Ce qui gronde à l'Est

Pour la énième fois de la journée, Aegden fixa le parchemin à l’écriture encore plus hâtive que la sienne reçue il y avait bien une ennéade maintenant. Visiblement quelque chose n’allait pas en Eteniril et cela inquiétait assez le protectorat pour demander l’aide de la milice royale. Cela avait surpris Aegden. Les disparitions n’étaient pas si communes en anaëh, en tout cas-là d’où il venait et qu’on soit assez désespéré pour demander de l’aide était inquiétant.

-Restez prudent. Finit-il par lancer aux quelques hommes rassemblés devant les murs de la cité en relevant la tête. On ne sait pas à quoi on a affaire.

Ils étaient à peine arrivés la veille les lëandrins, mais la situation exigeait de ne pas trainer. Ces dernières années avaient vu leurs lots de menaces au sein du protectorat entre les guerres civiles et les invasions des immondes petits gobelins quelques années en arrière. Quelque fut la raison de la disparition de désormais 5 éclaireurs, il fallait la trouver vite et désamorcer toute potentielle tension à possible portée dramatique dans la région au si lourd passif.

Ils étaient trois groupes pour cette première battue. Chacun d’eux composé d’Etenirili comme de membre de l’armée royale. Après tous les premiers connaissaient leur protectorat et ses spécificités, ils étaient essentiels. Chaque groupe devrait se séparer et balayer une zone bien précise indiquée sur un morceau de carte que portait un membre de chaque groupe. Quelques soldats royaux portaient aussi des mirages d’argent à leur poignet qu’ils laisseraient s’envoler dès le lancement de l’expédition.

-Sauf cas de force majeur, on se retrouve ici au coucher du soleil. Pas d’objection ?

D’objection il n’y eut pas et après quelques hochements de tête signifiant que chaque groupe savait ce qu’il avait à faire, les soldats se scindèrent en trois.Dirigeant le groupe qui s’orientait le plus vers le sud, Aegden lança un regard vers un des officier Etenirili.

- Aucun d’entre eux n’avait de passif particulier avec la région ? J'ai déja posé la question à vos supérieurs mais  je sais bien qu'on ne sait pas toujours tout en haut de tout ça...

-Pas que je sache, non. Le soldat répondit avec le même ton amical malgré la situation un peu pesante. Ils n’avaient pas de missions particulièrement compliqué, juste les rondes de routine…
 
-Je crois que certains d’entre eux devaient partir en direction d’un terrier gobelin nettoyé il y a peu mais ce ne sont pas des bleus même s’il y avait encore des peau vertes là-bas ils n’auraient eu aucun mal à s’en défendre. Ajouta un troisième.

Aegden ne répondit rien mais nota l’information dans un coin de son esprit. C’était une piste. Mince et probablement déjà usée par la milice protectorale mais une piste tout de même… Tout en réfléchissant il déposa une caresse machinale dans l’encolure mouchetée de sa monture qui haussa ses oreilles. Le jeune mathandil et son cavalier s’apprivoisaient encore à peine et déjà devaient-ils peut être affronter des dangers ensemble. Voilà une façon étrange et pourtant efficace d’éprouver leur confiance mutuelle.

Fuyant les nuages belliqueux, grondant leur rage et tonnant leur colère dans les hauteurs des Monts Telion, Gwilithiel s’en était allée. Il l’avait mise en garde, au prix de sa chair, il lui avait susurré le mal rongeant l’écorce, pourrissant les racines et infectant la terre. Telles étaient les raisons l’ayant poussée à quitter ses cimes oubliées et ses pics vertigineux, accompagnée de quelques individus de la Harde. Si eux profiteraient de ce temps pour chasser, elle s’en irait explorer, apprendre et comprendre ce pour quoi Minuìthond l’avait appelée.

Ainsi l’aegedhelle louvoyait sous les frondaisons depuis quelques jours déjà, empruntant des sentes qui n’en étaient pas, allant tantôt vers l’est, tantôt vers l’ouest, et tout autant au sud qu’en direction du nord. La gwaeren maethor naviguait au cœur de cet océan de verdure, inondé d’une chaleur toute estivale. Le calme régnant sur les forêts du protectorat ne serait que de courte durée, Gwilithiel savait n’avoir que peu d’avance sur ces orages en provenance du Sud qui, d’ici seulement un jour, deux tout au plus, sauraient s’abattre avec véhémence sur la région. Bien que cela fût rare, le temps lui manquait pour cette fois. Lorsque les trombes d’eaux imbiberaient la terre, rendraient le terrain boueux et effaceraient toutes traces de passages… Sa quête sera devenue bien difficile, presque impossible.

La mi-journée à peine passée, l’aegedhelle s’arrêta auprès d’un arbre si haut et si imposant, que son ombre semblait couvrir et protéger l’entièreté de la petite clairière des rayons ardents de l’astre solaire. Gwilithiel s’était laissée aller contre les racines de l’arbre et profitait d’une agréable fraîcheur lui rappelant les brises des hauteurs.
Confortablement installée, elle dégustait paisiblement les baies que Cugiel lui avait offertes avant son départ. Elle qui gardait le chemin connaissait si bien les flancs du Telion que rien n’étaient hors de sa portée, sachant toujours où passer, où chercher, où trouver. Ce fut à ce moment là que la gwaeren maethor, le cherchant depuis le début de son expédition, trouva enfin l’inattendu qu’elle escomptait. Ou plutôt, qu’elle fut l’inattendue découverte de ceux qui pénétraient la clairière.

Ils étaient d’armures et de cuirs, d’épées et d’arcs. Gwilithiel se dressa instinctivement sur ses appuis, tenant entre ses mains gantées ses petites baies rouges, et fit un pas vers eux. Elle voyait dans leurs regards l’incertitude et la méfiance. Son armure de cuir souple semblable aux leurs arborait de fines dorures agréables à l’œil, et le tissu bleuté trahissait une adresse et une minutie qu’on ne trouvait qu’en les murs des grandes cités. Sa chevelure neige rappelait tout autant les canons citadins, contrairement à ses courbes moins androgynes, son galbe plus prononcé et sa taille plus sauvage, plus farouche, bien qu’elle se trouvait être trop petite pour être une ornedhel. Quant à son arc, dont le bois se parait de courbures agressives et ne semblait avoir souffert ni le rabot ni le couteau, portait des marques pulsant de mystères desquelles émanaient une légère lueur indigo.

- Quel facétieux coup du sort de nous retrouver si loin au Nord, lança Gwilithiel en se fendant d’un sourire à l’attention du Commandant, malgré tout je ne peux m’empêcher de penser que rien de lambda n’a pu guider vos pas en ces forêts si éloignées de votre foyer.

L’aeghedel fit un pas de plus vers ce qui semblait être une petite troupe bien organisée. Ses yeux se firent rieurs tandis qu’elle soupesait les baies tenues dans les paumes de ses mains jointes.

- Toujours nous l’utilisons pour lier, le suivant se contente d’exister, quant au dernier jamais il ne cesse de valser. La gwaeren maethor, dont l’air s’était soudain fait taquin laissa le silence planer un bref instant. L’évidence. Celle qui vous invite dûment à partager mon déjeuner, évidemment !

Lynn avait les fesses endolories à force de chevaucher. La route avait été longue, et on ne lui avait pas laissé le temps de se reposer qu’ils devaient déjà dès l’aube se remettre en route. Le réveil avait été difficile, et pas que pour elle. C’est d’humeur maussade que ses camarades se préparaient déjà alors qu’elle émergeait encore de son sommeil. Elle avait mal respiré toute la nuit, incapable de retirer son masque cette fois. Sa peau la démangeait, et elle n’avait pas du tout envie de remonter à cheval. Pourtant, comme les autres, elle s’était levée et avait enfilé son armure, ajusté son arc, rempli son carquois et arraché son poignard à sa cuisse. Tout cela, sans enthousiasme, et passer sa tête son l’eau l’avait à peine sortie de sa mauvaise humeur.

Et pourtant, Lynn était là, le regard terne et le cheveu pas bien peigné. Elle accompagnait Aegden, aux côtés de trois Ethenirils. Le mirage d’argent posé sur son poignet l’observait avec circonspection. Elle se demandait s’il savait qu’elle était d’humeur massacrante. Lui semblait ravi d’être là, comme s’il voulait profiter de cette matinée qui s’annonçait douce. Le soleil aveuglant venait percer le feuillage touffu de la forêt, apportant avec eux une petite dose de chaleur accueillante. Il n’était pas si tôt que ça, finalement, et cela ne fit que l’énerver un peu plus.

Le détail de la mission ne lui avait pas échappé pour autant. D’ordinaire, elle ne renâclerait pas à rechercher cinq elfes perdus dans la forêt. Mais une ennéade à chevaucher, sans ses rituels matinaux, et rien ne paraissait enviable, mis à part un bon bain chaud. Lynn soupira en entendant l’un des soldats parler de gobelins. Chasser des peaux vertes ne l’enchantait pas non plus. Comme pour l’encourager, l’oiseau poussa un petit cri. Elle le regarda quelques secondes avant de talonner son cheval pour prendre la tête du groupe, ajoutant qu’elle voulait chercher les traces possibles que les éclaireurs auraient laissé des jours auparavant. C’était peu probable, mais là où ils en étaient, il ne fallait rien négliger. Et puis, ça lui éviterait de devoir discuter avec les autres.

Au bout de quelques heures, elle avait fini par retourner à la hauteur du commandant, pour lui donner son avis à voix basse, sur un ton neutre.

« Pas la moindre trace de cheval ou de passage elfique. Mais nous sommes peut-être encore trop proches de la ville. »

Leur arrivée dans une petite clairière ponctua sa phrase, et elle ne put s’empêcher de laisser une petite exclamation de surprise. La beauté de l’endroit ne la laissait pas insensible. Ses yeux croisèrent ceux de la Noss alors qu’elle étudiait l’arbre des yeux. L’elfe aux cheveux blancs semblait sortie d’un rêve, avec son arc étincelant et sa voix angélique. Lynn grimaça sous son masque et dut tout de même se retenir pour ne pas empoigner tout de suite son arme. Sa dernière rencontre avec des Noss lui avait laissé un goût amer dans la bouche. Elle observa Aegden du coin de l’œil, qui ne semblait pas enchanté non plus. Toutefois, ses paroles l’apaisèrent un peu. Elle ne semblait pas mécontente de leur présence, et c’était déjà une bonne chose. Ils n’étaient donc pas sur le point de faire de nouveau du mal à un clan inconnu sans le vouloir.

Elle gratta le cou du petit animal qui venait de se reposer sur son poignet. Il avait sûrement dû trouver un ver ou quelques petits insectes, parce qu’il semblait piquer du nez. Et puis, Lynn entendit le mot « déjeuner », et son ventre émit un petit bruit gênant. Elle détourna les yeux et sentit le rouge monter à ses joues. Fort heureusement, son masque la couvrait jusque-là, et la seule humiliation qu’elle aurait à subir serait celle d’avoir faim ! Et les baies de la Noss avaient l’air si appétissantes.

-Ce n’est que le début, Lynn. On finira par trouver quelque chose.

Aegden avait répondu à sa camarade sur un ton calme et sans hésitation. Il commençait à assez bien la connaitre pour la sentir tendue. Etait-ce la mission ou autre chose ? Aegden ne pensait pas s’être trompé en considérant Lynn capable de participer à cette mission, pas plus que pour aucun des autres miliciens. Peut-être sa mauvaise humeur s’apaiserait-elle d’elle-même plus tard… Il l'espérait.

Quoi que, les dieux ne semblèrent pas de cet avis puisqu’ils tombèrent nez à nez face à une étrange ornedhelle. En était-elle une en fin de compte ? Aegden n’avait jamais eu la réponse… S’il n’avait pu s’empêcher de se crisper, il avait forcé son corps à se détendre et à garder une attitude amicale envers cette étrange elfe. Elle n’était pas une menace, peut-être même serait-elle une aide dans ces temps troubles.

Jetant un œil à ses camarades, Aegden pris une seconde pour réfléchir avant d’hocher la tête. Ils avaient besoin de s’arrêter quelques minutes, de boire , de manger, de se dégourdir les jambes endolories par les longues heures à cheval. Refuser l’offre de la noss n’aurait de toute façon pas été très respectueux.

Alors il descendit de sa monture. Ôtant son casque qu’il garda alors sous son un bras il lança un fin sourire peut être un peu contrit à l’étrange Anedhelle tout en la détaillant par curiosité. Elle semblait appartenir à deux monde différent, mais pas comme un sang mêlé. C’était assez étrange. Quand à son langage sibyllin...lui non plus n'avait pas tellement changé.

-Nous n’aurons sans doute pas beaucoup de temps j’en ai bien peur. Mais ça serait de l’égo bien mal placé de notre part de refuser. Une pause nous fera du bien à tous. Il marqua un bref silence. Merci Gwilithiel.

Il se rappelait de son nom. Il lui avait fallu quelques secondes pour se le remémorer mais il était encore ancré dans sa mémoire. Cela faisait longtemps, des mois, peut-être même une année depuis leur étrange interactions au sein de la Cité blanche, mais le caractère improbable des quelques discussions échangées n’étaient que difficilement oubliable.

-En revanche j’en convient, c’est une sacrée coïncidence de se recroiser là… Ce n'est effectivement pas une mince affaire qui nous amène.

Forts de leur expérience et aspirant à une sincère fraternité, les réflexes des soldats d’Eteniril avaient été immédiats et sans réticence. Eux aussi avaient mis pied à terre. L’un d’eux fouillait dans une des fontes de la selle de sa monture.

-On a quelques rations de viande séchées à disposition Héri, si ça vous tente.

Aisance et méfiance s’entrainaient dans un ballet incertain et bien peu commun. Les etenirilis avaient, au regard des événements ayant secoués le protectorat plusieurs années auparavant, appris à vivre, si ce n’est en symbiose, aux côtés des noss. Tant et si bien que les relations entre taledhels et ornedhels s’en retrouvaient décomplexées, et que leur attitude dessinait les contours de celle des lëandrins, qui quant à elle se faisant presque ombre au tableau.
Car de ceux de la grande Cité Blanche, quand l’une ne semblait pas réellement encline au partage, l’autre se parait de faux semblants. Ce qui n’entamait en rien la candeur dont faisait montre l’aegedhelle qui, dans un geste de la main, invita les soldats à venir s’installer au pied de l’arbre en sa compagnie. De là, elle partageait en petit tas d’égal nombre ses baies rougeoyantes, tandis qu’elle réceptionnait volontiers les quelques morceaux de viandes séchées qu’on lui offrait de bon cœur.

- N’ayez crainte ni ne poussez la complainte, tenta Gwilithiel avec un sourire se voulant rassurant, ici vous n’aurez que des amis, l’époque des conflits n’est plus, elle est révolue. De leur histoire est née l’espoir, et beaucoup ont à cœur cet intérêt supérieur.

La gwaeren maethor retira le gantelet de cuir de sa main gauche, gardant cependant le droit. Dévoilant des doigts fins et délicats, mus par la faim, voire une gourmandise à peine dissimulée, Gwilithiel s’empiffrait telle une enfant face à un pot de confiture.

- Je doute qu’il ne s’agisse que d’une simple coïncidence, fit-elle en jetant un regard étonnamment sérieux au commandant, bien qu’elle en ait l’apparence, elle ne peut en avoir la substance. Je souhaite ardemment vous accompagner, si vous daignez l’accepter. Percez-le voile de mystères. Votre quête, révélez-moi son caractère.

L’elfe s’était légèrement redressée, sa candeur et ses yeux rieurs évanouis au profit d’un regard fixe et sans âge, presque spectral. Le silence qui s’installa n’en fut que plus solennel, comme si la forêt elle-même n’osait plus intervenir.

- Faisons-nous compères et vos questions quant à mon intervention je ferai taire. Sachez cependant, que si mes paroles vous sembleront boniments, c’est autant que vous que je les comprends.

Le sourire s’étirant sur son visage avait tout de sincère, et tout en elle exprimait d’ores et déjà une compassion certaine, car elle doutait. Elle doutait de leur capacité à accepter de tout savoir sans parvenir à comprendre, de connaître sans concevoir. Car telle était sa parole.

Quel soulagement ! Personne ne semblait avoir rien remarqué. Lynn imita tout le monde et descendit de sa selle en écoutant attentivement la réponse du commandant. Sa façon de parler ne semblait pas différente de l’ordinaire, et le fait qu’il connaisse le nom de l’intruse – ou étaient-ils eux-mêmes intrus ? – confirma ce qu’elle pensait : ils s’étaient déjà rencontrés. Les circonstances de l’origine de leur relation resteraient sans doute dans l’ombre pendant un moment. Connaissant Aegden, il ne s’ouvrait pas si facilement, et ne dévoilait son passé que lorsqu’on lui demandait directement. Lynn aurait tout le temps de lui demander qui était cette Gwilithiel plus tard, cette information n’était pas importante aujourd’hui.

Elle sortit de ses affaires un sac de pommes qu’elle fit passer à l’un des soldats d’Eteniril, après avoir choisi la sienne. Elle les avait cueillies la veille, profitant d’une pause lors de leur voyage depuis Alëandir. Elle en avait déjà dévoré une, et le fruit s’était avéré délicieux. Elle accepta avec un hochement de tête les baies et la viande séchée, remerciant du bout des lèvres les partages. L’archère leva les yeux au ciel discrètement en entendant la Noss parler en énigmes. Dans ses souvenirs, son clan du passé s’exprimait normalement, pourtant ! Pourquoi donc ceux qu’elle rencontrait aujourd’hui s’obstinaient à paraître mystérieux ?

Mais elle ne fit pas de remarque et mâcha un bout de viande en maugréant sous son masque. Au moins, Gwilithiel proposait de répondre à leurs questions. Cette fois, ils ne feraient pas la même erreur ! Elle réfléchit quelques secondes avant de s’exprimer d’une voix douce.

« Nous enquêtons sur la disparition de certains de nos frères et sœurs d’Eteniril. Nous ne nous faisons pas d’illusions, nous savons que nous avons peu de chances de les retrouver... Mais nous espérons trouver l’origine du problème, et, si possible, le résoudre pacifiquement. »

Répondre à la place du commandant semblait être un peu malvenu, mais elle commençait à le connaître. Un peu d’aide n’était jamais de refus lorsqu’il s’agissait de communiquer. Elle se tourna tout de même vers Aegden et lui demanda sans attendre :

« C’est bien ça ? »

-C’est ça. Confirma le mainyth.

Appuyé dos contre le flanc de son désormais compagnon d’aventure, Aegden n’avait pas fait mine d’interrompre sa camarade lorsqu’elle avait exprimé les raisons de leur présence. Sa voix comptait autant que la sienne et il avait partagé à tous les mêmes informations qu’il avait eues. Peu importait donc qui répondait. A la place il grignotait du bout des lèvres le morceau de viande séché qu’on lui avait partagé. Il n’avait jamais raffolé du gout de la viande séchée.

-Puisse la mère nous permettre de les retrouver. Marmonna-t-il avant de rehausser la voix. Personne ne sait ce qu’il s’est passé, nous n’avons ni informations, ni traces. Pas de menaces particulières dans les esprits.

Si admettre que les chances de les retrouver étaient maigres ne rendaient pas Aegden très heureux, les trois Etenirilis quant à eux baissaient les yeux en silence. Même pour des soldats endurcis, il n’était pas facile de savoir les siens perdus quelque part.

-Si jamais ton chemin t’a montré un quelconque indices, Gwilithiel, tu nous serais d’une grande aide.

Grand oui ils acceptaient son aide puisqu'elle le proposait. Aucun elfe ne serait de trop. Et à nouveau refuser aurait été faire mine d'un orgueil bien mal placé.

Tandis qu’il parlait, un coup contre son épaule lui fit tourner la tête. Les elfes n’étaient pas les seuls à réclamer quelques grignotages... N’ayant pas le cœur de résister à ses yeux doux, Aegden tendit la pomme qu’on venait tout juste de lui donner au Mathandil qui s’en satisfit…au moins pour le moment. Il semblait que l’animal était gourmand et le fruit disparut bien vite.

Le soldat s’en amusa un bref instant avant de se focaliser à nouveau sur les paroles de la noss.

-Qu’est-ce qui t’as amené par ici ? Est-ce que des cas similaires se sont produit dans..hm… Devait-il dire noss ? Cité ? Il n’en était toujours pas vraiment certain même s'il penchait fortement pour une ornedhelle. Chez toi ? Finit-il alors par se rattraper.

Tandis que l’elfe masquée parlait, les oreilles de Gwilithiel s’affaissaient dans une lenteur presque surnaturelle. Un bref instant, l’œil habitué à saisir le détail remarquait son regard batailler entre frayeur et tristesse. Nul vainqueur cependant, car un sourire rassurant vint chasser toutes ces vilaines velléités. Hélas, le commandant abondait en le sens de sa comparse. Et l’invoquer, Elle, n’y changerait rien.

Gwilithiel se mura dans un silence se faisant rapidement gênant, son regard dirigé vers le manthandil semblait pourtant ne pas s’y accrocher. L’aegedhelle, tentant alors de répondre vainement aux interrogations du soldat, fut enfin tirée de son mutisme lorsqu’une légère brise vint caresser les cheveux des anëdhels. Paisible, la gwaeren maethor jeta une des baies dans sa bouche.

- Aucun parmi les miens ne fut porté disparu ni même perdu. Quant à mon chemin, aucune découverte, rien. Pourtant, je peux vous le jurer, ces derniers jours j’ai cherché et marché sous les frondaisons dans l'attente d’une funèbre oraison. En vain.

Désolée. Désolée de son incapacité à leur donner ce qu’ils attendaient d’elle. Les traces d’un passage, des objets abandonnés, du sang d’anëdhel, voilà ce qu’ils comprenaient, des pistes « tangibles » comme ils les appellent. Or elle n’avait que sa parole à leur offrir.

- Laissez-moi vous faire part de mes savoirs. Comme promis. Son index se dressa à la vue de tous, afin d'intimer le silence et quérir l’attention. Entendez-la comme une prophétie.

Gwilithiel se redressa tout en engloutissant la dernière de ses baies, reculant de quelques pas pour aller s'enraciner face à son auditoire. Contrairement à son habitude, point de malice enfouie au creux de ses yeux, point de sourire tapi aux commissures de ses lèvres. La voilà qui livrait le sérieux de sa nature aux autorités des cités, assassinant la candeur et chassant la gaieté.

« Depuis toujours par cinq ils vont,
Malgré eux de l’œil ils se cachent.
À l’aube murît la menace,
Tapie dans les cœurs céladons.

Avant la veillée révolue,
Et par les yeux perçant les voiles,
Sillonnez le cœur de l’étoile.
Sinon l’espoir sera perdu. »

Gwilithiel se savait pertinemment mettre en cet instant les enfants de la pierre à l’épreuve face aux questions sans réponses. Sa parole pouvait se faire l’avenir, à moins qu’il n’ait pressenti une faiblesse de la marche du monde ? Ou simplement ressentit un clivage qu’on ne peut briser que par la force des mots ?

- Voilà, désormais vous savez ce qui, jusqu’ici, a guidé mes pas. Il nous faudra user de sagacité, assurément ne pas nous précipiter et nous limiter à notre entendement. Elle marqua une courte pause, retrouvant son sourire délicat et amical. Car parfois les réponses nécessitent de prouver sa foi, tâchez de ne pas oublier que la prescience fourvoie quand la patience montre la voie.

Le silence qui suivit les propos d’Aegden fut un peu dérangeant. Lynn observa Gwilithiel qui semblait chercher le meilleur moyen de leur annoncer une mauvaise nouvelle. Avait-elle trouvé les corps de ces éclaireurs ? Ou peut-être avait-elle-même une idée de qui les aurait tués ? Pendant ces secondes de mutisme, les questionnements de l’elfe venaient alimenter ses craintes. Et puis, la nouvelle venue finit par parler.

Les révélations de la Noss ne cessèrent de surprendre l’archère qui écoutait avec attention, tout comme chacun dans l’assemblée. D’abord, seuls les éclaireurs semblaient avoir disparu. Mais peut-être que « les siens » n’englobait que son propre clan, et qu’elle ignorait l’état des autres Ornedhels. En tout cas, elle n’avait pas découvert d’indice sur les disparus. Lynn ne sut si cela la soulageait, ou s’il fallait y voir l’ombre d’une nouvelle déception. Allaient-ils de nouveau rentrer bredouille ?

L’elfe semblait visiblement confuse, inquiète, et triste à la fois. Lorsqu’elle énonça sa prophétie, Lynn faillit craquer et exiger qu’elle s’exprime plus clairement. Elle en avait marre des énigmes, des incompréhensions et du mystère. Toutefois, elle se rappela ses paroles précédentes. « C’est autant que vous que je comprends. » Gwilithiel semblait donc tout aussi perdue qu’eux, et peut-être cette prophétie était la meilleure manière de rassembler les maigres informations qu’elle avait. Une chose titillait cependant la curiosité de l’elfe masquée.

« Ces mots... J’imagine que vous les avez entendus, et que vous nous les répétez aujourd’hui. Ce présage ne me dit rien qui vaille. »

Elle souffla et se gratta la nuque. Derrière-elle, deux soldats murmuraient, cherchant dans leurs souvenirs ce qui pouvait se rapprocher de ces vers mystérieux.

« « Sillonnez le cœur de l’étoile... » Seriez-vous en train de nous dire qu’il faudrait chercher à l’Est, là où le Flambeau d'Aluthen brille ? »

Les énigmes n’avaient jamais été son point fort. Lynn soupira de nouveau. Il ne lui semblait pas que la Symphonie soit discordante en ce moment, aucune aide ne viendrait de là pour l’instant. Non, la seule chose qu’elle comprenait vraiment, c’est que la menace grandissait chaque jour, et que le temps leur était donc compté.

« On dirait que vous avez trouvé ce que vous cherchez, Gwilithiel. Une première piste : la disparition de ces éclaireurs. Reste à voir où elle pourrait nous mener. Je pense que votre aide sera la bienvenue. Si notre foi est mise à l’épreuve, être accompagnés d’une Ornedhel serait un atout considérable. »

Lynn ne doutait pas de la sienne, certes, mais elle savait que les Taledhels avaient une vision tronquée de la religion Ilethienne. Les apprentissages de son enfance restaient ancrés en elle, telle une marque au fer rouge. Toutefois, si elle pouvait garder son passé secret, cela l’arrangeait grandement. Elle s’arrêta de parler et attendit la réaction de quelqu’un d’autre en finissant silencieusement son déjeuner.

D’un côté la prophétie énoncée par l’étrange anedhelle surprit le commandant qui s’attendait à tout sauf à ça. De l’autre…Les énigmes semblaient définitivement faire part du langage des orndehels, et de toute manière l’archère avait expliqué qu’elle ne comprenait pas plus qu’eux ses paroles alors à quoi bon le reprocher encore ? Son esprit, loin des griefs se focalisait plus sur le sens derrière ces mots. A quoi rimaient ces prophéties et ces coïncidences qui n’en étaient pas ?

Troublé, il réfléchissait en fixant un point invisible devant lui, sa main venant machinalement parcourir les sillons qui barraient sa joue droite. Tout cela était trop obscur pour lui. Il n’avait jamais apprécié les devinettes, préférant bien souvent aller droit au but. Il resta silencieux un moment, laissant les uns et les autres intervenir.

-Je suis d’accord avec Lynn…Finit-il par ajouter en retrouvant un regard clair qui se posa sur la dernière arrivée du groupe. S’il y a une étoile qu’on peut tous suivre c’est bien Aluthen, et donc l’Est. Je n'ai effectivement pas envie qu'on se précipite à la moindre étincelle, mais on n’a pas grand-chose à perdre à aller dans cette direction.

-Et peut être qu’en chemin le reste nous paraitra plus clair.

-Qu’en pense-tu toi, puisque tu as été la première à l'entendre cette ‘’prophétie’’ ? demanda l'un des soldat à l'étrange noss.

Les doutes et les certitudes, les intuitions et les raisonnements, les avis partagés et contraires commençaient d’ores et déjà à se développer et à mûrir. Il ne s’en était fallu que de quelques secondes pour qu’ils jettent leur dévolu sur des phrases qu’ils pensaient avoir comprises… Pour en déduire une très précise marche à suivre.

- Les prophéties ne sont pas de simples théories, ni des énigmes à absolument solutionner au risque de tordre la réalité. Peut-être ces « cinq » sont bien les soldats, peut-être pas. Et elle se laissa aller à un haussement d’épaules tandis qu’elle enfilait son gantelet de cuir. Quant à l’étoile, Aluthen… Probable. Continua Gwilithiel dans un hochement de tête en direction de l’elfe masquée. Cependant, des réponses, il peut y en avoir des centaines. Avoua-t-elle au soldat etenirili tout en se fendant d’un tendre sourire. Une prophétie ne devrait pas être réfléchie, pour le meilleur comme pour le pire, elle se vit. On ne la comprend qu’au fil du temps. Vous saurez lorsque le moment sera arrivé.

L’aegedhelle se rapprocha du groupe pour venir s’appuyer contre l’arbre qu’elle avait délaissé quelques instants auparavant. Son regard finit par rencontrer celui de Lynn, plongeant dans ces yeux, elle s’amusait de ses déductions, de ce besoin de considérer l’appartenance qui conditionnait depuis tous temps les relations.

- Bien que souvent se pose la question, je n’appartiens à aucun des clans évoluant sous la frondaison. Aussi, soyez en assurée, je suis bien désolée ne pas être l’atout que vous attendez. Vous pouvez en revanche m’accorder votre confiance pour ce qui est de vous aider et vous porter assistance. La gwaeren maethor se décolla à nouveau de l’arbre pour se diriger vers Aegden et le mathandil. Quoique nous fassions, il nous faudra prendre d’extrêmes précautions, surtout au vu des relations noss et citadines en cette région. Alors où, selon vous, et elle tourna sur elle-même en écartant les bras pour inviter le groupe à la réflexion, pourrions-nous obtenir de plus amples informations quant à ces disparitions ?

Les mots de l’elfe aux cheveux blancs faisaient mouche. Les cinq étaient peut-être les éclaireurs, mais « depuis toujours » ? Cela ne collait pas. Toutefois, elle avait raison : étudier le sens d’une prophétie était souvent futile, et on ne la reconnaissait en général que lorsqu’on y était directement confrontée. Lynn fit donc en sorte de se relâcher un peu, et de ne pas trop réfléchir, cela n’avancerait à rien. Elle se contenta de s’étirer les cuisses et les jambes en écoutant l’Ornedhel attentivement, sans la lâcher du regard.

Enfin, Ornedhel, elle ne l’était apparemment pas. Si Gwilithiel n’appartenait à aucun clan Noss des forêts, d’où venait-elle ? Elle n’était certainement pas d’ici, et venait sans doute de loin. Le territoire d’Eteniril s’étendait sur une grande surface, recouverte de forêts, comme une grande partie d’Anaëh. Lynn avait entendu des rumeurs concernant certains clans qui s’étaient installés loin des forêts. On parlait de clans des plages et de la mer, d’autres des monts et des cimes, d’autres encore qui se seraient enfoncés sous terre, ou exilés dans le désert. Déceler le vrai du faux dans tout cela était impossible, et peut-être tout cela n’était que pure invention.

« Eh bien, si vous n’êtes pas d’ici, devrions-nous nous rapprocher d’un des clans Noss ? Peut-être ont-ils quelques indices en plus. »

Quelques secondes de flottements, et le dernier des trois soldats Eteniri commença à parler.

« J’ai… J’ai un contact chez le clan Linwë. Elle pourra nous introduire auprès de ses pairs. Je sais où les trouver. »

Son regard semblait perdu, fixant un point invisible. Ses oreilles se dressèrent et un sourire discret apparu sur la commissure de ses lèvres. À côté de lui, un de ses camarades affichaient un sourire à moitié moqueur.

« Nous pourrions y être avant ce soir, si on se dépêche. Mais les autres groupes vont nous attendre à Eteniril, il faudrait leur envoyer un message pour nous retrouver plutôt là-bas. »

Lynn observa un instant le soldat. La nature de son contact semblait crever aux yeux.

« N’oublions pas également la possibilité qu’évoquait Aegden ce matin. Les gobelins ne sont peut-être pas innocents. Mais si c’est le cas, les Linwë seront-ils au courant ?
- Ça ne fait aucun doute. »

L’archère se tourna vers Aegden et Gwilithiel.

« À défaut de piste, on peut toujours commencer à chercher de ce côté ? »

Aegden haussa un sourcil lorsque Gwilithiel expliqua n’appartenir à aucun clan sous les arbres. Plus le temps passait, moins il comprenait l’anedhelle. Enfin…Elle les aidait c’était le plus important.
La discussion se dirigea ensuite vers la possibilité de s’adresser à un clan ornedhel de la région. L’idée n’était pas mauvaise mais il leur faudrait faire preuve de tact s’ils ne voulaient pas faire passer leurs questions sans arrière-pensée pour des accusations.

Resté silencieux, Aegden fut loin de partager le sourire un peu moqueur d’un des soldats lorsque le plus silencieux des Etenirili s’exprima. Au contraire Aegden ne reconnaissait que trop bien l’air de celui qui en aimait une trop loin sans vraiment oser l’avouer… Il ne serait pas l’elfe qui s’en moquerait bien au contraire. Ce genre d'amour à distance était aussi beau qu'il était cruel.

-Pas la peine de redéployer les autres avec nous. On risque de paraitre bien trop menaçants en grand nombre et rien ne dit que les Linwë auront des réponses. Intervint-il finalement. Lynn, utilise ton mirage pour envoyer un message à la cité indiquant notre nouvel objectif. Ils le transmettront aux autres quand ils rentreront. De là je ne doute pas qu'ils saurons se débrouiller en fonction.

En ayant définitivement assez de se tenir assit à rien, faire le mainyth se releva à son tour, époussetant vite fait le tissu blanc du bas de son armure puis croisant les bras. Il se tourna ensuite vers le soldat amoureux.

-Túrphen, si tu nous guide jusqu’à eux, il te faudra terminer le chemin seul. Le temps d’expliquer la situation à ta contact, voir à son clan si tu peux et de les laisser décider de ce qu’ils veulent faire et comment. Je ne veux pas que les Taledhels aient l’air de forcer la main aux clans. Est-ce que tu penses pouvoir le faire seul sans danger ?

L’intéressé hocha simplement la tête, retrouvant son mutisme originel.

-D'autres suggestions ?

Pas de suggestion ni d’impulsion supplémentaire ne vinrent influencer ces conseils qu’aurait eu un diplomate hors pair. Le déjeuner englouti, les elfes ragaillardis enfourchèrent leurs montures, partant tous à l’aventure. Gwilithiel avait pris place sur la croupe du mathandil chevauché par le commandant des armées royales. Profitant de la lente allure à laquelle progressait le groupe, compte tenu de la végétation foisonnante et du terrain difficile, l’aegedhelle s’était installée confortablement, aussi ses jambes pendaient toutes deux d’un même côté. Tout du long, elle avait chantonné, compté des histoires à dormir debout, quand d’autres semblaient bien plus plausibles, bien que les unes comme les autres furent empreintes de tout autant de mystères.

Guidés par l’amoureux transi jusqu’à une petite esplanade de rase verdure, où les arbres daignaient laisser aux visiteurs le loisir d’observer le panorama étoilé. Le soldat ayant soulevé l’idée de rencontrer les Linwë pria ses camarades de bien vouloir l’attendre là. S’il souhaitait préserver ses relations avec la noss et protéger le lien qui l’unissait à sa compagne, il avait tout intérêt à ne pas imposer au clan une ribambelle d’inconnus aux parures citadines. Ainsi, en l’espace d’une petite heure, il finit par réapparaitre sous la lueur des rayons de la Lune, et bien accompagné !
Trois des Linwë l’avaient suivi, une femme, dont l’on devinait aisément l’identité par la flagrante complicité entre elle et le soldat, ainsi que deux hommes. Tous trois arboraient des tenues de peaux et de fourrures, ainsi que d’étranges grigris atypiques affichant leur appartenance au clan.

L’aegedhelle, depuis lors allongée dans l’herbe, était restée calme et silencieuse, certainement au grand bonheur de ses comparses, les yeux plongés dans cet océan d’une infinie noirceur parsemée de milliers de lueurs. Cependant, l’arrivée des nouveaux venus fut l’étincelle ravivant la flamme de sa curiosité. S’asseyant d’un coup d'un seul, les yeux pétillants, elle se dressa dans la foulée sur ses deux jambes et s’en alla les saluer.

- Je suis Gwilithiel, ni des cités ni des clans séculiers je n’ai pour toit que le ciel. Fit l’aegedhelle en portant une main à son cœur. Je suis enchantée, et tout autant excitée je me dois de l’avouer, d’enfin rencontrer les Linwë.

La gwaeren maethor, emplie d’une surprenante candeur, pivota pour désigner ses camarades de la main, leur laissant libre champ afin de se présenter, eux et leurs motivations. Quant aux noss, déjà quelque peu surpris d’avoir été conviés ici à la nuit tombée, ils échangèrent des regards empreints de perplexité quant à l'attitude de cette elfe pour le moins étrange, même pour eux.

Lynn avait grimacé en remontant sur son cheval mais n’avait rien dit. Elle avait envoyé le mirage comme prévu, avec un message rédigé hâtivement, et avait suivi le groupe à travers la forêt dense. Les chansons, histoires et autres contes que leur offrait Gwilithiel étaient une bonne distraction, et elle s’était laissée à l’imagination. Cette mission s’était transformée en promenade l’espace d’un instant, et elle en oubliait presque la raison de leur venue ici. Enfin, jusqu’à ce qu’ils s’arrêtent et attendent le clan Noss. Elle avait choisi un tronc d’arbre et s’était assise contre son écorce dure. Prenant son mal en patience, elle s’était attelée à aiguiser son poignard et vérifier la solidité des cordes pour son arc. Túrphen arriva bien assez vite, finalement. Il était accompagné de trois Linwë.

À la lueur des torches, leur visage surpris ne paraissait ni inquiet, ni apeuré. Ils semblaient se demander la raison de leur présence ici. Le soldat eteniri ne leur avait peut-être pas dévoilé ce qui les avaient amenés à eux, ou peut-être cachaient-ils tout simplement leur jeu. En tout cas, tout portait à croire que les Noss étaient aussi désemparés que le groupe hétéroclite. Lynn écouta avec un sourire la présentation de Gwilithiel. Elle avait fini par s’habituer à ses manières pour le moins étranges. Lynn, qui avait laissé tomber ce qu’elle faisait et s’était relevée, lança un regard à Aegden. Peu encline à engager la conversation, il lui parut plus adéquat que le commandant présente la situation à ces 3 nouveaux venus. Mais ils ne lui en laissèrent pas le temps.

La deuxième elfe du trio s’avança. Elle semblait plus tatouée que les autres, peut-être signe d’un échelon supérieur au sein du clan ? Son regard brillait d’une intelligence profonde, et ses mouvements gracieux inspiraient un mélange de crainte et de respect.

« Bienvenue dans notre coin de forêt, » dit-elle d’une voix angélique. « Je me nomme Miyl’Itrì des Linwë, je suis également ravie de vous rencontrer tous. Nous sommes heureux de vous voir, même en cette heure tardive… Túrphen a préféré taire les raisons précises de votre présence ici, mais il a su insister sur l’urgence de la situation, et nous lui faisons confiance. Alors dites-nous, comment pouvons-nous vous être utiles ? »

Pour une fois qu’une elfe sauvage parlait sans passer par des formulations à dormir debout ! Lynn resta en retrait en silence, rassurée à l’idée que la discussion partait d’un très bon pied.


[Couleur de Miyl’Itrì : #ccffff]

S’il avait écouté d’une oreille , quoi que distraite, les chants et les contes de l’étrange anedhelle dans son dos, Aegden était resté silencieux le long du trajet. Préoccupé, il ressassait les maigres évolutions de toute cette étrange histoire laissant le mathandil suivre le petit groupe de son plein grès. De toute façon, préoccupé ou pas Aegden n’avait jamais été très bavard et les soldats l’ayant déjà côtoyé en avaient l’habitude.

Cependant, silencieux et préoccupé qu'il était, Aegden était tout de même loin d’être inamical envers ses camarades et lorsqu’ils décidèrent de s’arrêter, il souhaita bonne chance au soldat amoureux avant de se poser non loin des autres. Les deux autres Etenirili quant à eux, semblant tenir à se serrer les coudes, n’hésitèrent pas à participer aux quelques discussions qui pouvaient se lancer au fil du temps.

Une heure passa avant que Túrphen ne revienne, accompagné par trois ornedhels. Gwilithiel fut la première à se lever, et Aegden l’imita quelques secondes plus tard, rangeant le parchemin qu’il relisait encore, comme si l’encre pouvait lui révéler autre chose que les quelques mots signés par les autorités d’Eteniril.

Aegden intervint après un hochement de tête entendu de la part d’un des soldats.

-Je m’appelle Aegden, et voici Lynn, Arhael et Lerdil.Fit-il, désignant d’un geste ses compagnons. Malheureusement, on ne se rencontre pas dans les meilleures circonstances qui soit ni au meilleur moment de la journée, j’en suis désolé. Il continua d’un ton qui ne souffrait d’aucune animosité, exposant simplement les faits. On est à la recherche de cinq de nos camarades. Des éclaireurs de la cité.

Aegden jeta un très bref regard vers Gwilithiel. Le bout de ses oreilles eut l’air de ne pas savoir quoi choisir entre se hausser ou s’affaisser. Devait-il parler de son étrange prophétie ? Devait-il lui laisser le choix d’en parler lorsqu’elle le voudrait ? Quoi qu’il en soit il continua en focalisant à nouveau son attention sur le petit groupe d’ornedhels.

-Jusqu’ici nos recherches n’ont rien donné. Il croisa les bras. Pas de pistes, pas de témoins Taledhels. Rien. Mais vous connaissez bien mieux ce territoire que nous. Peut-être que vous aurez eu plus de chances ? Au moins d’eux d’entre eux se rendaient vers le sud avant de disparaitre.

A ce stade, ils prendraient tout ce que les noss pourraient et voudraient bien leur donner…

La présentation de Aegden avait l’avantage d’être concise et claire. Il allait droit au but, sans donner trop de détails, en indiquant les informations principales. À dire vrai, certaines choses manquaient peut-être, mais avec ce qu’il venait de partager, les Linwë auraient probablement de quoi répondre. Lynn s’étonna toutefois, il s’était cantonné à ce qu’il savait lorsqu’ils étaient partis de la cité. Le commandant leur avait caché la prophétie de Gwilithiel. Peut-être voulait-il ne pas les effrayer, ou bien rester factuel et rester sur ce qu’ils maîtrisaient. Toutefois, les Noss étaient sûrement les mieux placés pour comprendre certains éléments du présage, et peut-être que plusieurs d’entre eux s’étaient déjà produits.

La mine grave, Miyl’Itrì se gratta le menton et échangea quelques mots à voix basse avec ses compagnons. Ils semblaient tous trois perplexes. Elle finit par répondre directement au Taledhel, de sa voix toujours douce, sans laisser transparaître une quelconque émotion.

« Vous m’en verrez navrée, je n’ai pas vu de trace de la disparition de vos... éclaireurs. L’un d’entre eux a bien pu passer sous l’œil d’un des nôtres, mais aucun n’a mis pied sur notre territoire. »

Elle leva les yeux vers le groupe et nous regarda les uns après les autres. L’ornedhel semblait vouloir étudier nos visages et les mémoriser. Elle reprit ensuite, la voix un peu plus grave.

« Mais il est vrai que nous ne l’avons pas vu revenir. Nous avons supposé qu’il fût rentré par un autre chemin. En tout cas, puisque le compagnon de Yéthïl semble si inquiet, nous nous engageons à vous prévenir si jamais un indice nous vient. »

Lynn soupira. Encore une autre impasse. Toujours un poil sur les nerfs, elle laissa sa tête tomber doucement contre le tronc d’arbre contre lequel elle était assis. Jusqu’où devraient-ils crapahuter dans cette forêt avant d’avoir ne serait-ce qu’une direction à prendre ? Elle finit par demander à voix haute, sans vraiment fixer personne.

« Est-ce qu’il s’est déjà produit des disparitions similaires dans le passé, par ici ? Peut-être avez-vous remarqué quelque chose d’anormal, ou d’inhabituel, depuis déjà plusieurs ennéades ? Des elfes qui se perdent dans la forêt, qui la connaissent pourtant bien, ce n’est quand même pas anodin. »

Peut-être fallait-il chercher dans les souvenirs communs. La force du peuple immortel venait en particulier de sa connaissance du passé. Même si tout était retranscris dans des livres, beaucoup de choses se transmettaient encore de bouche à oreille. Si quelque chose dans le genre avait eu lieu en Eteniril, même si ça remontait à loin, l’un d’entre eux serait vraisemblablement au courant.

Les Linwë échangèrent de perplexes regards mus par une méfiance malheureusement toute naturelle. Ces surprenantes questions pouvaient se révéler être le terreau de précieuses informations comme d’ignobles accusations, quand bien même il n’y avait pas encore de suppositions clairement établies.
Cependant, le lourd passé de velléités et les difficultés pourtant surmontées, ne pouvaient que peser sur les esprits ici réunis. Aussi les noss souhaitèrent dès lors ne pas supporter de quelconques mésinterprétations. Furent alors évoquées d’anciennes histoires dont personne ne saurait prétendre la véracité, tout comme d'autres plus récentes… Une en particulier, soutenant la disparition d’une poignée de pèlerins. Cinq étaient en chemin, voilà bien deux mois de cela et aucun n’en avait vu la fin.

Le regard de la gwaeren maethor, à l’instar des citadins comme des noss, se fit plus sérieux. Il semblait se perdre dans le vide, se noyer dans la noirceur des bois. Peinant à s’accrocher à une idée, qui, en témoignaient ses traits attristés, n’augurait ni ne présageait rien de gai.

- « Par cinq ils vont ». N’est-ce pas ce que nous cherchions ? Demanda-t-elle tandis que ses yeux plongeaient vers le sol et que son front se plissait sous le coup de la réflexion. Ne me vient alors qu’une seule et simple question : où partiriez-vous instinctivement en quête d’informations ?

Comme le fil d’une épée, tranchant, vif et incisif, son regard s'enfonça dans celui du lëandrin. Sa main vint effleurer son plastron de cuir, tandis du menton, elle interrogeait le commandant quant à son accoutrement.

- Pourquoi vous ? L’interrogeait l’aegedhelle dont le regard sautait à présent de Lynn à Aegden. Se peut-il que vous ne sachiez pas tout ? Quand bien même vous êtes l’ultime garde-fou. Si l’on ne peut se fier à son compas, mieux vaut, sans hésiter, revenir sur ses pas. Car nous nous sommes lancés dans un combat que nous ne connaissons pas, et vous voilà ici, noss et soldats à discuter de vos tracas et pourquoi ?

Dans haussement d’épaule silencieux, que Gwilithiel répondit à sa propre question. Ce fut l’espoir au cœur qu’ils étaient partis, traversant la Prime Œuvre jusqu’ici, pour enfin se perdre en conjectures au cœur de la nuit.

- M’est avis que nous soyons allés trop vite, alors que mes dires ne sont pour l’heure pas assez explicites. Pourquoi ne pas commencer là où tout a débuté ? Au cœur de la cité.

-Pourquoi nous ? Aegden fixa Gwilithiel sans comprendre sa question. On ne sait pas tout, on est aussi perdu que toi Gwilithiel. Il pencha légèrement la tête sur le côté. On nous a appelé en renfort voilà tout.

Il avait haussé un sourcil devant la réaction de l’anedhelle. Il n’en savait pas plus qu’elle, il le lui avait signifié dès le début…

-Je suis d’accord pour retourner en Eteniril. Il hocha la tête. D’ailleurs je vais en profiter pour envoyer des messages aux autres protectorats. Je veux savoir qui sont ses disparus et ce qu’ils sont partis faire. Et pourquoi l’information s’est perdue au passage…

Aegden soupira. Dans quoi s’étaient-il embarqués ?

-En tout cas, merci. Lança-t-il avec sincérité à la première Linwë qui parla. Je ne sais pas où mènerons vos rumeurs, mais un pas grand-chose c’est mieux que rien.