Rien de tel pour se rabibocher que le doux tintement des armes | Hend & Céleste

3ème ennéade
Automne, Barkios de l'An 17:XI

Ce palais était immense et si calme... Trop calme pour des mercenaires habitués à enchaîner les contrats, prendre la route, avancer les armes à la main. Ici, il ne se passait rien, c'était déprimant. Bien que cela rappelait quelques souvenirs à la demie-elfe qui avait déjà connu ça auparavant. Tendre le l'oreille, garder les yeux fixés sur tous ceux qui s'approchaient de l'objet de leur mission, s'assurer que ce qu'il avalait n'était pas empoisonné, contrôler chaque pièce dans lesquelles il rentrait... Son travail était de faire ouvrir l’œil à ses hommes sur tout cela. Même s'ils ne représentaient qu'un faible pourcentage des forces en présence, ils étaient payés pour que l'ambassadeur reste en vie après tout.

Cependant, un recoin du château n'était pas aussi paisible que les autres. Là régnait un agitation toute propre à l'activité martiale. Là résonnaient le son des lames qui s'entrechoquaient, les cris des guerriers qui s'affrontaient et les essoufflements des plus acharnés d'entre eux. Et c'était les trois que l'on entendait jusque dans le couloir ce matin-là. Une partie de l'escorte naelisienne s'était rassemblée dans une grande salle mise à disposition pour leur permettre de s'entraîner et ne pas molasser pendant toute la durer de cette mission. Les voix qui s'élevaient étaient celles de deux femmes, l'une visiblement plus en difficulté que l'autre.

Djenaba commençait à sérieusement fatiguer. Ce duel durait depuis un bon moment déjà et aucune de ses attaques n'avait donné quoi que ce soit. C'était à peine si elle avait mis son adversaire en danger. Elle était pourtant rapide et agile mais Céleste l'était plus encore. C'était la demi-sang qui la formait depuis que la compagnie avait accepté de l'embaucher. Elle savait déjà manier les armes à l'époque mais n'exploitait pas encore pleinement ses atouts. Elles avaient les mêmes alors c'était tout naturellement qu'on la lui avait affecté. La semie-zurthane était plus qu'une cadette pour son entraîneuse. C'était une élève, une apprentie et Céleste était devenue son mentor.

La blonde jouait avec ses armes, laissant Djenaba reprendre son souffle et décider quand l'attaquer de nouveau. Elle adoptait volontairement une attitude décontractée et désinvolte ce qui la rendait presque provocatrice en un sens. Cependant, son adversaire ne devait pas attendre trop longtemps, sans quoi elle reviendrait à la charge... Et ça, la jeune femme le savait parfaitement. Aussi, elle ne tarda pas à s'élancer de nouveau. Céleste esquiva les premiers attaques, para les suivantes. Elle optait pour tout ce qui allait fatiguer la brune et peut-être même l'agacer... Et cela fonctionna à merveille. Ce n'était pas la première fois qu'elles travaillaient l'impatience de son jeune âge mais elle s'y laisserait prendre une fois de plus -bien qu'elle ait savamment résisté jusque là-. Un faux pas et la demie-elfe bloqua l'épée de Djena contre le sol avec sa lame. D'un geste, elle la lui arracha et l'envoya vers la porte en frottant contre le sol dans un grand bruit de métal. L'humaine tenta de contre-attaquer avec sa seconde arme mais un coup bien placé la fit lâcher prise là encore.
Epuisée et abattue, la demie-zurthane lâcha un soupir qui fit s'affaisser ses épaules d'un seul coup. Puis elle se tourna vers son mentor qui haussa un sourcil surpris.

-Tu comptes récupérer tes armes ou tu préfères attendre que ton adversaire t'achèves ?

L'attitude de la jeune femme la surprenait. Ce n'était pas parce qu'elle était désarmée que le combat était terminé. Certes, elle ne ferait sans doute pas cette erreur en situation réelle mais autant qu'elle en prenne l'habitude tout de suite. Les entraînements ne devaient prendre fin que lorsque l'un des deux auraient été tués par un coup interrompu ou d'un commun accord. C'était le nouveau régime auquel elle allait désormais astreindre son apprentie. Djenaba le comprit et ne put qu'incliner la tête en signe d'acceptation.
Céleste réunit ses deux lames dans un seule main et s'avança vers le seau d'eau et les verres qui étaient à disposition pour se rafraîchir.

-On fait une pause. Déclara-t-elle sans faire preuve de plus de compassion pour son état de fatigue.

De son côté, la zurthane l'observa s'éloigner avant de se mettre enfin en quête de ses épées éparpillées de part et d'autres de la pièce. La demie-elfe était dure et exigeante face à l'erreur mais c'était ce qui en faisait une bonne instructrice.

Pour les soldats affectés à la garde de la délégation royale, le séjour dans la capitale était des plus pénibles. Le spadassin lambda n’avait guère l’espoir d’aller visiter la ville de Diantra, au contraire des officiers qui s’en étaient déjà arrogés l’autorisation, et à s’engourdir les fesses contre les meubles à observer des échanges diplomatiques était loin d’être édifiant. Quelques fois, ils se réunissaient pour jouer aux cartes sous le nez compatissant de leurs supérieurs, ou trouvaient un coin avec une fenêtre depuis laquelle ils se lançaient au jeu de celui qui repère la courtisane avec la plus belle robe.

Tout avait changé lorsqu’après quelques échanges entre les autorités du palais et Hendrick, une salle leur fut allouée pour leur permettre de s’entraîner et ainsi passer le temps sans trop s’ennuyer. La plupart avaient été sélectionnés par le capitaine Hendrick, et il y avait dans le lot quelques vétérans des Aigles Noirs, dont le trouble restait aujourd’hui un secret pour les Péninsulaires, ainsi que quelques exilés Nordiens attirés par l’idée de voir Diantra. De ces derniers, certains en avaient même été les sauvages pillards lors de la Guerre civile, à commencer par Hendrick lui-même…

Lorsqu’ils n’étaient pas assignés à la garde de la chambre des ambassadeurs, les gars venaient ici se dégourdir les bras ou se rincer l’œil sur les combats. Se rincer l’œil, car dans le lot, deux véritables furies aimaient à se battre ensemble devant les regards ébaubis des autres soldats. C’est dans cette même ambiance que Hendrick vint s’autoriser un petit passage dans la salle, ouvrant les portes accompagné d’Esberth et de Thierry la Frange, deux de ses plus vieux compagnons.

Assistant à la leçon donnée par Diane à son élève – tout du moins c’est ce qu’il avait compris, il observa le combat en croisant les bras, adossé contre un des piliers de la salle. Quand la maîtresse désarma l’apprentie, Esberth lui envoya une bourrade et lui chuchota :

« Je parie que tu peux la battre. »

Hendrick avait rit sous cape.

« Non, j’peux pas. »

Là-dessus, Thierry renchérit :

« Le Rance t’a donné les bonnes bases, Maurice t’a amélioré, Neuf-Doigts t’a enseigné à la dure… Nan, t’es prêt Hend’. »

Le capitaine fronça les sourcils et posa tour à tour les yeux sur ses deux comparses, qui le regardaient chacun avec un grand sourire. Il sut dès lors ce qu’ils voulaient.

« Non. »

Ils acquiescèrent de concert.

« Oh que si, Hendrick. On sait que t’es le meilleur archer du monde, mais on veut voir si t’es pas aussi devenu le meilleur bretteur aussi ! »

Hendrick roula des yeux, un peu agacé.

« Ce qu’il faut pas entendre… »

Son regard se posa néanmoins sur Diane, qui buvait de l’eau pour se rafraîchir du dernier combat qu’elle avait mené. Le Nordien réfléchissait en silence, mais ses compagnons, eux, avaient déjà pris les devants. Ils s’avancèrent d’un pas, et Thierry déclara en montrant le capitaine du doigt :

« Hey, Céleste ! Le capitaine Hendrick veut voir si t’es toujours aussi douée ! »

Ce dernier soupira. Il aurait dû se douter que ses gars allaient tenter de le mettre dans une situation comme celle-là. Malheureusement, au sein de l’armée, l’utilisation de la muselière était encore réservée aux seuls chiens de guerre. Il prit note mentalement de l’étendre aux éléments dissidents comme ses vieux amis goguenards. Néanmoins, l’idée de combattre Diane n’était peut-être pas si désagréable : un duel rapprochait les corps ; il rapprochait parfois les esprits.

A l'appel de son prénom, Céleste se retourna lentement vers les deux énergumènes. Un sourcil relevé trahissait volontairement les questions que soulevait leur soudaine intervention ainsi que l'entrain qu'ils y mettaient. Elle se demandait ce qu'ils pouvaient bien lui vouloir, s'attendant au pire. Même si elle ne pouvait que reconnaître qu'elle appréciait qu'ils utilisent son nouveau patronyme -sans prendre le raccourci de "Luna"-, elle était plutôt méfiante quant à ce qu'ils allaient dire. Ils étaient capables d'à peu près tout... Et cela ne manqua pas !
Elle les écouta puis observa leur compagnon. A la tête que faisait Hendrick, elle doutait que ces paroles viennent de lui. Ses compères voulaient manifestement le mettre dans l'embarras en le contraignant à un duel contre son ancienne amante. Sans compter qu'elle voyait mal comment il aurait pu progresser en matière de combat en corps à corps au point de parvenir à lui tenir tête. Cependant, la réponse fut tout aussi surprenante que leur petit "piège".

-Alors je vais me faire une joie de lui botter les fesses. Déclara-t-elle avec un aplomb et un détachement qui en amusèrent plus d'un autour d'eux.

Sans plus attendre, Céleste reposa son verre et se dirigea vers le râtelier. Là, elle posa ses lames et saisit deux paires de bâtons courts. En la regardant faire, Fantôme ne cacha pas sa surprise.

-Depuis quand tu t'entraînes avec des armes factices ? Questionna-t-il alors qu'elle revenait vers la zone d'entraînement.
-Depuis que mon adversaire est un maître archer. Répliqua-t-elle sur ce même ton indifférent qui ne collait pas avec le soin qu'elle prenait de ne pas lui imposer un combat à armes réelles.
-Vraiment ? Maître à quel point ? Demanda l'éclaireur d'un air intrigué, son regard se posant sur l'intéressé.
-Au point qu'il vaut mieux l'avoir dans ton camp au combat que dans celui de l'ennemi. Arrivée au centre de l'espace d'entraînement, Céleste lança un des bâtons dans la direction d'Hendrick de manière à ce qu'il le rattrape. Même si j'ai connu mieux comme lanceur de couteaux. Conclut-elle avant de lui lancer le second bout de bois.

Si, par son attitude, elle maintenait une distance entre le Capitaine et elle, une légère étincelle traversa son regard lorsqu'elle évoqua leurs parties de cible dans les tavernes. Il n'était pas mauvais, loin de là, mais elle était meilleure encore. Combien de fois l'avait-elle battu sous les rires de ses amis ? Trop pour qu'elle les ait compté. De plus, cela remontait à des années maintenant et, les beuveries dans le troquet du coin, ce n'était pas ce qu'elle avait le plus retenu de ces soirées passées ensemble...
A son tour, Céleste prit un bâton dans chaque main et se mit en position, attendant qu'Hendrick commence. On pourrait croire que c'était lui donner l'avantage mais engager le combat n'était pas forcément l'étape la plus facile dans un duel. Surtout pour un novice.

La dernière chose dont Hendrick avait envie, c’était de se faire botter les fesses.

Il fit couler un long regard plein de promesses vengeresses à ses camarades, qui s’esclaffaient sans gêne aucune, puis le dirigea vers la belle Diane. Aussi belle que mortelle, en réalité. Hendrick craignait à raison les passes d’arme avec la mercenaire. On prend rarement du bon temps à se faire ratatiner par quelqu’un dont l’entraînement se résume à perfectionner son art de tuer les gens le plus efficacement possible. L’Oësgardien avait beau être le vétéran d’un nombre très honorable de guerres et de batailles, il n’était sûrement pas au niveau de la semi-elfe.

Il sut qu’elle voulait vraiment le frapper lorsqu’elle prit les bâtonnets. Hendrick se saisit également d’un bâton, mais légèrement plus grand, regardant le sol en se passant la langue sur la lèvre inférieure. Une bonne dérouillée matinale, ça se préparait mentalement. Il se délia les épaules et testa le poids et l’équilibre de ses deux petits bâtons ridicules. Son ancienne conquête aurait tout le loisir de le tabasser, et à repenser à la teneur de leur discussion à la taverne, l’autre jour, elle avait de bonnes raisons de le faire.

Le capitaine ne put s’empêcher de lâcher un petit ricanement discret. Il avait beau lancer le couteau dans le mille, elle viendrait toujours lui voler la vedette pour frapper en plein au centre du manche… A se demander si elle n’était pas un peu magicienne sur les bords.

Hendrick ne perdit pas plus de temps. Diane l’attendait de pied ferme, et il devrait venir de lui-même réclamer sa raclée. Il l’approcha doucement, se mettant en garde. Puis, après une feinte envoyant le bâton sur la dextre, il changea de trajectoire pour aller la frapper à gauche, faisant tourner son arme pour qu’elle se dirige vers la hanche.

Le combat commençait, et déjà ces raclures d’Esberth et de Thierry prenaient leurs paris en quelques messes basses moqueuses.

Céleste attendait l'attaque d'Hendrick avec une assurance non dissimulée. Entre le temps qu'il avait fallu pour trouver un soigneur au paralysé qu'il était et celui pour lui permettre de récupérer un usage correct de ses jambes, il n'avait certainement pas pu progresser au point de la mettre au tapis, même en s'entraînant tous les jours. Elle n'avait donc pas de raisons d'avoir peur d'un tel affrontement. Bien au contraire, elle aurait l'occasion de s'en prendre physiquement au seul objet de sa colère de ses dernières années. Sans le vouloir, les compères du Capitaine venaient de lui fournir un exutoire. Sans s'en rendre compte, elle venait de l'accepter. Et non seulement Hendrick en avait parfaitement conscience, mais en plus il avait décidé de jouer le jeu... E, cet instant, elle ne réalisait certainement pas ce qu'il était prêt à faire pour se racheter auprès d'elle.

A la première tentative du nordien, le demie-elfe reconnut l'ingéniosité de son idée mais remarqua aussi un manque cruel dans son exécution. Elle ne prit même pas la peine de tenter quoi que ce soit contre la fausse attaque car cette dernière n'eut pas le temps de l'inquiéter qu'elle était déjà partie. Elle bloqua la suivante, la repoussant pour donner une impulsion contraire à l'archer. Quant à celle d'après, elle la para en enroulant son arme autour de celle de son adversaire pour le faire dévier de sa trajectoire. Se faisant, elle passa sous le bras d'Hendrick et se retrouva ainsi dans son dos. Elle donna aussitôt un coup de talon à l'arrière de son genou pour le forcer à le mettre à terre.
Ainsi s'achevait le premier round...

-Bien essayé mais pas assez crédible. J'ai pas cru à ta première attaque une seule seconde. Dit-elle sur son ton qui se voulait neutre et détaché, quoi qu'un brin moralisateur.

Tandis que le combat commençait, Fantôme se détourna assez vite de la scène qui se déroulait sous ses yeux pour porter son attention sur les deux parieurs. Il haussa un sourcil intrigué et amusé et s'avança discrètement d'eux. A mi-voix, il s'intéressa à leur petit jeu.

-Vous pariez sur combien de fois elle va le mettre au tapis ? Plaisanta-t-il mais attendant néanmoins une véritable réponse de leur part. Puis, observant le duel reprendre, il se hasarda à les interroger sur un sujet qui interloquait toute leur compagnie depuis le jour où Hendrick avait débarqué au camp pour inspecter leurs troupes. Dites... Vous avez l'air de bien les connaître tous les deux. Il s'est passé quoi pour qu'elle lui en veuille à ce point ?

Apparemment, la vieille ruse de la feinte n’avait rien donné.

Souple comme une anguille, Diane passa sous le bras de Hendrick et le força à se mettre à genou. Il s’était attendu à un bon gros retour du bâton, mais apparemment la guerrière aimait prendre son temps. En se relevant, le capitaine se retourna pour asséner deux nouveaux coups à la semi-elfe, tentant de profiter un peu de la surprise. Malheureusement pour lui, elle connaissait tout aussi bien que lui la base d’un combat au corps à corps : toujours être paré aux moindres éventualités. La bastonnade n’était pas loin…

Et tandis que les anciens amants se fracassaient allégrement à coups de bâtons, Esberth et Thierry la Frange étaient rejoints par un type qu’ils avaient déjà vu, mais avec lequel ils n’avaient jusqu’ici pas vraiment parlé. A la mention de leurs petits paris, Esberth esquissa un sourire mesquin et dit en riant :

« On parie surtout sur le nombre de fois que Hendrick sera capable de tolérer de se faire botter le cul, nuance ! »

La Frange ricana à son tour.

« La castagne, entre les deux, c’est une vraie institution. »

A la seconde questions du mercenaire, les deux Nordiens se regardèrent, et échangèrent une oeillade convenue, avant de répondre :

« C’est pas vraiment quelque chose qu’on est en droit de raconter. Tout ce qu’on peut te dire, c’est que notre cher ami Hendrick a bien merdé, et que cette chère Diane doit exulter de pouvoir lui administrer quelques claques ! »

« Je vous signale que j’ai tout entendu, bande de salauds ! »

Hendrick s’était tourné vers les vilains parieurs, qui avaient rentré leur tête dans leur cou. Puis soudain, il sentit un coup de bâton lui frapper la cuisse.

« Aïe ! Hey ! »

Il s’était tourné vers Diane, et à son sourire, avait bien vu que celle-ci lui demandait un peu plus de concentration, afin de rendre la branlée plus intéressante. Le capitaine avait détourné son attention des Sgardiens dans un long soupir, avant de leur faire prendre congé d’une voix forte :

« Vous avez pas un quart à prendre, vous ? Ou peut-être que vous préférez un blâme ? »

Les gais lurons pouffèrent légèrement, avant de se retirer en spéculant sur le résultat qu’aurait pu avoir leur petit pari. Ce faisant ils invitèrent même Fantôme, souhaitant lui expliquer plus en détail la relation privilégiée que Hendrick avait entretenu avec la mystérieuse mercenaire.

Ce dernier, quant à lui, rendait coup pour coup. Si Diane le surclassait à la technique, elle était sans doute loin de le dépasser pour ce qui était de l’opiniâtreté et de la ténacité à se faire castagner sans broncher.

Fantôme fut plutôt amusé par les réponses des deux compères et il regarda le duo d'un œil tout nouveau. Les Chimères avaient bien des hypothèses sur leur histoire commune mais la façon dont les amis du Capitaine parlaient d'eux l'orientait davantage vers l'une d'entre elles. Il était de notoriété publique que Céleste avait des mœurs plutôt légères mais il avait du mal à croire que le naelisien était son genre... Surtout pour une relation exclusive ou même durable. Pourtant... Il avait plus facile à l'imaginer maintenant qu'il savait qu'il avait "bien merdé". Une affaire de cœur, cela rendait la rancune de sa supérieure tellement plus concrète...
Mais l'intervention d'Hendrick le tira bien vite de ses songes éveillés avant que le rappel à l'ordre de Luna ne lui étire un sourire amusé. La frange et son ami l'invitèrent à les accompagner et il n'hésita guère longtemps. Même s'il avait bien envie de continuer à les observer, fort de ces nouvelles informations, il était également curieux d'en apprendre plus sur leur histoire. Et, plus encore, il avait envie de leur donner un peu d'intimité afin de les laisser régler leurs comptes. Alors, après un dernier regard sur le duo qui se remettait déjà au travail, il emboîta le pas aux deux hommes.

Djenaba avait observé toute la scène sans un mot et, une fois encore, elle regardait son collègue sortir avec les soldats sans chercher à intervenir. Cependant, si elle ne disait rien, elle entendait parfaitement et il aurait fallu être aveugle pour ne pas se rendre compte de l'atmosphère qui régnait désormais dans cette pièce. Ce qui promettait d'être un entraînement des plus instructifs se transformait déjà en un corps à corps d'un tout autre genre. Céleste employait une énergie particulière dans les coups qu'elle portait. Elle cherchait bien moins à éviter qu'à frapper. Elle voulait aller au contact, comme à chaque fois qu'elle voulait se montrer plus directe, cherchant manifestement à se rapprocher pour une raison qui lui échappait. De son côté, son adversaire se prenait plus d'un coup de bâton mais cela ne semblait pas le calmer pour autant. Au contraire, il revenait pour en demander plus encore, redoublant de hardiesse, encaissant sans broncher, ravalant sa fierté comme s'il savait d'avance qu'il n'avait pas d'autre option. Si la jeune femme resta quelques minutes supplémentaires, elle se sentit bien vite de trop. Les coups s'enchaînaient et pourtant le combat ne faiblissait pas, si ce n'était quelques pauses microscopiques après lesquelles ils se remettaient aussitôt en position. Seule la voix de Luna s'élevait parfois pour dispenser une leçon au milieu du bruit des chocs de leurs armes bois.

Sans réaliser qu'ils étaient à présent seuls, la demie-elfe continuait l'entraînement avec le même entrain qu'au départ. A ceci près d'un discret sourire s'était peint au coin de ses lèvres. Le frisson du combat l'habitait. Le Capitaine était un peu plus coriace qu'elle n'en avait le souvenir et son tempérament n'aidait pas. Cependant, elle ne se sentait toujours pas en danger. Il était meilleur que prévu, certes, mais pas encore assez. Seule sa témérité rendait la chose vraiment intéressante. Il avait beau se prendre des coups à en avoir des bleus le soir venu, il était toujours là, refusant de renoncer, attaquant de plus belle, se défendant de son mieux. C'était un trait de caractère qu'elle aimait, elle ne pouvait pas le nier...
Après une série de passes rapides, Hendrick reçut un coup sur les doigts pour l'obliger à lâcher son arme factice avant d'un recevoir un autre sur l'épaule opposée.

-Tu es lent. Fit-elle avec un faux air de reproche.

Hendrick perdit le compte du nombre de coups qu’il reçut. En vérité, il était plus facile d’admettre s’être fait rossé en continu que de connaître les chiffres exacts de branlées qu’il se prenait à la minute. D’autant qu’à y regarder de plus près, depuis quelques assauts, les coups portés étaient bien plus forts et plus vaches que ce que la pédagogie de la castagne demandait pour un apprentissage. Non, elle n’avait plus cette âme de professeur qu’elle avait eue avec sa jeune élève, après tout Hendrick n’avait plus vraiment de leçons à recevoir. Ici, c’était de la pure bastonnade.

Diane prenait donc un plaisir secret à éliminer sa frustration en fracassant de l’Oësgardien sans coup férir. Ce dernier, bien conscient qu’elle prenait ainsi une sorte de petite vengeance bien piquante, eut du mal à objecter. Après tout, peut-être qu’il le méritait. Il ne savait pas ce qu’il lui avait dit ce fameux soir où tout était parti en vrille, aussi, au lieu de présumer de ces indélicats instants, mieux valait subir la fessée sans trop broncher. Et pour ça, Hendrick était assez fort : toute sa vie de péon, il s’était toujours fait rouler dessus. En était née une extraordinaire résilience, et une endurance à toute épreuve. Même celle des armes de bois entre les mains d’une experte du combat.

Les passes continuèrent tant et tant que le capitaine mit du temps à se rendre compte qu’ils avaient fini par se retrouver seuls dans cette salle d’armes généreusement allouée. Peut-être était-ce d’ailleurs cette pensée fugace qui permit à Diane de lui frapper les doigts de manière aussi mesquine. Il lâcha une flopée de jurons, sentant l’un de ses doigts se parer de vermeil. Son arme tomba à terre et, instinctivement, il se prit la main en faisant la grimace.

Il leva un regard farouche vers Diane, qui venait encore une fois lui casser les pieds sur sa lenteur relative. Ils se soutinrent du regard pendant un moment, comme deux truands dans une ruelle. Puis soudain, le visage de Hendrick se dérida, et il lâcha un léger ricanement, se frottant les doigts légèrement rougis.

« Je suis pas lent, tu es rapide ! »

Il considéra leurs passes terminées, ses doigts criant leur envie de rejoindre le baquet d’eau froide le plus vite possible. Il n’en fit rien, sachant pertinemment que la douleur finirait par s’estomper au bout d’un moment, et voulut à la place utiliser cette eau pour la boire. Fut un temps, il n’aurait pas hésité à se laver les mains et la tronche dans la même eau dont il se serait servi pour se désaltérer, mais de nombreuses personnes à Naelis lui avaient fait remarquer que ce n’était guère appréciable.

L’Oësgardien but à grande goulées à la louche, avant de se tourner vers la semi-elfe. Leurs poitrails se soulevaient encore légèrement de l’intensité de leur corps-à-corps musclé, et une légère pellicule de sueur suintait sur leur visage.

« Avoue-le. T’as pris plaisir à me rosser, toi. »

Le ton sonnait, à l’instar de la précédente remarque de Diane, comme un faux reproche.

Céleste n'allait certainement pas objecter. Oui, elle était rapide. C'était d'ailleurs l'une de ses principales qualités au combat, avec l'agilité. Alors plutôt que de lui dire qu'il pourrait s'améliorer -puisqu'il ne parviendrait jamais à s'élever à son niveau sur ce point-, elle releva légèrement le menton avec une certaine fierté dans le regard. Elle était sûre de ses capacités. Ils étaient assez peu nombreux ceux qui parvenaient à lui tenir tête. Car il fallait en vouloir pour arriver à l'atteindre. En revanche, il valait mieux éviter qu'elle soit touchée car, contrairement à Hendrick, elle n'était plus guère habituée à recevoir des coups, même si elle en avait reçu un certain nombre avant de parvenir à ce niveau.

-Si les drows vous attaquent, cantonne-toi à ton arc. Au moins tu seras sûr d'en réchapper.

S'il y avait une chose dont elle était certaine, c'était qu'il était au moins aussi doué dans son art qu'elle l'était dans le sien. Elle savait y faire avec un couteau mais elle était bien incapable de tirer une flèche avec autant de précision. Elle ne blâmait ni l'un ni l'autre pour leurs lacunes. A chacun sa voie.

Alors qu'elle attendait simplement que le Capitaine se remette de sa dernière frappe pour reprendre leur corps-à-corps, elle le vit s'éloigner en direction du seau. Profiter de ce temps pour se désaltérer n'était pas une mauvaise idée. Elle était si bien lancée dans leur combat qu'elle ne s'était pas rendue compte qu'elle commençait à avoir un peu soif. Elle était cependant moins essoufflée que lui car plus habituée à fournir cet effort physique au quotidien.
A la question d'Hendrick, elle pencha la tête sur le côté pour dévisager.

-Quoi, c'est déjà fini ? Fit-elle avec une moue étonnée et boudeuse.

Elle lui prit ensuite la louche des mains et se servit de l'eau. Mais alors qu'elle portait le récipient à ses lèvres, un sourire fugace se dessina sur son visage. Le combat avait quelque chose de vivifiant à ses yeux. C'était un excellent moins de se défouler et d'extérioriser les émotions qui pouvaient la traverser. Si elle ne l'avait pas prémédité, elle devait bien admettre que se retrouver à lui flanquer une correction avait eu un effet plus libérateur que toutes ces séances à rouer un mannequin de coups ou à affronter un adversaire pourtant plus retors qu'Hendrick.
Après avoir avalé une gorgée ou deux, le regard plongé dans celui du Capitaine, elle se décida enfin à lui répondre.

-Je me vois mal te répondre non. Ça s'est vu je crois. Elle jeta la louche dans le seau à moitié plein. Ça m'a fait du bien. Déclara-t-elle sur un ton qui laissait entendre qu'elle ne parlait pas du fait de s'être désaltérée.

Puis elle pivota pour se diriger vers le râtelier avec l'intention de déposer ses armes factices avant de quitter la pièce.