Erreur sur la personne

Troisième ennéade de Vérimios
An 18 du 11ème cycle.

Après une journée particulièrement étouffante, la nuit apportait une fraîcheur bienvenue sur Thaar. Les gens se réunissaient au sein des auberges et des tavernes afin d’entendre les dernières nouvelles et les débattre ensuite autour d’un bon pichet de bière. Dans l’un des établissements les moins fréquentables de la citée, un groupe d’homme tout aussi peu recommandable discutait entre eux, penché sur les vestiges d’un repas.

« J’en entendu dire qu’il a l’intention de faire un peu de ménage en ville. »

« Comment peux-tu savoir si c’est vrai? »

« J’vous l’dis! Je l’ai entendu de sa bouche ici même d’ailleurs. Il parlait tout bas pour pas qu’on l’entende, mais j’étais assis juste derrière lui alors j’ai tout compris. Apparemment, il n’est pas content à propos de certaines choses qui se passent en ville et il a décidé de prendre les choses en main à sa façon… J’crois avoir entendu le nom de ce marchand, Fosco Vittorio. »

« Le gars c’est quand même fait ériger une statue de lui en ville. Il pense peut-être que c’est lui qui fait vraiment la loi ici. Je l’ai toujours dit, ce Zaahrian est dangereux. »

« Bha, j’chais pas. J’lui ai parlé une ou deux fois. Il est bien sympathique. Il m’a même payé une bière. J’lai entendu raconter ses histoires. Il lui est arrivé des trucs pas croyables. »

« C’est qu’une façade. C’est comme ça qu’il berne tout le monde. Ce type est une menace et j’espère que quelqu’un fera ce qu’il faut et qu’il l’arrêtera. »

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Cinquième ennéade de Vérimios, jour 3
An 18 du 11ème cycle

Le soleil était levé depuis plusieurs heures déjà, mais au cœur des beaux quartiers Zaahrian dormait toujours. Il était rentré au petit matin après avoir assisté à l’une des soirées les plus décadentes auxquelles il lui avait été donné d’assister dans vie. Là-bas, il y avait eu de tout et en abondance. Musique, nourriture, alcool et danse, Zaahrian avait été envouté par la beauté des danseurs. Il avait bien essayé d’en ramener un chez lui, mais sans succès. Ivre, il était rentré de peine et misère, c’était dénudé en laissant tous ses vêtements au milieu de la chambre avant de s’écrouler sur le lit où il gisait toujours dans la même position, le cul à l’air dans le plus parfait abandon. Ses esclaves avaient la stricte instruction de ne pas le déranger avant midi. Idéalement, ils allaient attendre qu’il émerge de lui-même vers le milieu de l’après-midi, le regard un peu absent. Même Aya n’avait pas le droit de venir le déranger, à son plus grand désarroi. Rien ne laissait présager la tempête sur le point de s’abattre sur la demeure Las’danir.

Les ruelles de Thaar commençaient à se noircir de monde lorsque plusieurs hommes en armes se massèrent autour de la demeure Las'danir. La mine sombre et la main dangereusement proche de leur arme, ils semblaient attendre quelque chose. Quelques badauds, émergeant d’un sommeil agité, leur jetèrent des coups d’œil intrigués, s’interrogeant sur l’origine de leur présence. Devant l’expression glaciale qu’ils affichaient, ils préférèrent ne pas insister et s’effacèrent prestement de leur champ de vision. Un son rauque s’échappa de la bouche d’un des hommes, et l’ordre fut finalement donné.

La porte résonna deux fois avec fracas avant qu’elle ne soit arrachée de ses gonds. Les hommes en armes investirent aussitôt les lieux, organisés et méthodiques. Ils repoussèrent domestiques et femmes de chambre et se hâtèrent de rejoindre la chambre du maître des céans. Ils le trouvèrent sans mal, ayant réussi à s’extraire de son lit malgré l’alcool qui semblait lui obscurcir l’esprit.

— Vous êtes en état d’arrestation, lâcha l’un des hommes en s’approchant de lui. Pour tentative d’assassinat à l’encontre du très estimé Fosco Vittorio !

Ne lui laissant pas le temps de répliquer, la main gantée du soldat s’abattit lourdement sur le crâne de Zaahrian.

— Les chiens de votre espèce sont les pires. L’appât du gain, c’est tout ce qui vous importe. Il aboya à l’intention de ses hommes. Qu’on le traîne en cellule ! Tu vas y moisir un moment mon gaillard ! Et faites-lui descendre les marches de sa propre demeure sur le cul !

Zaahrian n’aurait pas dû boire autant. Il s’était juré de ne plus en faire une habitude après avoir traversé une période particulièrement sombre de sa vie, mais lors de certaines occasions, il lui arrivait quand même de faire une exception. Ce n’était qu’une petite fête? Quel mal pourrait-il lui arriver?

Le bruit suffit à le tirer de son sommeil. Zaahrian se redressa vivement, geste qu’il regretta aussitôt alors que le monde tournât furieusement autour de lui. Il laissa son lit pour récupérer les pantalons abandonnés la veille sur le plancher. Il les enfila maladroitement avant de sortir dans le couloir où la clameur s’intensifiait. Le Guet? Mais qu’est-ce qu’ils font dans sa maison? Leur présence avait causé tout un vent de panique dans son personnel qui prenait la fuite devant les hommes armés. Heureusement, ils ne s’intéressaient pas à eux. Non, ils en avaient plutôt après lui, car aussitôt que Zaahrian était apparu, les hommes du guet se précipitèrent sur lui.

« Mais je n’ai rien fait! » Protesta-t-il alors qu’une main s’abattait durement sur son crâne. Rien pour aider la douleur qui lui vrillait déjà les tempes comme si sa tête était prise dans un étau. Il tomba à quatre pattes au sol et les hommes d’armes en profitèrent pour le maîtriser. Ils devaient bien connaître la réputation de Zaahrian, car ils n’y allaient pas en douceur. Ils avaient de la chance, car s’il avait été en meilleure forme, ils n’auraient eu aucune chance. C’est du moins ce dont il essayait de se convaincre alors qu’on le traînait vers la sortie de la même manière qu’on se débarrassait d’une petite merde. C’était sans doute le plus humiliant de toute cette histoire. Il ne pouvait même pas se défendre. Il pouvait à peine tenir sur ses pieds. « Je ne sais même pas de qui vous parlez! » Aucune trace d’Aya ni de Guilin. Parfait. Ils avaient déjà discuté d’un plan si quelque chose devait lui arriver. Guilin avait pour instruction de mettre la petite à l’abri et de rester avec elle jusqu’à ce que la situation se tasse. Il s’agissait peut-être d’un énorme malentendu...

Le semi-elfe fut traîné à travers les geôles du Guet, escorté sous bonne garde. Les informations courant à son sujet leur étaient connues : ils savaient que Zaahrian était capable de se débarrasser de plusieurs hommes sans éprouver la moindre difficulté. Mais s’extraire de ses chaînes sous la vigilance d’une vingtaine d’hommes du Guet était bien trop, même pour lui.

Ils arpentèrent les couloirs sombres et humides de la prison, laissant le soin à plusieurs gardes munis de torches d’éclairer l’endroit. Ils avaient bâillonné le semi-elfe et avaient recouvert ses yeux d’un chiffon sale. Après quelques minutes, un cliquetis métallique résonna, signe qu’ils déverrouillaient la porte d’une cellule et ils y poussèrent Zaahrian sans ménagement à l’intérieur.

— Allez pouilleux, ricana l’un des hommes en ne faisant aucun signe pour lui retirer ses entraves. Ton sort est entre les mains du seigneur Vittorio désormais. C’est lui qui décidera si tu passeras le reste de ta misérable vie entre ces quatre murs !

Un rire gras et mesquin vint ponctuer sa dernière phrase alors que les bruits de pas s’éloignaient. Un grincement aigu retentit au loin, que Zaahrian reconnut comme étant les gonds de la porte des geôles qui grinçait. Ils en avaient fini avec lui. Pour l’instant. Mais rien ne les empêcherait de venir le tourmenter de temps à autre…

An 18, 6e ennéade de Vermios, premier mois d’été, Arkuisa,

Une ennéade était passée. Le semi-elfe n’avait pas été libéré de ses chaînes et le peu de nourriture que lui avaient octroyé les gardes l’avait affamé. Cela faisait plusieurs jours que personne n’était venu lui rendre visite. Les passages des hommes du Guet s’étaient également raréfiés sans que Zaahrian puisse en connaître la raison. La cellule salle et humide avait été sa salle compagne durant ces cinq derniers jours.

Un matin néanmoins, les portes de la prison s’ouvrirent et Zaahrian fut brutalement extrait de sa cellule. Les mains qui le soulevaient été ferme, mais plus respectueuses que les premières qui l’avaient emmené ici. Ses chaînes lui furent retirées, de même que le bandeau qui recouvrait ses yeux. Sa vision mit un moment à s’éclaircir et il put observer trois hommes en armes qui le plaquèrent contre le mur avant de l’arroser de plusieurs seaux d’eau.

— Il pue encore, commenta une femme derrière eux.

Sa voix avait des accents durs et froids, comme la lame d’un couteau remontant lentement l’échine de l’assassin. Elle était entièrement caparaçonnée dans une lourde armure noire, un heaume en forme de corbeau lui recouvrant le crâne. Ses doigts gantelées se courbèrent dans un cliquetis métallique.

— Encore.

Un nouveau seau d’eau fut projeté sur l’assassin, puis un autre, avant qu’une serviteur ne vienne lui frotter le cuir chevelu et lui parfumer la peau. Zaahrian put observer l’endroit où il se trouvait actuellement. Il était dans une pièce éclairée, vaste et immaculée, fréquentée par d’innombrables serviteurs qui ne lui accordaient qu’un regard entendu. Plusieurs hommes en armes le surveillaient néanmoins et semblaient sous les ordres de la femme de métal.

— Est-il prêt ? lança une voix d’un homme qui venait de pénétrer dans la pièce.

Le nouvel arrivant jeta un regard méprisant à l’assassin. Des cheveux longs encadrés son visage sévère, et une barbe courte charbonneuse couronnée son menton avant de remonter le long de ses joues. Ses vêtements étaient simples, un gilet bleu sombre souligné sa silhouette mince et son pantalon serré plongé dans ses bottes en cuir souple. Ses mains étaient gantées de noir entrelacé de pourpres, qu’il pointa dans sa direction.

— Vous allez rencontrer la princesse Alyna Or'Siandbel, Zaahrian Las'danir, lança-t-il d’une voix rauque. Vous serez sous bonne garde et serez abattu comme un chien aux moindres gestes suspects. Si cela avait été de mon ressort, j’aurais laissé l’homme que vous êtes derrière des barreaux plus épais et je vous y aurais laissé moisir.

Il saisit des vêtements pliés qu’il jeta au visage de l’assassin.

— Veuillez vous vêtir. Et rapidement. La princesse est d’une humeur massacrante, je vous conseille de mesurer vos propos et d’abonder dans son sens. Vous allez devoir répondre du meurtre de Fosco Vittorio.

Sans le laisser le temps de répliquer, l’homme tourna les talons après avoir échangé un regard avec la femme de métal. Ils attendirent que Zaahrian s’habille, sans détourner le regard malgré sa nudité évidente, avant de l’escorter. Ils traversèrent d’innombrables salles avant de parvenir dans les rues de Thaar. Il fut aussitôt entraîné jusqu’à la haute demeure d’Alyna Or'Siandbel, nommé communément : les Balcons rouges. Imposante construction de pierre rouge, de nombreuses terrasses agrémentée l’édifice, là où était d’ordinaire étendue la princesse-marchande.

L’intérieur de la demeure était étrangement silencieux. Cette absence de musique et de rires était mauvais signe, car il était de notoriété publique que la princesse aimée baigner dans une ambiance festive. De plus, la mine des serviteurs qu’ils croisaient été inquiète, presque craintive. Zaahrian fut guidé à travers les tissus drapés de rouge qui tombaient du plafond, les gardes les écartant avec une certaine habilité, jusqu’au sommet du bâtiment. Là, ils pénétrèrent dans une vaste salle chargée de richesse et d’or. Tableaux coûteux, mobilier de qualité, rien n’avait été lésiné pour les appartements de la princesse-marchande. Au milieu des canapés recouverts d’or et d’argents, au milieu des livres et romans éparpillés sur le sol comme d’innommables vêtements, les attendait Alyna Or'Siandbel…

Elle observe les hommes qui pénètrent dans son sanctuaire. Qui sont-ils ? Pourquoi troublent-ils de leur présence ce jour funeste ? Elle plisse les yeux. Ses sourcils s’arquent. De colère. De rage. D’agacement… Pourquoi ne cherchent-ils pas le vil félon ayant assassiné son Asservi ? Elle se lève de son lit, faisant ruisseler chaînes d’or et diadèmes qui recouvraient son corps partiellement nu. Son regard est brûlant. Le feu émeraude inonde les arrivants. Qu’ils parlent. Et vite.  

— Voici Zaahrian Las'danir, princesse, lance Vah Rohn en s’inclinant lentement. C’est lui qui avait été fait prisonnier pour avoir voulu tenter d’assassiner Fosco Vittorio…

Elle observe le semi-elfe qui lui fait face. Note son expression. Apprécie ce qu’elle y voit. Mais la colère est encore trop forte pour que d’autres émotions viennent l’envahir.

— Mon asservi est mort, fait-elle d’une voix mélodieuse, mais coupante. Les hommes du Guet persistent à dire que vous êtes à l’origine de sa mort. Parlez. Parlez vite, Zaahrian Las'danir…

La colère l’envahit. Elle entrouvre légèrement ses lèvres rosées, ses dents blanches se serrent dans un rictus haineux. Elle n’a que faire des excuses. Elle veut des réponses. Et ce qu’elle veut… elle l’obtient.

— Les témoignages basés sur des proches ne nous intéressent pas, intervint Vah Rohn en lui jetant un coup d’œil. Il sentait qu’elle était prête à tous les envoyer croupir en cellules. Il devait rapidement éclaircir la situation avant qu’elle ne laisse la colère raisonner à sa place. Mais il faut croire que ceux ayant pour fondement les rumeurs d’inconnus ne sont pas plus fondés.

Il fit quelques pas en avant, ses yeux bleutés les dévisageant tous deux.

— Expliquez-vous clairement Guilin, ordonna-t-il d’une voix lasse. Il jeta un œil dans sa direction. Ce qu’il y vit ne sembla pas le rassurer. Et… rapidement.

Sans même la regarder, Zaahrian pouvait sentir la frustration grandissante de la princesse. Qu’elle s’énerve si elle en avait envie, toute l’attention de l’assassin était tournée vers Guilin. Son frère n’était pas un grand bavard. Il préférait l’action aux grandes explications. Plus que tout, il savait que Guilin avait horreur d’exposer son passé alors que c’était exactement ce qu’il s’apprêtait à faire. Voilà une partie de leur histoire que Zaahrian aurait préférée laissée des oubliettes, là où elle ne risquait plus de faire de mal à personne. Malheureusement, le passé avait la fâcheuse tendance à venir lui mordre les fesses de temps à autre, lui rappelant que tous ses choix avaient des conséquences qu’il le veuille ou non.

« C’est une longue histoire, mais je vais essayer de faire ça court pour les besoins de la cause. Il faut savoir que Zaahrian et moi étions dans la même guilde jadis. Depuis la tendre enfance, nous avons été formés à être ce que nous sommes aujourd’hui. Il y a 25 ans, notre maître Daeron est venu nous voir en compagnie d’un jeune homme qu’on n’avait jamais vu avant. C’était Rolym. Il voulait rejoindre notre guilde et Daeron accepta ce qui était plutôt inhabituel de sa part. Il préférait prendre ses recrues très jeunes afin de les… désensibiliser à la tâche. Rolym était déjà adulte, mais il pouvait se montrer très convaincant. Il fut aussitôt placé sur la tutelle de Zaahrian. C’est à partir de là que les choses ont commencées à dégénérer.»

Zaahrian n’avait pas oublié ce jour où Daeron était revenu de Baaz’hima en compagnie de ce séduisant jeune homme. Il était charmant et facile à aimer. Lui-même avait été séduit.

« C’est un sadique. » Intervint Zaahrian, toujours plongé dans ses souvenirs. « Il prend plaisir non seulement à tuer, mais aussi à torturer les gens. De plus, il accepte difficilement les refus et les ordres, ce qui, vous l’imaginez sans doute, est problématique au sein d’une guilde. »

Guilin acquiesça d’un signe de tête. «Dès le début il a commencé à montrer des signes inquiétants et le point de non-retour a été atteint lorsqu’il a servi du verre pilé à une jeune recrue. Ce ne fut pas une mort douce.»

Le visage de Zaahrian se durcit. C’est lui qui avait été alerté par les cris d’agonie de l’enfant. Honteusement, il avait oublié son nom, mais pas son visage. Comment effacer de sa mémoire une scène pareille avec tout le sang qu’il vomissait à cause du verre qui lacérait ses entrailles de l’intérieur? Pendant tout ce temps, Rolym observait avec une fascination terrifiante, tenant toujours l’objet du crime dans ses mains. Il n’avait même pas essayé de s’en cacher. Daeron n’avait pas apprécié son initiative, mais ne l’avait pas puni. Il connaissait assez bien Rolym pour savoir qu’il devait avoir trouvé une parade.

«Et il ne s’est pas arrêté là.» Poursuivit ensuite Zaahrian. «Il a recommencé, trouvant chaque fois une façon toujours un peu plus créative pour éliminer les maillons faibles. Nous sommes peut-être ce que nous sommes, mais nous avons aussi fait le choix de suivre une certaine éthique. C’est pourquoi j’ai décidé de l’éliminer, mais les choses ne se sont pas passées comme prévu et c’est plutôt Daeron qui a été tué ce qui n’était pas une grosse perte non plus. Rolym en a profité pour disparaître dans la nature où j’aurais aimé qu’il reste. Honnêtement, j’espérais qu’il soit mort. Maintenant, il est de retour et avec le but de détruire tout ce que j’ai réussi à faire ces dernières années tout en faisant chier un maximum de personne dans le processus.» Zaahrian se tourna vers la princesse. «Nous n’avons jamais travaillé ensemble, mais je crois que vous savez un peu tout ce que j’ai accompli pour Thaar. Vous savez que par ma présence je maintiens aussi un certain équilibre. Certes, il n’est pas parfait, mais ça ne serait pas Thaar sans que ce soit le bordel à l’occasion. Je n’ai jamais cherché à nuire activement au conseil, même que la plupart du temps, je veille plutôt à garder ses membres vivants. Je crains que si on ne l’arrête pas, Rolym va continuer à répandre la zizanie. Je n’ai pas fait de lui un monstre, il est né comme ça, mais je l’ai perfectionné sans le vouloir. Laissez-moi terminer ce qui aurait dû être fait il y a des années.»

— Donc ce… Rolym, commença Vah Rohn en faisant un large geste de la main, serait à l’origine du meurtre de Vittorio ?

Il inclina légèrement la tête, comme pour prendre la mesure de ces informations. Il lui jeta ensuite un regard sévère avant de reprendre.

— Princesse, nous devrions peut être reconsidéré cette affaire. Nous avons basé nos soupçons sur Zaahrian Las'danir en prêtant foi aux allégations soutenue par le Guet. Mais les hommes qui le composent ne sont pas infaillibles.

Il fit les cent pas sous ses yeux. Les mains croisées derrière son dos, il semblait faire le point sur les événements récents.

— Les premières informations que j’ai recueillies laissent à croire que le meurtre de Vittorio couve autre chose. Notre homme a été massacré dans son sommeil au sein même de sa propre demeure, et ce malgré les nombreux gardes qui en protégeaient l’accès. Ce qu’il reste de Vittorio est… difficilement identifiable. Nous avons affaire à un professionnel, un homme de métier à la mentalité déviante.

Il poussa un long soupir avant de s’immobiliser devant elle.

— Je propose que nous relâchions ces hommes, conclut-il en haussant les épaules. Qu’ils poursuivent leur croisade de leur côté. Dans tous les cas, nous en sortirons gagnants.

— Non, résonne longuement sa voix.

Elle se lève, fait glisser son doigt le long de ses lèvres. Un sourire les étire, mais il est faux, calculateur et froid. Le feu vert qui habille son regard brille avec davantage d’intensité. Elle sait. Sait ce qui doit être fait. Pour que vengeance soit accomplie. Pour que l'engeance soit anéantie.

— Vos mots, cingle-t-elle, ne sont que des mots. Vos histoires, ne sont que des histoires. Je ne m’en intéresse pas. Votre existence est perfectible, Zaahrian Las'Danir, mais non irremplaçable. Vous avez tort de vous accorder l’importance qui vous fait défaut. Vous avez tort de vous croire meilleurs que vous ne l’êtes vraiment. En faisant preuve de négligence, vous avez laissé la crasse de votre logis venir empiéter l’immaculée perfection de mes pavés marbrés.

Ses yeux ne clignent plus, son visage ne tressaille plus. Seul le feu de ses yeux est rivé sur l’assassin. Il brûle. Brûle sans jamais faillir.

— Toute saleté mérite d’être nettoyée. Toute personne souillant cette perfection mérite châtiment. Fosco Vittorio était à moi. En me dépouillant de sa présence, vous m’avez privé des richesses qu’il pouvait m’apporter.

Elle fait un geste du bras. Plusieurs hommes en arme saisissent Guilin par les bras. La Bête, sous son armure de métal noir, pose une main sur sa longue épée en surveillant les deux hommes.

— Voici les conséquences de vos actes irréfléchis Zaahrian Las'Danir, susurre-t-elle lentement. Vous avez une ennéade pour me rapporter votre Rolyn vivant. Dans le cas contraire, une autre tête devra m’être offerte.

Elle tourne froidement son regard vers Guilin.

— Un joyau, poursuit-elle en écarquillant les yeux, vert et d’une pureté sans nom. Large comme ma main. Voilà ce que devait m’apporter Fosco Vittorio. Voilà le prix de sa vie. Voilà ce qu’a dérobé votre Rolyn. Trouvez-le.

D’un geste de bras, elle congédie ces hommes. Sa tête lui tourne. Elle doit rapidement convoquer sa Belle. Elle seule peut mettre fin à son supplice.

Que disparaissent les tourments de son âme. Que s'élèvent les rires et résonne la musique.

Une longue nuit de passion et de rêve. Une longue nuit de fête et de feu…