C'qui faut pas faire pour les mômes | Brohan

Moitié de la 5ème ennéade de Karfias de l'an 17
Au 'Tourne-Gambette'

Un corps tremblotant, vêtu vulgairement. Une figure tremblante, retenant à grand peine ses larmes. Face à celle-ci, une autoritaire et âgée, expliquant sans détours ni pitié. La réalité, sans gloire ni douceur. V'la qu'la mère en a ram'né une autre... Au même titre que l'argent de sa fille avait permis de changer quelques vieux meuble branlant, de mettre un peu de peinture sur celle qui s'écaillait depuis des années, la tenancière s'était permise de ramener plus de filles, dont celle qui se tenait à présent devant elle.
Apprêtée pour séduire, tremblant d'avoir à le faire, d'avoir à aller au delà.

La demi-drow a ouvert la porte, comprend vite. Vu tant de fois, écouté tant de fois, questionné tant de fois. Moi, j'décidé d'partir. Y en a qui l'peuvent pas.

"J'essaye, madame... J'essaye... sanglote la fille.
- J'te d'mande pas d'essayer ma grande, j'te d'mande de faire. répond la matrone du bordel. C'est l'deuxième qu'tu renvois d'tes pleurs ! C'pas c'qui les intéressent ces gars, c'pas comme ça qu'tu vas les faire r'venir.
- Je ne peux... Dès qu'ils viennent, quand je m'allonge, quand ils me touchent, je me rappelle... Martiale... Mais i-ils ne sont pas lui.
- T'l'as perdu ton jules, y r'viendra pas d'là où il est. soupira la vieille. Tu t'rappelles c'que tu m'as dit ? Pour tes mômes... ? J'peux pas t'garder contre rien ma grande..."

Combien de temps à écouter, n'osant parler, interrompre... Pourquoi j'v'nais déjà ? L'humaine à la beauté oubliée se tient face à la jeunette, lui tenant les épaules, geôlière, mais aussi soutien. A la place de la jeune mère, la dem-drow se serait détournée, outrée, pour franchir la porte et ne jamais revenir. Ce qu'elle avait fait, en réalité. Mais oublié définitivement les lieux et les siens... Non, elle n'avait jamais pu. C'était agaçant et rassurant à la fois.

"Maman ! Pourquoi tu pleures ?" demanda une voix fluette.

Avec surprise, la demi-drow baissa la tête vers la bouille qui s'était glissée entre elle et le mur, contre lequel elle s'appuyait. L'un des marmots sans doute... ? Un garçonnet vêtu de vêtement grossier, aux cheveux en brosse...

"Mleshka ! La dénommée releva la tête, découvrant la figure contrariée de la mère, et larmoyant de la fille de joie. Tu m'l'emmènes, veux-tu ?"

Non sans un soupir, la demi-sombre tira le petit en arrière, celui-ci faisant mine d'échapper à sa poigne... Avant qu'un mot doux, hoqueté par sa mère, ne le laisse indécis mais enclin à suivre la Grise. Léréon, hein ?

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Peu après
Au port

Que faire avec le môme d'une nouvelle putain sur les bras, le temps que cette dernière trouve le courage d'ouvrir les cuisses ? Cette question, ce n'est pas la première fois que la Grise devait lui trouver une réponse et, tout naturellement, elle emmena tout simplement l'enfant loin de la Place aux Lanternes. Ses bordels, ses filles de joie... Changer d'air serait bienvenu.

Au hasard de ses pas, la demi-sombre le mena jusqu'au port. Là, dans le calme nocturne, des voix braillaient depuis les nombreuses tavernes crasseuses, des silhouettes vacillaient de là, s'effondraient ici. Cependant, ce n'était pas le charme de la population des docks qui attirait le plus la Grise. Non, s'éloignant des gaillards braillards, profitant de la lumière d'un ciel clair et dégagé, elle guida l'enfant vers les géants clapotant sur l'onde noire, aux reflets ondulants.

"T'as d'jà pris l'bâteau, Léréon ?" dit pensivement la Grise, après un temps.

Silence. Murmure de l'eau, des cordages... Une petite voix. La demi-drow sentit une petite main se resserrer sur le sienne. L'air marin les changeait de celui, plus lourd et chargé, de la cité.

"Pourquoi Maman... Elle pleurait ? Elle voulait pas venir, mais elle est venue, et maintenant elle est triste..." souffla l'enfant.

Eh merde...

"Tu sais... Enfin... Non, il sait pas, ils savent jamais, les mômes quoi, eh merde... Ta maman avait du mal à vous trouver d'quoi manger, alors... Ici, avec nous, vous pourrez manger, mais elle doit faire quelque chose qui ne lui fait pas plaisir. Mais au moins vous avez à manger, tu vois..."

Regardant un beau rafiot, la demi-drow pesta intérieurement de ne pas trouver les mots. C'pas à moi d'lui expliquer ! Sans lâcher la petite main, elle s'accroupit au niveau de l'enfant, cherchant dans la faible lumière, à accrocher son regard. Compliqué, pour qui ne voyait pas mieux dans le noir qu'un humain. L'odeur de la mer, du sel, des vents venant de loin, des algues...

"Elle t'aime ta maman, toi et tes soeurs, c'pour ça qu'elle...
- C'est à cause de moi si elle est triste ?" demanda l'enfant, avec une naïveté brutale.

La demi-drow se retrouva muette, soudainement. Non c'est pas c'que j'v... Un mouvement la fit voir l'éclat des petits yeux. En larmes. Et la mimine qui s'enfuyait. Eh meeeeer- Trébuchant, la Grise se releva précipitamment, tendant le bras sans réussir à atteindre le petit garçon qui galopait à toutes jambes.

"Léréon, attend...! LEREON !" glapit la Grise, avant de s'élancer à son tour.

Oh oui la demi-drow est grande. Oh oui l'enfant est agile. Esquiver, filer dans une ruelle, se glisser sous une pile branlante, jouer des ombres et des recoins... Et la Grise de l'appeler, bien emmerdée. Si j'le paume... ! Crétin d'gamin, eh merde, eh meeeeerde !

Curieux reflet que le garçonnet pouilleux qui se retrouva avec une épée de bois sous le nez, que tenait un autre garçon, on ne peut plus bien vêtu lui. Mais l'enfant de peu n'en avait que faire, se relevant avec les mains écorchées et la trogne larmoyante. Se faire menacer ne l'apaisa cependant en rien et, tandis qu'il se relevait, il répondit avec une voix bien trop aiguë, et quelque peu geignarde, le souffle encore court d'avoir pleuré et couru.

"C-c'est- c'pas moi ! C'toi qui m'a fait tomber ! Ses mains, il ne savait où les poser, regardant alentours, le gamin inconnu. T'sais pas dire pardon ! On court pas comme ça, c'pas bien ! Pis on s'fait mal..."

Et l'enfant de baisser piteusement les yeux vers ses mimines, les sanglots lui revenant à grands bouillons à présent qu'il ne courait plus.

La Grise, en revanche, dû trouver comment éviter de les percuter.

Surgissant d'une ruelle adjacente, elle découvrit bien trop tard Léréon debout, planté en travers du chemin. L'esquive eut été facile... S'il n'y avait pas un deuxième marmot juste devant. Ouh m... ! Freinant des quatre fers, sentant qu'elle allait s'effondrer sur le premier, elle bondit et leur passa au dessus, finissant cul le premier dans un tas de cordage et de détritus. Plutôt dur, l'atterrissage. P'tain môme qui court pis qui traîne-là, raaaah... Le coeur battant à toute allure, elle se redressa précipitamment, rivant sur l'enfant un regard rageur.

"Qu'est-ce c'était qu'ça ? T'crois qu'j'ais qu'ça à faire d'te courir après ? fulmina-t-elle, avant de redécouvrir l'autre petit. Qu'est-ce c'est ? Range ton épée morveux, 'vant qu'j'te la mette dans l'fondement. asséna-t-elle froidement, sans s'attarder sur lui.
- M- mais, c'lui qu'ma fait tomber... geint Léréon.
- Rien à foutre, c'pas l'heure ni l'lieu pour c'te connerie."

Fulminant, la chevelure et la chemise en vrac, la demi-drow mettait on ne peut plus en valeur son héritage sombre, baissant sur les enfants un regard noir bien loin de son air railleur ou guilleret habituel. Elle avait rattrapé Léréon, c'était le principal, mais à la figure du môme à l'épée de bois se superposait le risque, évité par chance, d'un adulte véritablement armé.

"Mais, mais c'est pas vrai !" s'exclama le morveux, alors que la demi-drow le poussait derrière lui.

Un p'tit avec un épée d'bois, derrière lequel y en a plein d'autres avec des lames d'acier... Autant dire que les dents de la Grise grincèrent allègrement devant ce revirement de sa situation, clairement en sa défaveur. S'tu crois qu'j'pige pas c'que tu racontes, tête de paille ! Un semblant de bon sens l'empêcha de le clamer derechef, la laissant simplement foudroyer du regard les gaillards auquel le gamin rapportait l'altercation.

D'abord on r'm'refile un p'tain d'gosse 'vec des questions d'merde plein l'bec, 'près j'me r'trouve face à un autre qu'chie des embrouilles dès qu'il ouvre son clapet. Putain d'soirée ! En d'autres temps, d'autres lieux, une autre humeur, la demi-drow eux simplement fait la benêt et s'en serait allée sans demander son reste. Eviter les soucis était une bonne manière de vivre plus longtemps, méthode qu'elle pratiquait - plus ou moins -. Mais, présentement, le cognard dans sa poitrine en décida autrement. J'aime pas ton sourire, ni ton armure d'casserole, l'Péninsulaire. Toisée par bien trop de monde, elle joua la carte du bluff et bomba le torse - quel avait plat et en grande partie dévoilé par son éternel décolleté -, l'oeil noir et l'expression orageuse. Finirait-elle rouer de coups par ces gus, agacés par sa grande gueule ? Une petite part d'elle s'en inquiétait, tandis que l'autre clamait simplement son envie de distribuer des tartes.

"C'que j'voulais faire mon grand, c'chopper l'braillard qu'j'garde 'vant qu'y lui arrive des crasses. susurra-t-elle avec une fureur sous-jaccente. 'Manque d'change, l'a croisé l'vôtre. C'court vite les p'tiots, pas vrai ? Les nargua-t-elle avec un sourire en coin de connivence. Qui qu'a cogné l'autre, j'm'en tamponne, par contre, qu'il apprenne qu'a part énerver les gens, agiter son épée d'bois lui servira pas à Thaar, l'morveux. Puis rapporter aux grandes personnes après qu'il ait fait l'con... Elle rit. Qu'il sache reconnaître une vrai menace. J'cogne pas les mômes. J'me rappelle d'quand j'en étais une : les mandales, c'peux vite casser les p'tits os."

Derrière-elle, la demi-sang devinait Léréon qui s'agitait. Nerveux, 'vec ta connerie ? Découvre les gosses bien nés : qu'ils s'énervent, et leurs chiens rappliquent aussitôt ! Sa grande gueule et une épée courte qu'elle maniait avec une maestria fort relative, telles étaient ses seules défenses. Enfin... Ses connaissances de la ville pourraient lui servir pour décarrer vite-fait. A condition de ne pas se faire chopper avant d'atteindre une vitesse adéquate.

Estomaquée, le mot était juste. Non content de tomber face à un enquiquineur - Les bonnes gueules qu'ont un balais dans l'cul, un classique. -, qui avait vu ses 'frères' rappliquer, la demi-drow découvrit que le marmot dont il avait la charge était encore plus agaçant qu'estimé jusque-là. Ayant reculée sagement suite à la 'suggestion' du bonhomme en armure, la demi-drow regarda Messire Balais dans le Derche se faire mener par le bout du nez par Bambin Trois Pommes. Un sale gosse qui qu'en réclame un autre comme esclave... Qu'est-ce que c'est qu'ces mômes ? Cela dit, la déconvenue du type avait un certain charme, tant que le gamin n'en tirait pas ce qu'il exigeait en piaillant. L'air de rien, la Grise avait reculé d'encore un pas, tout en jetant un coup d'oeil alentours. Comme quoi les armures poussaient comme des mauvaises herbes, en cette agaçante soirée.

Malheureusement, elle ne vit pas les regards inquiets que lança Léréon sur les nouveaux venus, ni sa figure se tordre d'une angoisse éperdue.

"J'veux pas être son sclaveuuuuux ! larmoya soudainement l'enfant ! J'courais pu loin, j'veux maman ! Mamaaaaaaan !"

Le sourire amusé de la demi-drow dépérit dans l'instant sitôt qu'elle entendit cette douce lamentation, et se changea fort naturellement en grimace. Un marmôt braillant sur les bras, en plus des gars en armures au petit tyran esclavagiste... M'apprendra à prendre soin des mômes des autres. La gifle eut été tentante, mais quelque instinct poussa la demi-drow à dire "Un instant." à la cantonade, avant de se tourner vers l'enfant et de le prendre tout bonnement dans ses bras. C'est qu'elle en avait vu des mères défiler au 'Tourne Gambette'. Le bigner pouvait le faire se taire comme repartir en courant.

"Tu s'ras pas esclave, n't'en fais pas. souffla-t-elle à la petite tête brune. Ta m'man va faire c'qu'il faut, et tu s'ras bien chez nous. Je te mont'rai que'ques combines, et-."

Les pleurs redoublèrent à la mention de la-dite mère. Roh, bordel... Cachant comme elle le pouvait son agacement, quand bien même l'un de ses sourcils se contractait nerveusement, la Grise se releva, le môme gigotant faiblement dans ses bras. Était-elle aussi pénible avec sa mère, en son temps ? Tu m'aides pas, gamin.

"J'veux qu'P'pa r'vienne... J'veux qu'M'man soit contente... J'veux... J'veux... larmoyait l'enfant en pleurant à gros bouillon.
- On s'éloigne et on part, c'est bon ?" dit un peu plus fort la Grise, tout en s'avançant au devant des gars bloquant une ruelle.

Encore un autre ?! Rendue nerveuse par la présence d'autant d'hommes d'arme, la demi-sang se contraignit à assister - encore - au rapport du morveux à l'épée de bois, à un énième adulte. Le moins que la Grise pouvait penser, était que l'homme resta droit dans ses bottes, quand bien même l'enfant geignait à qui mieux mieux, sous le nez des autres. Vu l'autorité... Le seigneur Brohan qu'avait évoqué plus tôt le soldat ? Qu'est-ce qu'vous fichez-là, Seigneur Machin ? Z'avez pas d'autre chose à faire qu'à paumer vot' môme ?

On ne peut plus agacée par la situation - être cernée par des étrangers en arme, avec un marmot dans les bras, rien que ça ! -, la demi-sang se tint sage, quand bien même elle bouillonnait intérieurement, de l'envie de s'enfuir en claquant quelques têtes en passant, comme de lâcher l'enfant pour engueuler la tête nordique la plus proche. Et qu'y crois qu'j'pige pas, c'couillon... Et puis - enfin ! - il lui fut... Accorder... La possibilité de partir. Ne désirant pas s'attarder davantage, la Grise fit un pas. Pour se faire retenir. Quoi ENCORE ? Braquant un regard noir - en tout point - peu sympathique vers le supposé Seigneur Machin, la demi-sang découvrit... Le morceau de pain.

Léréon larmoyait dans ses bras.
Un seigneur d'on ne sait où lui tendait un morceau de pain.
Les gus en armes attendaient le bon vouloir du bon sire.
Un bon "Mille merci pour votre bonté, monseigneur." ferait sans doute l'affaire.

"C'pas d'pain qu'aurait eu b'soin c'môme, mais qu'son père s'fasse pas planter comme un con. Faute d'mieux, sa mère fait c'qu'y faut pour qu'il ait d'quoi grailler, lui et les autres. asséna-t-elle avec hargne, parlant soudainement patois péninsulaire. Alors vot' générosité, celle d'vos molosses et d'vot' lardon esclavagiste, y s'débrouill'ra sans."

Un poing levé et une posture de défiance eurent sans doute était bienvenue, si l'enfant ne requérait pas tout son être à être tenu, et si elle ne se sermonnait pas intérieurement sitôt sa petite diatribe offerte. Bien, elle aurait le mérite d'être claire auprès des nordiens au moins - vu leur accent, qui lui rappelait quelque chose, c'est ce qu'elle supposait -, et de se rendre moins 'oubliable' que prévu. La survie avant toute chose, n'est-ce pas ?

Idiote. pensa-t-elle fortement.
Quels connards. rectifia-t-elle.

N'ayant pas envie de voir de trop prêt l'effet de sa petite scène, la demi-sang tourna les talons aussi vite qu'elle le put, tout en tâchant de ne pas donner l'impression de fuir précipitamment après une bourde. Du moins Léréon n'avait-il rien compris, cachant juste sa figure dans son giron - S'est calmé sur la connerie lui, pourquoi qu'j'en ai pas fait autant ? -.

Plus vite, plus vite, plus vite... Nul insulte ne fusa, nul cri pour lui dire de s'arrêter. La demi-sang, en ce cas, ne se fit pas prier pour s'éloigner à grands pas, Léréon larmoyant encore dans son giron. Ce gosse... Encore heureux que les nordiens ne les aient pas pris davantage en grippe que cela ! M'apprendra à jouer les gardeuse de chiards. Cela n'était pas la première fois, mais du moins était-elle payée !... Quand ce n'était pas pour sa mère. L'évidence ne tarda pas, celle que quand bien-même elle eut souhaité refuser ce genre de corvée, demeurer tant de temps sous le toit de sa mère les rendaient difficilement refusables.

S'agaçant gaiement de la situation, l'enfant peu loquace - après tant d'émotions - dans les bras, la demi-drow ne prit guère garde à ses arrières, trop pressée de s'en retourner, bien contente déjà que les hommes nordiens se soient écartés. Tout naturellement, ses pas trouvèrent le chemin le plus direct pour rallier la Place des Lanternes. Là, à cette oeuvre, c'était la Grande Heure ! Les gueules se voulaient charmantes, les décolletés tentateurs, les manières aguichantes. Saluant des connaissances, ne s'attardant toujours pas, la Grise se présenta à l'entrée du 'Tourne-Gambette' : sa figure annonçait que la balade n'avait pas été de tout repos. Le gaillard assurant l'entrée ne se priva pas pour ébouriffer la tête du môme. Disparaissant dans la bâtisse désuète, la Grise ne pensait plus à la fâcheuse rencontre de tantôt... Et la possibilité d'avoir été suivi lui était passé au dessus de la tête. Et pourtant, une tête bien étrangère s'était mêlée à la foule, sur ses talons...

A l'intérieur, donc. Enfin ! La demi-sang retrouva un peu de calme, emmenant l'enfant en cuisine, sans s'attarder dans la pièce principale où filles et clients s'affairaient. Nul besoin qu'il ne voit - peut-être - sa mère tenter vainement de sourire à un quelconque gaillard, après avoir été recadrée par la maîtresse des lieux.

Au milieu des filles occupées à préparer des collations, la Grise s'occupa de nourrir l'enfant, le baratinant un brin sur l'importance de ne pas fuir dans la cité endormie, et autre broutille que le gamin devait sans doute savoir. Larmoyant encore un peu, mâchonnant son lard et son pain, le petit manqua quelque peu de répondant. De lassitude, la demi-sang n'insista pas, attendant seulement qu'il en ait fini pour le ramener auprès de ses frangines. Comme les quelques enfants élevés - par la force des choses -, au bordel, Léréon et ses soeurs partageait une chambre, un peu en retrait, où les clients n'avaient aucune raison de se trouver, et où leur mère pourrait les retrouver au calme, en temps voulu.

Nombreux étaient les enfants encore éveillés, qui s'égaillèrent à la vue de la demi-sang. Les questions fusèrent, et si la Grise raconta quelques histoires abracadabrantes pour amuser la galerie, elle coupa cependant court : les sœurs de Léréon lui tiraient les manches, vives de curiosité. Voyant la tête du garçonnet dodeliner. Tant qu'j'y suis... La Grise le porta dans l'un des lits, bien trop grands pour des enfants, ayant pourtant été retenus pour leur usage, loin des galipettes des adultes. Là, finalement, l'enfant sembla se laisser aller. Plus de geignement, plus de figure morose... La demi-sang s'attarda devant sa figure, que le sommeil détendait. Combien d'fois ma mère m'a amenée là... ?

La porte la ramenant vers le coeur actif du bordel lui tendait les bras. Elle n'aurait plus qu'à s'en retourner dans la nuit, vers quelques bistros, ou tenter de trouver le sommeil dans sa propre chambre, au milieu des gémissements venant des pièces avoisinantes. Si au moins elle pouvait s'envoyer en l'air avant d'aller se pieuter... Aller voir Courtois ? Hmmm, trop loin... Puis, une idée toute simple lui vint. L'était plus grand dans mon souv'nir... Songea-t-elle en s'installant sur le lit. Finalement c'est lovée autour du petit Léréon que ses paupières s'affaissèrent.