[Foire d'Oësgard] Longues barbes et bières fraîches | Harald & Glumtol

Bàrkios de l'An 17:XI ~ Automne
Début de la 5e ennéade
Oësgard la ville

Le port altier et la tenue impeccable, le sénéchal se tient dans son bureau aménagé dans la caserne d'Oësgard pour toute la durée de la Grande Foire. L'effervescence des festivités est synonyme de plus de travail encore pour les garants de l'ordre et la sécurité, compliquant quelque peu la tâche des officiers et multipliant les rapports d'incidents. Et malgré le tri préalable séparant les incidents mineurs des contrevenues dont il faut réellement se charger, le travail ne manque pas pour la Garde d'Oësgard. Certes le Sénéchal de la baronnie n'a pas à devoir se charger en personne de toutes ces affaires, ayant fait dépêcher deux capitaines et leurs compagnies en renfort de la garnison déjà présente, ses subordonnés étant suffisamment compétents dans leur travail. Néanmoins le noble officier semble s'être mis pour poing d'honneur de se tenir au courant de ce qu'il se passe durant la foire, partageant de fait son temps entre ses obligations auprès du Baron même et la vérification de la bonne gestion de la garde oësgardienne.

C'est alors que le fier seigneur s'entretient avec l'un des capitaines qu'un autre chevalier, chargé celui-là de la sécurité du port, juge important de les interrompre.
"Que se passe-t-il ?" Questionne le sénéchal d'un ton parfaitement neutre.
"Il y a un navire qui vient d'arriver, sans invitation ni avoir prévenu de leur passage. Nous pensions que vous voudriez être prévenu : ce sont des nains."
"Nous n'en attendions point, en effet. Les Mille-Cave ont envoyé des négociants ?"
"Ils ne viennent pas d'Estrévant, mais du nord. De Lante, à ce qu'ils disent."
Le silence se fait momentanément dans le bureau, le sénéchal réfléchissant. Curieuse surprise que celle d'une visite de nains du Nord, alors même que ceux de l'Est n'entretiennent pas de relation particulière avec Oësgard. Les nains, habituellement fermés aux contacts extérieurs, auraient envoyé une délégation pour la foire d'Oësgard ? Eux qui se montrent plus que réticent même lorsque des marchands sont envoyés à Lante pour tenter d'engager des échanges commerciaux ? Le nordien à l'origine de l'idée de la Grande Foire espérait bien attirer du monde, de Péninsule principalement, mais il ne se doutait pas que la rumeure irait aussi loin. L'homme n'est pas si prétentieux, il se doute que ce n'est là sans doute qu'une coïncidence, néanmoins cela peut représenter une oportunité.
"Vous avez bien fait. Ont-ils appareillé ?"
"Pas encore, pour l'instant ils mouillent sur le Vâmme en attendant une place. Nous n'étions pas certain de la procédure à suivre."
Le sénéchal réfléchit un instant, sans que ne paraisse aucune émotion sur son visage.
"Bien, ne changez rien pour le moment. Qu'ils patientent et payent les taxes, comme tout navire marchand dans le même cas. Nous préviendrons nous même nos honneurs. S'ils n'ont pas bougé demain, trouvez-leur une place à quai. Déplacez l'un nos navires s'ils le faut."
Le chevalier fait signe d'avoir compris les instruction puis ressort de la salle, tandis que le sénéchal se tourne vers le capitaine toujours présent.
"Si ces nains sortent de leur navire, faites-les discrètement observer. Qu'il ne leur arrive rien. S'ils sont réellement des Marchands du Zagazorn, nos honneurs voudront les rencontrer."
"Compris, j'allouerais des hommes à leur surveillance."
"Bien. Où en étions-nous avant cette interruption ? Ah oui. Les envolées nocturnes..."
Et la conversation repris entre les deux hommes de loi.

Bàrkios de l'An 17:XI ~ Automne
Arkuisa (cinquième jour) de la 5e ennéade
Oësgard la ville

Au petit matin d'Arkuisa, alors que la lumière du soleil commence à illuminer Oësgard, l'activité de la citadelle reprend. Timidement, mais certainement. Les échoppes s'ouvrent déjà les étals sont instalés, et une nouvelle journée de foire commence. Et sur les quais du port, à l'endroit même où le navire nain a été placé, un émissaire se présente, hélant les occupants jusqu'à ce que l'un d'entre eux lui porte attention.
"Seigneurs dawis, j'ai un message à transmettre à vos dignitaires. Ses honneurs Geoffroi et Ansleubane d'Oësgard vous convie à leur rencontre ce jour d'hui à fin de rencontrer vos représentants. Un émissaire vous sera envoyé à midi pour vous guider jusqu'au lieu de la rencontre."
Son message passé, l'émissaire s'assure de la réponse des nains avant de s'en retourner d'où il venait. Quelques heures plus tard, le même homme se présent à nouveau devant le navire en compagnie de quatre gardes pour, cette fois, guider les marchands jusqu'à château où les attendent le couple baronnial.

Günjär Porte-Bourse

Le trajet jusqu’à Oësgard avait duré plusieurs jours, et ne fut pas forcément désagréable. Les cognards engagés pour protéger le navire étaient fiers et féroces. Leurs armures reluisantes, leurs armes clinquantes, témoignaient des meilleurs savoirs faire du Zagazorn, et à voir les regards lancés à leur égard depuis l’arrivée des Nains aux abords du port de la ville, plus d’un noble, d’un guerrier, d’un soldat, d’un commerçant, était jaloux de voir pareille merveille sans pouvoir en posséder une un jour. Günjär se souvint d’un jour où, il y a plusieurs années, un des rares commerçants Humain toujours installé dans l’Enclave de Lante, demanda à qui était prêt à quelques bassesses, de lui fournir une arme de fourniture Naine, et, si possible, runée. Inutile de vous dire que l’individu en question fut aussitôt reconduit à la frontière manu militari, et qu’on ne le revit plus jamais. Mais le Thane du clan Porte-Bourse, habitué des années durant à commercer avec les autres races, bien avant le Voile, savait très bien que les Humains étaient plutôt doués pour le commerce, bien qu’ils ne puissent s’empêcher de vouloir plus beau, plus fort, plus cher, ou qu’ils ne puissent s’empêcher d’y mêler leurs affaires politiques. C’est là une complication toujours difficile à mesurer chez les Umgis.

Le navire Nain n’était pas le premier sur la liste d’attente. Cela était plutôt logique : ils arrivaient à la foire plusieurs jours après son ouverture, et sans avoir prévenu. Autant dire que l’organisation des ports et de la ville ne fut pas prête à les accueillir. Ce qui était quelque peu amusant, et franchement satisfaisant à voir. Certains de ces Umgis n’avaient jamais vu de Nain de leurs vies, et connaissaient le peuple du Nord par leurs écrits et les récits de leurs parents et grands-parents, qui, eux même, n’avaient sans doute jamais rencontrés de Nain. On les pointait alors du doigt, on s’arrêtait durant plusieurs minutes au bord des quais, bouche bée, l’air ahuri, avant de susurrer quelque chose à l’oreille du voisin. Ainsi la rumeur enfla. Et ainsi, alors qu’ils obtinrent enfin une place au port, un messager à l’allure officielle fut envoyé à leur rencontre :

- Seigneurs dawis, j'ai un message à transmettre à vos dignitaires. Ses honneurs Geoffroi et Ansleubane d'Oësgard vous convie à leur rencontre ce jour d'hui afin de rencontrer vos représentants. Un émissaire vous sera envoyé à midi pour vous guider jusqu'au lieu de la rencontre.

Günjär regardait ses frères de galère, d’autres thanes de clans artisans et commerçants, qui, sachant la mission confiée à Günjär par Harald lui-même, attendaient une réponse de la part du thane en charge de la mission commerciale. Tous connaissaient ou presque le langage commun, sauf les plus rustres des artisans qui, même avant le Voile, ne devisaient presque jamais directement avec les Umgis. Quelques conciliabules se tinrent alors, et, finalement, Günjär prit la parole dans un langage commun acquis mais néanmoins balbutiant :

- C’d’accold ! On va attendle ici qu’vot’ gars s’lamène. Pas d’entou’loupe hein, ces cognalds que v’la, y nous plotègent c’tout.

Le messager prit ensuite ses quartiers, ayant obtenu sa réponse. Günjär avait volontairement passé sous silence le fait qu’ils furent qualifiés de « seigneur » par le messager Umgis car cela pourrait leur profiter un peu plus tard. Et tant que la situation n’était pas clairement comprise par les Nains, mieux valait mettre toutes les chances de leur côté.

Lorsqu’à midi tapante, un émissaire se présenta effectivement, Günjär avait fait préparer ses poilus, et, conviant Glumtol à le suivre, tint ces quelques mots en Khazalide :

- Dawis ! N’oubliez pas pourquoi on est là. L’commerce marche bien par chez nous, mais on a b’soin d’partenaires extérieurs au Zagazorn si on veut prospérer comme avant l’Voile. On s’occupe que d’nos clans, mais c’t’un début ! Nos aïeux s’ront fiers de nous, Baruk ! Vous laissez pas faire par ces Umgis, Neh ! Ils ont l’sourire facile, mais certains ont d’vrais langues d’serpent. Alors, pas d’entourloupe ! On prend nos cognards avec nous. Baruk !

Et ils suivirent l’émissaire sans poser de questions, correctement engoncé dans un cordon de sécurité réalisé par les cognards Nains choisis pour quitter le navire, tandis que d’autres, eux, surveillaient les cargaisons.

> PNJ <:

Inutile de préciser que je n'étais pas le plus serein des dawis qui soit. Le dépaysement avait en effet débuté à Lante alors que mes frères nains me faisaient visiter l'enclave umgi qui s'y trouvait sagement engoncée. Et c'est que croyez-moi ou non, ces longues-jambes que l'on haïssait tant par chez moi, je n'en connaissais point, pis, il ne m'avait jamais été donné l'opportunité d'en observer un, même de loin. Ou dans quelque manuel pédagogique sous la forme de ridicules croquis si ma mémoire est bonne.

Je visitais donc Lante comme un avant-poste de ce que l'équipée me réservait. Ceci étant fait, nous nous preparâmes à ce qui devait être pour moi une première, car je n'étais jamais auparavant sorti du royaume de mes ancêtres. Il en allait de même pour les quelques Barbedrue qui m'accompagnaient. Les autres – commerçants et artisans pour la plupart –, quoique sur leurs gardes à l'instar des guerriers qui nous escortaient, paraissaient plus à l'aise que nous autres bergers ascètes... C'était vraisemblablement le cas de Günjär, que le Gazanundi de Lante avait choisi afin de présider nôtre noble groupe tout au long de cette extraordinaire expédition : nous allions ni plus ni moins profiter d'une foire outre frontière chez nos voisins humains !

Le dépaysement avait continué avec un voyage fluvial pour le moins reposant car tout ce que je vivais depuis que j'avais quitté mes montagnes, était marqué par son caractère inédit. J'étais comme dans un rêve, tant et si bien que j'en oubliais Thanor, ma naine et nôtre progéniture. Il n'y avait pour moi que l'excitation qu'une telle aventure voulait bien m'accorder. Je trépignais d'impatience pendant les six ou sept jours que dura nôtre voyage. Je n'arrêtais ni de parler ni de bouger tant mon cerveau en ébullition se plaisait à imaginer d'autres horizons...

Parvenus enfin à destination – sans en avoir informé nos hôtes hélas –, nous attendîmes au mouillage docilement que les humains acceptent nôtre présence. Ce qu'ils firent, évidemment, car de nos échanges perpétrés avec tact, nous misions respectivement sur le début d'une plus poussée « cordiale entente » entre voisins. Sans jamais oublier cela dit cette phrase prononcée un jour par mon oncle : « même avec un bon voisin n'arrache point ta haie ».

Ainsi moi, respecté membre du Haut-Conseil de Thanor, je n'étais désormais plus que simple Thane de mon clan, et me laissai mener par les amphitryons de cette rencontre. C'est qu'à contrario de certains de mes homologues, je ne comprenais pas un fichtre mot de leur baragouinage. Je savais seulement que nous allions prestement rencontrer les seigneurs d'Oësgard. Étions-nous invités de marque ou éléments perturbateurs, je le saurai probablement bien assez vite.

Devant les herses de son donjon, Geoffroy de Falkenberg attendait patiemment que ses affidés lui ramènent cette curiosité venue du Grand Nord, au-delà des méandres de la Siriliya et des terribles Wandres : des Nains. Une curiosité qui n’était pas sans déclencher chez lui une certaine appréhension également. La mésaventure des marchands péninsulaires sur les quais de Lante, des années auparavant, avait réussi à crisper bien des mines dans les castels nordiens, de Serramire jusqu’en Oësgard. La courte épopée du Vît-de-Fer avait contraint les commerçants aventureux à réfréner leurs ardeurs et à éviter autant que possible de retenter une expédition au Royaume d’Hardrek.

Et pourtant, c’était ceux-là mêmes qui avaient claqué la porte au nez des Nordiens qui revenaient en navire tailler le bout de gras. Curieux peuple, pensa Geoffroy.

Il avait d’abord pensé leur faire essuyer le même refus que les gens de Lante, avant de se laisser convaincre par son épouse Ansleubane que ce n’était pas la chose à faire. Elle avait su lui montrer les divers avantages qui pourraient ressortir d’une telle entrevue, et comme toujours, elle avait réussi à glaner le dernier mot sur les affaires commerciales. La baronne était d’ailleurs fièrement dressée au côté de son époux, attendant avec impatience que se présente le Petit Peuple.

Entouré de ses conseillers et de quelques gardes portant hallebardes et bannières, il glissa à son loyal Brohan sur un ton un peu badin :

« Est-ce vrai que leurs femmes sont barbues ? Comment se distinguent-ils entre mâles, si tel est le cas ? »

Certains conseillers se gaussèrent discrètement, mais les ricanements s’estompèrent lorsqu’au loin apparurent les silhouettes de l’escadron oësgardien accompagnant les marchands étrangers jusqu’au donjon. Nul doute que les fortifications monstrueuses de la citadelle sauraient impressionner leurs hôtes, car l’on disait partout qu’elles étaient aussi impressionnantes qu’imprenables, à l’instar d’Alonna-les-Trois-Murs. Ansleubane, en voyant se rapprocher les dignitaires, se racla légèrement la gorge. Geoffroy ne lui accorda qu’un bref regard, avant de poser sa main sur le pommeau de son épée, et de se redresser fièrement afin de présenter aux Nains le meilleur profil du Lion d’Oësgard.

Une fois rapprochés des maîtres des lieux, les marchands furent accueillis par le héraut :

« Son Honneur Geoffroy Falkenberg, baron d’Oësgard et son épouse, Dame Ansleubane de Heinster, vous souhaitent la bienvenue en leur domaine, Nains. »

L’appel était sobre, et prouvait une fois de plus qu’à la différence des gens du Sud, les Nordiens étaient bel et bien des hommes de peu de mots.

Günjär Porte-Bourse

La délégation Naine enfin débarquée se rendit jusqu’au palais de celui qui était apparemment la tête pensante du coin, le Baron d’Oësgard. Si son nom échappa tout d’abord à Günjär, il se ressaisi rapidement, conscient qu’un tel nom devait être mémorisé pour que cette délégation ne soit pas totalement un échec. Aussi s’y employa-t-il. Il ne pu cependant s’empêcher de redevenir Dawi lorsqu’ils arrivèrent devant l’entrée du palais. Se stoppant tout net, les Nains, curieux, professionnels, l’œil avisé par des cycles de vie souterraine et toute une histoire liée à l’étude des pierres et de l’architecture d’une façon ou d’une autre, scrutèrent les constructions des Umgis. Ils analysèrent les techniques employées, le mortier utilisé, les pierres taillées, le façon de les polir, les dimensions, contreforts et autres constructions, et ils ne purent s’empêcher de critiquer le travail réalisé.

- Un travail bâclé, pour sûr ! Heureus’ment qu’nos frères et sœurs bâtisseurs n’sont pas là. Pour sûr qu’ils en gerb’rait leurs tripes. Dit un Dawi qui scrutait la pierre tout en indiquant du doigt une ou deux malfaçons.
- Nés de scories, vivant comme tel ! Ha ! Si c’pas misérable ! Ha ! Dit un second Dawi, visiblement plus tourné vers la cosmogonie que les autres.
- Pour sûr, y sont pas aidés. Mais concentrez-vous sur c’qu’on doit faire. Arrêtez d’caqueter.

La suite des évènements était facile à deviner. La délégation, sous étroite surveillance – laquelle semblait passablement énervée d’avoir dû attendre les Dawis curieux pendant quelques précieuses secondes – fut emmenée jusque devant le fameux Baron. Les Hommes purent alors démontrer l’étendue de leurs protocoles, de leur amour du pouvoir et des fastes liées à leurs positions, pour impressionner leurs invités, y compris les Nains. Pourtant, rien de tout ceci ne parvint cœur des Nains qui ne juraient que par le travail bien fait, l’excellence et la fierté d’une nation. Rien de tout ceci n’avait cour chez les Nains du royaume du Nord. Ce qui fut quelque peu surprenant, surtout pour Günjär, c’était la pauvreté de l’annonce et des palabres. Il avait souvenance de plus de mots, de ronds de jambes et de paroles vaines. Sans doute se trompe-t-il sur les Hommes plus au Sud encore.

Par respect, après avoir vu le Baron se lever respectueusement, Günjär fit un pas devant la délégation, baissa la tête et plaça sa main droite sur son cœur, comme il l’aurait fait devant le Gazanundi, et devant le Roi en personne. Il prit à son tour la parole, dans un langage commun maîtrisé mais à l’accent très rustique, les « r » étant incroyablement roulés dans sa bouche.

Barruk, messirre Falkenberrrg. Je me prrénomme Günjär, Thane du clan Porrrte-Bourse, commerrçant d’Lante. J’ai avec moi plusieurrs Dawis d’Lante et Thanorr, ainsi qu’Glumtol Barrbe-De-Ferr, et Athborr Barrrbedrrue, Thanes de leurrs clans rrespectifs. Nous v’nons en paix.

Les protocoles Umgis étaient assez loin dans sa mémoire pour les avoir tous oubliés, ou presque.

Le baron Geoffroy observa attentivement les Nains, qui arboraient là de bien belles barbes ! L’un d’eux prit la parole pour les autres. Si bon nombre de Péninsulaires tiqueraient devant les manquements à l’étiquette que venait de faire le marchand pansu, Geoffroy ne s’en formalisa pas pour autant. Après tout, c’était face à un étranger qu’il se trouvait, et non l’une de ses ouailles ; il ignorait donc tout des coutumes en vigueur ici.

L’accent sonore de l’invité, dont on aurait dit qu’il pétrissait les consonnes avec un rouleau à pâtisserie, rendit la compréhension du message légèrement plus laborieuse. Geoffroy conclut néanmoins les salutations par un léger hochement de tête, et par ces laconiques paroles :

« Nous les saluons également, et espérons que vous avez tous fait bon voyage. Bien, au donjon à présent. »

Il avait accompagné le geste à la parole, faisant signe à ses hommes d’escorter tout ce beau cortège dans le ventre de la forteresse. La fin de l’automne avait brusquement rappelé à Geoffroy que les vents étaient traîtres, et qu’il ne fallait pas trop s’attarder dehors au risque d’attraper un vilain froid. La grand’salle serait un endroit bien plus agréable à arpenter que le plein air oësgardien d’arrière-saison.

Sur le chemin de la salle, peu de mots furent échangés. Les courtisans du baron n’étaient guère bavards, surtout le ventre vide. Il ne manquait plus qu’un peu de nourriture et de bonne bière pour délier les langues et les esprits engourdis. Aussi, lorsqu’ils arrivèrent dans la fameuse grand’salle, seigneurs des lieux et conseillers arborèrent une mine bien plus réjouie que durant la traversée des austères couloirs de la citadelle.

Les Nains furent invités à s’asseoir à la table du baron, qui alla lui-même s’installer à la droite d’Ansleubane et à la gauche du seigneur Brohan. Ainsi entouré, il se sentait bien plus à-même d’affronter les thanes. Frappant des mains, il lança :

« De la bière pour moi et mes invités ! Ils ont fait longue route. »

Toute discussion tendait à mieux se dérouler lorsqu’un tonnelet de cervoise était mis en perce…

Günjär Porte-Bourse

Après avoir tenté de coller le plus possible aux coutumes des Umgis en saluant et en parlant le langage commun du mieux qu’il le pu, Günjär laissa balader son regard sur la salle. En comparaison à l’extérieur du château, les pierres présentes ici étaient de bonne facture et ô combien mieux agencées. Le mortier, les briques, la taille, tout était satisfaisant, à croire qu’entre les constructions extérieures et celles de l’intérieur, ces Umgis auraient reçu la visite d’architectes Nains. Non. Pas Nain. S’il s’agissait de Nains, l’endroit serait parfait, et non seulement satisfaisant. Mais l’heure n’était pas à la médisance, Günjär le savait et mesurait le poids qui pesait sur ses épaules. Il répondit alors au Baron par un geste de la tête similaire, et un sourire, quand bien même celui était masqué par sa grande et épaisse barbe. La suite fut autrement plus cocasse :

- Nous les saluons également, et espérons que vous avez tous fait bon voyage. Bien, au donjon à présent.
- Heing ? Qu’est-ce qu’ils disent donc ? Demanda presque immédiatement un des Nains, sans doute le moins confiant d’entre tous, ou le moins à l’aise.
- Y disent qu’ils nous saluent, et espèrent qu’notre voyage était bon. Faut qu’on aille jusqu’dans l’donjon, j’sais point c’que c’est. Mais allons-y. Répondit Günjär, à la fois curieux et peu sûr d’avoir correctement traduit la phrase du Baron.
- L’donjon ? Qu’est-ce qu’s’est que c’truc ? C’quand même pas un lupanar hein ? Demanda un autre.
- J’trempe pas ma charcut’rie dans l’antre d’une Umgi ! Neh ! Dit un autre.
- Z’allez arrêter d’piailler comme des Nanillons ? Allons voir ! J’crois sentir la bouffe. Dit Günjär.
- La bouffe ? Dirent plusieurs thanes en même temps. Pour sûr qu’j’ai faim ! Allons-y !

Soudainement, toutes les élucubrations et questions des Nains furent évaporées par la notion de festin. Ils suivirent alors les Hommes, correctement encadrés par un cortège de gardes. Sur le chemin, quelques mots étaient échangés entre les Nains, qui critiquaient encore une fois la construction du lieu et la taille de certains vitraux. Soudainement, le confort de leurs demeures de pierres leur manquait grandement. Ils arrivèrent dans une grande salle, assez grande pour contenir suffisamment de tables et de chaises pour recevoir tout ce petit monde, sans qu’aucun ne se sente à l’étroit. Installés à la table du Baron, lui-même entouré de plusieurs autres hommes et femmes sans doute d’une importance toute particulière, les Nains regardèrent, prirent, tournèrent et analysèrent sous toutes les coutures, la vaisselle qui était à leur disposition. Assiettes de petite taille, de grande taille, couverts en argent, coupes de différentes tailles, il y avait là de quoi faire un véritable festin digne des Nains !

- De la bière pour moi et mes invités ! Ils ont fait une longue route.
- Qu’ekidisent ? Demanda un Nain attablé.
- Y offrent d’la bière ! Tachez d’faire bonne impression, par Heidum ! Répondit Günjär qui finissait de reluquer l’ensemble de la vaisselle à sa disposition.

Lorsque les carafes de bières arrivèrent, toutes plutôt reluisantes, et que tous les Nains furent servis, ils ne se firent pas priés pour y goûter. Faisant fi des coutumes Umgis – plus par ignorance que par un véritable manque de respect – ils firent la même chose que durant les banquets dans le Grand Nord : honorer l’hôte en dégustant la bière avec une envie non dissimulée, afin de montrer qu’on appréciait les mets. Tous terminèrent leurs coupes d’une traite, et certains visages burinés se déformèrent sous la grimace.

- Neh ! Y osent app’ler ça d’la bière.D’la pisse d’bouc, vl’a c’que s’est ! Dit un Nain.
- Par Ikthor, vous allez vous taire ?! R’tournez sur l’bateau si vous êtes des pisselaits ! Par tous les dieux ! Répondit Günjär, qui se retourna ensuite en direction du Baron en faisant un grand sourire comme pour effacer ce petit moment désagréable.

Il vit au même moment que l’ensemble des convives n’avait encore pas porter les coupes à leurs bouches, attendant, regardant avec une certaine forme de dédain ou de dégout – allez savoir – les convives du Grand Nord et leurs habitudes quelque peu rustres. Alors Günjär prit la parole, du mieux qu’il le pouvait.

- Messirrre, c’t’un honneurr que d’êtle rreçu au coeurrr d’votle château. Une bien belle demeurre, poul sûrr. Je n’peux parrler au nom d’tout l’monde, mais au nom des Dawis d’Lante, et en mon nom, j’vous rrr’merci chaleurrreus’ment d’cette invitation. C’t’un jourrr historrrique pourrr nos deux peuples. Baruk ! Il lève sa chope, pensant ainsi avoir fait preuve de suffisamment de respect pour que les futures négociations puissent arriver sous de meilleurs hospices.

A voir ce que Thanor aurait à dire.

Était-ce leur fragile sol qui tanguait de la sorte ou seulement mon équilibre mis à mal plusieurs jours durant par le ballotement des eaux sur nôtre robuste embarcation ?

Je me laissai guider à travers les rues de la ville à l'instar de mes homologues nains, observant avec curiosité et évidente fascination l'amplitude des espaces qui nous étaient donnés d'apprécier, me sentant il faut l'avouer, par trop découvert, comme exposé à des dangers que je ne pouvais pas même imaginer. Fort heureusement les cognards que nous étions passâmes outre l'appréhension procurée par la nouveauté, après tout personne ne nous avait forcé à venir en Péninsule, fallait-il seulement l'assumer. Une fois en compagnie de nos hôtes, nombres seigneurs venus nous accueillir avec des airs solennels qui n'étaient pas pour me dérouter moi qui pensait l'Umgi mielleux à souhait, je tentai tant bien que mal de masquer mon appréhension. Je n'étais pas à mon aise.

Je laissai Günjär s'occuper tant bien que mal du protocole ; il savait probablement plus y faire avec les longues jambes que moi-même.
Les salutations semblèrent se dérouler sans heurts apparents, et nous fûmes invités par la suite à suivre ce qui était devenu non plus une escorte mais une délégation jusqu'au « tonn'chouann », mot qui ne manqua pas de nous étonner par sa ridicule prononciation. Cela semblait si officiel ! Parcourant de bien austères couloirs à l'architecture bancale que mes frères ne manquèrent point de critiquer, nous arrivâmes finalement à destination : une grande salle pragmatiquement agencée et qui prouvait là le goût prononcé du faste humain. Quant à moi, la viande séchée des jours précédents sembla réveiller mon appétit en une envie éclectique de nourriture en tout genre : j'imaginai le ventre de Glumtol comme un gouffre avide de mets umgis, et j'espérais pour le coup qu'ils fussent délectables, au risque d'essuyer une légendaire chiasse.

Nous prîmes place autour d'une immense table ainsi que nos hôtes nous le proposèrent avec politesse. Une fois assis, l'atmosphère se détendit perceptiblement ; non pas qu'elle ai été à ce point tendue, mais personne semblait savoir à quoi s'en tenir face à une race différente de la sienne, tous semblaient sinon cauteleux sur leurs gardes, chose absolument légitime lorsque des tractations étaient engagées après de nombreux échecs, de nombreuses années durant.

De la bière ? Ainsi cherchaient-ils à nous amadouer ? Je me fis méfiant sans pour autant laisser transparaître quelque émotion qui soit. C'est que je commençais à sérieusement regretter ce voyage loufoque. Avais-je vraiment besoin d'élargir mon panel de ressources, après tout ?

« Günjär, au nom du Clan Barbedrue, je souhaiterais que tu remercies ces Umgis pour leur accueil et leur bienveillance. Puis j'avalai l'escomptée bière, d'une traite, croyant par ce geste honorer l'accueil de ces drôles d'êtres. »

La bière était à cela près, de la pisse de Kerkand à n'en point douter. Avant que je puisse moi-même informer le marchand dawi de la qualité du breuvage, d'autres me devancèrent. Günjär tua dans l'œuf les critiques, avant que cela ne dégénère. C'est qu'il avait raison, à la moindre erreur nous pouvions nous retrouver possiblement mis aux fers, allez savoir ce que les longuets réservaient face à l'irrévérence que pouvait instaurer un quiproquo.

« Leur dire que la bière est bonne serai mentir, pour sûr ! Ils s'en apercervront bien vite lorsque nous aurons fait parvenir au maître des lieux un tonnelet de cervoise lantaise. Espérons juste que leur nourriture n'soit pas à c'point mauvaise... Pourrais-tu demander lequel d'entre ces seigneurs administre les affaires de l'élevage ? C'qu'ils m'ont l'air tous bien trop frêles et coquets. Une chose est certaine, nôtre présence semble les honorer... Leur dire que nous sommes heureux de pouvoir dialoguer... Et que nous sommes heureux de pouvoir apprécier leur culture, avant d'entreprendre quelque négociation qui soit. »

Je voulais surtout savoir si tout cela n'était qu'une mascarade ou si le Nord en nous accueillant acceptait vraiment l'ouverture d'un dialogue entre nos deux nations, sans que cela ne signifie toutefois, alliance.

Günjär Porte-Bourse

L’ambiance de la salle était quelque peu intéressante à voir. Les Nains, étrangers aux coutumes des hommes qui veulent que ce soit le seigneur, le chef, qui lance les hostilités – ici en l’occurrence il s’agit de bières et de bouffe – entamèrent leurs coupes qu’ils vidèrent tous d’un trait, tandis que les hommes, eux, regardaient les Nains, coupes en main, attendant sans doute une phrase ou un geste du Baron. Voyant cela, certains Nains mirèrent l’entièreté de la salle, d’autres, se regardèrent, interloqué. Günjär avait sans doute réussi à désamorcer la situation, ou du moins, à embrayer sur autre chose autrement plus protocolaire, mais les Hommes, à première vue, et bien qu’interloqué par cette différence culturelle, n’en semblaient pas plus courroucés que ça. Et tant mieux. Les négociations commenceraient sous de bien mauvais hospices.

Les Nains, une fois leurs faciès de nouveau neutres après avoir essuyés quelques grimaces que quelques breuvages appelés « bières », et qui n’en méritait même pas l’idée et encore moins l’appellation, eurent provoqués, Günjär fut tout à fait heureux de voir Athbor prendre la parole, dans un Kazalide impeccable, faisant preuve d’une diplomatie vraisemblablement intéressante et qui donnerait du grain à moudre au responsable des Thanes de l’expédition. Satisfait, Günjär baissa légèrement la tête, signe d’approbation et de soutien, et aussi de remerciement de voir un camarade – qui plus est Haut Conseiller de son état – soutenir la démarche d’une bien intéressante manière. Le Nain se tourna alors une nouvelle fois vers le Baron :

- Messirrre. Commença-t-il à nouveau, un léger mouvement de tête vers le sol encore en signe de respect. L’Dawi ici prrrrésent, Athborrr Barb’drrue, me d’mande v’vous fairrrre parrrrt d’ses rrrremerrrciements pourrr vot’ accueil et votle bienveillance. Mon confrrrère et mes pairrrs s’joignent à moi pourrr vous dirrre qu’nous sommes bien aise d’pouvoirr dialoguer’avec vous, et d’pouvoirr applécier votle culturrre.

Et levant sa choppe vide, il se rassoit, et attend une éventuelle réponse ou réaction de celui qui était le seigneur de ces lieux.

Les mines de dégoût et autres commentaires critiques sur la qualité de la bière, bien qu’ils aient été prononcés dans une langue étrangère, ne manquèrent pas de faire plisser les yeux de Geoffroy. En sa qualité d’hôte, la dernière chose qu’il souhaitait recevoir était une insulte. Et bien que les Nains décidèrent de lui témoigner de la déférence dans leur traduction à l’accent crénelé, il conserva dans un coin de sa mémoire les mines affligées et dégoûtées des représentants du Petit Peuple.

La diplomatie, c’était plutôt le rayon de son conseiller, Brohan. L’homme connaissait l’Ithri’Vaan comme sa poche, tractait avec maints seigneurs péninsulaires et était plus ou moins à l’origine de la raison pour laquelle ces Nains étaient venus ici. Aussi, après un bref signe de tête solennel au dénommé Athbor Barbe-Drue, il leva distraitement la main pour que les serviteurs rengorgent à nouveau de bière les brocs de ses invités, puis glissa discrètement à l’intention du seigneur d’Höginheim :

« Brohan, sauvez-moi donc des longues-barbes. »

Un geste qui aurait pu paraître lâche, d’ainsi se dérober. Pourtant, l’initiative de la rencontre étant à imputer au sénéchal, il était naturellement le seul à savoir sur quel pied correctement danser. Geoffroy était trop peu intéressé par le commerce, jeu digne des bourgeois, pour accorder une attention réelle à ce qu’il pouvait se jouer dans cette salle. Brohan, en revanche, n’était pas taillé dans le même bois.

Le baron continua, cette fois à l’intention des convives :

« De tout mon conseil, Brohan de Wulfekiin, seigneur ci-présent, est mon plus fidèle allié. Traitez-le avec autant de déférence que vous le feriez avec moi. »

La formulation était légèrement cavalière, mais Geoffroy n’en avait cure. Il souriait, reprenant un peu de bière, tandis qu’Ansleubane, sa femme, troquait une bouche agitée pour une oreille attentive.

Günjär Porte-Bourse

Chose intéressante pour les Nains, la qualité de la viande, sa cuisson et son assaisonnement, étaient plaisants pour les papilles du peuple du Nord, habitué aux bières très houblonnées, aux plats aux goûts ô combien prononcés, et à l’absence de légumes. S’il y en avait en grande quantité par rapport à d’ordinaire, ceux-ci se mariaient plutôt bien avec le reste du repas. Cependant, il ne fallut pas longtemps aux Nains pour rajouter de grandes quantités de sauces, obligeant rapidement les serviteurs à ramener d’autres contenants remplis à ras-bord. Au moins cela faisait passer le goût de cette bière qui fut une forte déception.

- Teh ! Y savent pas brasser, mais y savent cuisiner leurs bêtes ! J’s’rais pas contre un bon filet d’viande de Beärog c’la dit ! Et une bonne bière, Ip !
-Mouais… Ces Umgis ont qu’des défauts, faut bien qu’ils s’démerdent qu’qu’part ! Ha ! Hahaha !

Plusieurs Nains se mirent à rire aux éclats. Se gossant grassement, riant à gorges déployées pour certains, ils agrémentèrent leurs rires de mouvements incontrôlés de leurs ventres dodus qui se mouvaient au rythme de leur hilarité. Des coups de poings sur la table, sur les hanches, donnèrent à ce moment l’impression d’une « bonne franquette » faite de bonne bouffe, de bonne boisson et de bons rires. Günjär se joignit à cette assemblée, plus par geste politique que par réelle envie d’accompagner ses camarades. Conscient que les Humains pourraient se sentir humiliés en voyant les Nains qui riaient d’eux, il décida de faire passer les deux phrases des Nains pour une blague et non une critique risible. Une bonne blague qui aurait déclenchée les rires des Nains. Au moins, le fait de parler une langue inconnue avait cet avantage de pouvoir adoucir les angles.

Le fait qu’un homme en armure, et à la posture aussi intéressante qu’horripilante, ramena le silence parmi les Nains. Depuis le début de cette entrevue, il avait été parfaitement silencieux et stoïque, ne parlant jamais, ne laissant aucune émotion quelconque déformer les traits de son visage, pas même le moindre rictus involontaire. Il était parfaitement neutre. Quelque de très désagréable pour les Nains qui étaient habitués à analyser les pensées de leurs homologues et interlocuteurs par les mouvements de leurs barbes et les plissements d’yeux, seuls signes visibles de rictus de visage, étant donné leurs épaisses barbes. Ici, impossible de savoir ce que pensait l’homme d’arme.

Ne comprenant rien à ses paroles, les Nains se contentèrent d’échanger des regards curieux et interloqués, se rassemblant bien vite autour de Günjär qui était le seul à les comprendre. Ce dernier était très attentif, contrairement aux autres. Il voulut répondre à la question concernant la bière, posée par le Sénéchal. Mais il n’en eut pas le temps. Tout juste eut-il le temps de commencer à se lever qu’il dû se rasseoir pour laisser place aux serviteurs, et à la nouvelle bière qui allait être apportée. Les paroles du Sénéchal tombèrent dans des oreilles avides d’en savoir plus, mais une seule paire pouvait les comprendre. Aussi, Günjär, quelque peu stupéfait, prit le temps de reformer, surtout à l’intention de ses homologues Glumtol et Athbor de Thanor.

- Les Umgis disent qu’la bière était d’la bière qu’on trouvait partout en Péninsule, mais v’la qu’ils nous proposent leur meilleur bière d’tout l’coin. C’te fois-ci, arrêtez d’vous plaindre et restez discrets ! Profitez, au nom d’Girdon ! Et la boustifaille qu’on graille provient d’Oësgard uniqu’ment, et plusieurs d’ces Umgis ici sont des commerçants ou des r’présentant d’commerces. Par ma barbe, j’crois qu’ces longues-jambes veulent commercer. Qu’en pensez-vous ?

Laissant la parole à ses homologues Athbor et Glumtol, Günjär porta cette nouvelle coupe à ses lèvres. Dégustant la bière comme les Nains le feraient – c’est-à-dire en vidant d’un trait le boc tout en gardant la dernière gorgée pour qu’enfin le liquide inonde les papilles – point de grimaces ne purent être remarquées. Cette fois, la bière était bonne. Pas excellente. Mais bonne.

Günjär Porte-Bourse

Günjär venait de livrer aux Nains l’essence des paroles tenues par le Sénéchal. Quelques explications bienvenues, quelques informations attendues sans doute, qui créèrent chez les Nains une sorte d’émulation bourdonnante. Quelques secondes durant, les Nains s’étaient regroupés comme se regroupent des enfants devant un insecte intéressant ou curieux. Attroupés, certains, pour mieux entendre, étaient presque couchés sur la table. Ils échangèrent quelques paroles, quelques regards, parfois quelques grognements, et retournèrent à leurs places.

S’en suivit alors la constitution de plusieurs groupes de spécialités. Des brasseurs, des éleveurs et des taverniers, conversaient entre eux. D’un autre côté, des forgerons, mineurs, exploitants de toute sorte du moment qu’il s’agissait de pierres ou de métaux, cherchaient à tirer partie de la situation, sans oublier – autant que faire ce pouvait – les règles royales qui limitaient drastiquement les marges de manœuvre.

Pendant ce temp, on continuait de manger et de boire. Les mets étaient plutôt appréciés, quand bien même ceux-ci contenaient trop de légumes et de verdures aux goûts des Nains, bien connus pour leur amour de la viande plus que pour celui des légumes et des fruits. Quelques-uns cependant, semblaient être positivement réactifs face à cela. Chose étonnante pour la plupart des Dawis, dont les papilles n’étaient pas forcément enchantées par cette diversité culinaire. La nouvelle bière apportée, elle, satisfaisait presque tout le monde. Les Nains, à la fois curieux, intéressés, interpelés par les saveurs, la faible amertume et ce petit arrière-goût unique qu’ils n’avaient jamais connus auparavant, dégustait la bière avec une grande avidité. D’aucun espérait que les Hommes aient suffisamment de réserves pour faire face aux glissoirs des Nains. Seul un des brasseurs de Lante était quelque peu déçu de cette soi-disant excellente bière. Habitué à brasser ses breuvages dans des conditions parfois extrêmes, à innover parfois en laissant macérer sa bière dans des tonneaux de marbre, de pierre ou de granit, en mélangeant avec des épices parfois rares, parfois communes, parfois puissantes, parfois adoucissantes, il produisait très souvent des bières très amères, ou très fortes, souvent exceptionnelles. Et celle proposée par les Hommes n’était pas du tout à son goût. Au moins avait-il la décence de maugréer silencieusement dans sa barbe.

L’attention de la troupe de longues barbes fut très vite reportée sur Glumtol, représentant de Thanor et membre du Haut-Conseil de la ville. S’il n’était là que pour son propre compte, ou celui de son clan, tous les Nains connaissaient sa position hiérarchique dans la ville de Thanor, et le poids qu’il pouvait représenter ici. S’il choisissait de ne pas suivre les ordres royaux, ou de prendre un peu plus de liberté que celle imposée, personne ici ne pourrait l’en empêcher, sinon Athbor, l’autre Haut-Conseiller. Une situation à la fois comique et des plus critiques, car Günjär était responsable de cette expédition, et s’il échouait à sa mission, nul doute que Harald saurait s’occuper de son cas. Le Haut-Conseiller avait préparé deux magnifiques bijoux, chefs d’œuvres de l’art du Nord, exemple typique et parfait d’une partie du savoir faire des Nains en joaillerie, notamment de Thanor. Günjär, voyant passer les deux bijoux, pu en admirer la précision et la qualité, et sentant le grain entre ses doigts, ressenti presque une sorte de jalousie, alors que ses propres bijoux étaient, soit de moindre qualité, soit nécessitaient un rajeunissement de la part d’un maître joaillier. Mais il s’exécuta, et se levant, présenta les deux bijoux au Sénéchal tout d’abord, afin qu’il puisse lui-même les donner au Baron et à la Baronne. Günjär ne connaissait rien des usages des Hommes, mais il avait bien compris que l’individu face à lui était d’une certaine importance ici, qu’elle soit politique ou militaire. Sans doute plutôt militaire au vu de l’accoutrement. Aussi, afin d’éviter préventivement une lame sous sa gorge en approchant le Baron, il décida que le Sénéchal serait l’élément de transition entre les Nains et le chef de ces lieux. Et lorsque l’officier plaça les bijoux dans les mains des deux nobles, Günjär prit la parole :

Messirrrrre. Dit-il toujours avec son accent à couper au tranchoir. V’la deux prrrrésents offerrrts grrracieus’ment par Glumtol Barbe-De-Ferrr ici prrésent, éminent r’prrrésentant d’la fièrre cité d’Thanor. C’sont d’uniques crrréation d’un maîtrre Joaillier d’la cité du Thane qui vous en fait cadeau. Et pourr vous, messirrre. Il se tourne cette fois vers le Sénéchal et offre la lame, a plat au creux de ses épaisses pognes pour ne point blesser qui que ce soit. V’la une authentique dague Naine, forgée dans un acier d’qualité et sertie d’pierrrres prrrécieuses. Vous apprécierrrez sans doute aucun l’savoir faire d’un arrrtisan forrg’rron et les pierrrrres prroduites parr nos montagnes.

Tandis que Glumtol continuait à palabrer, indiquant ce qu’il souhaitait ou ce qu’il était prêt à faire, à donner, à négocier, Günjär ne pu s’empêcher de retourner à sa place et de froncer les sourcils, bougonnant légèrement. Il trouvait là que Glumtol allait un peu trop loin à son goût. Commercer était le but de cette expédition, mais vendre ou échanger des savoirs, ne faisaient pas parti des attributions des Nains. S’il y avait bien une chose que les Nains ne commerçaient jamais – sinon sur accord spécifique d’une autorité respectée, ou moyennant de grandes quantités d’or venant d’un autre Dawi et rarement d’un étranger – c’était leurs savoirs tant en ingénierie, en joaillerie qu’en forgeage, en rune et en matière de guerre. L’art de faire la guerre chez les Nains, était connu du monde entier. La qualité de leur ingénierie, de leur joaillerie et surtout, de leurs techniques de forge, étaient légendaires partout sur le continent. Les Elfes, les Hommes, même les Drows souhaitaient en connaître davantage. Mais ce qui fait surtout planer ce voile de mystère sur le peuple du Nord, ce qui attire le regard, attise la curiosité, déclenche les émules, les spéculations et les légendes, ce sont les fameuses runes et la magie associée. Rien, aucun savoir quel qu’il soit, ne devait transpirer des frontières du Zagazorn. Aussi, Günjär s’approcha de Glumtol, l’air renfrogné et la mine grave, et s’adressa calmement à lui dans la langue du Nord :

Glumtol-Azul, Haut-Conseiller de Thanor. Dit-il en chuchotant quelque peu et en gratifiant le conseiller du suffixe -Azul, signe de robustesse et de confiance, une marque de respect chez les Nains. Tu n’peux point proposer l’commerce ou l’marchandage d’savoirs d’notre peuple. L’Roi nous autorise à commercer des denrées et des biens, mais point des savoirs qu’notre peuple aura mit des siècles à maîtriser. Tu n’peux pas proposer à un maître brasseur, un maître forg’ron, un maître bâtisseur, pour qu’il dispense ses savoirs. Les savoirs du Zagazorn n’sont pas marchandable, Neh ! J’vais leur faire part d’ta position quant à c’repas et c’te bière, mais je n’peux pas t’laisser faire quant à c’que tu d’mande. J’espère que tu comprends, mon ami.

Et ainsi, il se relève, fait de nouveaux quelques pas en direction du Sénéchal, et reprend son discours à l’intention du Sénéchal, du Baron et de sa femme, mais aussi, des commerçants et autres artisans qui se trouvaient dans la salle.

Maîtrre Glumtol me fait mander d’vous dire qu’vos mets et qu’ce festin sont tout simpl’ment fabuleux, et qu’il est grand’ment intéressé par vot’ bière nouvell’ment apportée. Il aimerait, si possible, engager que’que cuisinier d’vos contrées, afin qu’ils puissent officier par chez nous. Maître Glumtol est connu pourr ses banquets fastueux et fabuleux, aussi est-il intéressé par l’compétence d’vos cuistos. Il compte ainsi faire goûter vos plats et vos mets à toute la cité d’Thanor.

Il baissa la tête en signe de respect, et reprit sa place à table, en espérant que Glumtol ne fasse pas cas des remarques fournies. Il était important pour les Nains d’apparaître unis et soudés, auquel cas, aucun doute que les Hommes, sournois, s’engouffreraient dans la brèche.

Günjär Porte-Bourse

Günjar écoutait avec attention, grande attention, les propos de Glumtol, le Thane des Barbe-De-Fer. Si, effectivement, Günjär s’était sans doute emporté dans son inquiétude vis-à-vis d’un éventuel marchandage des savoirs Nains, contraires aux ordres royaux, le Haut-Conseiller semblait ne point comprendre tous les tenants et aboutissants de l’enjeux de ce qu’il voulait proposer aux Umgis. Si vendre aux Umgis des lingots, du minerais, des outils, peut-être même certaines armes, semblait tout à fait plausible et négociable, de même que de la nourriture, des denrées périssables, faire venir des Nains jusqu’en Oësgard pour réaliser des créations quelconques, que celles-ci soient artisanales ou de maçonnerie, cela n’était pas envisageable. Les Nains ne pouvaient travailler nulle part ailleurs que chez eux, dans le Nord. Visiblement, le Haut-Conseiller avait une idée derrière la tête, il celle-ci ne semblait pas le quitter pour le moment. Il faudra surveiller cela. Günjär gardait ses deux oreilles vissées en direction de Glumtol, et ses yeux, sur le Sénéchal, le Baron et sa femme. Il voyait ainsi que les bijoux et la lame firent leurs petits effets, et que ces Umgis, contrairement à leur habitude, semblaient apprécier aussi bien la finesse de l’ouvrage que l’authenticité et le caractère unique de ceux-ci. Une fois que Glumtol eut terminé sa dernière phrase, Günjär prit la parole à son tour :

- J’t’apprendrais leur dialecte, pour sûr ! J’pourrais pas toujours être là ! Mais sache Glumtol qu’j’sois pas certain qu’not’ bon Gormrik autorise des Nains à aller travailler au milieu d’un royaume Humain. Neh. Et…

Le Sénéchal coupe la parole aux Nains. Se doutait-il qu’il venait de leur manquer de respect ? Même chez les Nains, on laisse quelqu’un terminer sa discussion avant d’en entamer une autre. Mais cette interruption semble néanmoins justifiée cette fois-ci. Günjär se lève, et réalise la mission qui lui incombe.

- Les Umgis sont bin’ contents d’ces cadeaux qu’t’as fais faire. Ils te r’mercient. L’militaire souhaite savoir si c’te dague porte un nom ? L’Baron est d’accord pour qu’des cuisiniers t’suivent et cuisinent pour toi à Thanor. Ils s’engagent à choisir les meilleurs cuistos, et à t’les fournir pour qu’ils préparent les meilleurs plats à tes banquets. Des plats comme ceux qu’on vient d’dévorer. Hahahahaha.

Il avait ri grassement mais sincèrement. Car lui aussi avait apprécié finalement les mets préparés par les humains. Il faut dire que cette viande préparée dans une sauce faite de ce délicieux fromage, était tout simplement exquis. Si de tels mets étaient préparés à Thanor, Günjär s’y rendrait plus souvent. C’est alors que le Sénéchal reprend la parole, et capte toute l’attention du Nain, après quoi, il en fait un résumé aux autres Nains présents autour de la table :

- y’ veulent faire du commerce, ça les intéresse grand’ment. Y proposent l’commerces d’denrées, d’vi andes, et d’ce fromage qu’on a dégusté, car c’support’ra l’voyage sur l’Oliya. Qu’ek’vous en pensez ?
- Teh ! Moi ça m’va ! Mais qué’qui veulent en échange ? Demanda un des thanes présent.
-Humpf, chui dachor’ moich auchi ! Qué qui veulech en r’tourch ? Dit un second, la bouche pleine, s’étant resservi pour la troisième fois.
- Glumtol, quek’t’en pense ?

Günjär Porte-Bourse

La situation était, ici, extrêmement intéressante. Réellement. Günjär avait l’outrageux avantage de se retrouver au beau milieu des tractations, quand bien même il ne s’y impliquait pas entièrement, n’ayant, jusqu’ici, rien négocié d’une quelconque manière que ce soit. En revanche, devoir tout traduire, tout transcrire et tout obtenir en termes d’information, avait un avantage certain. S’il ne signait aucun accord en ce jour, ou dans les prochains, il aurait obtenu suffisamment d’informations pour pouvoir négocier les meilleurs accords plus tard, pour son clan, mais aussi pour Lante. Car il ne fallait pas oublier que tous étaient ici sur l’accord du Grand-Roi, mais aussi, grâce à l’aide du Gazanundi. Ecoutant attentivement Glumtol, sans doute le Nain le plus gros du Zagazorn, Günjär réfléchissait aux mots qu’il allait dire afin de pouvoir traduire les propos des Nains, aux Hommes de la Baronnie.

Il allait d’ailleurs le faire, pensant que le silence après les derniers mots de Glumtol signifiait la fin d’une prise de parole, et la volonté de les voir être traduites immédiatement, lorsque Glumtol frappa de son poing sur la table avec vigueur, provoquant un bruit tout à fait caractéristique, entre les verres et chopes s’entrechoquant, et les assiettes bondissant quelque peu sur les tables, projetant quelques morceaux de viande que ce soit. Günjär se demandait si ces effets étaient expliqués par la force du Nain, ou tout simplement par le poids de son bras. Toujours est-il que le Haut-Conseiller de Thanor était désireux de savoir ce que les Hommes souhaitaient dorénavant, et plusieurs autres Nains se posaient la même question. Les Hommes avaient été corrects, et eurent tôt fait d’accepter les quelques requêtes Naines, valorisées par les cadeaux de Thanor. Maintenant, il était temps de nouer des accords commerciaux. Et peut-être des amitiés ? Ou moins, des liens respectueux ? Après tout, le commerce se déroule toujours mieux lorsque les intervenants se respectent. Une fois la prise de parole terminée de la part de Glumtol, Günjär s’était relevé et exécuta son rôle.

- M’ssire, l’Dawi Glumtol m’indique qu’c’te dague s’nomme « Guzakazakaraz », et qu’elle a goutée l’sang d’toutes les créatures d’nos montagnes, ainsi qu’c’lui d’nos ennemis. Nul doute qu’vous saurez l’utiliser comme y l’faudra. Il fend son visage d’un sourire, caché, évidemment, sous son épaisse barbe bien peignée. Les aut’ Dawis et moi-même, sommes curieux d’savoir quelles sont vos doléances, vos d’mandes, en matière d’commerce. Que souhaitaient vous négocier avec ceux du Nord ?

Peu de tournures de mots donc, peu d’entourloupes, peu de mots dérobés. Les Nains étaient efficaces, et cherchaient toujours quoi faire, avec qui et comment, de manière à ce que toute entreprise puisse réussir dans les meilleures conditions et les meilleurs délais.

Günjär Porte-Bourse

Encore une fois, l’Umgi eu une réaction et une attitude qui, bien que très humaine et profondément dénuée d’une quelconque expression faciale, ou un quelconque sentiment, était presque universelle à tous les guerriers : il regardait la dague, et passait ses doigts sur le pommeau comme l’on passe les doigts sur les courbes d’une femme. Si Günjär n’était pas un guerrier, il n’en demeurait pas moins un Nain, et tous les Nains, sans exceptions, étaient dotés de qualités innées : manipuler le marteau. De guerre, de forge, peu importe. Mettez un marteau dans les mains d’un Nain, et il saura le frapper sur une lame chauffée à blanc, sur une visse, sur un burin, ou sur un crâne.

Mais cette rêverie ne devait point détourner Günjar, ni les autres Dawis d’ailleurs, de leur but initial : relancer le commerce entre les Nains et la Péninsule, en commençant, par une petite seigneurie.

Se trouvant à Lante depuis des siècles, pour ne pas dire des cycles, le clan Porte-Bourse était un clan de commerçant riche et prospère, mais il avait subi d’énormes pertes financières durant le Voile, une grande partie de la fortune du clan ayant été utilisée pour sa survie, mais aussi, pour la cité de Lante ainsi que le royaume. Günjär, espérait beaucoup de cette entrevue avec les seigneurs d’Oësgard, mais il se souvient parfaitement du nombre de commerçants, de porteurs et de caravaniers Humains refoulés aux portes du mur, ou encore, aux portes de Lante. Il savait que cela était encore dans les mémoires des Humains, et que, d’une manière, cette entreprise commerciale partait déjà avec un sérieux coup dans l’aile. Mais il était hors de question d’abandonner.

Dégustant ce qui restait de festin dans son assiette, ainsi qu’un énième verre de cette bière que les Oësgardiens disaient de meilleure qualité et qui, en comparaison de celle des Nains, figurait dans la case « bonne bière ». Mais c’était déjà cela qu’il fallait concéder, et les histoires de goûts et de couleurs, ça dépendait autant des races que des individus.

Lorsque le militaire prit la parole pour exposer sa position, Günjär fut tout à fait à l’écoute, et tout à fait prêt à faire son rôle. Certes, le militaire ne prononça aucune information capable de corroborer l’hypothèse de Günjär selon laquelle, les discussions visaient Oësgard. Cependant, comme disent les grands maîtres runistes, et les disciples de Yaron : « les étapes sont à la vie ce que les marches sont à l’escalier, qu’importe le nombre, elles sont indispensables pour arriver au sommet ».

Lorsque le militaire eut terminé, Günjär prit le temps de réfléchir à ce qui venait d’être exposé. Ainsi, les Umgis désiraient bénéficier des produits liés à l’artisanat des forges et des joyaux. Cela n’était pas étonnant. Le minerais, les métaux, les armes et les bijoux du Zagazorn étaient appréciés et recherchés partout sur Miradelphia. Ce qui fut intéressant cependant, et quelque peu unique, était la demande des Umgis de pouvoir observer la faune et la flore, et d’accéder aux cités de Thanor et de Lante. Cela fit quelque peu « tiquer » Günjär qui se surprit lui-même à penser, les yeux dans le vague, à une réponse qu’il pourrait apporter. Mais il s’occupa de traduire à Glumtol :

- L’Umgis est honoré d’t’on présent Glumtol. Pour sûr qu’il l’utilis’ra à son tour dans ces contrées ! Ah ! y veulent faire du commerce ! Les Umgis sont intéressés par nos min’rais et nos bijoux ! Et y veulent voir not’ faune et not’ flore, ainsi qu’accéder à Thanor et Lante. Apparemment, y ce s’raient fait r’fouler ! Qu’est-qu’t’as à répondre Haut-Conseiller ? Et vous aut’ ?
- Ip ! Un peu d’minerai à r’vendre, pour mon clan, c’possible ! Dit un Nain de Lante.
- J’peux r’vendre qu’que joyaux ! Dit un second, avant de laisser la place aux Nains de Thanor de prendre la parole.

Günjär Porte-Bourse

Décidément, Glumtol prenait de plus en plus de place, dans ces négociations. Outre le fait que cela soit d’une amusante corrélation entre son physique disproportionné au niveau abdominal, cette observation était réelle et on-ne-peut plus juste. Cependant, Glumtol arrivait encore à jongler entre son rôle de thane, et celui de Haut-Conseiller. D’une certaine manière, Günjär espérait que les Umgis n’aient pas compris qu’ils avaient face à eux deux Hauts-Conseillers de Thanor. Que feraient-ils en pareil cas sinon ?

Chassant ces pensées d’une gorgée de bière, Günjär plaça toute son attention dans les propos de Glumtol. Et d’ailleurs, il était très bavard. Ses mots, prononcés plutôt savamment, s’animèrent afin de proposer une idée d’organisation commerciale qui, seront lui, serait bénéfique et pour Lante et pour Thanor. Mais il ne fallait pas oublier non plus que les clans de Lante devaient eux-aussi faire leurs affaires, et qu’une telle relation devait profiter à tous.

Face aux paroles de Glumtol, dites dans un Khazalide à l’accent typique des Nains de Basse-Virnée, Günjär oublia que le temps s’écoulait pour les Humains qui ne devaient rien comprendre, et que cela devait créer une atmosphère tout à fait atypique. Finalement, Günjär prit la parole, mais d’abord en direction de Glumtol :

- Glumtolazul, n’oublie point qu’c’t’accord doit bénéficier à nos deux cités. Nous en r’discut’rons, mais les clans d’Lante doivent avoir leurs places dans les échanges, même s’ils produisent moins qu’ta cité. Les taxes s’ront pour la ville, mais les clans ont b’soin d’vendre eux aussi. Mais nous en r’parl’ront. Puis, il se tourna en direction des humains qui devaient en avoir marre d’attendre la réponse des Nains.

Mais ce fut à ce moment là que le Haut-Conseiller, suivi des autres nains de Lante et de Thanor, décidèrent de se lever et de gratifier la salle d’un tonitruant « Gloire » écrié en langue commune, avec un accent à couper au couteau. Cela perturba quelque peu Günjär qui ne s’y attendait pas, mais tout de suite après, il se ressaisit, voyant que les humains ne comprenaient pas pourquoi cette exclamation commune avait été proférée, sans que les Nains ne disent quoi que ce soit.

- N’sommes heureux d’faire commerce avec vot’ cité. Maître Glumtol Barb’d’fer s’arrang’ra pour vous faire visiter Thanor, et ses environs. Un messager vous s’ra envoyer quand nous s’ront en capacité d’vous r’cevoir. Pour c’qui est d’Lante, nous f’ront une visite autant qu’possible, et vous présenteront les merveilles d’not’ royaume. Sachez c’pendant qu’le Grand-Roi Hardrek Poing d’fer, a promulgué des lois qu’y n’pourront être oubliées. Vos visites s’ront encadrées qu’par des cognards Nains, et dans des endroits autorisés. Maître Glumtol et moi-même nous organis’ront pour qu’nous puissions vous vendre tout c’que vous voudrez : produits d’forges, produit d’mines, joaill’ries, pierres d’tailles, pierres précieuses. Il prend à son tour sa chope à la main, et la lève en direction du Sénéchal et du couple de Barons. Qu’ce jour signe un part’nariat fort ent’ not’ royaume et vos terres ! BARUK !

Et, encore une fois, le BARUK fut reprit par la majorité des Nains, ceux qui n’étaient pas trop occupés à boire cul sec ce qui leur restait de bière. Sans doute la présence des Nains en Oesgard n’était point passée inaperçue, et demeurerait dans la courte mémoire des Humains pour quelques temps. Et si cette visite impromptue et historique ne suffisait point, les dégâts du festin sur la table des Nains, suffiraient à rappeler leur présence. La petite troupe, fidèle aux traditions du Nord, ont dévoré plusieurs volailles, l’équivalent sans aucun doute d’un bœuf entier, et auront avalé plusieurs dizaines de litres de cervoise et de bière Oesgardienne. Pauvres serviteurs qui devront nettoyer derrière eux.