Courant Favrius 17:XI - Automne
Les journées d'Ithri'Vaan sont toujours aussi difficile, même après des années a subir leur colère. Le ciel lui-même veut me faire rôtir. Le soleil brûlant me frappe continuellement au visage et mes yeux clairs à la constitution fragile souffrent de cet éclat direct. A voir les habitants du crue, j'ai fini par me dire que les peaux sombres devaient avoir moins de mal à résister au soleil, car Dante ne prend jamais de coup de soleil, lui.
J'avais pris l'habitude de voyager de nuit lors de notre fuite de Frontière. Un prétexte pour admirer la lune et la voûte piqueté de vagues lumières indistinctes, sans doute. Moins de manants inintéressants, plus de douceur.
Le crissement irrégulier des insectes nocturnes m’égaye l'oreille. Le jeu d'une brise fraîche entre les herbes folles qui pullulent dans le pré en friche autour de la fermette caresse mes bras et agite imperceptiblement ma robe de soie noire. Cette robe de prêtresse de Teiweon ramassée au temple de Geresh est si douce sur ma peau fine, qu'elle me donne envie de sourire à chaque mouvement. Que d'aucun la juge trop provocante ou inadaptée ne m’émeut plus le moins du monde. Qu'ils fassent avec. Je profite de l'ombre pour ouvrir grand les yeux aux cils plus noirs que le ne le sont mes pupilles.
Mes mèches courtes, coupées et teintes de frais, caressent à peine mes joues. Leur odeur d'iris et de coco flottent délicieusement autour de ma tête, se mêlant à la terre humide que charrient les mouvement d'air. Sous mes pieds, l'inégalité d'une motte de terre compacte m’apparaît sans peine à travers mes semelles souples. Derrière moi, les fenêtres vitrées de la riche et chiche demeure laissent passer la lumière vacillante du feu, mais les bruits de la vie m’indiffèrent.
Je préfère largement m'éloigner en flânant, mes jambes blanches tranchent sur l'atmosphère sombre. Dénudées sans crainte ni retenues par les échancrures vertigineuses de la tenue du plus pur style eldéen. La tête dans les étoiles, le corps un peu plus détendu à chaque pas, mes mains s'agitent en cadence et je fredonne distraitement une ballade concernant un chevalier tué lors d'une bataille pour que son meilleur ami ait une chance de revoir la femme qu’il aime.
Le rythme me parait pourtant... étrange. Trop rapide. Trop enlevé. Comme si je me calais sur un métronome mal réglé. Un métronome... Ou un battement ?
Après plusieurs essais toujours aussi dérangeants, ma voix s'éteint pour laisser tout loisir à mes oreilles de guetter.
Mes pas m'ont menés jusqu'au bois épais à quelques distances du corps de ferme. Les arbres énormes me présentent leurs troncs noueux et découpés comme savent si bien l'être ceux de la région. Une impression magnétique caresse ma peau. Un léger froid remonte le long de mon épine dorsale. Mes sens ouverts à la magie, mon oreille et les murmures me confirment qu'
il y a quelque chose !Dangereux, mais apaisé. Étrange, mais familier. Une personne ?
Curieuse, je scrute les ombres alentours.
- Ne vous cachez pas. Je ne vous veux aucun mal.Je n'en était pas certaine, mais la curiosité était trop forte. J'aviserai de ce qu'il convient de faire une fois que j'aurais identifier cette chose étrange.
Un mouvement rapide à la périphérie de mon champ de vision me fait tourner la tête. Quoi que cela puisse être, c'est encore à bonne distance le long des sous-bois.
C'est Dangereux. Il pourrait te faire du mal sans que nous ne puissions te protéger. Mais c'est intrigant. Les Lamentations n'ont pas l'air si inquiète. Il s'agit seulement d'une sorte de mise en garde... Sans doute.
Je pourrais m'arrêter pour les interroger, les explorer, mais perdre la trace de cet être étrange serait si décevant... Alors je m'engage dans l'herbe sauvage, sentant les insectes frôler mes jambes nues. Les yeux ouverts, les Sens aux aguets. Une diffuse impression d'être observée. Un frisson le long du dos.
Et un battement. Un Rythme.
Je m'arrête à quelques mètres sous le couvert des arbres, le pied pris dans une ronce, bien loin du sentier. Les troncs forment une muraille qui ne laisse passée que les tâches de gris crachées par le champ dégagé qui bordent le couvert. J'inspire cette odeur de nature. Mes yeux abyssaux ne distinguent que des ombres. Je les oublie pour me concentrer sur mon ouïe.
A tatons, je me pique les doigts sur la plante à épines pour dégager mon pied et me relever. Les feuilles s'agitent. Les prédateurs rodent. Un loup ? Un ours ? Un fauve peut-être ? Un frisson couvre ma peau de glyphes anciens, ponctué par un soupire de soulagement. Le froid rampe hors de moi. Les voix des Lamentations prennent leur place et leur ampleur la plus confortable, attentives. Un sourire se dessine sur mes lèvres. Le silence se fait cette fois. Et pas cette parodie de silence que les gens invoquent à tout bout de champ. Non. Un silence dans lequel les insectes eux-même se taisent et seuls dérangent parfois le battement de mon propre cœur apaisé.
Derrière toi. Derrière. Là.
Je ne me retourne pas. Les voix sifflotent à mon oreille mais elles ne sont plus craintives. Elles épient mes faits et gestes. L'odeur des sous-bois est plus forte. Étrangement forte. Une odeur de champignon. Est-ce normal en cette saison ?
Le Rythme est proche...
Assurant mon pied a chaque fois que je le décolle du sol, à chaque fois que je le repose, j'avance sur le tapis d'humus en un concert de craquements. La direction est évidente. Là... Juste l...
Ma main se pose sur une écorce épaisse et une volée d'oiseau s'enfuit à tir d'aile dans les hauteurs. Un arbre ancien. Un tronc massif. Une essence qui me rappelle étrangement des terres plus au nord que celle-ci. Une odeur de sève. Et le Rythme puissant d'un Souffle pur, luttant contre une noirceur difficile à dominer.
Était-ce une dryade ? Une Nymphe peut-être ? Comme dans les contes.
- Je sais que vous êtes là. Je vous entends. " Les secondes s'égrainèrent. Je tend l’oreille. Un frémissement. J'étends mes sens vers son origine, vers cette mouvance indistincte.
" Montrez-vous. "Ma magie trouve un encrage dans ce tambour évanescent.
Je comprends.
Mon sourire s'allonge. Ma posture droite se détend. Je tente de doser la poigne de ma volonté pour ne pas blesser ma cible...
- Je ne te ferai aucun mal. Je suis là pour t'écouter. " La chose se débat plus mollement J'énonce les mots à voix haute pour m'aider à maintenir cette concentration étrange.
" Tu n'as pas à avoir peur. "Mais mes désirs restent sans réponse et je la perds après un long moment de lutte chaotique.
Une forte inspiration. Je m'assied au pied de l'arbre à l'épaisse écorce, le dos contre son tronc. Les jambes étendues sur le sol, les mains sur les cuisses, le dos droit, les yeux clos. J'explore. Il y a... Comme un voile entre moi et cet être. Un mur. Je le repère difficilement et reste à distance face à l'animal craintif. Il ne traverse pas.
Ni ici, ni ailleurs. Mais où alors ?
Ils errent, perdu et rattachés à ce qu'ils furent pour échapper à la suite du voyage.Une idée folle. Une envie folle. Pourrais-je le contacter ? Pourrais-je l'entendre ?
Les possibles sont aussi infinis que les dangers. Mais malgré les avertissements, des mots anciens se forment dans ma conscience et glissent sur mes tympans. Je les écoutent. Je m'en imprègne. Je les répète de plus en plus assurée, de plus en plus fluide. L'intonation d'une injonction. Le souvenir d'un faste aujourd'hui disparu. Je m'enfonce plus loin que je ne l'avais jamais fait dans les profondeurs des Lamentations. Leur Cœur. Leur origine. Guidé par quelques mots d’une langue oubliée.
Ô toi, souvenir de ce qui fût.
Ô toi, savant de ce qui aurait du être.
Ô toi, deuil de ce qui sera.
Entend moi.
Laisse moi apercevoir l’ombre derrière la lumière.
Laisse moi partager de nature à nature.
Laisse moi percevoir ce qui se trouve de ton côté de la Vérité.
Mes sens s’affûtent et s'émoussent tout à la fois.
Je me tends en sentant quelque chose m'enlacer. La sensation se dissipe presque aussitôt. Légère...
Je suis au pied de l'arbre... Mais mes sens me portent ailleurs...
Mes yeux abyssaux se rouvrent doucement.
Une surprise mêlée d'exaltation.
Je vois...
Le paysage est précis, nocturne tout en étant parfaitement visible. Chaque détail qui le compose semble si lointain. Inintéressant. Seul la forme luminescente devant moi capte pleinement mon attention. Je la vois. Belle mais indistincte. Et pourtant si sincère, si vrai, dans cette nudité si particulière qu'un corps ne permet pas. Elle est terrifiée. Elle est perdue. Elle est magnifique. Ma propre voix, lointaine, continue à psalmodier pendant que m'adresse à lui. Ou à elle ?
- Tu n'as pas a avoir peur.Des mots, autant qu'une intention. Vrai. L'être reste hors de porté. Pourtant si proche.
- Je m'appelle Cécilie et Elles viennent en amies. Elles ne te feront rien.Pas un mot, pas un changement si ce n'est l'agitation qui diminue, les traits qui s'affinent. Un enfant ?
- Je sais ce que tu es. Alors dit moi. Pourquoi rester ici au lieu de partir ? Il s'éloigne à nouveau.
- Attend ! Je peux t'aider !Il s'effrite... et reste à distance. Cette forme confuse de contacte que j'avais senti se délie. Il ne reste que le froid et la distance. Étrange...
Je reste un moment jusqu'à ce que ma concentration décroisse et tombe. Mon cœur bat vite. Le soleil point à l'horizon. J'ai trop tirer sur la corde. Il faut que je rentre.
Dans le matin pâle, la porte de la cahute reparait. De ce que j'ai vu, je ne dirai rien. Cette rencontre me laisse un goût étrange.
J'y retournerai ce soir.