Préparer la survie. (Nakor)

La noirelfe était entourée de quelques architectes et maçons aux commandes des manœuvres, sous la supervision de l’un des hommes du général à la moustache. Tout ce petit monde s’activait depuis le lever du soleil à l’élaboration et la mise en place des chantiers visant à faire de la cité un endroit défendable. Si l’ampleur du chantier semblait titanesque, tous comptaient sur ce que Naélis pouvait faire valoir comme un atout de poids : L’Aurore et son maître.
Entre temps, les charpentiers, terrassiers et maçons de la cité et de ses environs furent convoqués afin de, d’ores et déjà, se préparer à la tâche colossale qui les attendait. Les soldats, quant à eux, s'assuraient que les « expropriations » de circonstance se déroulassent au mieux, et accompagnaient jusqu’au port ceux dont le destin n’était pas de se battre. L’exode des populations non combattantes avait commencée. On les conduisait, par la mer ou par la terre, dans l’Ouest du pays naélisien : Port-Jasen, Fort Eleric et les campagnes environnantes accueilleraient, autant que possible, les estropiés, les vieillards, les enfants et leurs mères.

Outre le chantier extérieur consistant à creuser des douves autour des murs de la cité, le gros œuvre principal intramuros consistait à effondrer certaines bâtisses afin de barrer l’accès à certaines rues et ruelles des quartiers populaires. La cité allait devoir être défigurée avant même le début des combats si Naélis souhaitait survivre à la guerre, et cela, le militaire qui les accompagnait l’avait bien compris. Pour l’heure, les discussions concernaient l’entrée Est de la ville. Ces portes devaient être remplacées par des murs au plus vite et le chemin d'accès taillé à même la roche se devait d’être détruit. Si Naélis comptait survivre il était impératif de limiter les fronts et donc les entrées possibles.

- J’vois pas comment. Moi j’vous l’dis tout court, on peut pas y faire un truc pareil.

- Vous non, mais l’Aurore le pourra. De toute manière, quel que soit le chantier, les mages sauront vous aider et accélérer les tâches les plus ardues.

- Egbert, allons… On vous demande pas de décrocher la lune non plus, enfin !

- C’est vrai, appuya la noirelfe en opinant du chef, ces ruelles par exemples… Il vous suffit d’effondrer une ou deux façades. Nous devons construire des barricades, nul besoin de monter des murs. Vous savez, un tas de débris et quelques épieux seront largement suffisants par endroits.

- Eh beh… Ça on peut y faire, mes gars et moi. Pour sûr y a pas d’problème.

- Alors, plus qu’à vous mettre au boulot, j’ai pas raison ?

- Si fait messire. Conclut le maçon en s’écartant de la table pour se retourner et s’égosiller à l’attention de ses hommes. Vais t-y vous y montrer not' premier bout d’chantier ! Suivez don’ moi !

- Vous pensez réellement qu’on pourra les arrêter ? S’enquit le soldat avec un regard pour la noiraude.

- Non. À moins qu’ils fassent des erreurs stratégiques durant leurs premières heures au sein du royaume… Je pense qu’ils entreront dans cette cité.

L’officier se contenta d’un hochement de tête. Il savait que, de toute façon, les prochaines ennéades seraient meurtrières. Il avait bien compris qu’on ne pouvait se permettre de rêver et qu’aucune armée n’était réellement capable de mettre un frein l’avancée d’un ost puysard.

- Et l’évacuation des populations ?

- Elle suit son cours. Nous faisons rapatrier, dans le même temps, les hommes en âge de se battre depuis tout le pays. Mais est-ce que cela sera suffisant ?

- Il le faut.

Du coin de l’œil, la daedhelle repéra un chapeau pointu bien connu fendant les foules agitées en direction de la tablée des maîtres d’œuvre.

- Le voilà. Et avec lui, l’espoir que ces murs tiendront le temps qu’il faudra.

Son arrivée fut, comme d’habitude, remarquée et ce n’était rien de le dire. L’archimage ne faisait rien pour se faire discret non plus. Au moins, cela avait le mérite de réconforter les cœurs et d’impressionner les naélisiens. D’autant que savoir qu’une puissance ésotérique comme celle-ci combattrait pour les protéger avait de quoi rassurer !

- Je suis ravie de voir que vous êtes en forme Nakor. L’accueillit la daedhelle dans un sourire amusé. A vrai dire, le chantier le plus important se situe dans la Ville-Haute. Il s’agit de faire tomber la porte Est et monter un mur. Dans la continuité il nous faudra aussi détruire la route grimpant la montagne jusqu’aux portes. Ensuite, nous pourrons passer aux douves.

La noirelfe fit signe à Nakor d’approcher de la table pour qu’il puisse poser les yeux sur les plans. Tous avaient au moins été griffonnés et raturés, quand d’autres furent entièrement redessinés. Depuis tôt ce matin, architectes et spécialistes travaillaient de concerts avec les officiers militaires quant à l’élaboration et la mise en place des impératifs défensifs. Et la tâche n’était pas de tout repos, loin de là.

- Nous cherchons à réduire les fronts, au moins le plus longtemps possible. Et en rendre certains plus mortels qu’ils ne l’ont jamais été. Expliquait la noirelfe en suivant du doigt le pourtour de la Ville Haute sur le plan. Après quoi, nous pourrons nous atteler pleinement aux douves. L’Aurore sera sans aucun doute possible grandement utile à la survie de la cité, Naélis tout entière compte sur vous aujourd’hui. Notre survie va dépendre de notre capacité à nous préparer efficacement.

T’sisra se redressa pour faire face à l’archimage, un sourire discret sur les lèvres dénotant de la confiance qu’elle accordait en la capacité de Naélis à survivre à cette guerre. L’officier à ses côtés présenta des salutations militaires au maître de l’Aurore, tandis que son regard allait et venait entre l’archimage et ses disciples d’ores et déjà au travail.

- Par ailleurs, j'aimerai aussi vous parler en privé. J'aurais aimé avoir votre avis sur idée en particulier.

L’Archimage se décida à l’accompagner. Ainsi donna-t-elle le rythme de la marche, un pas cadencé qui ne se voulait pourtant pas être particulièrement pressé. Ils déambulaient dans les rues de la Ville Haute, marchant dans la direction de cette fameuse auberge tenue par des malfrats. Un endroit que la daedhelle fréquentait quotidiennement depuis son arrivée à Naélis.

La nécromancienne reprit en khazalid, une langue qu'elle savait Nakor être capable de parler.

- J’ai, par l’intermédiaire de mes nouveaux camarades de jeu, parce que je dois bien l’avouer, jouer ouvre bien des portes au sein de leur monde… Rencontré quelques intéressants personnages en provenance de la Dross. Commença par expliquer la noirelfe alors qu’ils s’enfonçaient dans des ruelles peu fréquentées, voire quasi-vide. En l’an huit, ils furent d’une aide précieuse dans les combats contre les drows, et c’est dans cette volonté qu’ils conclurent une alliance avec le roi Héréon. Une alliance visant à se protéger des incursions aussi bien drows que péninsulaires. Si tout se passe comme prévu, je gage qu’ils nous aideront au mieux du côté de Ruven.

La noiraude, bifurqua dans une venelle sur sa droite, invitant le magicien à la suivre. Ils ne prenaient plus la direction de l’auberge malfamée, bien qu’ils n’en fussent pas très éloignés.

- C’est l’un des amis, d’un ami de la doublure notre connaissance commune qui m’a aiguillé jusqu’ici. Notre homme file la soie comme personne, mais il lui arrive de temps à autre, de s’adonner à la confection de faux. Le genre de faux qu’il refourgue à des gens tout aussi peu recommandables, qu’ils soient tire-laines ou pirates. Explicitait la daedhelle dans un sourire entendu à l’égard de son vieil ami. Mais vous aurez tout le loisir de comprendre l’astuce une fois dans sa modeste boutique. En attendant, mon livre, celui que vous avez… Rangé dans votre barbe. On dit « ranger » ? Demanda la drow sans attendre de réponse. Auriez-vous, à tout hasard, eu le temps d’y jeter un œil ? Il contient certaines informations que je n’ai malheureusement pas entièrement pu traduire. Bien que les déclinaisons des temps me semblent assez complètes, étant donné que j'ai pu profiter de votre ouvrage sur Arsanne et de vos notes. J’espérais que vous auriez pu… Compléter les blancs. Et j’aimerai aussi savoir si vous aviez déjà entendu parler d’un artefact nommé la « Larme d’Iben » ?

D’un geste de la main, T’sisra désigna le bout de la rue. Au bout de la ruelle, une échoppe faisant l’angle, se trouvait à une cinquantaine de mètres. Un panneau de bois en mauvais état présentait le symbole d’un rouleau de fil et d’une aiguille. Cependant, les yeux de noirelfe étaient rivés vers Nakor, attendant ses réponses avec une impatience non dissimulée.

Les yeux de la noirelfe viraient de gauche à droite, suivant le livre que Nakor lui agitait sous le nez. Son livre. Elle répondit par l’affirmative d’un hochement de tête.

- Vous pensez pou… Commença-t-elle avant de voir de que Nakor s’était lancée dans une explication sans fin.

Et si certaines légendes lui paraissaient avoir une certaine cohérence, d’autres, en revanche, semblaient plus tenir du mythe. T’sisra attendit que son vieil ami termine sa diatribe par une conclusion, qui évidemment, trahissait une certaine appréhension. Mais après tout, comment lui en vouloir ? Surtout quand l’on sait aujourd’hui des groupuscules peu recommandables s’intéresser aux ruines et mythes nisétiens.

- Concernant ce livre, commença la daedhelle en désignant le bouquin que Nakor agitait sous ses yeux, vous pensez pouvoir y ajouter les références concernant le haut-nisétien ? Cela m’arrangerait beaucoup quant à mes recherches concernant la… Malédiction de notre connaissance commune. Elle marqua un instant de pause, s’arrêtant à quelques pas de la porte de la boutique. Les Veilleurs du Croissant et leurs légendes, en effet, je m’y intéresse. J’avais pensé à quelque chose comme la Pierre de Lune, mais c’est un métal qu’on ne trouve que dans les montagnes du Zagazorn, et peut-être même en Anaëh, si je ne me trompe pas. Mais, d’après ce que j’ai trouvé, au cœur du désert Zurthan, il s’agissait d’une, et je vous cite directement les gravures, « étincelle tombée de la Lune, grandissant à mesure qu’elle se rapprochait des dunes ». L’épisode est aussi référencé comme un « chariot de feu traversant les cieux ».

La main de la noiraude se referma sur la poignée de la boutique, cependant, elle ne poussa pas la porte de suite.

- Et pour tout vous dire, il ne s’agit pas d’un morceau de métal mais bien d’une pierre. Une pierre dont l’intensité de la lumière qu'elle est capable de développer suit les cycles lunaires. Je crois qu’en réalité, il s’agit d’un véritable morceau de Lune. Et à part faire de la lumière, elle ne sert pas à grand-chose. Vous pouvez me croire, parce que je l’ai en ce moment sur moi. Dans un sourire malicieux, T’sisra poussa la porte de la boutique qu’ils étaient venus visiter. Bon… Jour...

L’endroit était un véritable capharnaüm et sentait le renfermé comme rarement elle avait l’occasion de le humer. Si elle savait l’endroit tenu par homme étrange, jamais elle n’aurait pensé trouver son atelier en l’état. Les maigres rayons du soleil filtrant aux travers des volets révélaient une poussière stagnante dans l’air, certains rouleaux de tissus abandonnés à même le sol semblaient avoir subi un mauvais traitement.

- Et bien, je m’attendais à quelque chose de plus… Propre. Lâcha la drow qui avait repris l'oliyan.

- Mmh… Comme beaucoup. Susurra la voix fluette d’un petit homme qui venait se redresser dans le fond de la boutique. Comme beaucoup.

Ses petits doigts amaigris se mire à tapoter en rythme le comptoir derrière lequel il se tenait, attirant l’occasion par la même sur les étoffes pliées attendant patiemment dessus.

- C’est… ?

- Mmh. Répondit le tisserand d’un hochement de tête. Celles-là mêmes que je confectionne depuis des années, pour les hommes de la mer comme ceux des terres.

T’sisra traversa la pièce pour soulever l’une des étoffes et la déplier, dévoilant la supercherie aux yeux de Nakor. Les draperies étaient en tous points semblables aux couleurs de la royauté péninsulaire. Il s’agissait du genre de méthode utilisée par les contrebandiers et pirates pour éviter certains blocus ou contrôle lors de leurs passages près des côtes.

- C’est retord, je vous l’accorde. Mais les bateaux censés déposer les civils sur les côtes péninsulaires partiront d’ici peu avec ceci. Lorsqu’ils reviendront, durant les conflits, cela aura de quoi démoraliser nos adversaires, leur surnombre ne sera, à leurs yeux, plus une des clefs de voûte de leur assaut. Qu’est-ce que vous en dites ?

La noirelfe avait fait mettre en place divers stratagèmes retors, en accord avec certains des hauts gradés de l'armée. Certains étaient meurtriers quand d'autres étaient psychologiquement intenables, mais c'est ainsi qu'elle avait été élevée, comme un chien de guerre.