Mon vieil ami | Valsrik

7e jour de la 1ere ennéade de Favrius ~ Automne
17e année du XIe Cycle
Camp Sud du siège eldéen
14h15

Après les réunions, les discussions, l'ordalie et les soins, Krish avait enfin trouver un moment pour faire le chemin qui la séparait de la salle sommaire dans laquelle on avait enfermer Valsrik'Hrae en attendant l'exécution de la sentence qui avait été prononcer le matin même. Marqué et chassé. Ni trop dangereux pour être tué, ni trop important pour être pardonné... Et encore, la Triumvir n'avait pas finit de remâcher la rancœur qu'elle éprouvait pour le mage.  

En tunique blanche et pantalon de cuir noir, portant ses sandales pour préserver le bandage qui soulageait sa cheville droite, elle avait pris le temps de rendre hommage au Père dans la nef principale de ce temple sommaire, avant de laisser ses subordonnés la mener jusqu'à la coquette geôle de son vieux camarade.

- Laissez-nous. " furent les seuls mots qui s’échappèrent de sa gorge une fois entrée. Les pas lourds de ceux qui avaient été désignés comme garde quittèrent l'endroit. La Repentie silencieuse sortie de l'ombre et relâcha sa magie pour se tenir simplement debout dans un coin de la pièce.

Krish fit quelques pas dans l'espace austères, sans venir jusqu'au prisonnier, laissant le silence s'étirer en contrôlant sa respiration. Elle pensait qu'elle pourrait le voir de façon apaisée, mais les choses s'enchainaient particulièrement mal. Elle lui en voulait personnellement. Elle lui en voulait pour ce qu'il avait fait et pour ce qu'il avait induit. Ses yeux pailletés d'or dévisageaient le mage en tentant une fois de plus de faire la part des choses. Les mots de Na'ri et de Kerath lui servant de fil rouge pour ne pas céder directement à l'emportement.

Tu frottes entre eux les bouts de tes doigts, dégustant le contact contre ta peau de ce qu’il reste des poussières et des humeurs de la tête. Assis par terre, tu te poses un millier de questions dont tu n’es pas le centre, dans une réflexion moitié sincère, moitié servant simplement à te faire oublier ta condition de prisonnier. Jamais tu n’aurais pensé trouver réconfort aussi… poisseux. Jamais tu n’aurais pensé tant te passionner d’un fluide dont l’odeur laissait tout à penser qu’il s’agisse d’un mélange de granite et de sueur. Seulement à l’instant tu n’avais plus que cela. Tu n’avais plus que cela pour éviter de penser à la traque qui te séparerait bientôt des tiens, à cette enflure de Ranaghar prenant impunément le thé avec une Triumvir indigne, au peu de considération qu’avaient tous ces gens pour l’Etude Noire, aux injustes tourments auxquels Ran’Lyn serait livré par ta faute… et aux souffrances des années passées.

À nouveau complètement aveugle. À nouveau complètement privé de ton pouvoir sur l’univers, tu es hanté dès lors que tombe le silence par les sombres souvenirs d’une pénible épreuve. Tu revois chuter Malag’Eyl. Tu sens à nouveau ton corps imploser. Tu te sens à nouveau dévoré par la Chimère. Tu te sens à nouveau lutter… tes dents crissent contre tes dents. Tu te débarrasses de ton manteau, et tu succombes. Tu succombes à la tentation de sacrifier la précieuse poisse encore sur tes doigts pour à nouveau parcourir ce qu’il te reste de taches de ta noirceur passée.
Tu n’as pas besoin de les voir. Tu les sens. Sans être douloureuses, elles te brûlent. Elles n’ont beau être – contrairement aux glyphes qu’elles traversent – que dessinées par une pigmentation naturelle, elles te paraissent comme des cicatrices. Des cicatrices dessinant un dragon chimérique s’enroulant autour de ton torse pour mieux se mordre la queue. Des cicatrices témoignant de ta victoire sur l’épreuve de Tal’Berith, et du pouvoir que tu possèdes. Tu en es fier. Fier au point de faire fi de ta pudeur pour fièrement les exposer au moins lorsque se soulèvent les prières.

Tu pries. En silence, mais intérieurement bavant de rage, déclarant la puissance de ta braise au Père des Batailles, hurlant en pensées aux dieux voulant bien l’entendre ta colère.

Et puis la douleur revient. Le souvenir revient. Et tes ongles aussi courts soient-ils s’enfoncent dans la gueule de la chimère, griffent la peau le long de ses écailles, luttant comme ils ont lutté auparavant, pendant les longues années de silence qu’elle te reprochait. Mais qu’en savait-elle ? Krish en sait plus sur la magie que l’on ne pourrait le penser, mais elle est loin d’en savoir assez pour comprendre ce qu’elle n’a jamais expérimenté. Krish ne sait pas ce que c’est que d’essayer de se lever alors que chaque fibre de son être semble imploser l’une après l’autre. Krish ne sait pas ce que c’est que d’être une loque endolorie dans un monde que l’on connaît sans reconnaître. Krish ne sait pas ce que c’est que d’être enfermé dans son propre corps, à écouter d’autres vous faire la lecture pour éviter de prier aux dieux qu’ils vous donnent la mort.

Et si elle le sait, alors elle est bien égoïste d’attendre d’un Sombre souffrant ce martyre qu’il parle.

Tu te souviens. Tu te souviens des débuts. Tu te souviens du pas chaloupé de celle qui rêvait encore férocement. Tu te souviens au point de presque l’entendre claquer contre la pierre. Ce pas presque trop plein d’assurance, et pourtant jamais régulier, parce que celle qui marchait était assez digne des guerriers de sa race pour ne jamais marcher sans la douleur pour lui rappeler de récents combats. Ce pas qui fut parmi les rares capables de te rassurer. Là il ne faisait que te monter la bile aux lèvres.
Ce que tu aurais aimé pouvoir la voir. Pouvoir la dévisager. Ce que tu aurais aimé pouvoir tisser ta toile autour du moindre de ses mouvements, explorer la moindre de ses rides, soupeser le moindre détail de sa posture et rire. Rire de ce qu’elle ne semblait pas avoir changé le moins du monde, alors qu’elle n’était plus du tout la même personne. Rire de la mort de ton amie la Maîtresse des Forges. Rire face à la disparition de la créatrice à la passion brûlant plus fort que l’acier fondu. Rire face à l’avènement de la froide figure politique qu’elle était devenue. Rire face à l’Eldéenne devenue calculatrice au point de céder à la lâcheté.

- Agréable défaite j’espère.

Tu brises le silence sur un pari que tu espères remporter. Les voies des dieux sont impénétrables. Pour autant, tu en es convaincu : Krish Al’Serat ne pouvait qu’être faite perdante face à un être de chair, car il fallait se rappeler en être un. Le Feu d’Uriz lui-même n’est rien s’il ne fait pas l’œuvre des Onze.

- Tu n'imagines pas à quel point. "

Une simple phrase. Une simple boutade. Un rire soulagé dans la voix. Un sourire provoquant sur les lèvres.

Une réplique de la part du mage avait remis bien des choses en perspectives. Une seule réplique simple et provocante avait effacé la politique, Ran'Lyn, l'Etude noire et le Prime sorcier pour ne laisser que le camarade qui lui avait planter un poignard dans le dos. La seule chose qu'elle ne voulait pas pardonner et qu'elle aurait pu cacher derrière des litres de mauvaise fois.

- Tu sais, mon père disait souvent que le pouvoir était une pute. Facile à avoir. Impossible à garder fidèle. Il faut croire que même après mille ans, j'ai toujours pas fini de me sortir ses conneries de la tête. "

Les pas encore un peu raides de la Triumvir s'approchèrent du mage torse nu. Elle se pencha près de lui. Les doigts calleux d'une main ferme se glissèrent sur le revers de celle qui maniait si souvent son sceptre pour la prendre avec une force mesurée. Comme elle aurait pris la main d'un proche qu'elle n'aurait pas foutu elle-même dans cette prison sans barreaux. Comme si le dit sceptre n'était pas en sa possession à elle.

- Tu es un abruti avec une trop grande gueule. Tu t'en rends compte ?

Tu ne sais pas ce qu’auraient dit tes yeux de tes pensées s’il y vivait encore la moindre étincelle. Maintenant les opaques billes violacées sont aveugles et muettes, forcée de se plier aux envies d’un front, de sourcils et d’un nez devenus seuls souverains de ton visage. Le premier se plusse, les seconds se froncent, le dernier se retrousse. Tes pupilles auraient-elles été vivantes  probablement brûleraient d’une sourde colère. Plus que triste, effrayé, ou même enragé par ton sort, tu en étais profondément vexé. Et il avait fallu que Krish Al’Serat en personne vienne te visiter pour que tu puisses mettre le doigt dessus. Si elle s’était sentie trahie lorsque tu élevas la voix, tu l’avais été doublement lorsque plutôt que de t’entendre elle t’avait condamné. Et tu l’étais triplement maintenant qu’après qu’elle ait été remise en question par les dieux en personne et vaincue par Kerath, elle te prenait la main… presque affectueusement.

- Je sais. tu retires ta main de la sienne d’un coup sec, en contraste avec ton énonciation complètement apathique J’y travaille. tu laisses flotter un court silence Comme tu peux le voir ça ne donne pas grand-chose pour l’instant. tu soupires Et ça risque de ne pas donner grand-chose du tout.

Tes doigts s’enfoncent dans ses yeux, tes griffes lui lacèrent le visage, tu lui arraches la langue de tes mains nues, tu lui ouvres le ventre d’un couteau que tu ne possèdes pas pour lui percer le gésier de la pointe de cette même arme. Tu regardes couler la bile, tu laisses le liquide gentiment lui ronger les entrailles avant de goulûment lui dérouler l’intestin grêle. Tu mords rageusement dans le tube, en laisses les fluides s’écouler un instant, et puis ton esprit malade te souffle une idée. Tu ramènes le tuyau à sa gueule défaite, le laissant s’y écouler pour ce qui semble être une future éternité, la condamnant à boire à l’infini le dernier plat qu’elle ait consommé, espérant pour elle qu’elle l’ait bien choisi.

Tu t’épuises à vivre ta colère en pensées, pour que ton corps reste immobile, et que ta parole ne s’emporte pas.

- Si tu es juste venue me rappeler ce que j’ai perdu, ce n’est pas la peine de rester.

- Et bien visiblement, non. Tu ne sais pas. " laisse-t-elle tomber en s'asseyant sur le sol. " Utiliser ta magie contre moi ce matin a été la seule erreur que je ne peux pas laisser passer. " Et ce même si à cause de ses conneries, son mariage serait peut-être remis en question. Il n'était pas le seul en cause et si elle devait changer ses plans à ce propos, chacun en boufferait jusqu'à l'indigestion de sa royauté et de son réseau... Mais elle n'en était pas encore là.

- Que tu me contre-dise publiquement sans m'avoir parlé en privé depuis plusieurs années, mettons. Que tu me crois assez stupide pour ne pas faire grand cas de tes mises en garde sur Viconia, déjà, cela prouve à quel point tu est méprisant et une crasse en politique. Tu n'as servi à rien d'autre que rendre son éviction plus compliqué et mon pouvoir plus instable. Alors ton joli petit discours sur la reine, tu peux te le mettre au cul. " Les articulations de sa main gauche craquèrent sous la pression que lui infligeaient la droite. " Mais que tu oses me brider physiquement... Quel que soit mon titre tu n'imagines pas la volonté qu'il m'a fallut pour ne tuer ni toi, ni Ran'Lyn. Combien il m'en faut encore pour ne pas te briser les deux bras. Alors qu'en plus tu te le permettes en publique et au moment ou je réglais une question des plus délicates avec Kerath, alors même que tu n'es qu'un second choix pour le titre de Prime Sorcier et que tu n'as pas eu les couilles de sortir de ton trou plus tôt. Que ce soit toi, un camarade de longue date, qui s'autorise une chose pareille... " Sa voix était devenue de plus en plus lente, de plus en plus vibrante d'un sourire menaçant, grinçant, grondant.

Peut-être qu'au contraire, il avait parfaitement idée de ce qu'il faisait justement parce que c'était un ancien camarade. Elle n'étais pas sûre de ce qu'il savait d'elle avait les Ombres. Ses souvenirs remontaient à si loin. Mais si c'était le cas, c'était encore pire... Et elle n'était pas venue pour penser au pire. Elle ne devait pas penser au pire.

Un mouvement de main léger et détaché remis le monde d'aplomb et la voix de Krish retrouva son mordant amusé.

- Alors ma question est simple : puisque tu veux à la fois une reine et te comporter comme si tu n'avais pas à lui obéir. Qu'est-ce qu'on fait ? "

- Qu’est-ce que tu fais, tu veux dire ?

En réalité ce qu’elle te dit ne t’intéresse qu’à moitié. Tout ça n’est jamais pour toi que prétexte pour dire ce que tu as sur le cœur. Egoïste créature que tu es, à l’instant tu ne t’intéresses pas le moins du monde à celle qui te fait face en tant qu’être vivant à part entière. Elle est une vieille camarade. Elle est ta vieille camarade. Elle est ta chose. Elle t’appartient. Elle fait partie de toi et ne peut que l’accepter. Comme se fait-il qu’elle puisse ne pas te comprendre ? Comment se fait-il qu’elle puisse t’en vouloir alors que tu ne lui voulais que du bien ? Comment se fait-il qu’elle puisse t’infliger tout ça alors que tu n’avais jamais qu’essayé de l’aider ? Pourquoi t’insultait-elle ? Pourquoi s’évertuait-elle à ignorer ce que tu avais vécu alors qu’elle le savait ? Se pourrait-il qu’elle ne sache pas dans quel état tu étais durant ces dernières années ? Se pourrait-il qu’elle fut elle aussi bernée par ta façade ? Ne te comprenait-elle pas mieux qu’un autre ? N’était-elle pas une part de toi ?

- Je n’ai aucun pouvoir. tu marques une pause Et vu ce que tu me reproches, tu sais exactement ce que ça fait… de ne plus être maître de son propre corps. tu te lèves péniblement Alors tu devrais comprendre que ces dernières années, j’ai préféré les passer à baigner dans ma sueur, ma bile et mon sang en privé. Tout ce que j’avais comme forces, je l’ai mis dans les quelques rares heures de cours que j’ai pu donner, et la poignée de lectures auxquelles j’ai participé, parce que contrairement à d’autres, c’est ce que j’enseigne et pas ce que j’ai confisqué qui me maintiens en vie.

Tu te tentes à cracher au sol, pestant contre le façonneur, mais faute d’une correcte hydratation tu n’es capable que de quelques maigres postillons. Tu soupires, déçu par ta performance, et tu te rassieds, comme lessivé alors que tu ne croupis ici que depuis quelques heures à peine, et qu’à aucun moment, entre la visite de Ssol’Riss et la présence de tes geöliers tu n’as véritablement eu le temps de t’ennuyer.

- Mais ça – camarade de longue date – tu n’en savais rien n’est-ce pas ? Aujourd’hui tu es comme tous les autres, convaincue que tout ça tu désignes les traces noires sur ton épiderme n’est qu’une gigantesque trace de teinture sur une peau pâle ; que tout ça n’est pas ma vraie peau, ma vraie nature. ton ton monte quelques peu, avant de brusquement redescendre Alors si ça peut t’aider à prendre une décision, « Feu d’Uriz » et là, tu t’adresses autant au Père des Batailles qu’à son vaisseau, dans une déclaration à deux niveaux dont tu espères qu’elle ne soustraira aucun je tiens à te rappeler que je suis le Gardien. Je ne te dois pas l’obéissance, je me suis rangé de ton côté car tu le méritais. Je t’ai promis mon aide, et c’est ce que je t’ai donné, c’est ce que je te donne, et c’est ce que je te donnerai pour le reste de l’éternité. Que mes gestes te plaisent ou pas, il n’en est pas un qui soit fait contre toi. Chacun de mes gestes, je le fais par amour, parce qu’en choisissant de t’aimer je me suis libéré de l’esclavage.

Tu te lèves à nouveau, tu t’approches du feu d’Uriz à pas lents, tes yeux vides plantés dans les siens.

- Je suis le Savoir. Je suis le Pouvoir. Je suis le Chaos de pensée qui en découle. Je suis savant mais je ne suis pas sage. C’est la passion qui m’a libéré et c’est la passion que j’exerce à ton service. Je me tromperai. Je soufflerai sur ta Flamme jusqu’à ce qu’à force de danser elle me brûle. Mais mes écorchures ne sont rien devant les brasiers naissant de ta Flamme attisée.

Tu inspires, et te figes face à l’Eldéenne.

- Alors tant que tu ne te trahis pas, fais ce que tu veux, je m’en fiche. Je t’aime.

Les araignées qui te servent de mains s’accrochent au cou de la Triumvir, ton front trouve le sien, tes lèvres trouvent les siennes, et tu cherches ton entrée.

Amour...

Un mot vide de sens quand elle le regarde.

La souffrance qui transparait dans ses mots. L'orgueil de ses propos. La solitude de son ton. La hargne qu'il semble éprouvé pour ceux qui prennent et menacent au lieu de donner. Comme pris d'une folie. Une outre trop pleine qui à cause d'une simple aiguille, laisse s'échapper un flot indistinct de fiel et d'eau claire. La passion nécessaire à se convaincre qu'il est quelque chose; que la douleur n'est pas veine.

Alors son discours du matin lui était à ce point destiné... Il avait un si grand besoin de s'entendre dire qu'il ne fallait pas se prendre pour un dieu qu'il avait fini par le dire lui-même. Il avait figé les horreurs qui lui sciaient les nerfs sur le visage d'une autre. Il avait vu les gens se détourné de lui car il en exigeait trop et en faisait trop peu. Il avait vu ce que coutait ses propres caprices et bagatelles. Il avait éprouvé dans sa chair ce que c'était de se prendre pour un dieu et le bavait par tous les orifices.

Hélas... L'Hérésie qu'il venait de commettre avait déjà été commise devant les yeux de Krish. Une fois. Un homme s'était trouvé assez puissant pour prétendre à la divinité. Assez fou pour y croire. Assez fou pour s'en prendre à elle et tenté de la soumettre à sa volonté. Cela lui avait couté sa magie, sa force, son passé, sa santé mentale. Il l'avait payé entre les mains d'Uriz sous le feu de cette colère qu'il avait déclenché. Car le dernier à avoir jouer à ce jeu dangereux se nommait Haldren Baenfere et elle avait fait l'erreur de le briser sans l'achever.

S’amputant d'un allier.

Se créant un ennemis.

Un pas. L'eldéenne attrape les cheveux du mage, ses lèvres prises d'assaut cédant le passage. Son autre main se pose sur le torse dénudé. Sur la marque de peau sombre si semblable à celle qui orne la hanche de son fils si ce n'est de sa forme.

Deux pas. Caressant sa langue de la sienne, elle lui rend son baiser en une lutte suave. Les mots qu'il a prononcer résonnent et s'entremêlent pour former des phrases, montant doucement à sa conscience.

Trois pas. Le dos de Valsrik'Hrae s'abat contre le mur de pierre. La main sur son torse l'y contraint.

Jusqu'à ce que l'air vienne à manquer. Jusqu'à ce qu'elle en décide ainsi, le saisissant à la gorge si nécessaire pour le faire lâcher prise.

La respiration de l'eldéenne danse un moment dans la pièce. Sans un mot. Sans que la Repentis à la porte ne bouge. Sans qu'elle ne s'éloigne. Sans que ne bouge celle main qui le tenait toujours par le col. Le visage d'encre restait proche de celui du mage.

- Tu es un drow, Valsrik'Hrae. " murmure-t-elle d'une voix grave. " Le fais que tu oses te comparer à un Dieu sans trembler est la preuve que tu n'as jamais pu contempler leur pouvoir infini. Mais s'il te laisse prétendre à Son nom sans te le faire payer, je te souhaites tout le courage de ce monde et du suivant. Aime moi. Aime Le. Je n'ai pas de doute sur la sincérité de tes actes. Je crains ce qu'ils me couteront quand tu te tromperas à nouveau. "

Elle s'écarta un peu plus, sa main glissant sur l'épaule de l'aveugle. Elle avait des projets. Bien d'autres projets. Et perdre un allié comme lui pouvait être un handicape bien triste... ou une libération s'il continuait à agir de façon stupide. Si elle passait l'éponge, lui oublierait. Les spectateurs, eux, il n'y avait aucune chance. Et elle, elle n'oublierait ni n'accepterait.

- Pour m'avoir contrainte physiquement et en publique ce matin, je réclame Vengeance. Je veux que tu sois marqué au fer rouge sur la joue. Ni toi, ni personne ne pourra oublié que tu as levé ta magie contre moi, peu importe la manière. Pour ton incitation à la trahison, tu ploieras le genoux et demandera publiquement mon pardon. Tu reconnaitras que tu as eu tord de t'opposer à moi et de renier l'obéissance que tout eldéen doit à son souverain. Est-ce que tu acceptes ces termes ?

Le baiser t’est offert, Premier et Dernier. La passion t’est rendue avec une violence digne de celle qui te fait face. Et tu laisses faire. Tu la laisses reprendre le pas, mener la danse, t’acculer, parce que tu n’as ni le pouvoir, ni le devoir, ni l’envie de lutter. Lutter, ce serait souffrir un peu plus pour peu de choses. Tu n’es peut-être pas sage, mais tu n’es pas irrationnel à ce point. Il t’arrive de savoir choisir tes combats. Le souffle court, ton larynx forcé dans ta gorge, tu souris pourtant, tes crocs pointus offerts de manière éhontée à L’autre.

- Je sais.

Tu n’as rien le temps d’ajouter avant qu’elle ne t’accuse. Tu ne peux que soupirer et retenir un éclat de rire à l’entendre s’offusquer de ce que tu lui avais déjà dit des années auparavant. Tu es un drow, Valsrik’Hrae. Bien sûr que tu es un drow Valsrik’Hrae. Tu n’as jamais prétendu à autre chose. Tu n’as jamais fait que pourchasser la place que tu obtiendras auprès d’eux au Nahali après la mort. Tu n’es qu’un drow, mais tu es un drow béni. Tu es un drow à qui la Chimère a beaucoup donné. Tu es un drow ayant hérité d’un talent, d’un pouvoir qui n’est pas entièrement le tien. Tu as été touché par Tal’Berith, et depuis, tu as été élevé à son image. Tu n’es qu’un drow, miroir imparfait de ton dieu tutélaire, mais tu es un drow acharné, décidé à te faire le meilleur vaisseau possible. Alors non, tu ne trembleras pas. Jamais ta dévotion ne te sera source de honte.

- Je ploierai le genou si tu le désires. Je dirai ce que tu veux qu’ils entendent... ton sourire s’élargit … mais je suis un très mauvais menteur, et tu le sais.

Remercie La Chimère de t’avoir enlevé tes yeux, car si les paroles sont faciles à falsifier le regard ne l’est pas. Seule l’absence d’un regard t’autorise à jouer d’usurpation ; ou du moins t’autoriserait à jouer d’usurpation pour peu qu’elle soit capable de se contenter de si peu. Krish ne te pardonnerait jamais, parce que tu ne demanderais jamais son pardon. Tes mots tu y crois encore dur comme l’acier noir, et tu ne les abandonnera probablement jamais. Que les Eldéens obéissent à leur Souverain et l’Elda s’effondrerait. Que les Eldéens arrêtent de convoiter les sièges de ceux qui les surplombent et vous vous enliseriez de la même manière que les Sylvains. Aux dirigeants de prouver que leur poigne est assez forte. Aux dirigeant de prouver que leur foi est assez forte. Aux dirigeants de prouver que même sans leurs suivants ils sont assez puissants.

Aux dirigeants de prouver qu’ils font l’œuvre des Onze, et le peuple les suivra.

- Alors soit sincère. Convainc les ou meurt. " répondit-elle après un bref rire en reprenant la main du mage. Des mages qui ne savaient pas mentir, elle en avait son comptant aujourd'hui. Mais l'attention de Valsrik était probablement accaparé par autre chose. Entre les doigts de l'aveugle, la caresse poreuse d'un os allongé se fit sentir. L’extrémité était abimée et il faudrait sans doute un peu de temps pour que le mage réintègre cette nouvelle forme, mais c'était bien son focaliseur qu'il s'entait contre sa paume.

- Et sache que je pardonne pas deux fois. Contraint moi une seule fois et j'arracherai ta jolie langue avec les dents. " susurra-t-elle, son sourire de défi n'enlevant rien à l'éclat sérieux de son regard et de sa posture. " Maintenant viens, un prêtre de Meingal nous attend pour la marque. Autant en finir au plus tôt. "

C’était tout ? C’était déjà fini ? Lever ta condamnation avait été aussi facile ?

Non, bien sûr que non. La plus grande des épreuves restait devant toi. Demander pardon pour un acte pour lequel tu n’éprouves pas le moindre remord. Convaincre l’Elda entier – ou du moins les Eldéens présents – que tout ça n’est pas qu’une vaste mascarade. Parce que si tout ça était perçu comme une mascarade, alors cette fois effectivement tu n’en donnais pas cher de Krish. Quelle Triumvir digne de ce nom faisait seulement semblant de punir celui qu’elle avait haut et fort déclaré traître ? Mais qu’importe ! Ce qu’il se passerait plus tard pour l’instant tu n’en avais pas grand-chose à faire. Tu n’avais qu’une seule et unique préoccupation… refaire connaissance avec le tissu de l’univers.

À peine l’os t’avait effleuré les doigts, à peine l’outil avait touché ta paume que tu avais compris. Tu avais souri. Ton cœur avait sauté un battement. Et tu l’avais touchée. Tu l’avais touchée de mains invisible comme un aveugle aurait cherché à la décrire. La manière dont l’air entrait en contact avec sa ses vêtements, et ses vêtements avec sa peau. Le poids tirant chaque infinitésimale fraction de son corps vers le sol. Les choses sur lesquelles tu avais du pouvoir, elles recommençaient à exister à tes yeux. Ton univers de mouvements, d’échos, de surfaces et de frottements te réapparait, et tu retrouves ta vision toute particulière du personnage de Krish Al’Serat.

- Je t’aurais bien bloqué le petit doigt juste pour t’agacer si tu n’avais pas l’air aussi sérieuse.

Tu ranges le focaliseur à sa place à ta ceinture et t’en va chercher et passer ton manteau. Ton expression joueuse s’éteint cependant bien rapidement lorsque tu te retrouves à nouveau aux côtés de Krish.

- Mais qu’on soit clair, ta voix grave plonge encore plus bas qu’à son habitude Des Primes-Sorciers de seconde zone, le Puy en a connu, et je n’en suis pas un... tu marques une pause Et tu as le même goût qu'une prêtresse de Natha tu lèves un sourcil à moins que ce ne soient toutes les femmes ?

En tenant la port au mage, Ferya sur ses talons, Krish n'avait pas particulièrement envie de rire... Tout simplement parce que Valsrik'Hrae, lui semblait de nouveau prendre tout ça avec la désinvolture qui venait de le mettre en danger. Elle aurait pu lui retourner un bon mot, un instant de répit dans la tension du jour, mais elle n'en avait ni le temps ni l'envie.

- En effet, tu ne seras pas Prime Sorcier. " laisse-t-elle tomber en marchant à son côté, saluant d'un hochement de tête le prêtre de Meingal qui l'attendait à l'extérieur, visiblement médusé de voir le mage à son côté, armé et... prenant visiblement le chemin qu'on lui avait indiqué. " J'ai dit que tu demanderais mon pardon, pas que je te l'accorderai sans condition. "

Au bout d'un couloir, une nouvelle porte. La pièce était simple, deux chaises, un fourneau. Rien a voir avec une geôle ou une salle de torture, c'est ici que les fidèles se faisaient marquer au fer pour prouver leur courage ou remercier le Père.

- Ce n'est pas par simple esprit de camaraderie que je te donne une possibilité de survie, Valsrik'Hrae. Tu le sais, j'aime le talent. En tant que mage, tu es plus utile vivant que mort pour l'Eda. En tant que personne, tu frôles dangereusement avec l'inverse. Tu pourrais être tellement plus si tu contrôlais un minimum ton égo. " Elle désigna l'une des deux chaises tandis que le prêtre de Meingal répétait l'accusation et la compensation, s'assurant que les deux partis acceptaient de passer par la loi du Talion pour régler leur différent.

Une fois fait, Krish empoigna le tison que les siens avaient confectionné durant la matinée et laissé au feu depuis son arrivée pour parler au mage. De l'autre main, elle lui tendis un long morceau de cuir dans lequel il pourrait enfoncer ses dents.

- Prêt ?

- Hmph.

Un râle agacé quitte tes cavités nasales quand elle te rappelle à tes prérogatives actuelles. « Sois sincère, sois convaincant, tu demanderas mon pardon. » Autant de requêtes qu’elle continue de t’asséner malgré tout ce que tu as pu lui dire à l’instant… et plus les secondes passent, et moins tu comprends comment les prendre. S’attend-elle à ce que tu fasses jeu d’acteur, et demande pardon pour des choses pour lesquelles tu n’éprouves aucun remord, et est-elle prête à accepter des mots creux pour peu qu’ils fassent amende honorable à l’outrage commis ? S’attend-elle à ce que tu trouves des mots qui résonnent sincèrement pour toi, quitte à ce que d’autres ne les comprennent pas, pour peu qu’elle y trouve témoignage qui la satisfasse ? Ou s’attend-elle à ce que tu mêles ces deux approches en un serment chimérique adressant à la fois tout et rien ?

- Mon égo va très bien. tu laisses entendre juste avant de prendre place sur l’une des deux chaises Je manque juste de sang-froid.

Tu t’assieds avec nonchalance, depuis longtemps résigné à ton sort. Ce n’est pas là la partie qui t’effraie non. Loin de là. Qu’est-ce qu’un peu de douleur pour celui qui a passé 5 ans à vivre un éternel cycle de déconstruction et renaissance.

- Finissons-en.

Tu attrapes le cuir, y enfonce tes dents, et tends ta tempe à la forgeronne. La marque s’approche de ton visage, ta peau crépite déjà avant qu’elle n’arrive, et puis le métal brûlant embrasse ta joue. Ta mâchoire se resserre, ton nez se fronce, tes yeux se ferment, mais tu n’essaies pas de hurler. Tu sembles même profiter de ce moment comme s’il te fut agréable. Le baiser des flammes n’est rien.
Il te suffit de quelques instants pour y replonger, ces moments où la bile te remontait, où tes poumons se tordaient, où tes os grinçaient et où ta tête menaçait d’imploser. Il te suffit de quelques instants pour y replonger, ces moments qui te donnèrent l’impression de mourir de la pire des manières, dévoré par l’éther, humilié en tant que Sombre comme en tant que mage. Pendant ces années douloureuses il t’est arrivé de pleurer à chaudes larmes, et de prier la clémence d’Uriz, de Kiel et de Valas. Pendant ces années douloureuses, il t’est arrivé de te résoudre à hurler aux dieux que tu abandonnerais ta place au Nahali, que tu accepterais les P’leiks juste pour que la peine cesse. Pendant ces cinq ans, tu as vu ton corps reforgé par son combat contre la trame que tu avais invoquée une fois de trop, dans une épreuve imputée par la Chimère, à laquelle tu as failli par plusieurs fois échouer. Et pendant cinq ans, tu t’es relevé chaque matin, décidé à ce que chaque seconde d’accalmie, tu puisses la passer à servir.

Alors qu’est-ce que le baiser des flammes ?

La douleur n’est plus. Il ne reste que la chaleur étreignant ta chair à vif. Tu craches le cuir, et tes oreilles à défaut de tes yeux se dirigent vers celle qui venait de prendre le premier pas de sa vengeance.

- Et maintenant ?

- Maintenant tu as le temps de réfléchir à ce que tu vas dire et comment pour que la populace croie à ton repentir sincère. Je ferais une apparition officielle à dix-sept heure. Ton destin est entre tes mains.

Les entrelacs des arabesques aux pointes effilées qui formaient la marque sur la pommette du mage attiraient sans cesse l’œil de l'eldéenne sans qu'elle ne puisse réprimé un petit sourire bien plus fier que moqueur. Croyant et fervent. Courageux. La question était finalement : préférait-elle être une fern entourer de tigres ou une louve entourée de chiens...

Le prêtre de Meingal inscrit dans son livre que la Vengeance avait été accomplie et leur montra à tout deux les caractères d'encre qui ne pouvaient plus être effacés. Krish le salua respectueusement tout en sachant qu'il la suivrait encore pour quelques temps.

- Raccompagnez-le. "

Restée seule dans la petite salle, Krish inspira a pleins poumons. La douce chaleur du foyer lui emplissait la gorge. La crainte... Les doutes... Tout semblait s'être envolé. C'était... étrange.

En sortant du temple, la garde d'ébène sur ses talons, elle profita du petit moment qu'elle avait encore avant son rendez-vous avec Kerath pour voir une fois de plus le chef de leur glorieuse Doth'Ka. Le cas Valsrik'Hrae était pour l'instant clos mais la suite l'attendait. C'est dans l'intimité de sa propre tente qu'elle ordonna au Barra de faire sortir Ran'Lyn des geôles de Kiel et de le garder sous le coude... ainsi que de lancer l'arrestation progressive et discrète de la milice privée de Viconia pour la faire protéger uniquement par la garde d'ébène.