Le traitre et l'esclave [Valsrik]

9e jour de la 8e ennéade de Barkios de 17:XI

Les trois drows parcouraient les couloirs de l'étude noire d'un pas vif. Ceux de l'aspirante Vaen're étaient silencieux. Pieds nus, désarmée et vêtue d'une tunique aux couleur du C'nros, la petite drow était vêtue de l'uniforme le plus humble que l'institution avait à offrir et étaient encadrée, comme à l'accoutumée, par deux chaperons qui la dominaient de toute leur taille.

Cela faisait quelques ennéade qu'elle avait appris à s'accommoder de leur présence quasi permanente, au point qu'en être débarrassé commençait à lui donner l'impression qu'elle oubliait quelque chose. Heureusement, si escorter la petite chose de la Ditrown Da're dans tous ses déplacements n'était pas l'activité la plus passionnante que le C'nros avait à offrir à ses hommes, elle passait la plus grande partie de son temps abîmée dans le travail et l'entrainement. Les ecchymoses et les coupures qui parsemaient sa peau d'ébène témoignaient qu'elle ne perdait à cet égard pas son temps.

A l'épaule droite de la sombre était pendue par une lanière de cuir une lourde sacoche remplie d'ouvrages et de materiel laquelle faisait légèrement pencher sa démarche sans qu'elle n'en paraisse ralentie le moins du monde.

Sa coiffure était rabattue de manière à exposer au regard de tous la marque au fer rouge qu'on avait imprimé sur le coté droit de son cou: Le symbole qui théoriquement faisait d'elle une propriété du C'nros. Seule concession à la coquetterie, sa cheville gauche portait un bracelet d'argent.

Avec l'autorisation de la Ditrown Da're, elle avait pris rendez-vous avec le prime sorcier aussi vite qu'elle l'avait pu après les évènement de l'état major. Le temps pressait, il était évident que les évènements ne tarderaient pas à s'accélérer.

Lorsqu'elle se présenta dans l'encadrure de la porte qui abritait les locaux de Maitre Valsrik, la magicienne salua son occupant avec respect.

- Maitre Valsrik'Hrae Zezxyra, aspirante Shyn'tae Vaen're. C'est un honneur que vous ayez accepté de me recevoir.

Pour toi la nuit – ou du moins ce qu’il en restait – avait été beaucoup trop courte. Après que l’on ait dû t’extirper de ton siège de l’Olath Blada, tu n’avais plus fermé l’œil. Encore trop endolori pour trouver un sommeil confortable, ton corps s’était refusé sombrer. Alors aujourd’hui tu restais diminué, profitant de la moindre occasion pour te reposer le corps et l’esprit… quand ton incessant flux de pensée t’y autorisait.
Si les choses continuaient comme elles avaient été lancées, vous alliez droit au mur. Si cet imbécile de Karliik Glenn continuait de s’octroyer des pouvoirs qui ne sont pas les siens, vous alliez droit au mur. Si l’Olath Blada se mettait en chasse des assassins de Krish et de leurs potentiels suivant pour les soumettre à la répression, vous alliez droit au mur. Si la Ditronw Da’re continuait de folâtrer dans son égo surdimensionné, vous alliez droit au mur.

Et toi, maintenant, de quel pouvoir pouvais-tu abuser ?

Pour le pouvoir, il aurait fallu que tu le veuilles.

Au sein de l’Olath Blada tu es Prime-Conseiller. Au sein de l’Etude-Noire tu es Prime-Sorcier. L’un et l’autre historiquement ne sont pas censés se mêler. Diriger l’effort de guerre de quelque manière que ce soit n’est pas un pouvoir qui vous est conféré. Et à raison. Vous êtes des chercheurs. Des scientifiques. Des penseurs. Mais pas des stratèges. Vous êtes des esprits logiques pour la majorité, mais votre logique n’est pas celle des militaires. Vous êtes un pouvoir censé se soumettre – pour le meilleur – aux Osts lorsqu’en vient le moment. Vos savoirs sont une nourriture exquise pour cette bête vorace qu’est l’Eda Vengeur, une nourriture que vous n’êtes pas censés faire plus que simplement dispenser… mais aujourd’hui… aujourd’hui peut-être faut-il qu’il en soie autrement.

Pour l’instant tu n’as rien fait de plus, car tu ne sais pas quoi faire. Tu ne sais pas comment canaliser cet imbécile de Karliik Glenn. Tu ne sais pas comment tenir en laisse ses chiens, et s’il fallait en arriver là, tu ne saurais encore moins t’en faire le remplaçant. La chef du C’nros par contre. La Aertsab… elle tu as une emprise sur elle. Elle, elle te doit le respect, alors peut-être qu’elle, lorsque ton corps aura récupéré, tu pourras t’occuper de la recadrer.

Qu’elle ne provoque pas une guerre civile avant que vous n’ayez pu donner un autre exutoire aux vôtres.

Et qui sait, peut-être qu’à travers sa chose de compagnie tu pourrais l’atteindre. Même lorsque Shyn’Tae susurrait des imbécilités à l’oreille de L’Renor, la Ditronw s’en contentait, alors si elle pouvait tenir un discours un minimum intelligent…

- Ça n’a rien d’un honneur. tu réponds sèchement, d’une voix fatiguée Je fais mon travail, voilà tout. tu soupires, terminant de caresser une page du bout des doigts avant de fermer le grimoire que tu feuilletais Qu’est-ce qu’il y a ?

Ce qu’il y a, tu l’imagines bien. Krish est morte. Le Vatna est en verge d’exploser. Vous n’avez plus de tête, et il est encore des crétins pour croire qu’ils ont le pouvoir de manufacturer la légitimité qui s’acquiert par le sang.

Vous êtes dans la merde, voilà ce qu’il y a.

- Ca n'a rien d'un honneur, je fais mon travail, voilà tout. Qu'est ce qu'il y a? L'oreille droite de Shyn'tae s'abaissa, l'autre s'éleva, accompagnant ainsi le mouvement de ses sourcils. Il était à espérer qu'il se doutât de la raison de sa présence.

En voilà un de plus qui a un problème avec la politesse. En voilà un de plus qui ne peut pas s'empêcher de dire ce qu'il pense.

Ce n'était pas grave, l'aspirante pouvait s'en accommoder. Il fallait noter qu'elle n'avait pas vraiment de choix en la matière. Il était le seul Prime Sorcier qu'elle avait à sa disposition, et peut-être une des rares personnes que son père écoutait, même si sur ce dernier point, elle avait un doute.

Considérant la réponse du drow comme une invitation à entrer, la magicienne se glissa d'un pas silencieux jusqu'au du Maitre mage installé à sa table de travail.

-  J'ai réfléchi. Le pouvoir au Puy a horreur du vide, et ce n'est pas Kerath qui le remplira. J'espère qu'il survivra à ses propres décisions, mais cela ne dépend que de lui. L'Renor quand à elle souhaite retrouver Urgoll'Ven." La tonalité froide qu'elle avait employé en disait long sur ce qu'elle pensait de ces décisions.

- Par contre, il y a d'autres leviers pour lesquels nous pouvons agir. Nous ne pouvons pas laisser l'operation à Naelis avoir lieu sans envoyer une délégation diplomatique à Thaar pour réaffirmer la volonté du Puy de continuer à maintenir une relation forte avec l'Ithri'vaan, et ce même après la mort de Krish. Les humains sont fragiles face à l'incertitude. Ils s'inquiètent vite et commettent des erreurs qui pourraient nous être préjudiciables. Je souhaite offrir au futur Triumvirat de servir pour une telle mission. En tant que championne de Thaar, de nombreux Thaari me respectent. Je parle parfaitement leur langue,  je connais leur manière de penser, je veux sauvegarder ce que Krish a construit.

Et je veux protéger mon crétin de père." C'était stupide, une tâche sans fin qui la faisait affronter la personne même qu'elle voulait protéger, car Kerath était aux yeux de Shyn'tae son propre pire ennemi.

Elle avait gardé ce dernier point pour elle, même si elle ne doutait pas un instant que lui aussi l'avait compris.  Qui plus était, en s'extrayant de la protection de la Ditrown Da're, elle serait à la merci de l'envoyé choisi par le Triumvirat car la drow était consciente qu'elle ne pouvait tout au plus espérer qu'une fonction d'interprète ou de conseillère. Peut-être que s'ils pensaient contrôler Kerath en tenant sa fille, les Triumvirs seraient moins tentés.

- Qu'en pensez-vous?

C’est avec beaucoup d’attention mais bien peu de patience que tu écoutes ton interlocutrice. C’est sans la moindre désinvolture, mais avec déjà l’air excédé que tu accueilles ses questions. Tu aimes cet endroit. Tu aimes le Puy. Pour toutes les merdes qu’il s’y passent, pour tout ce que tu y a connu d’horrible, pour tout le mal que tu y as subi, tu aimes le Puy. Tu aimes le Puy comme tu aimes le Père des Batailles. Tu aimes le serviteur zélé parce que tu aimes son Maître. Mais quand le zèle du serviteur commence à se mettre à son propre service… Tout ça n’a rien à voir avec Shyn’Tae. À l’entendre, tu ne peux que constater que la pauvre mage est plus raisonnable qu’il n’y paraît. Pauvre parce que tout raisonnable qu’elle soit, à servir cette furie prétentieuse d’Aertsab, tout ça n’était que de la sagesse gaspillée.

- Si Kerath doit continuer à jouer les waele de cette manière, tout ce que je peux lui souhaiter c’est de mourir d’une mort honorable.

Du bout des ongles, tu tapotes la couverture de ton grimoire, témoignant ainsi de l’agitation qui est tienne. Mais tu prends tout de même quelques secondes pour réfléchir, avant de donner une réponse à celle qui te fait face.

- Mais pour en revenir au sujet principal, oui. tu marques une courte pause Il va nous falloir un représentant de confiance auprès des Thaaris. tes souvenirs vont aux Princes-Marchands ayant fui la veille Les invités du mariage savent que briser notre nouvelle relation avec les Principautés n’est dans l’intérêt de personne. Ils savent aussi que les nôtres vont être agités par la mort du Feu d’Uriz… et que Viconia est morte un peu plus tôt dans les Septmonts.

Tu soupires. Avec tout ce branle-bas de combat, tu avais presque oublié que c’était Krish elle-même qui t’avait confié ces informations. Que c’était Krish elle-même qui t’avait demandé de faire savoir aux Princes-Marchands que vos yeux étaient tournés vers le Royaume de Naélis. Et que c’était Krish elle-même qui t’avait demandé de porter – et normalement tu aurais dû le faire au cours de son mariage – sa requête devant le Conseil, et tout particulièrement…

- Le Prince des Septmonts aurait d'ailleurs dû être là pour qu’on puisse lui « demander » passage à travers ses terres, mais il semblerait qu’il ait décidé de ne pas honorer sa parole et de rester chez lui. tu claques de la langue Des erreurs, les humains en ont déjà faites. Donc effectivement, un émissaire qui puisse remplacer Krish dans le dialogue avec eux ne serait pas de trop. Et effectivement, en tant que ton ton devient dismissif, marquant ton incrédulité devant une telle perspective « Championne de Thaar », tu serais probablement la mieux placée parmi nous pour t’en charger.

Tu te lèves, et poses les deux mains sur la table, ton visage se métamorphosant en une moue plus qu’agacée.

- Malheureusement, maintenant que tu appartiens au C’nros, je n’ai plus le pouvoir de te libérer à moi seul. tu croises les bras sous ta poitrine Et tant que de nouveaux Monarques ne se seront pas imposés, on aura besoin de l’accord de cet abruti de Kerath. tes yeux aveugles roulent dans leurs orbites Mais là-dessus, je pense pouvoir aider.

Non. Malgré tout ce qu’il aura pu en dire au moment de te choisir comme Prime-Conseiller, ta voix n’a pas plus de poids dans l’oreille de Kerath que celle de n’importe qui d’autre. Pas quand il ne s’agit pas de magie en tout cas. Et c’était logique. La magie est ton domaine d’expertise, pas le reste. Et quant à la diplomatie, c’était probablement là le dernier de tes talents. Alors si même toi tu étais capable de réaliser cet effort en direction de Thaar nécessaire…

- Sinon. tu souris, moqueur Finalement, Aertsab a décidé d’abandonner la chasse aux assassins pour poursuivre un fuyard ?

Traductions:

Shyn'tae avait observé les réactions du Prime sorcier à chacun de ses mots, à chacune des inflexions régulières de sa voix mélodieuse.

Il est impatient.
Il est excédé.
Quelles sont les chances qu'il me mette dehors?

Pourtant elle avait continué sans sourciller, comme si elle n'avait rien remarqué à son attitude. Déjà Valsrik avait la réputation d'être en permanence excédé par une chose ou l'autre, aussi le découvrir cordial aurait été bien plus inquiétant. Et surtout.. la mettrait-il vraiment dehors?

Lorsqu'il ouvrit la bouche, il devint évident qu'il ne le ferait pas tout de suite. Ce fut au tour de la petite Eldéenne de l'écouter avec la même attention que celle qu'il avait bien voulu lui accorder, l'impatience en moins. Ses oreilles se tendirent, lorsqu'elle compris qu'ils étaient d'accord.

Comme elle, il considérait l'initiative non seulement raisonnable, mais aussi necessaire. Elle n'était pas entièrement certaine que son titre serait réellement efficace auprès des marchands du conseil, mais au moins en avait-elle rencontré certains d'entre eux à plusieurs occasions.

Nos armées pourraient-elles longer l'Aduram plutôt que traverser les septs monts? Une telle manœuvre est peut-être plus longue et risquée, mais serait sans aucun doute rassurante pour le prince de la soie…

- Je ne serais pas venue vous rencontrer sans avoir auparavant un accord de principe de la Ditrown Da're. Pour mon propre bien, Elle m'a imposées quelques…" La sombre fronça les sourcils, ses oreilles frémirent alors qu'elle continuait.… contraintes, mais elle a accepté." Le regard de la magicienne fit le tour de la piece. Ses pieds nus fermement plantés sur le basalte, elle se tenait, droite, et croisa les bras. Non, cela n'avait pas été facile à négocier. Mais L'Renor n'était pas stupide, et elle préférait pouvoir compter sur des individus de confiance. Les serments qu'elle avait prêté, la douleur que les prêtres de Kiel lui avaient fait offrir à la déesse avaient convaincu sa supérieure. Les psaumes à la gloire d'Uriz et aux enseignements de la Maitresse des Souffrances qui serpentaient encore rougis sur sa jambe droite n'en étaient qu'un échantillon.

- Elle pourchassait des assassins? lesquels? Ajouta-t-elle avec curiosité. L'Renor ne lui avait jamais parlé d'une telle chose. "Elle est convaincu que le Puy a besoin d'Urgoll'ven... " La jeune drow secoua la tête, agacée.Je l'ai rencontré, j'espère que ce n'est pas notre meilleur espoir." Son regard portait tout le mépris qu'elle associait à cette idée. A quel point pouvait-elle lui parler? La balafre que le vieux Maitre élémentaliste avait infligé à sa joue se rappelait à elle chaque jour, tirant sa joue et ses lèvres pour l'handicaper.

- Il arpentait les sept monts il y a un mois. Décharné, consumé par la folie. Fuyard en effet. De ce qu'il est ou ce qu'il croit être, de son passé, du Puy, peut-être même des dieux. Son chemin ne semble pas destiné à le ramener au service de l'Eda vengeur dans l'immédiat.

C'était un euphémisme. Quoiqu'il soit arrivé au haut prêtre du prime dragon, rien ne justifiait de se laisser aller à pareille déchéance. Ce renoncement provoquait immanquablement sa colère. L'Renor l'avait sans aucun doute senti. Il ne fallait pas emmener Shyn'tae rechercher Urgoll'ven. Cela risquait de mal se finir.

- En tout cas merci d'appuyer ma suggestion auprès de Kerath et des Triumvir. Mieux valait changer de sujet, décida-t-elle. Urgoll la mettait bien trop mal à l'aise.

- Je voulais aussi vous poser quelques questions. Je perfectionne ma pratique des glyphes en tant que facilitateur arcanique, et ma progressions serait définitivement accélérée par quelques conseils et éclaircissements. Auriez-vous un peu de temps à me consacrer?

Elle pourchassait des assassins ? Lesquels ? Lesquels ?

Tu t’efforces de passer outre la question, sourcils froncés et dents grinçantes. Les paupières de tes yeux vides commencent à tomber, trahissant ton épuisement, et par la même occasion, une raison de plus à ton impatience. Si la Shyn’Tae était incapable de lire entre les lignes la vendetta lancée plus tôt par la Ditronw Da’re contre les assassins de l’ancienne Reine, alors rien ne servait de l’expliquer. À ceux aveugles à l’inextinguible désir de contrôle d’Aertsab, aucune lumière ne serait suffisante à l’éclairer. À ceux aveugles à l’obsession animant celle qui pensait légitime de décider elle-même ce qui serait ou pas décision du Père aucun chemin ne mènerait jamais nulle part ailleurs qu’à une infâme, impure et futile douleur. Parce que c’est ce qu’était Aertsab. Une enfant de Kiel trop irrévérencieuse pour que son sacrifice soit entendu par les dieux.

- J’espère qu’ils entendront raison.

Tes oreilles se dressent, et tes yeux terminent de se fermer. C’est un effort de moins pour toi à fournir. Mais ce n’était pas assez. Ta respiration ralentit alors que la magicienne parle. Tu contiens ton cœur pour ne pas être pris par la panique. Et tu offres à ton esprit un peu de repos. Ta mainmise sur ton monde s’étiole, et les invisibles doigts qui te permettent habituellement de te repérer ne sont plus. Maintenant tu es véritablement aveugle… et c’est maintenant que l’on vient te parler de magie…

- Non. tu soupires et pousses de la main contre la table pour maintenir la tête haute Il va falloir que tu fasses un choix. tu frappes de la paume sur ton bureau, en réalité pour entendre le son réverbérer plus que par colère Les glyphes ne te serviront à rien dans les affaires du C’nros. Leurs méthodes sont trop grossières pour en faire bon usage. tu frappes encore le bois Et nos méthodes sont bien trop fines pour être applicables à leurs affaires.

Ton visage tombe, et tu déglutis lentement, avant de prendre une grande goulée d’air et de te redresser moins vif que tu ne l’étais avant, plus que tu ne le serais la prochaine fois.

- Quand tu te seras décidée à abandonner le stupide rêve d’un jour rejoindre les mages de guerre, pour reprendre ta digne place au sein de l’Etude Noire, là je pourrai t’aider. tu grognes Sinon c’est du temps perdu.

Et ton temps, à l’instant, tu préférerais le passer à dormir.

Le Prime sorcier n'avait pas répondu à sa question, il était probable qu'elle avait commis une gaffe quelconque. De quels assassins avait-il parlé? De ceux de Krish?

L'Renor avait été dés la fin de l'état major peu encline à aller chercher des noises à des Prima probablement promu à un grand avenir, et il était peu dire que Shyn'tae en avait été rassurée. Que le Prime sorcier puisse penser le contraire était inquiétant.

Inquiétant parce que d'autres penseraient de la même manière.

Quel était l'avenir de sa "protectrice" au C'nros? Sans L'Renor, quel serait son propre avenir? Les risques étaient évidents, l'inconnue plus grande encore. Shyn'tae frémit d'excitation alors qu'elle réalisait l'étendue des possibilités et des enjeux.

Assez pour que la réponse de Valsrik à sa demande ne l'agace que modérément. Tout au plus haussa-t-elle un sourcil et une oreille interrogative.

Le prime sorcier était-il en train de pratiquer un chantage au savoir pour qu'elle abandonne le C'nros et revienne à l'étude noire?

Cette journée était pleine de surprises.

Shyn'tae hocha la tête, son expression était celle de la concentration. Elle était en désaccord avec ce drow sur plusieurs  points et c'était bien dommage, car être en désaccord avec Maitre Zezxyra suscitait toujours des regards plein de compassion.

Il lui demandait de renoncer comme il l'aurait fait envers une gamine de cinquante ans. Il n'avait même pas exprimé la moindre curiosité envers son sujet d'étude. Ca par contre, c'était agaçant.

Mais a-t-il vraiment tort? Ta stratégie a l'air surtout efficace pour t'autodétruire...

C'était de famille, pensa-t-elle.

- Très bien. Est-ce que je conserve mon accès à la bibliothèque? Je vais réfléchir très sérieusement à votre conseil. J'ai fait un serment, mais dans le chaos actuel, bien arrogant serait celui qui penserait pouvoir prédire ce que l'avenir nous reserve tous.

Il avait l'air fatigué, nota-t-elle. Peut-être n'avait-il pas dormi. Elle même s'était réservée quelques heures de sommeil réparateur entre un mur et le dallage délicieusement chauds du bureau de la Ditrown Da're. Dormir n'importe où était quelque chose qui s'apprenait. Maintenant c'était au tour de sa supérieure de profiter.

-  Vous devriez vous reposer." conclut-elle avec douceur.

- La bibliothèque te reste ouverte. Loin de moi l’idée de priver un mage de savoirs précieux. précieux même au C’nros Essaie juste d’éviter d’y chercher des raisons de mourir.

Des glyphes au C’nros ! La folle idée ! Dans quelle guerre pensait-elle trouver le temps de tracer des cercles et des symboles sans qu’une flèche ne vienne lui transpercer le crâne ? Et quelle genre de magie de guerre comptait-elle apprendre à pratiquer pour que des constructs aussi fins que ceux des rituels cerclés lui soient utilisables ? Tu soupires. Peste d’aspirante à l’appétit trop vorace. Peut-être essaie-t-elle de réaliser l’exploit : de conjuguer les qualités des deux faces de la magie Eldéenne. Et bien qu’elle s’y tente. Elle serait peut-être la première à réussir. La première à atteindre la double excellence. Tu en doutes. Tu en doutes fortement. Mais au final, tu ne lui souhaites que ça. Ses chances de réussir étaient extrêmement mince, mais qu’un jour elle y arrive, et l’Elda gagnerait une sorcière formidable.

Penses-tu être à ce point formidable, Shyn’Tae ?

J’espère pour ta vie que tu l’es.

- Pas le temps.

Et tu en étais persuadé tant que convaincu. Maintenant n’était pas le moment de se reposer. À l’instant, alors que Kerath venait de faire l’erreur de sa vie, que vos potentiels Triumvirs légitimes fomentait avec les Cultes, que les Cultes eux-mêmes se remettaient de la perte de la Haute-Prêtresse la plus importante du Puy, que les armées se coalisaient pour une possible guerre à venir, et qu’au lieu d’un vide – faute d’accords entre vous les hauts-placés – c’était un chaos qui régnait sur le Puy, tu n’avais ni le temps ni le droit de te reposer.
Pourtant ton corps était faible au point que tu aies dû abandonner la vue. Tu ne tiendrais probablement pas bien longtemps à lutter de cette manière. Maintenant il n’y avait plus que ton égo qui te maintenait en éveil. Elle ne devait pas te voir flancher. Personne ne devait voir le moment où tu flancherais, mais dès lors que tu te trouverais seul dans ton bureau, alors tu sombrerais.

Ce que le prime sorcier pensait de ses recherches n'était particulièrement difficile à deviner. Mais en quoi cela le regardait-il exactement? La magicienne fit de son mieux pour ne pas montrer son agacement. Tout au plus son regard disait-il qu'il ne servait à rien de tenter de la décourager. Peut-être plus tard, avait-elle laissé entendre:

Ce qu'il fallait comprendre était plus précis: "Lorsque je serai satisfaite de ma compréhension du problème."

Shyn'tae n'avait pas peur de l'échec, car elle avait la certitude de sortir grandie de cette étude là. L'Renor lui aurait probablement rit au nez comme le Prime sorcier, et c'était pour cela que son aspirante s'était abstenue de lui faire part de ses réflexions.

Elle pouvait remercier Valsrik pour cela: En quelques mots et avec son tact légendaire, le Maitre dynamiste était parvenu à mettre le doigt sur ce qui lui déplaisait.

Shyn'tae n'avait aucune envie d'appliquer les recettes éculées. Peut-être ne serait-elle jamais une mage de guerre tels que le devenaient les jeunes recrues du C'nros.

Cela avait-il la moindre importance? Leurs techniques qu'ils avaient développées en étaient-elle forcément moins utiles? C'était une fenêtre sur une autre manière d'interagir avec les arcanes.

Et elle avait eu une idée, une idée qui méritait d'être approfondie, et ce même si cette idée ne cadrait pas avec ce qu'attendaient de vieux drows engoncés dans leurs habitudes tel que Maitre Valsrik ou Maitre L'Renor.

Peut-être qu'en effet le C'nros ne pourrait pas lui apporter grand chose de plus.

Peut-être échouerait-elle.

Qu'est ce que signifiait échouer?

- J'ai déjà tant de bien meilleures manières de mourir que celle-là... A défaut d'être prudente, je sais à peu près ce que je fais avec les arcanes.

La magicienne marquée l'observa un instant, pensive. Une lueur d'amusement brillait dans son regard

Ses yeux parcoururent le prime sorcier. Il paraissait épuisé. mais la sombre devait bien admettre qu'il était plutôt séduisant derriere ses déficiences sociales. Peut-être même celles-là aussi pouvaient elles s'avérer excitantes, admit-elle intérieurement.

Même s'il n'en avait probablement rien à faire, Shyn'tae le salua avec respect lorsqu'elle fit demi tour.

Une fois sur le seuil, la sombre s'arrêta brièvement, déhanchée. Sa main posée sur le montant, la tête à demi tournée vers lui, elle lui adressa une dernière parole d'une voix chantante.

- Vous le savez déjà, Prime sorcier… Survivre n'est pas un sprint, mais une course d'endurance."

C'était quelque chose qu'elle connaissait si bien. La fatigue faisait commettre des erreurs.

Les erreurs tuaient.

Elle le laissa, son escorte la suivit de prés.