Alea Jacta Est

7e jour de la 1ere ennéade de Favrius ~ Automne
17e année du XIe Cycle
Camp Sud du siège eldéen
Midi

Comme pour chaque ordalie, Kerath pria longuement, seul, confiné dans sa tente personnelle au camp nord, sa blessure attendant toujours d’être soignée magiquement, c’était aussi pour attendre les prêtres de Kiran qu’il était parti prier. Il ne doutait pas que le Juste, comme l’épiclèse le laissait entendre, serait impartial, le daedhel ne priait pas pour ça, il priait pour que Meingal regarde. Il ne doutait pas qu’Uriz allait le faire, après tout c’était son avatar qui combattait. Il se releva ensuite et se retourna pour faire face à Elrie qui attendait patiemment sur son piédestal. L’énorme marteau de guerre, bel et bien énorme étant donné que même Kerath était forcé de l’utiliser à deux mains, avait une place toute particulière dans la tente ; en effet un espace lui était réservé, le séparant de toutes les autres armes qui se trouvaient là, que ce soient celles qu’il avait pris en comme trophées à des adversaires vaincues ou bien celle qu’il avait fait forger à partir des dagues de l’Ombre et des épées de Swatilda. Peut-être qu’il devrait faire de même pour sa Garde Draconnique, prendre les armes des despotes vaincus à Malbork, toutes les faire fondre pour ensuite forger armes, et peut-être armures, afin d’équiper ladite Garde. Peut-être qu’il le ferait, s’il en avait l’occasion, ce dont il doutait. Il avait envie de prendre son marteau mais avec son bras blessé ce n’était pas la peine d’y penser alors il se tourna vers l’autel dépouillé qui occupait la grosse majorité de l’espace ; autel sur lequel reposait ses deux colliers et pour la première fois depuis qu’il avait atteint le rang d’Obok Senger d’Thalack il n’avait plus rien autour du cou. L’anneau qui représentait son rang, du moins son ancien rang vu qu’il ne l’avait pas repris, n’était toutefois pas encore séparée du vieux pendentif usé en bois représentant un soleil.

Kerath ne savait pas encore s’il allait reprendre l’anneau pour le donner à quelqu’un ou s’il allait être forcé de le garder et il commençait déjà à se demander qui mériterait d’être son remplaçant. Il avait trois personnes en tête, deux Streea Jabbuk, évidemment, et un Veldruk. Il élimina rapidement le Veldruk en question, le poste se devait de revenir à un officier supérieur.

Puis quelque chose le frappa pour l’emplir d’une colère qu’il n’avait jusque-là rarement ressentie et ce n’est que grâce à l’évocation destructrice d’Elrie qu’il garda un vague contrôle sur lui-même ; de toute façon il n’y avait personne à moins de trente mètres de lui, en rentrant dans sa tente Kerath avait demandé, car n’étant plus Obok Senger il ne pouvait plus ordonner, qu’on le laisse seul et ses anciens gardes avaient acceptés. Il ne savait pas pourquoi il avait mis aussi longtemps à s’en rendre compte, il se sentait manipulé. Par l’avatar du Père qui plus était. De sa main valide il forma un poing qu’il mordit de toutes ses forces, Kiel avait, parmi ses nombreux bienfaits, la possibilité de repousser les brumes rougeâtres qui se formaient devant ses yeux. Des yeux qu’il ferma en sentant un liquide chaud et épais se mêler à sa salive.

Il se releva en vitesse et sortit de sa tente, il avait besoin de frapper. De frapper fort et beaucoup. En courant, en tunique car il avait laissé son armure sur son mannequin, à côté d’Elrie marteau, il sortit du camp nord pour rejoindre les soldats qui s’entraînaient sur la plaine en contrebas.  Il contrebalança la perte de son bras d’épée par une sauvagerie accrue, Kerath n’était déjà pas un combattant gracieux, son style était très loin d’être académique, mais là c’était… sauvage, bestiale même. Toutefois la force brute avait ses limites et il fut défait bien avant de vaincre le nombre d’adversaire qu’il réussissait à battre d’ordinaire.

Toutefois, malgré la douleur renouvelée dans son coude et les nouvelles blessures superficielles, le drow avait atteint son objectif : passer ses nerfs pour qu’il puisse contenir sa colère. Il alla ensuite se faire soigner, pria puis il mangea la même chose que Na’ri, comme ils en avaient convenu, puis il pria encore et il s’équipa pour l’ordalie. C’est donc équipé de sa fidèle armure de plate rouge, les deux mains posées sur la pointe du manche d’Elrie dont la tête reposait au sol, le visage couvert par son heaume, que Kerath attendait la triumvir dans l’arène avec un prêtre de Meingal pour seul compagnon.

Elrie:

Une heure avant l'ordalie, Krish s'était retirée, ne laissant qu'éventuellement les prêtres de Kiran officier sur son corps tandis que son esprit était entièrement dévolu à autre chose. En tailleur sur un tapis, le dos droit mais la tête baissée, elle faisait face au petit autel qu'elle utilisait chaque matin depuis le début du siège pour rendre ses adorations aux premières lueurs du jour. Sur le socle de pierre reposaient trois idoles sculptés dans l'ébène et parées de gemmes. Uriz, Meingal et Zhak'Bar. A leurs pieds, quelques gouttes de sang frais dans une coupelle, un couteau rituel et un encensoir dispersant une fumée à l'odeur entêtante. Son collier de prière filait lentement entre ses doigts. A voix basse, son timbre chaud égrainait les versets et les louanges aux divinités guerrières et au Juste pour attirer leur regard et demander leur oreille tout en formulant sa propre prière. Mais des prières comme celle-ci, ils devaient en recevoir bien peu.

Elle priait pour que le Père détourne les yeux.

Il lui avait promis les P'leiks alors elle avait eu peur. Elle s'était battu par peur. Il lui avait pris ceux qui auraient pu l'aider ou la soutenir. Un par un. Alors elle s'était battue seule. Il lui avait dit qu'elle était ce qu'il voulait qu'elle soit et elle avait compris qu'elle ne pouvait rien être de plus. Il lui avait dit, jadis, qu'elle gagnerait et perdrait en son nom et selon son bon vouloir. Qu'aucune de ses victoires sur le champ de bataille ne serait vraiment celles de Krish Al'Serat. Alors elle avait voulu cesser de se battre. Il l'avait soumise à travers sa propre chair. Il l'avait dépossédée d'elle-même. Elle l'avait déposséder de son importance et s'était planté la tête dans le sable.

Myr'Hennis avait chassé la peur. Myr'Hennis avait ramené celle qu'elle était lorsque le Père l'avait choisie. Avant la mort d'Halandarin. Avant la mort de Velkyn. Avant la trahison d'Haldren. Avant la mort de Vaerian.

Avant les Ombres.

Avant qu'elle ne porte un masque.

Elda doit se souvenir...

Mais Elda n'était pas prête, ça elle l'avait compris dès le premier jour.

Aujourd'hui encore, Kerath lui prouvait qu'Elda n'était pas prête à se souvenir. Alors quitte à la garder dans l’ignorance aveugle elle avait ramassé les morceaux épars de sa patrie et l'avait reforgée au feu d'un fanatisme renouvelé. Elle avait prié pour que certains résiste et se fraie un chemin. Elle avait cru que les eldéens pourraient prendre leur destin en main, sans elle. Elle y avait cru tout en multipliant les erreurs. Elle avait fermé les yeux. L'Elda qu'elle avait aujourd'hui n'était pas celle qu'elle aurait voulu, mais elle pouvait être celle qui servirait un dessin plus large.

Sa Foi est Notre Force. Nous sommes son Éternité.

Elle était ce que leur Père voulait.

Elle l'était à l'époque où Il l'avait choisie et Il l'avait trempée au feu pour la parachever.

Alors qu'Il laisse Meingal seul juge aujourd'hui.

Elle combattait parce qu'elle était persuadé que Kerath avait mal agi. Il avait été irrespectueux envers une triumvir, risquant de la tuer au passage, lui avait tenue tête et les avait mis en danger en tuant un homme qui aurait pu leur apporter de plus amples informations. Si les dieux jugeaient que Viconia avait mérité ce traitement et que le prêtre devait mourir, soit.

Alors qu'Il laisse le destin suivre son cours.

Elle était celle qui se relevait toujours. Elle était celle qui changeait et évoluait quoi qu'en pense l'ordre préétabli. Celle qui se moquait de ce que pensent les autres. Elle était celle qui admirait le monde dans sa splendeur la plus sauvage et participait à le rendre plus beau encore. Elle était celle qui ne laissait personne décider à sa place d'un point final à son histoire.

Ou elle devait le redevenir.

Elle userait du pouvoir qu'on lui avait accordé quand elle le voudrait. Aujourd'hui la possibilité d'un échec ne l'effrayait pas.

Ne l'effrayait plus.

Alors qu'Il laisse Meingal présider comme de coutume.

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A l'heure dite, Krish retrouva Kerath au centre de l'espace de combat. Pour l'occasion, elle portait son vieux bec de corbin : le premier marteau de forge créé par les premiers drows dans les laves d'Elda, offert par Velkyn pour son millième anniversaire et transformé en marteau de guerre pour son retour au Puy. Une épée aurait été plus grandiloquent, mais étant donné les habitudes de Kerath, elle avait plutôt parié sur une arme qui pourrait servir d'ouvre-boite.

La Fosse de Zhak'Bar était encore une fois utilisée comme arène et les rangées de spectateurs avaient une parfaite vue plongeante sur le sable épais qui en formait le sol. Les parois de terre et de pierre étaient remblayées par des palissades de bois et de terre lissées pour laisser le moins d'aspérité possible.

L'armure de Krih était celle qu'elle utilisait depuis l'an 10. Un cuir assoupli par l'usage et renforcé de plaques de métal lui laissant une bonne liberté de mouvement. Pas une armure lourde, loin de là, et s'en était même effarant à côté du marteau surdimensionné de son adversaire.

Une fois les deux combattant présents et leurs armes vérifiées pour éviter un empoisonnement, le prêtre de Meingal se posta entre eux pour rappeler le sujet du duel.

Krish Al'Serat. Kerath'Elghinn. Vous vous trouvez ici sur une terre consacrée. Agissez avec Force et Courage pour attirer le Tout Puissant regard des Dieux.

Ce combat sera au premier sang ou à l'abandon. Les armes et les armures sont au choix de chaque combattant. La magie y est interdite.

Les enjeux inscris au Livre des Vendetta sont les suivants :

A la Victoire de Kerath'Elghinn, Krish Al'Serat reconnaitra que la punition infligé à l'Obok Senger était abusive, qu'elle ne peut le tenir pour responsable de l'état de Sesmika Viconia et qu'elle a eu tort d'interférer entre lui et Sesmika Viconia. Elle demandera le pardon de l'homme injustement puni. De plus, elle lui transmettra les raisons que le Père lui a donnée en la choisissant comme vaisseau.

A la Victoire de Krish Al'Serat, Kerath'Elghinn reconnaitra que la punition qui lui a été infligée était juste. Il demandera pardon à sa supérieur pour avoir voulu abandonné son poste, avoir mis une Triumvir en danger de mort, lui avoir tenu tête alors qu'elle était dans son bon droit et avoir agi de façon trop emporté au détriment du bien d'Elda. De plus Kerath'Elghinn s'engagera à demander l'autorisation à ses supérieurs avant d'exécuter un messager.

Êtes-vous d'accord sur ces termes ?

Une fois que les deux guerriers eurent accepter haut et fort de remettre leur sort entre les mains des Dieux, le prêtre leur demanda de s'écarter de dix pas. Le cœur de Krish battait lentement, puissamment. Elle écoutait le prêtre et Kerath avec la plus grande attention. Son arme bâtarde pouvait être maniée à une main mais la longueur de son manche permettait d'y mettre plus de force en l’agrippant des deux. Ce n'était pas la première fois qu'ils combattaient, mais la première fois de façon aussi codifiée. Une touche suffirait pour l'emporter. Elle n'aurait pas suffisamment d'allonge pour passer facilement la longueur du marteau à deux-mains de son adversaire.

Que Meingal vous départage !
Combattez !

bec de corbin:

Au cri du prêtre le sang de l'eldéenne ne fit qu'un tour.

Mais elle ne bougea pas.

Presque pas.

Plus rien n'existait à part leur espace et son adversaire. Prête à bondir, ses yeux suivaient chaque micro mouvement de Kerath, orientant son marteau et changeant fluidement ses appuis pour agir à l'exact bon moment.Kerath attendait, son cœur battait vite, trop vite peut-être, l’adrénaline se répandit tout aussi vite dans son corps, il changea la position de ses mains sur le manche puis il contracta ses muscles pour soulever son marteau. Les enjeux étaient claires, il les confirma donc d’un hochement de tête puis la colère qu’il ressentait à l’égard de son adversaire revint au galop, dans quelques instants il pourrait se laisser aveugler par les brumes rouges qui glissaient doucement pour quitter la périphérie de son champ de vision. Il savait qu’il n’avait aucune chance de gagner et c’était pour ça qu’il ne tenta pas de maîtriser sa colère, c’était là son allié le plus précieux et il comptait bien la mettre à profit. Toutefois les mots de Valsrik’hrae résonnaient dans son esprit.

Tout comme lui Krish servait les dieux.
Elle était le lieutenant d’Uriz sur Miradelphia. Pas son remplaçant.

Alors Kerath, après avoir tourné le dos à la triuvmir, car il savait qu’elle n’oserait pas en profiter, pour faire les dix pas demandés, se retourna et une fois que le prêtre du Juste déclara le début du combat il fit d’abord un pas. Puis un autre et la marche se transforma bien vite en course, avalant la vingtaine de pas. Pendant sa course il leva son marteau et il sauta la distance qui les séparaient d’un bond, marteau brandit au-dessus de sa tête, il l’abattit sur Krish, Elrie fit honneur à son nom et écrasa l'avatar du Père. Du moins le daedhel l’aurait écrasé si cette dernière était restée sur place.

Elle était restée fixe pendant la course. Même lorsqu'il était arrivé à moins de dix pas. A moins de cinq pas. A moins de trois pas. Quand il s'était ramassé pour sauter malgré le poids de son armure... Mais quand les pieds du guerrier eurent quitter le sol, elle roula en diagonale, sa tresse de cheveux blancs frôlant le manche de l'improbable arme de guerre.

Ce coup aurait pu la tuer. Elle n'avait pas le droit à l'erreur. Elle irait en ne comptant que sur ses propres forces et en les poussant jusqu'au bout !

Se relevant souplement au bout de son mouvement, elle manqua tomber vers l'avant, secouée. L'onde de choc qui fusait à travers le sol était perceptible jusqu'au niveau des spectateurs. Changeant une nouvelle fois d'appui, elle se retourna pour asséner un coup dévastateur sur le flanc du vétéran qui avait gagné le surnom de Carnage au cours d'une vie de guerre. Dans un cri de métal torturé, la pointe du corbin déforma l'armure rigide un peu en dessous du renfort de la spalière, au niveau des côtes. Pas assez pour la traverser. Assez pour que le message passe jusqu'à l'esprit furieux de son ennemi.

Chaque coup porté sans attention créerait une ouverture qu'elle ne manquerait pas de saisir. Elle ne comptait pas mourir dans ce duel. Et le message était bien passé. Il avait même traversé le métal, les couches de protections matelassées en dessous pour transmettre une onde de choc affaiblie mais tout de même déstabilisante dans la chair, ne laissant qu’un échos se réverbérer dans les os.

Son premier mouvement fut d’inverser sa prise sur le manche d’Elrie pour pouvoir donner un coup latéral montant. L'énorme tête du marteau rata le menton de la guerrière d'un souffle, avant qu'elle ne fasse le pas salvateur qui la mit temporairement hors de portée de son ennemis. Il continuait de frapper aussi vite que lui permettait le poids de son arme, sans succès. Elle esquivant coup après coup en cherchant des ouvertures. Entièrement au combat, les spectateur, l'arbitre et les évènements du matin avaient disparus. Seuls restaient son adversaire, les enjeux aux yeux de Meingal, et ceux à ses propres yeux. Seul restait l'issue du combat. Elle observait, calculait, et évitait les coups avec des marges dangereusement fine pour avoir le temps d'attaquer malgré son manque d'allonge. Plusieurs fois, le corbin s'abattit, sur l'armure du colosse dans un fracas digne de la forgeronne qu'elle était. Mais que ce soit de la pointe ou du plat, aucune touche ne créa la percée décisive. Bien qu'elle n'en fut pas loin à de nombreuses reprises. L'armure rouge n'en était pas à ses premiers impacts mais les creux commençaient à s'accumuler et chaque enfoncement de la spalière droite rendait le mouvement de son bras d'arme plus difficile ; sans compter que ce dernier fut guéris il y a peu, une poignée d'heures auparavant. Toutefois les coups de Kerath devenaient de plus en plus précis, de plus en plus fins, les premiers étaient fait pour la jauger, pour déterminer de quel côté elle préférait esquiver, de quel côté elle était la plus réactive. Une fois qu'il eut fini de sonder ses défenses il passa à la seconde partie de son plan. Il avait l'initiative, il en profita donc pour l'amener là où il voulait, l'acculer pour qu'elle ne puisse plus se dérober.

Krish avait tout de même tenter de plonger sur le côté pour protéger sa tête. Le coup raccourci ne l'aurait sans doute qu'effleurer si elle n'avait pas bougé. D'ailleurs, il ne la toucha pas réellement. Mais même Kerath ne pouvait arrêter net l'élan donné par une arme de ce poids. En tentant de réorienté son coup, la tête d'Elrie s'était écarté de lui, tirant sur son bras blessé... et heurtant l'épaule gauche de la Triumvir.

Une douleur aiguë traversa le dos et le bras de guerrière jusqu'à ses cervicales. Un cri de douleur lui échappa alors que son omoplate se disloquait à nouveau et que l'os se plantait dans la chair à cause du mouvement qu'elle avait elle-même amorcé pour rouler en avant et amortir le choc. En tant qu'ancien du C'nros spécialisé dans la manipulation osseuse, Ran'Lyn savait ce qu'il faisait. En tant que Senger du IIe Ost, nul doute que Kerath aussi.

La réception fut désastreuse. Ne parvenant pas à se relever, elle s’écroula en avant, face contre terre, la respiration coupée. Elle mis deux bonnes secondes pour reprendre contact avec la réalité. Elle tenta de se redresser mais la douleur lui arracha un nouveau grondement. Une éternité qu'un adversaire en pleine forme auraient largement pu mettre à contribution pour l'achever. Mais rien ne vint. Pourtant ce n'était pas faute de vouloir mettre un terme au combat mais ayant perdu le contrôle de son arme, Kerath ne pouvait se résoudre à la lâcher, du moins pas entièrement ; même si son bras droit ne tenait plus Elrie, son bras gauche y restait résolument accroché et sans son second bras il ne pouvait que suivre l'arme dans sa course. Sa propre masse empêcha le marteau de partir voler il ne savait où et il termina sa course au sol. Bien que son cri de douleur fut étouffé par son heaume, à l'intérieur de ce dernier il résonnait encore lorsque Kerath s'écrasa sur le sable de l'arène. Il prit une seconde pour se relever, l'adrénaline tentant tant bien que mal de réduire la douleur et ce avec un succès mitigé. Par habitude il tenta de se servir de ses deux bras pour se dresser à nouveau mais le bras droit céda sous son poids bien avant qu'il ne puisse mettre un pied sur le sol pour se stabiliser, lui arrachant un second cri qui résonna bien trop longuement dans ses oreilles à son goût. Mais Kiel avait ça de bon qu'elle permettait au guerrier de se concentrer, de voir plus clair, et les brumes rouges qui voilaient ses yeux commençaient à se dissiper.

Cette fois, ayant appris de son erreur, il se releva sans user de son bras droit et retira son heaume qu'il jeta sur le côté ; il était suffisamment cabossé pour ne plus servir à grand chose, il gênait même le peu de vision qu'il ne lui prenait pas déjà et Kerath ne supportait plus d'entendre les échos de sa respiration haletante, de ses grognements de douleurs lorsqu'il ne s'agissait pas carrément de cris. Il fit un pas vers Krish, se demandant si, cette dernière étant toujours au sol, allait abandonner

Sa main gauche était toujours compulsivement serrée autour de son corbin. Impossible de le bouger. Vaillamment, elle s'obligea à desserrer les doigts avec un cri d'effort et roula hors d'atteinte de l'ombre qu'elle voyait s'étendre sur le sable autour d'elle. Serrant les dents, sur le dos, elle décocha un coup de pied pour se donner le temps de se redresser sur la hanche. Une seconde de plus et elle se remettait sur pied, le regard voilé par la douleur et le bras gauche amorphe. Une fois sur ses jambes elle put voir un sourire sur le visage à nu de Kerath qui était content qu'elle continue de se battre malgré une blessure qui semblait plus grave que la sienne. Un sourire provoquant, quoi que crispé, lui répondit. Ne pouvant plus utiliser son arme, car sans ses deux mains il doutait même qu'il arriverait à soulever Elrie, le guerrier s'approcha d'un pas lourd pour terminer l'ordalie à mains nues, armée des seules griffes qui terminaient ses gantelets. Du moins d'un gantelet vu qu'il ne pouvait pas utiliser l'autre. Il se mit en ce qui ressemblait à une parodie de garde à cause de la douleur et de la fatigue puis il attendit que Krish soit prête à reprendre le combat.

Tout en regardant Kerath, Krish s'efforça de respirer à fond, doucement, sans se mettre à tousser. Elle ne comptait pas le faire attendre. Rapidement, elle s'empara de sa propre main pour la coincer dans son ceinturon et testa un peu l'amplitude de son bras droit. Les mouvements lui faisaient sacrément mal. Au moins les réparations des prêtres avaient tenues. Aucune fêlure n'avait du craquer mais esquiver en roulant était inconcevable à présent.

Son champ de vision était bien plus étrécie. Décrypter les mouvements du colosse plus coûteux en temps et en concentration. Les plaques de métal qui protégeaient le dos des mains de l'eldéenne et ses avant bras n'avaient rien à voir avec les gantelets de plate de son adversaire. A main nue, elle ne pouvait espérer emboutir une armure aussi épaisse, mis à part en deux points vraiment déformés mais bien trop risqués. Son allonge était toujours plus faible que celle de son adversaire. Non. Elle n'avait pas trente-six solutions pour gagner la distance qui lui manquait tout en se protégeant.

Dents serrées, elle acquiesça et se mis de profile, bras droit en garde. Une goutte de sueur glissait le long de sa tempe. Son sourire ne l'avait pas quitté. Un instant à soutenir le regard de Kerath pour s'assurer qu'il était prêt. Le drow tentait de calmer sa respiration de buffle puis il campa sur ses positions et laissa les cercles jaune autour de ses yeux conquérir l’iris qu’ils gardaient alors que Krish s’élançait sur lui.

Kerath n’esquivait plus, un coup, bien que portée par une ancienne forgeronne, ne pouvait perforer une armure de plate ; de plus prendre un coup, à condition qu’il ne soit pas porté au visage, arrêterait la triumvir, ou du moins la ralentirait suffisamment pour qu’il puisse en profiter et l’attraper. Chose qu’il n’arrivait pas à faire étant donné qu’elle se positionnait toujours sur sa droite, le forçant à faire des quart de tours pour tenter de contre-attaquer de son bras valide. La respiration de l'eldéenne était poussive mais son visage ne montrait plus une once d'émotion, entièrement concentré sur ses mouvements et ceux de son adversaire. Lorsqu'elle tenta de lui balayer les jambes, Kerath leva son genou plié pour que le tibia de son adversaire vienne s’écraser dessus. Un piège ! Il avait réagi trop tôt, et alors que son pied n’était qu’à moitié armé, Krish changea de trajectoire pour prendre appui sur le genou du drow et lui asséner un coup de pied sauté, droit dans la tête.

Le vétéran prit le coup de plein fouet et tituba en arrière alors que Krish retombait sur ses jambes en tentant maladroitement de ravaler un grondement de plus. Elle ne pouvait pas profiter de son coup magistral. C’est que Kerath avait le crâne sacrément dur et même si elle avait sonné le colosse, son pied n’en était pas sorti indemne. Il serra les mâchoires, secoua la tête pour tenter de retrouver ses esprits, avec un succès plus que mitigé, puis il contre-attaqua avec une hargne désespérée. Son premier coup de poing fut esquivé. Le second lui demanda de faire un écart pour éviter de mettre son épaule blessée en danger, mais elle se rendit compte trop tard qu'elle s'appuyait sur son pied faible. Boitant pour éviter que sa jambe ne se dérobe, Krish ne put éviter le troisième coup que d'un souffle et se retrouva à porter de l'énorme poigne du vétéran.

Kerath se lança sur son adversaire, s'assurant que cette dernière ne puisse l'éviter. Il l'accompagna au sol et lui asséna un violent coup de tête dans le nez. Elle accusa le coup, le crâne vibrant de douleur. D'instinct, elle tenta de ruer... Et poussa un cri aiguë lorsque son épaule se rappela à elle en plus de son crâne, faisant monter un violent haut le cœur qui eu le bon ton de retomber tout aussi brusquement lorsqu'elle se tétanisa.

Il était là, au-dessus d'elle, et elle devait bien pouvoir...

- Victoire de Kerath'Elghinn !

Un silence étrange se fit. Les yeux incertains de la Triumvir ne lâchaient pas ceux du vétéran. Sur son visage, sans qu'elle ne s'en rende compte, du sang s'était mis à couler de ses narines et de sa lèvre fendue. Le Juge s'était approché au moment ou Kerath l'avait fait basculée et il n'avait fallut qu'un instant pour qu'il repère la trace rouge sous le nez de l'eldéenne tandis que le guerrier respirait bruyamment par le sien, tentant sans grand succès d'alimenter son corps en oxygène.

- Meignal a rendu son jugement !

-J'ai perdu... C'était tout ce qui résonait dans la tête de Krish.

Pourtant, son visage était très loin de se couvrir de haine ou de désespoir. C'était une sorte d'hébètement simple. Très vite suivit d'un éclat flamboyant dans ses iris tendues.

Elle était submergée par une joie sauvage mêlée de déception. Une énergie folle qu'elle n'avait pas ressenti depuis longtemps. Sans qu'elle ne parvienne à fermer la bouche, elle grimaça un sourire carnassier à l'adresse de celui qui la surplombait toujours. Un sourire sanglant se dessina sur les lèvres de Kerath alors qu'une goutte d'hémoglobine perlait, arrachant à Krish un rire poussif qui la fit grimacer aussi-tôt entre deux inspirations maladroites.

Elle avait perdu, mais de peu...

« Pas vraiment... »

Kerath n'eut le temps de prononcer que deux mots dans un borborygme humide avant de refermer la bouche pour se détourner... Mais l'erreur était faite. Le sang qu'il avait maintenu dans sa bouche depuis qu'il avait encaissé le coup de pied dans la tête se répandait sur le visage de sa supérieure qui déglutit et toussota pour retrouver sa propre respiration. Elle aurait bien protester mais le regard de Kerath semblait aussi surpris qu'elle l'était elle-même. Ils échangèrent un sourire aux dents rougies avant que le vétéran ne la libère en ajoutant:

« Le combat ne fait pas la loyauté. »

Il reprendrait son anneau, Krish avait amplement mérité qu'il reste. Il se releva difficilement, refusant l'aide du prêtre du Juste, une fois debout il tendit sa main valide à Krish pour l'aider à se relever. En s'appuyant sur lui, elle parvint à articuler d'une voix rauque, évitant de justesse de se remettre à tousser.

« Alors les dieux ont sûrement répondu à de la meilleur façon possible...»
« Comme ils le font toujours. »
« Même si j'avoue, je ne m'attendais pas à ce que tu veuilles le prouver aussi vite par un lien de sang. »

S'arrêtant alors qu'elle avait encore un genou à terre - sentant que si elle se relevait, elle n'aurait plus la force de refaire le geste - Krish laissa filer sa main entre les gros doigts du vétéran, soudain totalement sérieuse.

« Je n'aurais pas du interférer dans ta querelle avec Viconia. Le fait de te désigner comme unique responsable de son accident et de t'infliger une punition aussi rude était injuste de ma part. Pour cela, tout comme j'ai fauté devant tous, c'est devant tous que je demande ton pardon. »
« Je te pardonnerais une fois debout, l’avatar du Père n’a pas sa place dans cette position. Uriz a-t-il un jour ployé le genou? » Grogna-t-il, à moitié parce que la douleur devenait difficilement supportable, même pour lui, et à moitié parce que la situation l’agaçait, ce qu’il disait il le pensait réellement.

Avec un grondement, elle se releva donc... et vacilla brusquement. Elle serait surement tombée à la renverse si le prêtre de Meingal n'avait pas été juste derrière elle. A la place, elle gronda donc un bon coup lorsque ce dernier toucha son côté gauche et on s'empressa d'appeler les prêtres de Kiran pour que les deux duellistes soit emmené et soigné au temple dans les plus brefs délais.

Making Off: