais étire le coin de la bouche de l'eldéenne. L'homme s'ébroue.

- A genoux devant votre Créateur ! " rugit-il à l'attention de la foule. Une vague de frisson. Une vague de murmure. Certains se jettent au sol sans même réfléchir. D'autres hésitent. Elle tendu une main vers la petite assemblée. Une déflagration part. Une vague de feu et un souffle puissant qui ne fait que réchauffer le dos de ceux qui sont à genoux et cueillent les autre en plein ventre, les faisant voler plusieurs mètres en arrière, gravement brûlé sur l'ensemble de l'abdomen... Et le plus gravement atteint fut celui qui se trouvait le plus proche de l'épicentre : le prêtre de Kiel qui n'avait pas su s'en tenir à sa propre consigne. Avait-il cru qu'il pouvait être le porte parole de ce dieu, peut-être ?  

Ce Dieu ne demande pas ce qui lui est dû. Il n'y a pas de rappel. Pas de seconde mise en garde. Souvent, il n'y a même pas de première mise en garde. On le lui donne ou il le prend. Elle le sait. Maintenant, peut-être s'en rappellent-ils. Il est leur Père à tous, mais Il n'est ni juste, ni compatissant. Il peut donner beaucoup, mais Il exige tout autant. Seuls les courageux et les méritants sont récompensés. Mais à ceux là, le monde sera encore une récompense trop maigre.

Dans les gémissement de la quinzaines de malheureux qui n'ont pas eu le réflexe de ramper devant Lui, arrive un groupe en arme. Des mages. Ils regardent. Ils frémissent. Ils hésitent. L'eldéenne debout au milieu des soldats à genoux ne les regardent pas. Parmi eux. Seuls deux noms ont déjà attirés Son oeil. Les autres ne sont rien. Elle regarde à nouveau la porte ouverte. Mais la voix de cette femme mêlé au magma du soleil retentit une nouvelle fois.

- Liss'na. Jhal. Ceci n'est pas votre combat. Ils sont à moi. "

Son corps vibre de puissance et de cette soif de combat. Elle vibre d'enfin trouver un adversaire contre lequel elle pourra se battre réellement. Il vibre de juger, de frapper, de voir qui résiste, d'expurger cette colère dont Il est la quintessence. Ce corps se craquelle de l'intérieur. Ce corps brûle de Son propre pouvoir. Mais Elle ne bouge pas. Elle salive. Il voit.

Comment se bat-on contre des armes sans combattant? Comment vaincre un ennemi intangible? Les dix ont la foi pour les porter, et l'experience pour les guider, alors, malgré les estafilades que la mage parvient à leur infliger, ils tiennent, ils la testent, ils découvrent ses faiblesses, ses limites. Leur regard fou va d'elle aux lames qu'elle a emprunté à Kiel. Ils parent, se défendent, contrattaquent. Ils cherchent l'erreur. Ils n'ont jamais affronté quiconque comme elle, alors il faut qu'ils apprennent. Elle connait déjà ce qu'ils vont trouver, ce n'est qu'une question de temps.

Elle ne parvient pas à avancer. S'il y avait eu des combattants pour porter ces armes, ils seraient morts dix fois. La sueur couvre sa peau. Combien de temps c'est écoulé? Bien trop est la réponse. Elle retisse en permanence ses sortilège. Ils sont vivants, mouvant, elle améliore, ajoute, tranche dans les motifs, concentrée sur sa tâche, elle s'adapte lorsqu'ils s'adaptent. Elle parvient à porter un coup. Une bien maigre victoire, car le guerrier ignore le sang qui coule. Peut-être ne le pourra-t-il pas très longtemps, mais c'est bien assez pour remporter la victoire.

Bien trop de temps. Ils auraient du déjà être là. Ils ne sont pas venus. Une hésitation, une faiblesse dans les altération des motifs. La magicienne serre les dents, elle danse plus vite, apporte une correction. Ils ne viendront pas. Ni Liss'na, ni Krish, ils seraient déjà là sinon. Elle n'a pas besoin de perdre sa concentration pour en imaginer les raisons. L'erreur en entraine d'autres, invisibles pour l'instant. La magicienne corrige plus qu'elle ne crée maintenant. Son cœur bat plus vite, le fracas de l'acier contre l'acier retentit de plus belle. Ils sentent son hésitation.

C'est perdu. Dommage que pour cette fois l'important n'était pas de participer, pense-t-elle un instant avec cynisme. Elle a envie de rire. Le novice est recroquevillé dans un coin, le messager s'est enfui. Seule contre dix, elle danse. Les mages sont décidemment insupportables.

Son cœur bat fort dans sa poitrine, la perspective de l'échec l'enthousiasme. Elle est seule. Sa vie ne dépend que d'elle. Le défi insurmontable l'excite comme jamais. Voilà ce que ressentent les ennemis des drows? Elle espère que leurs ennemis seront à la hauteur, au cas où elle survit.

Rien ne vaut la lueur de la flamme pour éclairer un lieu de souffrance. Les prisonniers avaient à coup sûr remarqué la grande suspension en bois massive qui, attachée au plafond, supportait les lampes à huiles qui éclairaient la scene de leur lumière vacillante. L'avaient-ils oubliée?

La Phord'ur connait si bien les tactiques qu'ils emploient, après tout, on les lui a appris. Ils connaissent si bien les tactiques qu'elle emploient, après tout, elle vient de les leur appendre. Ils attendent la faille, ils voient le doute, la peur peut-être sûr son charmant minois. Ils ont bien appris. Ils méritent d'être surpris.

Les sortilèges changent encore, la drow en laisse mourir une bonne partie, la puissance arcanique irrigue d'autant mieux le reste. Une dague sacrificielle vacille, manque sa cible, s'élève maladroitement, puis accélère soudainement. L'ont-ils remarqué?

Ils pressent leurs attaques. Ils ont trouvé une faille… Shyn'tae ne prend pas la peine de la corriger. Elle est concentrée.

Le périmètre se brise finalement. Dernière arabesque, d'autres parties du sortilège s'effondrent, agonisantes. La puissance se concentre dans le cœur si simple qui reste.

Un mage peut-elle feinter?

Oubliés la finesse, oublié la defense. Les lames s'élancent à pleine vitesse comme des projectiles incontrôlés.
La corde de la suspension est coupée nette par la dague dans un claquement, la gravité fait le reste.
La danse de la drow s'achèvent alors qu'elle bondit de coté, lame au clair . Sur son visage, la concentration a remplacé la peur, ses yeux brillent de plaisir. Ce plan a mille défauts. Mais il est tellement exaltant.

Le lustre explose au sol dans un fracas tonitruant, les flasques d'huile explosent, projetant des gouttelettes enflammées au travers de la piece. Shyn'tae sent la chaleur, la brulure des projections dans son dos malgré l'esquive.

Souple et vive comme un chat, exaltée, elle change de direction et s'élance dans le chaos qu'elle vient elle-même de créer.

Eveil frappe, vive et lumineuse comme une langue de flamme.

Seule contre dix? Non… C'est ce qu'elle pense, c'est ce qu'ils pensent tous lorsque les ténèbres liquides quittent les mollets de la demoiselle… Mais, dans le plan des Ombres, Yelàhitr attend. Patiemment… Il regarde comment ils bougent, il regarde comme ils s'adaptent. Ils sont des vétérans, ils sont patients mais le messager aussi possède ces qualités d'adaptation, d'observation et de patience. Il évolue autour d'eux, hors de trajectoire des projectiles de la Phor'Dur, attendant le moment, le bon moment… Le moment où il se fera oublier.

Et ce moment arrive. Pas de la façon dont il aurait souhaité, certes…. Mais les voies du combat sont impénétrables. La mélodie de Shyn'Tae change, se remplit de certaines fausse notes, mais garde une certaine harmonie.

Quand ils pressent leur attaque, oubliant le messager, une épée courte apparait brièvement, tranchant  les jambes du premier fanatique qui tombe, emportant bien un ou deux dans la suite, mais faisant reculer le reste. C'est alors que le lustre remplit d'huile explose. Projetant de l'huile et des flammes partout, faisant vaciller les ombres et la couverture du messager par la même occasion. Un bref rugissement de douleur se fait entendre du maître des ombres qui reprend substance par les flammes qui rendent les ténèbres incertaines, mouvantes.

Et avec les flammes, vient la fumée… Une odeur âcre pique la gorge tandis que certains trucs commencent à flamber à leur tour. Le visage constellé de gouttes d'huile brûlante, le messager canalise la douleur en une prière muette à Teiweon pour se focaliser  sur la tâche en court. Il faudra faire vite, l'air se fera rare dans quelques minutes au maximum.  

Une arabesque élégante, une dague qui tranche l'air, exactement semblable à Meurtrière. Et qui profite du chaos pour éviter à la Phor'Dur la mort. Il ne peut plus se cacher, mais Yelahitr peut toujours se battre. Et c'est ce qu'il fait, dans son style fantasque.

Les poumons lui brûlent à cause de la fumée âcre… Dans sa poitrine, son coeur bat rapidement, avec constance et vigueur. sa Flamme flamboie tel un phare pour son âme.  L'appel du sang est le plus fort. Il va danser avec les morts.

Le verre se brise. Le métal se gondole. L'huile jaillit en gerbes enflammées. Les loques de la prisonnière la plus proche prennent feu. Un autre bondit hors de la trajectoire de la poutre et s'effondre sur une table de bois. La lame du messager tranche le jarret d'un sombre, retenu par son camarade le plus proche qui finit par rouler au sol avec lui, hurlant en tombant tête la première dans les flammes.

L'odeur de viande et de cheveux grillés. Le hurlement de douleur plus bestial que drow. Il se jette en arrière, frappant à la fois les jambes d'un camarade et du messager avant de perdre connaissance.

Un inconscient dévoré par les flammes. Une malchanceuse elle aussi en feu. Un homme tentant maladroitement de se remettre sur pieds, la cuisse profondément entaillé et brûlée. Un autre à moitié sonné dans le coin le plus éloigné de la pièce. Une femme au flanc largement ouvert par l'une des lames que la mage avait fait tourbillonner dans sa danse. Les cinq autres n'étaient que plus ou moins égratignés.

Caelnill se tournait pour étouffer le feu qui remontait le long des jambes de la première a avoir été touchée mais un éclat l'avertit du coin de l’œil. Il fit volte face au dernier moment pour parler l'épée de la mage de guerre. L'éclat ardent redouble dans son œil. Enfin il l'avait à sa portée ! Elle est son adversaire et le Veldruk compte bien la garder commet tel. Qu'elle tente de passer à une autre cible et de se remettre à danser et il redouble de ruse et de feintes pour briser l'harmonie de ses mouvements ou sa concentration. Il est fatigué. Son dos meurtrit ne lui permet ni d'user de toute sa force, ni de tout sa souplesse. L'arme qu'il tient le blesse jusqu'aux os. La fumée lui pique les yeux. Mais il tient bon tout en tentant d'éviter les flaques d'huile enflammées.

Autour d'eux, les cinq autres se réorganisent et tentent de venir en aide leur camarade en train de brûler mais il est déjà trop tard. Tout en restant attentifs aux deux mages. Ils ne peuvent rester là. Respirer devient difficile.

Pendant que la femme au flanc fendu pare soudainement un coup du messager pour que son frère d'arme puisse lui envoyer un coup de talon dans le ventre, trois des huit survivants parviennent à passer la garde de leurs adversaires pour se ruer dans l'escalier menant à la surface. Derrière eux, l'homme à la jambe blessé clopine en soufflant comme un buffle, espérant que rien ne se mettrait sur son chemin. Aucun d'eux ne fait un geste pour blesser le novice encore recroquevillé sur le sol. Le Veldruk face à la mage. Le seul autre prisonnier encore à peu près indemne face au messager, aidé de sa compagne au flanc blessé.

... Et dans le fond de la salle, les yeux rougis par la fumée, un autre sombre secoue douloureusement la tête. Du coin de l’œil, il voit une lame brillante comme une flamme s'élancer vers Caelnill. Il n'a pas vu qu'il s'était engagé dans un duel. Il n'a pas vu qu'il ne restait que trois autres prisonniers en plus de lui. Il ne réfléchit pas. Il fonce, tête la première.

Dans un hurlement de rages, le nom d'Uriz sur les lèvres, à main nue et sans prendre garde aux flaques sur son passage, il se jette sur la mage pour la faire chuter sur le sol glissant. Cette garce finira dans le feu de joie qu'elle a elle-même lancé et s'il doit s'empaler lui-même sur son épée pour la lui faire lâcher, il le ferait.

"Donnez-moi un point d'appui, je soulèverai le monde." La citation ne disait pas ce qu'il adviendrait une fois le monde ainsi soulevé.

Le chaos. L'huile en flamme coule sur le sol. Les flammes. Vivantes, elles s'emparent de tout ce qui se consume, et s'étendent. Une fumée âcre s'élève et s'accumule au plafond. Elle brûle les poumons, les yeux. Shyn'tae a renversé la table, mais à quel prix? Cela a-t-il de l'importance, entourés par les flammes qui font roussir leurs cheveux, le Veldruk et la mage se font face. La lame forgée par Uriz prélève un éclat au tranchant sans faille d'Eveil. Parade, riposte. La sombre recule d'un pas, vive comme un chat. La lame aiguisée siffle prés de son visage. C'est un excellent combattant. Elle repart aussitôt à l'attaque. Feinte, puis taillade. Son style est sauvage, ce dont elle manque en puissance, elle le compense en vitesse. Elle peut gagner

Son regard ardent est fixé dans le sien. Auparavant, c'étaient deux stratégies, qui luttaient. L'affrontement a poli leurs différences jusqu'à leur plus simple expression, seul reste le combat entre les deux sombres, et le monde qui s'effondre autour d'eux. Elle ne cherche pas à incanter, ni à s'échapper. Elle peut le vaincre. Un problème après l'autre.

Un mouvement à la limite de son champs de vision attire son attention. Danger, souffle l'instinct. Le drow surgit des flammes. Il hurle SON nom, le masque de la rage habite son visage. Il va la percuter, l'écraser avec lui dans le brasier qu'elle a elle-même allumé. Echec est mat.

L'épée du Veldruk fend l'air, coupante comme la volonté qui lui a donné naissance. Elle remarque qu'il est aussi surpris qu'elle.

Peut-on prendre le temps de penser dans ces moments là?  Le nouvel arrivant ne cherche pas à se protéger. Elle veut vivre.

Eveil change de trajectoire, la mage pivote vive comme le vent pour l'accueillir comme il se doit. Un choc, une vibration se propage contre son épaule gauche, ce doit être la lame qui est arrêtée par l'os, pense-t-elle avec une étrange indifference. Normalement, rien de vital ne passe là. Le fou s'empale sur Eveil. La lame droite glisse entre les côtes sans effort. Elle cherche le cœur. Shyn'tae le regarde dans les yeux s'apercevoir que ses forces lui échappent. Même la rage la plus folle ne peut rien face à la mort.

Les côtes retiennent Eveil. Il tombe. Elle est entrainée par son poids. Il s'accroche faiblement. Elle vacille. Le sang chaud verse sur son torse, sur son flanc, sur ses cuisses. Le sien? Lâche. Eclair de lucidité. Le temps reprend sa course, elle s'appuie sur la poignet d'éveil pour se dégager, la lâche. Le corps tombe en avant dans les flammes. Le sol de pierre dur rencontre l'épaule droite de la magicienne.

Elle a vu le messager revenir de nul part. Shyn'tae espère qu'il s'en sort. Mais il doit avoir fort à faire.Elle est seule. L'air brûle ses poumons, ses muscles sont douloureux. Sa peau souffre de la piqure des flammes, la chaleur la fait vaciller. Mais ici, il y a de l'air. Même si elle en profite, la sombre doit se relever…

Pour se rétablir, elle pose la main au sol. A la place de la pierre, ses doigts touchent le metal.

Caelnill ouvre de grands yeux dans la fumée de plus en plus opaque. Son adversaire vient d'être reversé. Dans les flammes, la fumée et le sang, elle n'a aucune chance d'avoir survécu à une charge directe. L'homme qui vient de se sacrifier est un bon bretteur, il aura frappé droit au but. Le Veldruk n'a pas eu le temps de voir que son compère n'avait pas d'arme au moment de percuter la mage. Il ne voit presque plus rien de toute façon. Il a préféré se tourner vers son dernier camarade encore debout. Un coup. Le messager tousse, se recroqueville et chute. Le prisonnier se plie en deux, une main sur le visage.

Le Veldruk saisit son frère d'arme par le bras et le tire vers le couloir, incapable d'articuler le moindre mot mais le cœur extatique... Jusqu'à ce qu'il pause le pied sur la première marche de l'escalier. L'autre monte déjà sans se retourner. Sans doute n'a-t-il pas entendu ce qu'il vient d'entendre. Ce qu'il ne peut ignorer.

Un bruit de métal. Un mouvement. Il y en a encore au moins un de vivant.

Il le sent. Il le sait. C'est son combat. Son occasion. Il ne peut laisser un adversaire en vie. Ce serait un blasphème de ne pas finir cet affrontement.

Sans autre hésitation, les muscles tremblants à cause de la fatigue et du manque d'oxygène, il replonge une dernière fois dans la fournaise. C'est eux ou lui.

Uriz puisse le regarder.

Les doigts de la drow se referment par reflexe sur le metal. Un éclair de douleur la traverse. Son regard se pose sur ce qu'elle a trouvé. Elle voudrait en rire. Le hasard est si cruel. L'atmosphère est irrespirable, elle tousse, sa main ensanglantée se referme sur la poignet de l'arme, et elle se retourne, les flammes sont partout, le Veldruk n'est plus là. Il ne l'a même pas considérée digne d'être achevée. Elle l'a laissé s'échapper. Combien en a-t-elle laissé partir? Leur colère va-t-elle se propager aux Osts?

Tout le plan de Krish s'apprête-t-il à voler en éclat, brisé par sa propre fierté?

Elle a échoué.

La drow titube à la recherche d'Eveil, l'arme serrée dans sa main droite. Sa pointe brillante comme un joyau dépasse du corps peu à peu consumé par les flammes.  

Au dessus, une silhouette se dessine dans la fumée. Shyn'tae s'arrête, ignorant la douleur, ramassée comme un fauve. Son cœur manque un battement. IL est revenu. La colère l'envahit. Il la voit derriere le rideau de flammes au moment où elle s'élance. Son pied nu s'appuie sur le corps du bretteur, et en hurlant elle bondit sur lui. La colère, contre lui, qui ne voit qu'un minable combat gagné d'avance contre une cité qui sera bientôt leur.

La dague crisse le long de l'épée que lui a offert Uriz, il doit reculer d'un pas, il donne un coup de taille, il ne trouve que quelques mèches de cheveux neige. La colère contre la triumvir qui a laissé cette situation se dérouler.

La dague revient, le vétéran est déséquilibré, elle prélève son sang. La jeune mage est trop prés, il doit encore reculer d'un pas, trop proche des flammes, déséquilibré. La colère contre elle, trop pathétique pour empêcher les événements d'en venir à leur conclusion.

La dague de Kiel croise l'épée d'Uriz. La douleur pénètre sa cuisse, mais c'est trop tard. le metal aiguisé comme un rasoir fend l'air sans émotion. Il tranche dans les chairs sans pitié.

Sa gorge ouverte, sa vie s'écoule. Uriz puisse le regarder.

La mage tousse, l'épée de Caelnill tombe au sol dans un fracas métallique. Paniquée, elle regarde autour d'elle, avise le novice prostré. Aucune trace du messager dans la fumée, elle espère qu'il est déjà parti.  

- SORS DE LA!

Il ne bouge pas. On ne laisse personne derriere. La magicienne pense un instant aux deux prisonniers encore dans leurs boites. Ils sont trop loin dans la pièce, déjà fichus, pense-t-elle avec dépit. Elle glisse l'arme dans sa ceinture, et attrape l'épaule du jeune sombre pour le tirer dehors, les poumons en feu.

Shyn'tae grimpe les escaliers en trébuchant dans la fumée, le moindre mouvement un effort intense. Elle tombe une fois, sa jambe refuse d'obéir à sa volonté. Mourir asphyxiée dans un escalier… Si on lui avait prédit cela…

Le novice la prend par l'épaule, et la relève. Il la soutient alors qu'ils avancent, marche après marche, pour ce qui semble une éternité.

L'air relativement pur du ras du sol permet à Yelàhitr de rependre un tant soit peu ses esprit. Toussant toujours, il prend le temps de sentir sur sa peau brûlée l'infime courant d'air frais. Par un réflexe animal, ne pouvant plus se fier sur ses yeux ni son odorat malmené, il se relaye partiellement sur sa peau qui n'a pas toute brûlée et ses oreilles. Il pourrait penser à sa détresse, a sa vulnérabilité, mais en cet instant critique, penser c'est mourir.

Douloureusement, il progresse sur les coudes et les genoux, s'éloignant de la Fournaise. Heurtant un mur de pierre, le messager tâte un peu, n'ayant pas l'énergie de réfléchir. Aussi se réfère t'il à son instinct. Le bruit de Shyn'Tae et du Novice qui passent à sa gauche sans discrétion lui indiquent le chemin…

Il y a de longues secondes, de très longues secondes après que la Phor'Dur soit sortie… Le messager n'apparait toujours pas. Non?....

Une main noire apparait dans la fumée, suivit d'une armure fumante… Toussant, crachant, respirant bruyamment par sa trachée malmenée, le messager n'a même plus la force de se trainer plus loin. Il s'affale, les pieds encore dans les escaliers, les mains se crispant de douleur. Au moins lui reste il assez d'énergie pour se tourner sur le dos, révélant à tous les brûlures de son visage cloqué.

Par Uriz, Par Teiweon qui n'est pas venue chercher sa Flamme même si, en cet instant précis, Kiel lui fait presque souhaiter que la Mort l'emporte. Pour le moment, ses yeux irrités ne voient que de façon fort floue la foule qui l'entoure.

L'orgeuil X'Ianxin le fouette… Non, on ne se précipitera pas à son secours…. Rassemblant ses dernières énergies, il finit de se trainer, à la force des poignets, hors du bâtiment…

Les derniers vivants s'extirpent de la bicoque en flamme. Lorsque les deux mages arrivent à atteindre la sortie, la foule est toujours là. A ceux qui ont été réveillé par les fervents appels ou les gémissement de douleur des quinze malheureux fauchés par Son impatience, s'ajoutent ceux venus éteindre le feu et ceux réveillés par le ballet que forment tous les autres. Un genou en terre ou presque à plat ventre, ceux qui osent regarder le spectacle ne le font qu'avec circonspection. Quelques soigneurs - les moins abasourdis - ont commencé à rapatrier les blessés loin de la scène.

Mais leurs yeux fatigués par la fumée en ont-ils seulement conscience alors qu'une vision bien plus prenante s'étale en dégradés de rouges entre eux et les premiers dévots.

A trois pas du seuil, une dent laissée dans la poussière accompagnée d'une marque d'un noir rougeâtre prévenait les survivants que la fournaise n'était qu'une pierre du chemin. Puis venait un visage... Du moins ce qu'il restait d'un visage... Ou d'une partie d'un visage. Des membres. De la chair. Arrachés ou coupés ? L'odeur métallique du sang gorgeant la terre battue se mêle au charbon et à la chair brûlée.

Seule au milieu du massacre, un genou en terre et courbée sur un corps en pleine convulsion, la silhouette sanguinolente d'une eldéenne ne leva pas même le visage vers les derniers arrivant. Sa main était collée au visage du mourant dont les vagissements étaient à deux doigts de rompre ses cordes vocales. L'autre tenait l'une des lames à poignée aiguisée des prisonniers. Elle se courba encore plus. Les hurlement se firent gémissements. Une voix rauques aux paroles indistinctes s'adressa au malheureux. Il hoqueta et se contorsionna pour tenter de se mettre à genoux et ramasser son arme. Son bras droit manquait et sur la moitié droite de son crâne dépourvu d'oreille s'étendait une marque de brûlure en forme de main. Dans un gargouillis difficile, le blessé entonna une prière à la gloire du Destructeur.

La silhouette qui le surplombait se redressa en respirant à grands traits. Des coups de lame particulièrement aiguisées marbraient sa peau comme si l'intégrité de son corps n'avait pas grande importance. La tunique blanche dépourvue de manche était déchirée et gorgée de rouge. Ses cheveux habituellement blanc n'étaient pas en meilleur état. Mais Ses yeux d'or tombèrent enfin sur les derniers arrivants. Un sourire carnassier fleurit sur le visage malmené. Sa prise se raffermit sur son arme, ajoutant encore un peu de sang sur la lame.

Shyn'tae grimpe les marches, une à une. Elle s'appuie sur l'épaule du novice, son souffle court. Sa tête tourne. Puis l'air frais du dehors emplit leurs poumons. Les détails qu'on oublie quand tout va bien. Les détails qui sont en réalité l'essentiel.

Elle émerge de la fumée devant la bicoque en flamme. Elle est en sueur, appuyée sur la jeune drow qui la aidée à grimper les marches. Qui a sauvé qui? Une question pleine de philosophie qui traverse comme une étoile filante l'esprit de la magicienne. Sa longue chevelure comme ses sourcils sont roussis, noircis, l'ombre de ce qu'elle était. Sa jupe en lambeau porte les traces des brulures, tout comme sa peau constellée de marques et d'estafilade.
Une profonde coupure déchire son avant bras gauche, le membre couvert de sang.. tout comme son torse, et son visage.

Devant elle, les drows agenouillés. Si nombreux. Elle reconnait ses mages dans l'assemblée. Logique qu'ils ne soient pas venus, note-t-elle avec détachement. La raison aurait pu être bien pire, elle est satisfaite qu'ils soient tous encore en vie.

Et devant elle, Uriz, dans la chair de son avatar, qu'il a malmené sans considération. Le novice tombe à genoux et s'écrase au sol, la faisant vaciller. Elle force et parvient à se rétablir. Le sang bat fort dans ses veines. Autour d'eux, les corps de ceux qui ont commis l'erreur de remonter. On ne fuit pas un combat. Que croyez-ils donc? Qu'Uriz voulaient leur liberté? Ils n'ont rien compris.

Il la regarde, son sourire carnassier, la lame à la main. Elle trouve Krish magnifique, plus encore que d'habitude. Mais il lui manque le plus important. Que doit-elle faire? Que voudrait-elle faire d'ailleurs? Voir ainsi l'Eldéenne la révolte, elle s'aperçoit finalement qu'elle est aussi en colère contre LUI. Elle ne devrait pas, mais on ne contrôle pas ses émotions. C'est un dieu, pour lui elle n'est rien. Ils ne sont rien.

Son corps à l'agonie, elle lui sourit en retour. L'audace de ce seul geste la fait frémir. Ce combat était magnifique. Elle espère, sans savoir s'il faut y croire, que ce n'était pas le dernier. Elle sait qu'il n'en aura jamais assez, mais que faut-il, pour que ce soir au moins, il soit rassasié?

Debout.

Ils Le défient et ils L'accueillent, délivrés de toute peur. La rage au ventre pour l'une. La détermination vissée au corps pour l'autre. Oh oui, Il pourrait les tuer. Dans leur état, même sans aucun pouvoir, ce serait aussi facile que de moucher une bougie. Ils en ont parfaitement conscience. Il est satisfait, mais la tentation est forte... Elle les regarde. Elle frémit face au visage de Shyn'tae.

Un bref instant, une vigueur nouvelle circule dans le bras inutile de la magicienne. Une chaleur pulse au creux de ses muscles, si soudaine et si puissante qu'il est impossible de dire si elle est douloureuse ou agréable. Puis la sensation s'évapore, ne laissant qu'une tonicité renouvelée qui s'effacerait avec le temps.

La lame à poignée aiguisée tombe au sol. Un peu plus loin, le corbin qu'ellemanie habituellement git au milieu du carnage sans qu'Il ne s'en préoccupe. Sans un mot, elle fait demi tour et ses grands pas la mènent à travers le camp vers sa propre tente, comme si de rien était. Elle ne jette pas un regard de plus aux soldats agenouillés, aux faibles vaincus ou aux deux féroces guerriers qui s'en étaient sorti. Elle ne prête pas la moindre attention à sa tunique en lambeau devenue rouge ou à ses cheveux alourdis et emmêlés par le sang. Elle ne semble pas éprouver la moindre douleur alors que son corps criblé de coups d'épée bouge sans considération pour ses blessures.

Devant la tente qu'elle partage avec le Grand Architecte, une trace de sang a remplacé le corps meurtrit de Jallyss. Shandara n'est pas non plus en vue, mais Ferya et Xundath restent dans l'ombre, arme en main et genoux à terre. Elle sait qu'ils lui ont promis de veiller sur Myr'Hennis comme s'il s'agissait d'elle, mais jamais il ne feront un geste pour Le gêner.

Elle repousse les pans de toile qui obstruent l'entrée de la tente d'un bras alerte, retrouvant les contours familiers de ce trou de souris où se trouve son compagnon. Elle frémit une nouvelle fois en le redécouvrant et ses lèvres s'agitent sans se préoccuper de ce qu'il fait, dit ou pense.

- Rappelle-lui ça, le jour où elle refusera à nouveau de combattre en mon nom. "

Entre le lit et le bureau, le corps malmené de la Prime Feu vacille. Puis s'effondre. A demie consciente, Krish s'accroche à l'éveil de toute la force de sa volonté. Dans l'atmosphère nocturne, ses yeux rouges pailletés d'or sont grands ouverts mais incapables de se fixer sur quoi que ce soit. Elle ne gémit pas, mais respire par à coups rapides, peinant à ne pas céder à la panique.

Le départ d’Uriz de la tente avait laissé le Grand Architecte tremblant et ce ne fut qu’après plusieurs minutes qu’il réussit à se relever ; le daedhel pouvait s’opposer à l’avatar du Père mais il n’était pas assez suicidaire pour se mettre en travers de la manifestation physique d’un dieu. Comme quoi même Myr’Hennis avait des limites. Cette soirée avait présenté au moins deux choses nouvelles pour lui. La première, et la plus évidente : être témoin de l’apparition d’un dieu et pas n’importe lequel en plus de ça. Uriz avait eu l’intérêt pour l’architecte de le faire renouer avec sa peur même si elle serait sans doute partie le lendemain. Cette rencontre, qu’il espérait tout de même qu’elle reste exceptionnelle, avait forcé le Monstre à se coucher et se taire complétement dans le crâne de son hôte ce qui était aussi une première fois.

Et Myr’Hennis s’était rendu compte que ce n’était pas si désagréable que ça. Peut-être qu’il y avait quelque chose à explorer pour une nuit ou deux, il en parlerait peut-être avec Krish. Du moins il se disait ça pendant seulement quelques instants car une partie un poil plus rationnel ne mit pas bien longtemps à se dire que finalement ce n’était pas forcément une bonne idée de mêler directement Uriz à leurs ébat.

Mais peut-être que le Père accepterait d’en parler à sa nièce… en effet il était bien plus probable que la Belle accepte même si la même partie plus rationnelle de son esprit disait à Myr’Hennis que ça n’arriverait jamais cependant ce dernier n’aurait jamais atteint la position qu’il occupait s’il écoutait cette partie rationnelle. J’ai placé mon existence sous son égide et j’ai passé ma vie à lui offrir tout un tas d’offrande. Elle peut bien faire ça pour moi quand même… lorsque la partie rationnelle de son esprit lui expliqua avec une certaine lassitude qu’Isten n’avait peut-être pas que ça à faire il renvoya cette petite voix ô combien désagréable dans les abysses.

Un sourire passa sur les lèvres de l’architecte alors qu’il commença à sortir de la tente, il ne s’était pas vraiment attendu à ce qu’une rencontre divine le laisse avec un nouveau fantasme à assouvir mais maintenant que c’était fait autant en profiter. Son sourire s’agrandit en voyant qu’Uriz avait eu la délicatesse de lui laisser un cadeau ; c’était dommage pour Shundara parce qu’il l’aimait bien mais elle l’avait cherché aussi, ça lui apprendra à avoir déserté avec le Quatrième Ost. Enfin il le supposait, en réalité il ne savait absolument pas pourquoi est-ce que la mage de vie se trouvait là. Mais le vrai cadeau, c’était le cadavre de l’autre repenti. Alors certes Myr’Hennis aurait préféré ordonner la mise à mort de Jallys lui-même mais bon, il n’allait pas se plaindre pour autant, pour une fois qu’on est bien servit par autrui, et puis au moins personne n’allait pouvoir l’accuser de quoi que ce soit. Mais ça ne voulait pas dire que l’architecte ne pouvait pas se venger lui-même, ça serait simplement moins jouissif parce que le repenti était mort. Le Grand Architecte envoya donc un coup de pied bien senti dans le flanc du cadavre avant de lâcher un vilain juron parce qu’évidemment Jallys avait eu la mauvaise idée de porter une armure et que Myr’Hennis avait les pieds nus.

« Même mort tu trouves un moyen de m’emmerder. » Grommela l’architecte qui rentrait dans la tente en boitillant pour s’asseoir sur le lit afin de masser son pied endoloris.

Mais il ne resta pas bien longtemps assit là, après tout le lit il commençait à le connaître plutôt bien, contrairement à ce que pouvait bien vouloir un dieu, surtout à cette heure-ci. Alors il se leva pour sortir de la tente et regarder ce qu’Uriz faisait. Myr’Hennis ne voyait rien directement mais il pouvait suivre à la trace la divinité à travers le camp, il n’avait qu’à suivre les incendies, les prières et les bruits de combat. Ça ne répondait pas tout à fait à sa question mais au moins ça lui offrait un spectacle intéressant, un spectacle qu’il n’avait pas envie de voir de plus près. Jusqu’à ce que deux nouveaux repentis apparaissent pour lui dire de rentrer à l’intérieur de la tente. D’abord l’architecte refusa, il n’avait pas l’habitude de recevoir des ordres et puis obéir à des repentis n’est pas vraiment quelque chose qu’il appréciait particulièrement cela dit il se rendit vite compte que ce n’était pas forcément une mauvaise idée.

Lorsqu’Uriz entra dans la tente Myr’Hennis courba à nouveau l’échine, un genou à terre, il acquiesça, ça il pouvait le faire et puis il aimait bien rappeler des trucs aux autres. De plus il se voyait mal refuser quoi que ce soit à un dieu qui le lui ordonnait directement. Même s’il aurait aimé, l’architecte ne put pas rattraper sa compagne mais en l’entendant toucher le sol il relève la tête et se précipite à son chevet en voyant que le Père ne la contrôlait plus. Pouvant à nouveau la toucher sans risquer de perdre des bouts de peau il la prit dans ses bras.

« Krish? Tu m’entends? » La tenant d’une main il fit passer l’autre devant ses yeux et claqua quelques fois des doigts. « Aller restes avec moi... »

Elle aurait du s'agenouiller, mais elle n'arrive pas à trouver la volonté pour cet effort de plus. Elle craint certes de ne pas y parvenir sans s'effondrer toute entière, mais ce n'est pas la véritable raison… Il pourrait les tuer, elle sait que ce serait si facile. Dans son état, n'importe qui le pourrait, alors Lui... Elle devrait s'agenouiller, se soumettre. C'est seulement… qu'elle ne peut pas s'y résoudre.

Le regard d'or se fixe sur eux. Le regard d'or se fixe sur elle… Ce sourire la fait frémir, et se tendre. A cet instant, elle sait qu'il est satisfait. Satisfait de ce chaos, de ce désastre, de ce conflit.

Un éclair de sensations la traverse soudainement, elle ne parvient pas à retenir un hoquet de surprise. Froid, chaud, pression, plaisir… Son membre usé s'illumine d'une multitude de sensations contradictoires, violentes. Chaud Elle tressaille, son poing se ferme. La Douleur, intense, s'empare du bras gravement blessé, qui tressaille.

Ses yeux s'ouvrent grand, et il se détourne alors qu'elle vacille. SON épée tombe.

Elle a réussi. Qui oserait remettre en cause les décisions de Krish? Ses jambes cèdent, elle tombe. Son corps tout entier se rappelle à elle, même ce membre blessé qu'IL lui a pour l'instant rendu. Surtout ce membre blessé. Brulée, coupée, meurtrie.

Elle a réussi. Elle est encore vivante. Son champs de vision devient flou.  L'a-t-il récompensé? Uriz ne récompense pas. Sa joue touche le sol, l'épée ensanglantée d'Uriz, le sol poussiéreux rougi sont tout ce qu'elle voit.

Quelqu'un se penche sur elle et la retourne sur le dos, cherche son pouls. La drow aimerait sentir la présence rassurante d'Eveil à ses cotés… Un sentiment de panique l'étreint. Elle l'a lâchée… Elle l'a perdue.

D'abord survivre… Le sort de Krish lui vient à l'esprit. Shyn'tae voudrait être là-bas avec l'Eldéenne plutôt qu'ici. La Phord'ur tente de se relever… Elle retombe.

Tout va bien se passer…

Elle a du mal à y croire.