L'ombre et la lumière parmis les pierres. [Pv Ciryië]

La neige n’était jamais une bonne nouvelle pour Sërythil. Elle émettait une lumière morne, sans vie. Elle recouvrait tout sans égard ni précaution. Mais surtout là où un elfe valide n’y voyait qu’un simple obstacle temporaire, l’ancien apprenti éclaireur y voyait une montagne de plus à gravir à chaque pas qu’il faisait…

Et pourtant il faisait de son mieux pour rester de relativement bonne humeur. Il se disait que si la faune arrivait à s’en sortir, il le pourrait aussi. D’autant que l’hiver ne resterais pas éternellement au sein d’Anaëh.

Ce jour-là il était parti en quête de quelques feuilles d’herboras. Il avait utilisé ses dernières réserves pour soigner un gamin qui s’était écorché les genoux en trébuchant. Il aurait pu utiliser sa magie mais la gravité relative des blessures du marmot n’en avait pas valus la peine.

Cependant il avait rapidement dévié de son chemin quand un frisson lui avait parcouru le dos. Quelque chose troublait les arbres et son instinct lui disait de suivre un chemin qui semblait bien hasardeux à première vue. Jusqu’à ce qu’il se retrouve devant un oiseau d’un bleu éclatant, battant tristement d’une aile que l’herboriste n’eut aucun mal à diagnostiquer comme brisée.

Alors l’elfe boitillant s’approcha doucement, jusqu’à venir s’asseoir tant bien que mal dans la neige, tendant une main vers la mériale tandis que l’autre serrait le focalisateur qui l’aidait à manipuler les flux d’énergie des créatures.

-Profite du don de la mère, frère ailé. Murmura-t-il en cherchant à soigner le petit animal qui ne semblait plus se défendre et qui au contraire dardait sur lui un œil attentif.

La symphonie n'étant plus qu'une sensation douce et ténue, Sërythill se perdit sans le vouloir dans son œuvre ne prêtant qu’une attention relative à ce qu’il se passait autour de lui, bien que ce ne fut pas des plus raisonnable étant donné l’endroit et sa propre condition physique.

-Je ne suis pas sûre qu'ils comprennent quand on leur parle. Lui fit remarquer une voix féminine derrière lui.

Accroupie sur une branche un peu plus haut, la main posée sur le tronc de l'arbre qui la portait, Ciryië posait sur lui son regard d'un gris froid et vivant à la fois. Elle l'avait déjà vu. Elle en était certaine car elle n'oubliait jamais un visage ni le contexte dans lequel elle l'avait aperçu. Il faisait partie du clan d'Eryndir, le jeune homme qui souriait tout le temps. Le petite elfe, elle, ne souriait toujours pas. Elle semblait plus paisible qu'à son arrivée chez les Vethërill mais elle n'en était pas moins tourmentée pour autant. On lisait dans ses yeux une certaine tristesse mêlée à une hésitation permanente. Elle détestait l'état dans lequel elle se trouvait mais elle avait compris qu'elle ne pouvait rien faire à part prendre son mal en patience. Elle continuait sa vie sans vraiment savoir vers quoi la mener. Elle cherchait qui elle était et ce qu'elle était. Son apparence était tant celle d'une Taledhelle que d'une Noss grâce aux cadeaux qu'ils lui avaient fait avant de partir en se laissant toujours porter par les chants des arbres. Elle n'était pas à l'aise pour se déplacer dans cette forêt qui semblait pourtant lui fournir tout ce dont elle avait besoin car elle n'avait pas l'air d'avoir faim ou soif.

-C'est étrange qu'on puisse tous avoir la capacité d'entendre et de comprendre la Symphonie mais qu'on ne puisse pas communiquer entre espèces.

La réflexion venait de lui effleurer l'esprit et elle l'avait aussitôt exprimée à voix haute, sans même se soucier de savoir si cela pouvait intéresser son interlocuteur ou pas. Elle ignorait pourquoi mais elle n'avait pas l'impression de devoir se brider d'une manière ou d'une autre. Parmi les elfes, elle se sentait en confiance, elle était chez elle. Alors certes, des conflits existaient entre les membres de sa race, elle l'avait découvert à ses dépends. Mais cet homme faisait partie d'un clan ami. Ils l'avaient accueillie durant un temps et tous s'étaient montrés attentionnés à son égard. Elle n'avait pas de raison de croire que ce Nos-ci serait différent. Surtout qu'il s'agissait d'un soigneur.

-Je ne me souviens pas de ton nom. Déclara-t-elle avait avoir brièvement froncé les sourcils, signe qu'elle avait beau chercher dans sa mémoire, cela ne lui revenait pas.

La magie du noss cessa soudain lorsqu’une voix retentit dans son dos. Il avait sursauté et s’était légèrement tourné en direction de son interlocutrice.

-Je ne t’avais pas remarqué, excuse-moi.

Il se reconcentra à nouveau un bref instant pour finir ce qu’il avait commencé tout en prêtant une oreille attentive à la petite elfe qu’avait ramené l’un de ses frères quelques temps plus tôt. L’oiseau ne tarda pas à s’agiter et Sërythil le lâcha. La mériale s’envola sans plus attendre, osant une ou deux acrobatie propres aux créatures à plumes, et il sourit.

-Je crois que nous pouvons communiquer avec eux. Fit-il doucement en cherchant une position au sol dans laquelle il pouvait voir la jeune femme. Pliant un genou, il posa sa main dessus tandis qu’il gardait sa jambe gauche tendue et sa deuxième main comme appui. Le langage verbal leur est inconnu mais une intonation de voix ou un geste peut avoir un effet surprenant.

Ses oreilles s’agitèrent et un air amusé apparu sur son visage. Il n’était pas surpris qu’elle ne se souvienne pas de son nom. Il fallait dire qu’Eryndir était du genre à prendre de la place pour plus d’un et s’il avait été lui-même présent lors du séjour de l’elfe perdue, il ne l’avait pas prise en charge personnellement. Il ne devait être qu’une silhouette parmi d’autre pour elle.

-Moi je me souviens de ton nom. Répondit-il alors. Tu es Ciryië. Et moi je suis Sërythil.

Dans ses yeux jaunes, elle pouvait observer un mélange de curiosité et de joie à l’idée de la revoir. Il semblait détendu pour un elfe qui s’était fait surprendre aussi facilement.

-Es-tu de passage ou viens-tu à nouveau sur les terres des Vethërill ? Tu es la bienvenue parmi nous bien entendue. Je crains qu’Eryndir ne soit partit vagabonder je ne sais-où en revanche.

En l'observant bien il pouvait remarquer qu'elle avait gardé certains des cadeaux que son clan lui avait fait et cela le fit sourire de plus belle car il trouvait cela touchant d'une certaine manière.

Le regard de Ciryië s'égara un instant, signe que les paroles de Sëryhtil la faisaient réfléchir. Il était vrai qu'il n'y avait pas qu'une seule manière de communiquer, elle le savait désormais. L'intensité de la voix, la posture, l'ampleur et la vitesse des gestes... Tout cela faisait partie du langage non verbal qui, lui, était universel. C'était d'ailleurs grâce à lui qu'elle avait toujours su quand elle était en danger et quand elle ne l'était pas. Comme maintenant.
Le Noss s'assit et lui rappela son nom. Ou plutôt, il ne lui apprit car elle n'avait pas souvenir de l'avoir déjà entendu. Ils n'avaient jamais été vraiment présentés l'un à l'autre. Et s'il était aisé de connaître et de retenir le prénom de l'intruse dans son clan, il n'était pas surprenant qu'elle ne se souvienne pas des patronymes de tous ceux qu'elle n'avait pas côtoyé durant son séjour. D'ailleurs, elle n'avait connaissance des talents magiques de son interlocuteur que depuis quelques minutes à peine.

Le vitaliste la questionna sur la raison de sa présence et elle ne répondit pas tout de suite. Après une hésitation, elle disparut dans l'ombre de l'arbre qui l'hébergeait pour réapparaître entre ses racines l'instant d'après. Les Vethërill avaient l'habitude de cet Art pourtant si rare partout ailleurs et c'était presque reposant pour elle. Ses talents pouvaient s'exprimer parmi eux sans que personne ne s'en effraie ou ne la regarde bizarrement. Depuis qu'ils avaient apaisé un peu ses émotions, elle avait en partie retrouvé ses capacités d'autrefois. Il ne lui manquait que cet exploit de se transformer en ombre qu'elle n'était pas parvenu à réitérer depuis son passage dans le Labirynthe.

-Je ne sais pas. Je ne choisis pas vraiment où je vais. Ses mains se posèrent sur ses coudes, comme si elle cherchait à se protéger de quelque chose ou à dissimuler une sensation de malaise. J'ai atterri cœur d'une cité il y a deux ennéades, je ne m'en suis même pas aperçu. Quelqu'un m'a prise pour une Noss.

Dans sa bouche, cette dernière phrase n'avait rien de péjoratif. Il s'agissait d'un simple constat. Elle ne savait pas vraiment si c'était ce qu'elle était ou non, se laissant vivre au gré des Mélodies. D'ailleurs, la musique lui donnait l'impression qu'elle n'était pas encore arrivée mais qu'elle n'était plus très loin. Elle tourna alors son visage vers l'Est.

-Qu'est-ce qu'il y a par là-bas ?

-Par là-bas ? Il tourna la tête dans la même direction de la jeune elfe. Sa voix se fit un peu plus trainante, comme s’il hésitait à répondre. Il y a les montagnes...

S’il s’y aventurait encore de temps en temps, ce n’était qu’avec parcimonie, et jamais seul. Un accident lui avait suffi pour le restant de sa vie. Croiser un nouveau morgal ou autre animal de cette dangerosité était la dernière chose qu'il pouvait souhaiter.

Il se demandait ce qui intriguait réellement la petite citadine dans cette direction. Il espérait un peu égoïstement que la réponse ne la pousserait pas à aller les explorer.

Ou bien peut-être était-elle sans le savoir en quête d’autres citadins ?

-Il y a un camps d’elfes des pierres aussi. Mais je crois qu’ils sont partis il y longtemps. C’est ce que les éclaireurs disent en tout cas.

Il ne s’en était pas approché lui-même et jusqu’ici il n’avait fait que ce fier à ceux qui étaient partis explorer les alentours. Et puis cela aurait expliqué les étranges cohortes d’elfes de pierres quelques années plus tôt.

-Ta question est-elle poussée par un but précis ? Lui demanda-il finalement en focalisant de nouveau son attention sur elle.

Ciryië observait la direction qu'elle avait indiqué en fronçant légèrement les sourcils. Pourquoi là-bas ? Etait-ce les montagnes où on la conduisait ou bien la ville déserte ? Trop de questions et une seule manière d'y répondre. Puis elle baissa légèrement les yeux, plongeant une nouvelle fois dans ses réflexions jusqu'à ce que Sërythil l'en sorte. Elle tourna alors son regard gris vers lui et le fixa comme si elle n'avait pas compris ses paroles.

-Je suis juste curieuse de savoir où la Symphonie m'emmène cette fois. Je me laisse porter tout en me demandant si j'ai raison de le faire... et avec la sensation d'y être obligée... Je me sens mal quand j'essaie de suivre ma propre voix, comme si... je savais que quelqu'un m'en faisait le reproche. C'est difficile à expliquer.

Une autre volonté que la sienne criait en elle. Une volonté qui tolérait assez mal qu'on aille à son encontre, même si elle ne l'empêchait pas tout à fait. Elle l'avait ressenti à la Quatrième Saison, lorsqu'elle avait suivi sa propre voix pour se rendre dans l'enceinte de la cité. Jusqu'à ce qu'elle retrouve des contrées sauvages, elle avait éprouvé une étrange sensation qui n'avait cessé que lorsqu'elle avait arrêté de lutter contre les chants et ce qu'ils lui dictaient. Mais elle ne comprenait pas tout à fait ce qu'il se passait en elle. Après tout, lorsqu'elle avait suivi Eryndir, elle n'avait pu eu cette sensation, ni même le sentiment d'avoir une autre voie à suivre. C'était très étrange et trop récent pour qu'elle ait suffisamment d'éléments pour répondre à toutes ses interrogations.

-Tu entends la Symphonie toi aussi ? Est-ce que tu ressens la même chose ?

Si elle n'avait pas assez d'expérience, n'importe quel autre elfe percevant les chants d'Anaëh en possédait davantage et saurait lui fournir plus de réponse. Alors pourquoi ne pas essayer avec celui qui se trouvait devant elle ?

Tout le temps qu’elle avait expliqué ce qu’elle ressentait, c’était un sourire presque paternel qui ornait le visage fin de l’elfe des bois. Les jeunes passaient tous par-là lorsqu’ils tentaient de comprendre ce sixième sens.

-Oui je la perçoit. Répondit-il alors avec amusement. Lorsque je ne suis pas seul, le bout de mes doigts me picote, lorsqu’il y a un danger je frisonne, parfois je sais où aller sans n’avoir aucune explication. Comme lorsque nous communiquons avec la faune sans paroles, Anaëh nous transmet elle aussi des messages qu’il nous faut décrypter.

Il savait que certains elfes, notamment les Taledhels se trouvaient incapable de percevoir ce langage. Et lorsqu’il avait appris cela, alors tout jeune elfe, il avait passé de longues heures à questionner les adultes sur comment cela était possible. Encore aujourd’hui, il avait du mal à comprendre. Pour lui c'était l'équivalent de naitre aveugle ou sourd.

Soudain, quoi que ce fut vite dit avec lui, Sërythil se mit à genoux avant de se retrouver debout à nouveau. Il claudiqua et s’approcha un peu de la jeune elfe, appuyant son dos contre l'arbre à coté duquel elle était assise, avant de tourner son regard vers le lointain, comme si de là il pouvait observer les montagnes dont il avait parlé.

-J’aime à penser qu’Anaëh sait exactement où elle nous guide et qu’il n’est pas bon de lui tourner le dos. Il croisa les bras contre son torse. Se laisser porter est une bonne chose mais il faut tout de même veiller à ne pas se noyer. Il baissa les yeux vers elle à nouveau. N'a tu réellement aucune idée d'où Anaëh voudrait te guider ? Il marqua une brève pause avant d'ajouter: Ce n'est pas une question piège, cela peut arriver bien entendu. Mais parfois en y réfléchissant il est possible de comprendre ce que notre instinct nous pousse à accomplir. Comme si la réponse était au fond de nous depuis toujours.

Ciryië écouta la réponse de Sërythil. Apparemment, elle n'était donc pas la seule à vivre cela et tout ce qu'elle ressentait était normal. Pourtant, les elfes, Noss ou Taledhels, qui percevaient la Symphonie n'étaient pas continuellement comme elle, à demeurer sur les routes. Elle n'avait pas l'impression qu'elle pourrait s'installer quelque part car une partie d'elle-même avait constamment envie de repartir. Ce n'était pas vraiment elle, elle se savait, mais c'était tout comme. Anaëh était en elle, d'une certaine manière.
Dans un soupir, la petite elfe laissa son corps s'affaisser et elle s'accroupit de nouveau, ses bras fermés venant encercler ses jambes pliées devant elle. Elle posa sa joue sur ses genoux, observant cet endroit qui l'attirait et qui resterait dissimulé par la canopée tant qu'elle ne reprendrait pas son chemin. Elle ne bougea pas davantage lorsque le vitaliste vint se positionner presque derrière elle et continua de lui parler.

Sërythil l'interrogea et elle changea de joue pour pouvoir le regarder. Est-ce qu'elle savait où la forêt la conduisait ? Si seulement... Son voyage lui semblait totalement chaotique et sans la moindre cohérence. Alors elle hocha la tête de droite à gauche sans pour autant se redresser.

-Je ne sais pas. Et si Anaëh cherche à me dire quelque chose, je ne sais pas ce que c'est.

Elle avait l'impression de ne pas être tellement différente de la jeune elfe qui n'avait pas de Souffle et à qui on avait permis d'entendre la Symphonie de multiples fois. Alors certes, elle parvenait à présent à l'écouter avec son cœur à défaut de la comprendre avec ses oreilles mais elle n'était pas tellement plus avancée pour le moment.

-On m'a dit qu'il fallait que je sois patiente et que toutes les réponses à mes questions viendraient... Mais les jours s'écoulent et je me sens toujours aussi perdue. Physiquement, mentalement... et émotionnellement. Je ne comprends ni ce qu'il m'est arrivé ni ce qu'il se passe maintenant. Rien n'a de sens... Les Lirfêlu étaient censés m'aider, je ne suis toujours pas convaincue d'avoir bien fait de rester avec eux.

C'était peut-être triste à dire mais c'était ce qu'elle ressentait. Elle parlait sans filtre, sans vraiment comprendre ce qui la poussait à parler comme ça à un homme dont elle ne connaissait que le prénom et le clan. Elle ne s'était pas montrée aussi ouverte avec Eryndir. Pas immédiatement en tout cas. Il avait fallu qu'elle arrive au bout de nerfs pour lui parler à cœur ouvert, avec toute la colère, la peur et l'incompréhension qui étaient les siennes à l'époque. Ce jour-là, la discussion était paisible et sincère. C'était un peu étrange d'ailleurs, cette façon de lui parler si naturellement de ce qu'elle ressentait.

-Tu es jeune Ciryië. Jeune et pressée de savoir. A nouveau il eut cet air doux et paternaliste sans pour autant donner la sensation de la prendre de haut. Certaines réponses prennent du temps à nous parvenir. Tout une vie parfois. Il m’a fallu au moins deux cent ans pour entrevoir la voie qui était la mienne et… Aujourd’hui même je ne suis plus certain du chemin que je dois prendre.
 
Il baissa les yeux au souvenir de la citadine rencontrée en début du mois. Elle lui avait proposé une chose qui pouvait changer sa vie et en l’espace d’un mois il n’avait toujours pas eu le courage d’affronter le jugement de son clan ou de celui d’Anaëh.
 
-Si les Lirfêlu t’ont aidé, c’est un honneur que tu ne dois pas renier. Mais aider ne peut vouloir dire faire à la place de. Ils ne peuvent te comprendre à ta place et ce ne serait pas bénédiction s’ils en étaient capable.
 
Décroisant les bras, il désigna ce qui se trouvait dans leur champ de vision à tous les deux d’un mouvement circulaire. Il s'agissait d'un petite clairière baignée dans la douce lumière du jour. Il restait quelques plumes de la mériale là où elle était tombé que Sërythil veillerait à récupérer avant de partir.
 
-Toutes ces choses ont un sens. Toutes ces choses sont là dans un but bien précis, bien qu’il nous échappe parfois. Et nous ne différons d’elles que par notre Souffle. Mais nous faisons partie de ce cycle, que nous le comprenions ou non. Nous ne somme rien de plus qu'une mériale ou qu'un phish oura.
 
Si la jeune elfe portait un regard à son interlocuteur, elle pouvait y voir une sérénité teintée d’admiration envers la forêt.
 
-Apprend, écoute et prend ton temps, un jour tout te semblera clair.

La petite elfe réfléchit un instant aux paroles de Sërythil et, contre toute attente, son visage sembla s'illuminer d'un certain amusement. Si bien que l'on aurait presque pu deviner un sourire dans ses traits pourtant si lisses.

-Ça revient à me demander d'être patiente. Dit-elle paisiblement.

Finalement, cela faisait beaucoup de mots pour lui répéter ce qu'elle avait déjà entendu. Mais elle ne le prenait pas mal, loin de là. Elle comprenait qu'il essayait de l'aider, même si cela n'avait pas encore d'effet sur elle. Et elle entendait aussi qu'il se trouvait dans une situation plus ou moins similaire à la sienne. Elle entendait également cette leçon qu'on avait commencé à lui enseigner plus jeune mais qu'elle avait oublié en chemin et qui faisait d'elle ni plus ni moins qu'une habitante de la forêt au même titre que l'oiseau qu'il venait de sauver. Elle entendait enfin qu'Anaëh ne la conduisait pas à travers les bois sans raison, même si elle ne percevait pas encore son objectif. Curieusement, cela la rassurait un peu. Car cela lui faisait un but à suivre : comprendre ce que l'esprit de la forêt cherchait à lui montrer.

Ciryië expira plus fortement et sembla curieusement plus sereine. Plus encore que lorsqu'elle avait quitté les Vëtherill quelques ennéades plus tôt. Et elle se redressa sur ses deux jambes, laissant ses bras pendre le long de son corps.

-Dans ce cas, j'ai hâte de comprendre ce qu'Anaëh veut me faire comprendre. Je suis curieuse de voir où elle m'emmène cette fois. Quelque chose me dit que ce n'est pas très loin. Tu veux m'accompagner ?

Elle avait conscience que les jambes du Noss n'étaient pas des plus fiables et qu'elle s'avançait vers la montagne. Aussi lui offrit-elle une solution, désignant le bas de son corps d'un bref geste de la main.

-Je pourrais d'aider si tu en as besoin.

S'il se trouvait seul, c'était qu'il devait être capable de marcher et d'évoluer entre les arbres, les rochers et les racines. Cependant, sa destination serait peut-être dans un lieu trop escarpée pour lui. Aussi, s'il avait le curiosité de savoir vers où elle était guidée, elle pourrait lui permettre de la suivre sans risquer de se tordre le cou au passage. Un brin de magie et les obstacles étaient franchis. Bien sûr, s'il refusait, elle ne lui en voudrait pas. Sa compagnie lui avait fait du bien jusque là, elle avait envie de ressentir cet apaisement un peu plus longtemps encore, comme si cela venait de lui et disparaîtrait en même temps qu'ils se sépareraient. C'était sans doute idiot de penser cela et elle en avait pleinement conscience mais elle ne pouvait pas s'en empêcher.

Il ne répondit pas tout de suite. L’espace de quelques secondes il fixa cet horizon au-delà duquel se trouvaient les montagnes que Ciryië semblait vouloir rejoindre. Il avait peur et en même temps, la symphonie ne lui transmettait rien d’autre qu’une douce sérénité et peut être même… des fourmis dans les pieds. Il devait la suivre. La symphonie semblait d’accord avec lui, la jeune elfe ne devait pas s’aventurer là-bas toute seule.

-Hé bien…Il s’avère que je n’ai pas trouvé ce que je cherchais. Peut-être qu’en te suivant cela changera.

Il se redressa et décroisa les bras, comme pour appuyer ses propos. Oui il la suivrait. Pour sa proposition de l'aider en revanche, c'était plus compliqué. Il secoua doucement la tête.

-C’est gentil mais il y a peu de chance que tu puisses quoi que ce soit pour moi. A moins d'avoir le pouvoir de rendre le sol lisse comme l'eau. Ne t’en fait pas, j’ai l’habitude.

Il voulait être capable de se débrouiller seul. Il ne supportait pas d’être un poids surtout là où ils semblaient s’aventurer. Il ne leur en voulait pas à eux tous d’être si prévenants, il ne leur en voulait pas d’avoir pitié. Mais il n’avait pas le droit de l’accepter. Il trouvait sa propre force dans le surpassement de sa faiblesse.

Et comme pour changer de sujet il fit un ou deux pas et offrit un sourire un peu plus assuré. Il fit tout de même signe que c'était elle qui menait la marche. C'était à elle de suivre son instinct après tout.

-En route ?

Ciryië aurait voulu corriger le Noss sur l'aide qu'elle lui offrait mais elle n'en fit rien. Elle aurait pu lui rappeler qu'elle était capable de lui ouvrir une voie vers les ombres et le transporter à sa guide mais elle avait l'impression tenue qu'il refusait pour une tout autre raison. Une raison qu'elle avait du mal à comprendre. Alors elle passa quelques instants à le regarder comme si la réponse à son interrogation allait venir d'elle-même. Mais elle ne vint pas et Sërythil l'enjoignit à reprendre sa route.
Au moins, elle avait obtenu ce qu'elle espérait.

Les deux elfes se mirent alors en chemin vers cet endroit inconnu. Ciryië pouvait marcher vite, d'autant plus qu'elle passait d'ombre en ombre pour éviter les obstacles que représentaient les imposantes racines des arbres multicentenaires, des rochers aussi larges que haut et des fossés creusés dans la roche par de petits cours d'eau descendant de la montagne. Derrière elle, elle laissait ouverte la voie menant dans l'entre-deux monde et attendait chaque fois de voir si Sërythil la suivait avant de la refermer pour en ouvrir une autre un peu plus loin qui leur permettait de ressortir. De le voir accepter d'utiliser ces passages qu'elle créait, la petite elfe fut d'autant plus interloquée. N'avait-il pas refusé qu'elle l'aide un peu plus tôt ? Mais elle se garda de tout commentaire et continua comme si de rien n'était.
Malgré les compétences de la jeune mage qui leur permettait de gagner du temps, le rythme de marche du Noss ne leur permit pas d'avancer aussi vite qu'elle le faisait d'ordinaire. Seule, elle aurait certainement atteint sa destination avant la fin de la journée. Mais la nuit commença à tomber alors qu'ils atteignirent seulement le pied de la montagne. Il leur fallait donc s'arrêter jusqu'au lendemain.

Comme fait exprès, tandis que le jour déclinait au-dessus d'eux, les pas de Ciryië -guidés par la Symphonie- les fit atteindre un creux naturel dans la roche. En-dessous, le sol était sec donc l'endroit était à l'abri de l'humidité. Ils pourraient aisément se protéger du vent en se calant dans le creux de ce renfoncement.

-Je vais chercher du bois pour le feu. Et peut-être qu'en entrelaçant quelques branches on pourra faire une sorte de porte pour empêcher le froid de la nuit de nous atteindre.

Si les elfes ne craignaient pas les températures trop basses, ce n'était pas le cas de la petite mage. Peut-être l'avait-il remarqué lors de sa visite dans son clan ou peut-être ne l'avait-il pas assez vue pour s'en apercevoir. Quoi qu'il en fut, après un mois et demi seule dans les bois, Ciryië avait appris comment se prémunir de cette sensation qui lui était si désagréable. Il fallait simplement savoir se montrer créatif...

Sans rien ajouter de plus, ils s’étaient mis en route. Bien vite Sërythil put constater qu’elle marchait vite pour une elfe tout récemment perdue au milieu de la forêt et il fit de son mieux pour la suivre. S’il gardait son air léger, son cœur était un peu plus lourd car il constatait encore à quel point il pouvait être un poids pour la moindre expédition entreprise. Ça le dérangeait bien plus que la douleur vague qu’il finirait pas ressentir à la fin de la journée. Pour ne pas non plus trop impacter la jeune elfe, il accepta donc tant bien que mal de se faire entrainer dans les ombres.

Lorsque vint le soir, les deux elfes ne firent pas mine d’imprudence et il ne fallut pas longtemps avant qu’ils trouvent un abri convenable à flanc de montagne. A peine Sërythil, après avoir soigneusement vérifié que l’endroit était inhabité, avait-il soupiré d’aise et entrepris de s’asseoir sur le sol que Ciriyë voulu partir chercher de quoi faire un feu et…

-Une porte ? Sërythil interrompis son geste, restant sur ses deux pieds, et fixa la petite elfe. Pourquoi une porte ? Il ne comprenait pas ce que le froid venait faire là étant donné qu’il en avait très rarement été gêné au cours de sa vie alors qu’il ne portait que peu de vêtements. Si tu crains qu’une créature ne nous surprenne, hésita-t-il ,je peux créer de quoi les en dissuader. Je te préviens cependant que mes pièges ne tueront pas sans nécessité...

Sërythil ne tuait pas quand il n'y était pas contraint, cela le rebutait tout particulièrement. Au fil du temps il avait trouvé divers stratagèmes pour éloigner les potentiels prédateurs voir les neutraliser sans les blesser et il était plutôt fier de lui à ce propos.

-Quand au bois pour le feu, je me propose de t'aider. Plus vite nous seront tout deux installés pour la nuit mieux cela vaudra.

Il sourit. Il ne précisa pas qu'il craignait un peu de la voir errer dans la forêt, si proche de la montagne traitresse, alors que la nuit tombait, même si Anaëh la guidait.

-Non !

La réaction de Ciryië avait été un peu plus forte que ce à quoi elle s'attendait. C'était bien la première fois que le fait de tuer des animaux la mettait dans cet état, même si, dans le cas présent, l'idée était évoquée comme quelque chose à éviter. La jeune femme réalisa aussitôt cette attitude qui n'était pas entièrement la sienne... et elle se reprit.

-Non, ce n'est pas ça. Je... Je suis habituée aux fortes chaleurs. Tant que je marche, ça va. Mais dès que je reste immobile trop longtemps... j'ai froid.

La petite elfe était quasiment tournée vers lui mais ne le regardait pas, préférant se fixer sur un point à presque un mètre à côté de lui. Elle n'osait pas le regarder parce que, sur ce point-là non plus, elle n'était pas normale. Elle était minuscule pour une enfant de Kÿria. Elle ne connaissait que peu les us et coutumes de son propre peuple. Elle ne savait pas gérer ses émotions... Et maintenant, elle avouait qu'elle craignait les températures trop basses. Où s'arrêteraient ses bizarreries qui faisaient d'elle une personne à part qui peinait à s'intégrer ? Cependant, cela expliquait à Sërythill la raison de ce feu et de cette porte.

-Ne t'en fais pas, je serais rapide.

Et, sans plus rien dire et sans l'attendre, elle pivota pour disparaître dans l'ombre d'un arbre qui était penchée sur elle. Le passage se ferma derrière elle. Quelques secondes s'écoulèrent et, bientôt, des branches et des brindilles surgirent par la même ombre, formant un petit tas là où elle se trouvait la minute d'avant. Après un petit moment, la voix de la jeune elfe raisonna dans le vide.

-Est-ce qu'il y en a assez ?

Il eut un mouvement de recul alors qu’elle poussa un cri. Ses oreilles s’agitèrent mais il ne dit rien et la laissa continuer seulement surpris par tant de véhémence. Pour ce qui était de son soucis thermique et bien… Lui avait une jambe de travers et était incapable de marcher normalement voir de courir. Chacun ses problèmes. Il serait bien la dernière personne à lui faire de remarquer quoi que ce soit.

Et alors qu’il tendait une approche réconfortante elle disparut soudain et il pencha la tête sur le côté, mains sur les hanches et l’air un peu perdu. Et puis il sentit la trame s’agiter à nouveau et s’il ne la vit pas, il sut qu’elle était là, d’autant qu’elle venait de ramener son butin. Sërythil s’en approcha et le ramassa.

-ça suffira. Je te remercie Ciryië.

Pas de commentaires. Quelque pas et il revint à l’abri, plia un genou et commença à trier les branches en fonction de leur utilisation. Il forma un cercle avec celle destinées à brûler et bien vite le feu apparu grâce à une technique mille fois répétée.

-Viens. Sourit-il aux ombres dans lequel il supposait que la jeune elfe se cachait. Le feu te tiendra chaud en attendant la porte.

Il ne comprenait pas mais ça n'était pas grave. Si elle en avait besoin ça ne coutait rien d'essayer de l'aider. Le noss avait décidé de ne pas poser de question sur ce détail intriguant. Il savait d'expérience qu'insister sur les différences de chacun n'était pas toujours agréable.

Dans les ombres, la notion de température n'existait pas. Il n'y faisait ni chaud, ni froid. C'était une sensation plutôt étrange... Cependant, dans les ombres, rien n'existait. Ni les odeurs, ni le toucher, ni le vent, ni la vie... On s'y sentait terriblement seul. Alors qu'elle observait ce qui s'étendait un peu plus loin sur leur trajet, tentant vainement de trouver leur destination, elle perçut la voix de Sërythill et pivota légèrement la tête. Il l'appelait... Pour qu'elle vienne se réchauffer. C'était... Gentil. Et elle peinait à s'habituer à la gentillesse.

Elle sortit de l'ombre et vint s'accroupir près du feu un peu comme elle l'avait fait plus tôt dans la journée : les genoux rassemblés entre ses bras et le menton posé sur le tout. Elle resta là, à regarder les flammes sans un mot. Elle avait l'étrange sensation qu'il y avait un malaise sans être certaine de savoir de quoi il en retournait. Peut-être était-ce dû ce qu'elle lui avait appris d'elle au sujet du froid qui commençait déjà à lui mordre les bras et les épaules tandis que les flammes encore jeunes ne suffisaient pas à la réchauffer pour l'instant. Oui, elle était étrange, mais il le savait déjà non ? Elle parlait presque comme une enfant lorsqu'elle vivait chez les Vëtheril et cela s'entendait encore un peu aujourd'hui. Elle était lunatique et se laissait rapidement emporter par n'importe quelle émotion. Son silence actuel en était d'ailleurs la preuve.

Alors que seul le petit foyer animait leur camp de fortune, un champ d'Anaëh s'éleva un peu plus fort que les autres et Ciryië tourna la tête. Il n'y avait rien d'inquiétant dans ce qu'elle entendait, aussi ne bougea-t-elle pas, se contentant d'écouter. Sans savoir vraiment pourquoi, elle songea à cet homme rencontré à Malereg qui l'avait considérée telle une Ornedhelle et cette situation le lui rappelait un peu. Elle se trouvait quelque part dans la forêt, s'abritant d'un rocher et baignant dans la Symphonie... Mais elle ignorait si c'était ça la vie d'un elfe sauvage.

-Qu'est-ce qui définit un Noss ?

Ciryië avait tourné son regard -presque noir avec la pénombre qui commençait à s'étendre- sur son compagnon de route. Sa question était tout à fait sérieuse et la réponse l'intéressait grandement. Seulement elle réalisait qu'elle sortait un peu de nulle part.

-Un Taledhel m'a prise pour une Noss l'autre jour. Mais je ne suis pas sûre de comprendre ce que ça veut dire à part... vivre en forêt et non entre des murs.

-Qu’est-ce qui définit un noss… ?

Sërythil pencha la tête sur le côté, son regard se perdant dans les flammes. C’est qu’elle posait une question bien complexe la jeune elfe… Longtemps il fixa les flammes sans rien dire. Si longtemps qu’on eut dit que les flammes avaient aspiré toute vie de son corps.

-Hé bien… Nos valeurs je crois. Ses yeux brillaient intensément, éclairés par le feu. On m’a souvent expliqué que nous n’avions pas vraiment le même de pensée que les elfes des pierres. Il fronça les sourcils cherchant des mots qui ne blesserait pas son interlocutrice. Pour nous, les thaledhels s’éloignent des voix de notre mère en se coupant d’Anaëh comme il le font. C’est…Ce n’est pas l’ordre naturel des choses.

 Sa main passa au-dessus d’une flamme, oscillant à son rythme. Il n’était pas du genre agressif avec les elfes de pierre, loin de là.  Il était curieux à leur propos. Malgré tout il restait convaincu que ces derniers n’étaient pas tout à fait dans le droit chemin. Lorsqu’il avait rencontré Calemirhel, elle avait même semblé révérer des dieux qu’il ne connaissait pas et cela l’avait profondément marqué.

-Nous, enfant de la mère somme nés pour protéger Anaëh. Mais nous ne devons pas nous en détacher. Nous sommes égaux aux autres créatures et notre souffle n’est qu’une manière de se montrer encore plus honoré de la tâche qui nous a été confié. Nous sommes harmonie là où les clans de pierre semblent se vouloir être discordance. Il releva les yeux vers la jeune mage, machinalement il se mit à jouer avec son amulette. Peut-être est-ce parce que tu cherches l’harmonie, en te laissant guider par Anaëh qu’ils t’on pris pour une elfe des clans des bois.

La réponse de Sërythil fut longue à venir mais, comme toutes les autres, elle en valait la peine. Elle aimait l'entendre parler. Elle aimait la douceur et le calme dont il faisait preuve. Elle aimait sa façon d'expliquer les choses, simples et limpides. Même elle parvenait à comprendre. Une fois de plus, ses paroles la plongèrent dans un état de réflexion intense. Tout ce qu'il venait de dire lui parlait et lui semblait tellement vrai...

-Quand j'étais dans la Quatrième Saison... J'ai ressenti cet éloignement. Et je l'ai trouvé insupportable. C'est pour ça que je suis retournée en forêt. J'ai même du mal à rester longtemps dans les ombres... C'est pire encore que les cités parce que tout y est muet.

Une légère brise vint faire onduler quelques mèches de cheveux qui encadraient le visage de la jeune fille et celle-ci passa ses bras entre ses jambes repliées et son ventre dans un frisson. Puis elle rebondit sur l'analyse de l'Ornedhel, y ajoutant son propre point de vue sur un ton parfaitement neutre et détaché de toute émotion.

-Parce qu'ils vivent en cité, à l'abri derrière des murailles et dans une sorte d'immense clan, leurs préoccupations sont forcément différentes... Ils forment une société plus complexes, avec d'autres rouages. Leur premier souci, ce n'est pas la forêt car ce n'est pas elle qui les entoure... C'est eux-mêmes... Je veux dire... leur ville et ceux qui la composent. Ils se soucient de la forêt mais ils sont attachés à leur cité plus qu'à celle des autres. Ils sont d'Alëandir, d'Ardamir ou de Daranovar avant d'être d'Anaëh.

Ciryië ne s'associait pas à eux. Puisqu'elle avait été arrachée à sa ville et à son pays si longtemps, elle ne s'identifiait pas à travers eux. Elle avait vécu dans plusieurs cités ces dernières années et aucune n'avait retenu son cœur plus qu'une autre. Et aujourd'hui, son cœur préférait être dans la nature plutôt qu'entre des murs... Peut-être qu'elle était plus Noss que citadine en fin de compte...

Un bref instant, les lèvres de la petite elfe s'étirèrent dans ce qui ressemblait à un triste sourire.

-Je ne sais pas vraiment ce que je cherche. Et je ne suis pas sûre qu'Anaëh me "guide". J'ai plutôt l'impression de errer en suivant des voix que je ne comprends pas.

Elle tourna finalement son visage vers celui du Noss.

-Tu as dit que tu n'étais plus sûr du chemin que tu devais suivre. Comment as-tu su quel chemin suivre puis que ça ne l'était plus ?

-Comprend-toi toi-même, ensuite tu comprendras l'Oeuvre.

 La dernière question de la jeune fille arracha une légère grimace au noss. A nouveau il marqua une pause avant de répondre.

-Il y a bien longtemps, il avait un elfe certain de sa place parmi les siens. Commença-t-il. Depuis son plus jeune âge il a toujours cru savoir qui il était et qui il serait. Cet elfe se destinait à devenir un brillant éclaireur, malgré son utilisation peu orthodoxe du don de Kÿria et Elenmar. Il le savait d’instinct et rien ne pouvait changer ce destin qu’il s’était tracé selon lui. Mais un jour…

Sa main passe devant le feu. Habille, elle crée une ombre imposante contre la paroi de pierre, il semble qu’une montagne s’y étend. Puis doucement la forme change au rythme des doigts de l’elfe, une créature effrayante en né, un morgal.

-Un jour, il rencontra ce qui causa sa perte.

Le morgal devient un elfe. Celui-ci s’agite. Il court sans avancer, il bascule, tombe et lorsqu’il semble atteindre les flammes, Sërythil retire ses mains. Le spectacle cesse brutalement. Le ton du conteur, lui, ne change pas. Il reste de la neutralité de celui qui ne fait que constater.

-De cet elfe, il ne reste que quelques souvenir. Son amulette, aussi. Même son corps n’est plus le même. Cet elfe a dû accepter de mourir, car plus jamais il n’emprunterait la voie qu’il avait fait sienne alors qu’elle ne lui était pas destinée. Un rictus tord les lèvres de l’elfe qui semble soudain plus vieux que ses traits ne le laissent penser. Jamais il ne sera éclaireur fier, arrogant même, de ses talents. A la place-il dû devenir un herboriste au corps brisé mais à l’esprit assagit. Kyrïa en avait décidé ainsi et il n'y avait pas d'autres voie.

Sërythill finit par se relever et boitilla vers l’entrée, s’attelant soudain à la bloquer  par un entrelacement complexe de branche. De dos, il semblait soudain se détourner de la jeune elfe, comme si malgré le ton égal, cette histoire lui pesait.

-En tout cas c’est ce que je cru longtemps. Jusqu’à ce qu’une elfe des clans de pierre ne trace un nouvel embranchement sur le chemin. Soupira-t-il. Mais faut-il bifurquer ou continuer droit devant ?

Un fois son travail terminé, il tourna à nouveau ses yeux jaunes vers la petite ancienne citadine. Son sourire paternel ornait toujours son visage. Il appréciait cette petite elfe mine de rien. Elle était bien différente de ce qu’il avait pu être à son âge approximatif et, en même temps, il la comprenait plus qu’il ne l’aurait parié lorsqu’il l’avait vue la première fois, ramenée par l’un de ses frères.

-Tu me semble aussi à un embranchement de ton existence Ciryë. J’ignore ce qui l’a provoqué, car les dieux soient loués tu parait en pleine possession de tes moyens, mais il est évident que la symphonie ne t’as pas guidé à l’extérieur des camps de pierre sans raison. Et surtout, il est évident que tu ne l’a pas écouté sans raison. Tu as un rôle à jouer parmi les racines. Peut-être la Mère t’autorise-t-elle à te soustraire à ton destin et de l’orienter à ta guise ?

Ciryië l'avait écouté sans dire un mot. Il fut un temps où elle n'aurait pas compris la moitié de ce qu'il expliquait mais les choses semblaient si différentes aujourd'hui. L'ancienne esclave savait écouter. Elle avait de l'empathie et était capable d'interpréter des paroles abordant un sujet bien plus subjectif que ce à quoi elle avait été habituée. Un incident avait changé la vie de Sërythil. Tout comme la sienne... Quelqu'un lui offrait la possibilité de revenir en arrière et c'était ce que les Lirfelu avaient fait pour elle.

-Si on te rendait ton corps, tu reprendrais ta vie où tu l'as laissée ?

La petite elfe transposa sa question sur sa propre histoire et elle se recroquevilla sur elle-même. Où pourrait-elle reprendre sa vie ? Elle n'avait pas vraiment eu le temps de commencer. Revenir en arrière n'était pas possible dans son cas. Elle avait certes l'apparence et l'inexpérience d'une enfant mais elle avait vu, subi et commis des actes plus atroces qu'aucun elfe avant elle... Elle n'était plus une enfant. Mais personne ne la croyait lorsqu'elle le disait parce que c'était la réaction d'un enfant que de corriger sur ce qu'il était ou non.

-J'ai l'impression que tu comprends mieux que les autres ce que je vis en ce moment... Parce que tu es déjà repartis de rien une fois. Et c'est le sentiment que j'ai... De nager dans le néant, à la recherche d'un indice sur la direction à prendre.

Il parlait de choisir son propre destin mais... Il lui semblait qu'elle n'en avait jamais eu. Au moment de son enlèvement, elle était bien trop jeune pour que quoi que ce soit ait pu se dessiner pour elle. Don'dar l'avait modelée comme il l'entendait pour en faire une chose qu'elle ne voulait pas et qu'elle avait chassé. Et maintenant ? Pourquoi marchait-elle ? Pourquoi continuait-elle d'avancer malgré la neige, le vent et le froid ? Pourquoi allait-elle là où Anaëh la conduisait au lieu de retourner auprès de sa mère ?

Et la réponse lui vint...

-La Symphonie, c'est la seule chose concrète que j'arrive à percevoir de là où je suis. Ma seule voie à suivre... Au sens propre comme au figuré. C'est la première chose que j'ai entendu en sortant des ténèbres...

C'était le repère auquel son esprit instable s'était raccroché. Après que le Labyrinthe l'ait libérée, elle avait ouvert les yeux sur cet immense lac auprès duquel il l'avait laissée. Là haut, il n'y avait eu rien ni personne... Rien hormis ces chants. Et son Souffle puis son cœur s'y étaient accroché. Rentrer avait pourtant été la première option et c'était dans cette idée qu'elle avait suivi la mélodie. Mais tout avait changé depuis et elle avait compris qu'elle devait rester là et continuer son chemin, même si elle en ignorait l'issue.

-On ne fait pas demi-tour sur le chemin que l’on emprunte. Des petites rides se creusèrent au coin de ses yeux alors qu’il semblait presque amusé par la question de Ciryië. Même si la taledhelle à l’origine de mes doutes me rend mes jambes comme elle l’a promis, elle ne pourra faire renaitre l’éclaireur que j’étais à cent-vingt ans. Cet elfe-là était bel et bien mort pour Sërythil. Cependant une telle décision peut changer ma vie une seconde fois et c’est pour cela que je ne sais encore quoi en penser car je le désire c'est un fait.

Le feu crépitait tout doucement dans le petit abri crée par les deux elfes, leur prodiguant une chaleur paisible. Au loin une créature hulula et le noss tourna la tête un instant, faisant tinter les quelques boucles à son oreille. Il finit ensuite par retourner s’asseoir près de son interlocutrice pour ne plus se relever de la soirée. Il n’était pas le genre d’elfe incapable de tenir en place plus de cinq minutes, loin de là.

Se séparant de son carquois et de son arc, le Vethërill garda en main un petit couteau d’os qui avait l’air d’un outil plus que d’une arme véritable et se mit à tailler un morceau de bois avec.

-Mais dit moi Ciryië, pourquoi semble-tu si rebutée à l’idée d’écouter la voix des arbres ? Il pencha un peu la tête sur le côté et ses sourcils se froncèrent. Tu dis nager dans le néant tandis qu’Anaëh te hurle de la rejoindre. Tu dit que la Prime Oeuvre est ta lumière parmi les ténèbres alors que craint-tu à la suivre?

Reprendre sa vie n'était plus chose possible une fois que l'on avait changé de voie... si on avait changé soi-même. Oui, elle comprenait cela. Il avait raison. Elle vivait exactement la même chose. Ciryië-enfant n'existait plus. Macabre non plus. Alors que restait-il ? Rien de moins qu'une page blanche où tout restait à écrire... Mais par où commencer ? C'était bien ça le problème. Et alors qu'elle était plongée dans ses pensées, laissant Sërythil venir reprendre place près du feu sans même lui prêter attention, le Noss lui posa une nouvelle question.

-Je n'ai pas peur. Jusque là, je ne comprenais pas pourquoi je la suivais mais c'est tout... J'ai remarqué que je ne risquais rien. Et quand je prends une autre direction, la plupart du temps elle me fait simplement savoir que ce n'est pas ce qu'elle voudrait. Et si je dois m'inquiéter de ce que je fais, je le ressens... comme si ce n'était pas moi qui avait peur... Alors je suis de nouveau les chants et je m'apaise.

C'était ainsi que cela se passait depuis le début. Elle marchait là où Anaëh le désirait. Elle avait le droit de changer de chemin mais la forêt l'avertissait lorsqu'elle commettait une réelle erreur et elle n'avait jamais cherché à la contrarier jusque là. Ainsi, lorsqu'elle commençait à se sentir en danger, elle tendait l'oreille et reprenait la voie qu'on lui indiquait.

-Mais je ne peux pas m'empêcher de me demander où je vais comme ça... Et maintenant, je me demande même si toute cette errance a un sens. Elle releva le regard vers Sërythil. Tu as l'air de penser qu'Anaëh a une volonté bien à elle mais je ne comprends pas ce qu'elle cherche. Je suis partie du clan des Lirfêlu, j'ai marché pendant plusieurs ennéades pour arriver dans la ville près de laquelle Eryndir m'a trouvée. Puis Anaëh m'a laissée partir avec lui... pour revenir près de mon point de départ finalement, c'est ça ? Ensuite je suis arrivée près de la mer au Nord et maintenant je suis... Elle jeta un œil sur l'endroit où ils se trouvaient, ignorant visiblement où elle était exactement. ... ici. Est-ce que tout ça semble avoir un sens pour toi ?

Sërythil sourit à la petite elfe. Non cela n’avait pas de sens pour lui mais ça n’avait rien d’étonnant. Ce n’était pas sa vie, il n’en entendait qu’une infime partie et même en en connaissant l’entièreté, tout ne trouvais pas toujours sens. Le noss appréciait parfois suivre les voix des arbres et se laisser guider, cela avait quelque chose d’apaisant mais pour une jeune il comprenait à quel point ce pouvait être angoissant.

Alors au lieu de lui répondre pour de bon, il observa le ciel à travers les quelques branches et parla à voix basse.

-Nous avons du chemin demain il est temps de dormir Ciriyë. Peut-être Maurquimellë t'apportera-t-elle plus de réponses que moi.

Lui comptait veiller un peu. Non pas qu’il craignait une quelconque bête mais les questions de la petite elfe ne l’avaient pas laissé si indifférent. Elle l’avait plongé sans le vouloir dans une introspection soudaine. Et puis il avait envie d’admirer un peu les étoiles avant de dormir. Elles étaient peu visibles entre les nuages et les branches mais en plissant un peu les yeux il apercevait quelques petits points rassurants.

Ciryië ouvrit les yeux. Elle s'éveilla, hébétée et perdue, comme chaque jour depuis qu'elle avait quitté cette grotte qui lui avait rendu son Souffle. C'était comme si elle n'avait plus ni nom ni souvenirs... Une page blanche qu'il restait à parcourir d'encre. Et puis, peu à peu, tout lui revenait... Et à l'égarement succédait la douleur et la tristesse. Car cette première impression était toujours là malgré tout : qui était-elle ?

Alors qu'elle s'était redressée, elle tourna la tête vers l'autre forme qui se tenait non loin d'elle. Elle observa Sërythil dormir pendant un instant. Elle se remémora leur conversation de la veille et une mélodie au loin attira son attention. Ainsi... Anaëh pourrait vouloir lui dire quelque chose ? Lui faire comprendre quelque chose à travers ce voyage sans queue ni tête ? Il lui semblait si difficile d'y croire... Et pourtant.

Sans un bruit, la petite elfe se leva. Pour ne pas avoir à ouvrir la petite porte de fortune, elle plongea dans les ombres pour en ressortir à l'air libre. Puis elle tendit l'oreille et se mit en route, suivant le chant de la forêt. Elle était tout prêt... Mais de quoi ? Pas de la destination qui était prévue la veille, la direction n'était pas tout à fait la même. Au lieu de monter, elle descendit pour retrouver un sol un peu plus meuble et, après quelques centaines de mètres, elle s'arrêta. Là, se trouvaient devant elle, un couple de deux grands cervidés. Tous deux disposaient de longs bois entremêlés au sommet du crâne. L'un était tout en finesse tandis que l'autre était un peu plus massif. Ils ne tardèrent pas à remarquer sa présence et à se tourner vers elle, l'observant sans un bruit et sans bouger. Ils étaient à la fois beaux et majestueux et ils donnaient l'impression d'être les rois de cette forêt. Derrière le plus gracile apparut une silhouette plus fine encore... Celle d'un faon qui se cachait derrière sa mère pour voir la nouvelle venue.

C'était un couple... Et la petite elfe se sentit soudain si bête de ne pas connaître le nom qu'on leur donnait dans sa langue. On aurait dit des cerfs mais pas comme ceux que l'on trouvait un peu partout en Miradelphia. Et puis, cela lui sembla finalement ne pas avoir d'importance. Eux-mêmes ignoraient ce nom après tout.

Cette phase d'observation dura un bon moment avant que, finalement, Ciryië ne fasse le premier mouvement qui brisa cette scène figée. Elle retira simplement sa main du tronc contre lequel elle était appuyée depuis tout ce temps et fit un pas dans leur direction. Elle s'arrêta là et attendit. Alors, le mâle approcha lui aussi, faisant deux pas. La femelle en fit trois. Et le petit sautilla avec insouciance dans sa direction pour imiter ses parents. S'ensuivit une nouvelle phase d'observation qui dura quelques minutes supplémentaires... Puis un morceau de bois craqua sous le poids de quelque chose. Le couple tourna subitement la tête vers l'origine du son avant de s'enfuir avec leur bébé dans la direction opposée.
Et la petite elfe resta là à les regarder partir sans bouger. Elle n'avait pas l'impression d'être en danger... Et elle ne l'était sans doute pas.

Que venait-il de se passer exactement ?...

Sërythil semblait aussi paisible endormis qu’éveillé et il n’entendit bien entendu pas la petite elfe s’en aller. Ce n’est qu’au bout de longues minutes qu’un étrange pressentiment le fit finalement ouvrir les yeux. Pendant une seconde il ne bougea pas. Il aurait pu jurer avoir eu la sensation que quelque chose lui chatouillait le visage comme une branche d’arbre ou un papillon venant s’y égarer mais il n’y avait rien que le vide quand il y passa sa main.

Se redressant finalement avec lenteur, le noss acheva de se réveiller plus brusquement en constatant qu’il était seul dans l’abri. Le feu était éteint depuis longtemps et la porte de fortune toujours en place, mais pas de jeune elfe là où elle s’était plus tôt endormi.

Inquiet, l’herboriste ramassa alors à la hâte son arc et sa besace avant de se lever comme il pouvait. Il avait peur de ce qui avait pu passer par la tête de la jeune fille et au fur et à mesure qu’il suivait ses traces il ruminait la conversation de la vieille en cherchant ce qu’il aurait dû dire pour l’empêcher de fuir. Elle était perdue, peut-être avait-elle pris peur ? Il ruminait aussi de ne pouvoir tenter de la rattraper plus vite que sa jambe ne pouvait le lui permettre. Il avait peur de ce qui pouvait arriver à la jeune fille si elle s’aventurait seule dans ces maudites montagnes.

Au moins la symphonie ne lui transmettait rien d’autre qu’un sentiment diffus d’apaisement, comme pour lui signifier qu’il n’avait pas à s’inquiéter. Pour une fois il ne parvenait pas à faire confiance à l’œuvre et ne pouvait empêcher de sombres pensées de s’immiscer dans son esprit.

Au bout d’un moment il finit tout de même par apercevoir une fine silhouette immobile qui ne pouvait être qu’elle. Elle ne fuyait pas elle était juste…là, à fixer la forêt. Le noss ne comprenait pas.Il n’avait pas pu voir les cervidés qui avaient fui avant qu’il arrive.

-Ciriyë ? Murmura-t-il, au aguets comme s’il approchait d’une créature qu’il craignait d’effaroucher. Ciriyë que ce passe-t-il ?