La mort est un voyage qui mérite d’être accompli.

Durant la huitième ennéade de verimios 17 : XI.
Le lendemain de la séance de recrutement pour l’expédition, sur les quais de Thaar.
D-16.

Le lendemain, la nécromancienne attendait , accoudé à la balustrade du château arrière, juste à côté du gouvernail. Elle attendait Nehril et Galborix pour partir et même s’ils n’étaient pas en retard, du moins pour le moment, elle s’impatientait tout de même. Outre l’excitation provoquée par l’expédition, les dangers mais surtout tout ce qu’elle pourrait apprendre et découvrir dans les ruines de Nisétis, c’était bien le temps qui lui posait problème. Plus vite ils partiraient et mieux ils se porteraient.

Et ça, les marins le savaient très bien, principalement parce que Lilyanna était pénible ce matin, ainsi ils travaillaient d’arrache-pied. Très vite, leur travail fut accompli mais beaucoup continuaient à arpenter le Katrian pour chercher quelque chose à faire. Il fallait dire que l’équipage comptait un certain nombre de péninsulaires et que tout le monde à bord savait qu’elle pratiquait la nécromancie et si les vaanies n’en avait pas autant peur ça en restait tout de même intimidant. Toutefois c’était le cas d’un quart des hommes à bord du navire, le reste, la majorité, n’était pas zélé par peur mais parce qu’ils se souvenaient très bien comment, trois ans plus tard, la nécromancienne avait sauvé leur navire de l’abordage qui avait vu leur capitaine originel mourir. Ils se souvenaient également que c’étaient les goules de la nécromancienne qui leur permettait d’éviter beaucoup de combat, elle n’avait qu’à les faire sortir des cales pour les faire marcher sur le pont et beaucoup de navires se rendaient sans même combattre ; pour ceux qui osaient résister, ces monstres, s’ils n’étaient pas subtils, compensaient largement par leur brutalité et Dieu savait qu’ils n’étaient pas subtils.

Lilyanna s’était d’ailleurs, hier, une fois que tout le monde avait fini par partir, employé à refournir les cales en goules. Pour le moment elles attendaient, enchaînées, qu’on aille les détacher pour pouvoir passer leurs souffrances sur peu importe ce que leur désignerait leur créatrice.

Durant la huitième ennéade de verimios 17 : XI.
Deux heures plus tard, dans le port d’Ashaï.
D-16.

Comme le voulait la tradition, ce fut le capitaine qui débarqua en premier du Katrian, il se dégourdit un instant les jambes lorsqu’il entendit une voix dans son dos.

« Hé, vous là! Attendez un peu, ça coûte cinq écus d’amarrer son bateau et j’aurais besoin de votre nom pour… euh… les registres. » Il se retourna pour voir un prévôt, s’approcher, une main posée sur le pommeau de son épée courte.
« J’ai une idée mon brave, que diriez-vous de dix écus et on oublie le nom ? »

Pendant un temps l’agent de la loi sembla hésiter avant d’arborer un grand sourire édenté et de lâcher le pommeau de son arme pour écarter bien grand les bras en un geste qui se voulait accueillant mais rendu malsain par son sourire.

« Bienvenu à Ashaï monsieur Vella ! »

Depuis le pont du Katrian, Lilyanna observa la scène en souriant avant de se tourner vers ses deux compagnons de voyage.

« Il faut que je me rende à une taverne pendant qu’on est ici, vous venez ? »

La nécromancienne descendit à son tour pour se diriger vers la taverne en question et enfin pénétrer à l’intérieur. Comme tous les bouges de port, celui-ci n’avait rien de bien agréable ; la décoration laissait à désirer ; le parfum rappelait les pires productions d’un corps et il arrivait même à mettre mal à l’aise quelqu’un qui côtoyait depuis des siècles des cadavres à divers niveau de putréfaction ; la clientèle n’avait rien de fréquentable ; la lumière semblait plus avoir été pensé pour des drows que pour des humains ou des elfes et Lilyanna remercia son parent ilythiiri. Pourtant c’était bien dans ce genre d’endroit qu’elle avait le plus de chance de trouver des gens assez fous, ou désespérés, pour la rejoindre dans son expédition. Du moins, si quelqu’un l’attendait là pour la rejoindre elle n’avait aucun droit de douter de sa motivation.

« Si ça peut vous rassurer, je ne pense pas qu’on attendra ici bien longtemps. » Lança-t-elle à Nehril et Galborix, ou l’un d’entre eux si un de ces derniers avait décidé de la suivre. « En tout cas je n’attendrais pas bien longtemps ici, si on a un candidat il doit sûrement déjà nous attendre. »

En effet elle avait fait courir le mot qu’elle cherchait des Souffles courageux pour l’escorter jusqu’à et dans Nisétis, comme elle l’avait fait à Thaar, et que ceux qui étaient intéressés pouvaient l’attendre dans la taverne pittoresque dans laquelle elle venait d’entrer. Alors elle alla s’asseoir à la première table libre, se disant qu’il était toujours préférable d’être le plus proche possible de la sortie au cas où ça tournerait mal. Enfin, ici, elle ne préféra rien commander, l’idée d’ingérer quoi que ce soit venant de cet endroit répugnant ne l’intéressait guère.

Serene, maîtresse de caravanes:

Ylas n'aimait pas l'endroit dans lequel on lui avait donné rendez-vous. Typique bouge des quais, l'endroit était bas de plafond, enfumé par l'herbe à pipe et sentait autant la pisse que le mauvais alcool. Le lourd et épais demi-Drow roula des épaules sous sa cuirasse et rejeta sa chevelure en arrière. Il préférait boire dans les haut-quartiers, et lorsque son épée bâtarde n'était pas la bienvenue, il rejoignait avec plaisir les Serpent-de-mer. Les corsaires d'Ashaï profitaient de tavernes propres, et des tavernières affables qui les tenaient. Souvent veuves d'un de leurs compagnons, elles laissaient toujours un généreux bout de viande dans la soupe de leurs clients.

Avec un soupir, Ylas s'avança et joua des épaules entre deux groupes de marins avinés. Un péninsulaire, à l'esprit échauffé par la vinasse et les deux coqs qui s'égorgeaient mutuellement dans l'arène improvisée par le cercle d'hommes, se tourna vers lui, la bouche écumeuse de vomi et l'insulte aux lèvres. En voyant le regard noir et étrangement humain de l'immense garde du corps, il se ravisa en un instant et se retourna vers son jeu. Le demi-drow le laissa en paix et repéra enfin la table qu'il cherchait. Serene s'y trouvait déjà, une liqueur naine servie dans un godet de bois. Ylas gronda silencieusement devant un tel sacrilège. Une telle boisson devait s'admirer dans un verre pur pour en apprécier les éclats de couleur. Tirant sa chaise, il s'installa lourdement devant Serene et la regarda fixement tandis qu'une serveuse, échevelée par les mains qui claquaient à tout instant son fessier qu'elle avait fort rond, s'approchait.

Z'avez du vin d'Ydril ?
Ca te coûter un bras mon doux

Ylas jeta un regard arrogant à la serveuse et lâcha quelques pièces sur la table en bois. Aussitôt raflées, leur nouvelle propriétaire lui demanda d'attendre et qu'elle repasserait. Rassuré de ne pas avoir à boire la piquette du commun, le demi-Drow se tourna enfin vers Serene qui l'observait avec un petit sourire mutin. Il n'avait jamais rencontré la femme mais elle était une proche de son employeuse, Ophelia Aiguille Dorée. Si il était le capitaine des gardes de la dame, elle avait la particularité d'être la maîtresse d'une des nombreuses caravanes commerciales de la compagnie. C'était en défendant une qu'elle avait hérité l'affreuse cicatrice qui déchirait son joli minois. Ils avaient pour point commun d'être lettrés, d'avoir l'oreille de leur maîtresse et de partager une haine commune l'une pour l'autre pour les faveurs d'Ophelia.

C'est toi Serene donc ?
La seule et unique. Et toi c'est Ylas. T'es sûr que t'es un demi mon grand ?

L'ancien mercenaire fronça les sourcils. Fils d'un Doeben et d'une humaine, il avait surtout hérité des gênes de son père. Mis à part sa teinte de peau très claire et ses yeux d'humains, Ylas tenait plus du Drow que de sa mère. Il haussa les épaules, habitué à ce genre de remarque. Au moins, les gens de bonne éducation ne se permettrait jamais cela.

Je suis le fils de mon père et de ma mère. Cela me suffit. Alors, c'est quoi le plan ? Dame Ophelia m'a juste demandé de venir ici et te rencontrer avec mon paquetage.
C'est simple. Je revenais de Naelis quand j'ai entendu parler de cette pirate là, Lilyanna. Sale réputation de nécromante dans le milieu. Pas que ça te change de tes ancêtres eh... V'là qu'elle prépare une expédition à Nisétis. Comme que tu sais, y'a la Voix qui veut de l'aide pour Nelen ou une fantaisie du genre. Fin' voilà que Dame Ophelia m'a demandé d'garder un oeil et une oreille. Elle veut que tu partes avec l'autre dame. Fissa à la prochaine marée à ce qui se dit.
Serene, pas la peine de parler de la sorte entre gens d'esprit.

Indifférent au regard noir que lui jetait la jeune femme, Ylas refléchit. Cela ne l'enchantait guère de quitter le service de sa maîtresse. Tant de dagues pouvaient se cacher derrière des tentures, les poisons se glissaient dans les verres ou les plats. Le demi-Drow prenait à cœur son office auprès de la compagnie. Les gens de la maisonnée de l'Aiguille Dorée le prenait au sérieux et comme quelqu'un de noble naissance, lui l'ancien mercenaire. L'idée même de poser un pied sur un navire faisait de plus vibrer chaque cellule drow de son corps d'horreur. Tel un chat, il frissonnait presque à l'idée de se mouiller...

Les ordres sont les ordres.

Sur cette déclaration laconique, la serveuse apparut enfin avec un godet de bois. Ylas attrapa son verre et y goûta aussitôt. La même piquette que les autres. La puta... trompeuse. Le demi-Drow lui jeta un regard noir tandis qu'elle disparaissait derrière le comptoir, un sourire narquois sur le visage. Quelques décennies plus tôt, il lui aurait refait le visage. Ce temps était derrière lui. D'un geste de la tête, il fit signe à Serene qu'il était prêt à rencontrer sa future employeuse temporaire. Attrapant son sac, il le jeta par dessus son épaule pour se donner un air de - piètre - marin. Il ne fallut jouer des coudes que quelques mètres avant de s'installer à une nouvelle table. La première impression d'Ylas fut de se trouver à la Peu Honorable Société des Baroudeurs d'Ithri'Vaan. La seconde qu'ils formaient une bien étrange compagnie. Entre le guerrier aux larges épaules et au regard incolore et l'hybride issu de l'infâme union d'un drow et d'une elfe. Tandis que Serene faisait les présentations, il adressa un regard franc et un sourire narquois à l'autre hybride avant de revenir sur le grand humain. Il lui rappelait quelque chose. Des mauvais souvenirs de son temps de mercenariat...

Oh toi l'humain. On se connaît non ?

Lilyanna avait fait tout son possible pour éviter les contacts avec ceux qu’on pouvait bien trouver là. En effet, outre la répugnance que lui inspirait cet endroit, c’était encore supportable mais si elle subissait la même chose que la serveuse elle ne pouvait promettre qu’elle résisterait à la tentation d’aller chercher ses goules à bord du Katrian pour se venger. Une décision certes extrême mais le bouge ne méritait pas vraiment d’exister alors à quoi bon se gêner ? Alors lorsqu’elle fut enfin assise, elle ne regarda pas les environs bien longtemps, préférant se concentrer sur Nehril mais avant qu’elle ne puisse lancer une conversation une humaine s’approcha. Une humaine qui, pourtant, n’avait pas l’air d’être une serveuse ni d’être particulièrement menaçante mais si la nécromancienne savait une chose c’était bien que les capacités magiques n’étaient pas visibles au premier coup d’œil et il en allait de même pour des talents plus… meurtriers.

Toutefois ce n’était pas elle qui s’y intéressait, du moins pas directement, Lilyanna haussa un sourcil en l’entendant, se demandant si on lui faisait perdre son temps mais force était de constater qu’une princesse marchande, ou du moins quelqu’un s’en approchant, pouvait aider. Bien que si c’était pour faire comme Dante et lui faire perdre son temps, elle pouvait bien passer son chemin.

« Oui, c’est bien moi qui dirige l’expédition pour Nisétis. » Une fois que la représentante d’Ophelia ait donné son nom, la nécromancienne hocha la tête. « Je m’appelle Lilyanna, je ne représente personne, malheureusement, mais je suis la prêtresse de bord du Katrian. »

Enfin l’attention de Lilyanna se tourna vers le fameux Ylas lorsque Serene le présenta comme le candidat que proposait Ophelia. Ses oreilles se dressèrent lorsqu’elle entendit que la maîtresse d’Ylas payait pour ce dernier. Puis vint l’interaction entre Nehril et le demi-drow et la nécromancienne ne put s’empêcher de sourire.

« Bien, vous allez pouvoir échanger vos souvenirs sur le navire, je pense que nous serons prêts à repartir sous peu. »

Serene, maîtresse de caravanes:

Ylas continua à fixer longuement l'humain. Son air martial ne lui était clairement pas inconnu. Le seul souci c'était qu'en soixante ans et presque autant de temps sur les routes, il en avait vu des guerriers et autres mercenaires de cette race. A la fin, ils se ressemblaient tous. De plus, Ylas avait toujours su qu'il appartenait à une élite oublieuse de son état. Le sang qui coulait dans ses veines avait facilement obliger le demi à s'abandonner aux riches tavernes des Arches. Cependant, des mercenaires aux yeux blancs, peu avaient mis le pied à Ashaï. Si on retirait une dizaine d'année au mercenaire on pouvait facilement se l'imaginer sans sa barbe sel et poivre.

Uriz me brûle de sa Flamme.

Il se souvenait de lui ! Ylas serra ses poings et ses yeux flamboyèrent l'espace d'un instant. L'homme était un guerrier d'exception, et un chien galeux qui n'avait que peu de respect pour les siens et les territoires. Il était venu une dizaine d'année plus tôt pour un contrat. Une sombre histoire ysoise où un riche marchand avait pris le contrôle de la mine du voisin. Une situation des plus classiques au final. Sauf qu'une autre équipe avait accepté l'affaire avant lui. Quand le mercenaire blanc avait fait le boulot à leur place, et dans leur bon droit d'après le sacro-saint code tacite des mercenaires, ses concurrents lui avaient tendu une embuscade pour mieux le laisser pour mort et renflouer la récompense. L'affaire, somme toute banale, avait fini dans un bain de sang.

T'es le fils de pu... Puritain qui a tué la bande à Xavier. C'était un ami.

Dans sa jeunesse, Ylas aurait dégainé son épée bâtarde pour mieux l'enfoncer à travers le crâne du mercenaire. Il aurait même pris plaisir à recevoir quelques esquilles d'os et de cervelles sur sa cuirasse. l'art de nettoyer le cuir bouilli... Cependant, le semi-drow était un homme de qualité désormais. Il inclina la tête d'un geste respectueux et passa les pouces dans les boucles de sa ceinture.

Ce sera un honneur d'avoir un guerrier de qualité à nos côtés.

S'asseyant lourdement, il adressa un regard au mercenaire. A la moindre incartade, il le découperait en deux, politesse ou pas. Serene se contenta de lever les yeux au ciel. Les démonstrations de taille de dagues avaient le don de l'agacer.

Ylas n'est pas l'homme le plus vif du monde aussi ne comptez pas sur lui pour désactiver les pièges. Il serait même capable de ne pas faire sauter une rune magique... Par contre, il reste vif et un excellent combattant. Prenez soin de lui...