[Trame des Engeances] Puisse l'amitié nous aider.

6ème jour de la 2ème ennéade de Vérimios – Premier mois de l’Eté
Année XVIII du cycle XI.
A Lante – Dans l’après-midi, après le retour d’une promenade avec son fils Baldwin, dans les plaines du Brissalion.
Dans le bureau de la thane Brynhild Odomar.

Ah, quelle avait été douce, quelle avait été agréable, cette matinée d’été, passée dans les champs, les bosquets et les plaines cultivées du Brissalion. Avec le Lörn, et la vallée de la Nérania, c’était la région la plus plane et la plus verdoyante de toute le Zagazorn. Les forêts denses du Lörn jouaient le rôle de poumon vert du Zagazorn ; les plaines agraires et fertiles du Brissalion jouaient le rôle de grenier, de corral et de potager de ce royaume ; les vallées de la Nérania étaient une autre zone verdoyante, mais plus disparate et avec une flore plus résistante aux hivers froids de ces zones ; le Kirgion – à ne point oublier – faisait office d’enclave de verdure au milieu des monts rocailleux.

Cette promenade donc, avait été des plus reposantes. Harald, fier guerrier autrefois très impétueux, avait partagé un moment père-fils avec Baldwin, son fils avec lequel il avait pourtant toujours été le moins proche. Mais après ces heures de détente, il fallait bien vite revenir aux affaires courantes du royaume, et aux responsabilités de monarque.

Il avait dit quelques jours plus tôt qu’il désirait aller chez les Elfes, dans les cités d’Anaëh, et plus précisément à Alëandir. Le but : obtenir l’aide des Elfes et le partage de leurs connaissances, dans le projet grandiose et dangereux, d’apprendre tout ce qu’il y avait à apprendre sur les Engeances de Brisséa, afin de mieux les combattre… Ou d’essayer de les guérir.

Alors, le souverain déballa le contenu d’une sacoche de cuir usé, sur le bureau gracieusement prêté de sa douce liée, Brynhild Odomar. Déroulant un vélin de qualité, le souverain y déposa quelques runes écrites en Khazalide, à l’intention du souverain des Elfes, Artiön Laergûl. Il apposa finalement le sceau royal, sur une cire préalablement fondue au creux d’un récipient chauffé à la flamme. La missive fut ensuite scellée dans un cylindre finement ouvragé, un cylindre qu’Harald avait fait créé par les forgerons et graveurs de Kirgan, qui deviendrait la marque des missives royales de haute importance. Le bout ouvert, par lequel on glissait le vélin, était lui aussi scellé à la cire, et apposé du sceau royal.

1er jour de la 5ème ennéade de Vérimios – Premier mois de l’Eté.
Année XVIII du cycle XI.
Un cylindre finement ciselé représentant le Roi sous la montagne, arrive au palais.

6ème jour de la 2ème ennéade de Vérimios – Premier mois de l’Eté
Année XVIII du cycle XI.
Missive écrite depuis la cité de Lante.

A l’intention d’Artiön Laergûl, Grand-Roi des Cités d’Anaëh, et Ongrumthrong royal du clan Brise-Os.

Mon ami,
A nouveau, je t’écris ces quelques lignes qui, je l’espère, te trouveront sur ton trône blanc. Je te remercie à nouveau pour les présents offerts durant mon serment de fidélité, ils sont d’ores-et-déjà chers à mon cœur.

Comme tu le sais, nombreux sont les enjeux auxquels mon royaume doit faire face. L’un d’eux n’est autre que les créatures que l’on nomme « Engeances de Brisséa ». Elles pullulent dans certaines régions, et tuent plus de mes frères et sœurs que ce que mon cœur ne saurait tolérer. Mais nous ne savons rien d’elles.

J’en viens alors à demander ton aide, et celle de ceux qui savent. Ceux qui gardent les savoirs ancestraux au cœur de l’académie, car il faut que cela cesse.

Je projette d’ici peu, la tenue d’expériences scientifiques visant à prélever et étudier ces créatures, afin de tout apprendre d’elles, et de savoir comment les guérir, ou, à défaut, comment les vaincre. Mais encore une fois, nous ne savons rien d’elles.

Je porte sur moi le bijou sacré que tu m’as offert voilà des mois maintenant. Je compte me rendre jusqu’en ta cité. Je partirais à la période où cette missive est supposée te trouver, afin que tu puisses avoir le temps de me recevoir. Avec moi se trouveront deux éminences de mon peuple, qui sauront recueillir les savoirs que toi et ton peuple accepteront de partager, pour notre salut.

De plus, je t’avais promis de faire le déplacement à l’avenir, car afin qu’il n’y ait plus que les Elfes qui traversent la frontière. D’ici peu, ce sera chose faite. Et j’espère que ton peuple y verra là, l’acte d’honneur et de bonne foi que je m’efforce de réaliser.

D’avance, je te remercie pour ton aide, et celle des tiens.

Que les divinités te gardent, mon ami.

Harald Barbe-Sanglante
Grand-Roi du Zagazorn - Thane du clan Brise-Os

7ème jour de la 8ème ennéade de Vérimios – Premier mois de l’Eté.
Année XVIII du cycle XI.
Alëandir, cité d’Anaëh.

Ils s’avancent. Sous le couvert des frondaisons, ils s’avancent. Sous la fraicheur offerte par la canopée protégeant les crânes et les corps des chauds rayons du soleil, ils s’avancent. A dos de Béliers, ils chevauchent, au rythme régulier des sabots de leurs montures qui, depuis Lante, brillèrent par leur endurance, par leur force, et par leur beauté. Ils chevauchent, leurs épaisses armures de plates réfléchissant les maigres rayons lumineux transperçant les frondaisons. Ils chevauchent, avec à leur tête, le souverain des terres lointaines, du très plus en plus éloigné grand Nord, le Zagazorn.

Harald avait revêtu sa désormais très célèbre et très charismatique armure de plate couleur noir de jais. Polie, brossée, restaurée – car il la portait depuis des décennies – elle transcendait avec les armures de plates couleur blanc et or de ceux qui suivent, les gardes royaux de Kirgan. Les gardes de Kirgan étaient à leurs tours suivis par une escorte de soldats de Lante, aux armures plus légères, et de couleur rouge. Sur sa tête trônait sa couronne faite en Mogarium, aux reflets d’or veiné de rouge, typiques de ce métal légendaire, rarissime, extraordinaire, connu uniquement des Nains, et travaillé uniquement par eux.

La cohorte avance, depuis des jours, et des jours. L’avantage des Béliers résidant dans leur endurance et leur force, les arrêts sont peu nombreux, et de courte durée. Les nuits se font à la belle étoile, car Harald voulut voyager léger, le temps chaud le permettant aisément. Il porte sur lui le fameux collier offert par le souverain des Elfes, voilà plusieurs mois maintenant. Avec la garantie du Roi Elfe, selon ses mots : « quiconque porte ce bijou en se présentant sur les terres d’Anaëh, sera accueilli avec les honneurs ». Alors, Harald le porte, et le laisse trônait bien visiblement sur son plastron.

Le voyage fut long, mais plein de surprises. De leurs vies, aucun de ces Nains n’avait pu voir une forêt aussi luxuriante. En comparaison avec le Lörn, les forêts d’Anaëh faisaient figure de proue. Les arbres étaient immenses, les troncs aussi épais que la plus forte des montagnes du Septentrion, la canopée était si épaisse que l’on ne savait point s’il faisait jour, ou nuit. La faune était présente partout, et en nombre impressionnant ! Les nains, au début, n’en finissaient pas de se stopper, et tirer la hache du fourreau, pour finalement voir passer devant eux une portée de sangliers ; quelques animaux descendant des arbres ; quelques prédateurs ou quelques proies en fuite. Une vie si luxuriante, qu’elle en devenait impressionnante !

De leurs vies, ils n’avaient jamais rencontré autant de soldats non plus. La missive de Harald avait été reçue, et la visite, communiquée aux soldats des cités d’Anaëh. A la frontière, une escorte forte de plusieurs soldats Elfes attendait, et ouvrit le chemin. Elle – l’escorte – menait les temps de repos, les temps de repas, les temps de voyage.

Et finalement, ils arrivèrent en vue d’Alëandir. Harald, pour faire bonne figure, mit pied à terre et s’avança au-devant de sa cohorte qui, elle, resta loin en retrait. Sans arme, il montrait au-devant de son plastron, l’impressionnant collier à la symbolique importante. Pour la première fois de sa vie, Harald était à des centaines de lieux de ses propres frontières. Pour la première fois de sa vie, c’était lui qui se rendait ailleurs… Et aujourd’hui, les Elfes étaient en nombre, en arme, et bien positionnés. Une volée de flèches suffirait amplement pour anéantir toute vie originaire des tréfonds des monts du Nord.

Il s’avança néanmoins, fort et fier, le pendentif tenu face à lui, la chaîne encore autour du cou. Il s’arrêta, lorsqu’il garde en arme lui intima l’ordre. A force d’échanges, le souverain des Nains avait appris quelques rudiments d’Elfique, mais ceux-ci seraient bien insuffisants pour construire des phrases élaborées, ou pour tout comprendre de leurs palabres. Alors, il laissa faire l’escorte, dans cet exercice qui, de toute manière, ne lui appartenait plus.

Il ne l’avouerait point, ni à lui-même, ni à personne d’autre, mais cet instant où pour la première fois depuis des années, il ne contrôlait rien, créait un sentiment grisant… Sa vie ne lui appartenait plus, tout autant que sa couronne, ici, maintenant. Peut-être allait-il être emprisonné ? Tuer ? Abattu comme un chien errant, une vermine Gobeline ? L’adrénaline le rendait vivant, lui, l’ancien guerrier sanguinaire…

Le voyage avait été long, et peu riche en évènement pour les quelques elfes guidant cet étrange groupe d’ondur. Nodrion n’était pas certain de savoir ce qu’il s’était passé le jour où cette quinzaine de nain avaient débarqué à la frontière, mais en catastrophe, le pauvre officier s’était vu être promu caporal d’une troupe de soldats qui n’avaient probablement pas plus prévu que lui ce nouveau voyage.

Quoi qu’il en fut, les anedhels ne perdirent pas la face et rapidement ils rejoignirent les dignitaires attendant à la frontière. A partir de là, jamais plus ils n’évoquèrent cet incident. A vrai dire peu d’entre eux maitrisaient de toute façon assez le Khazalid pour s’adresser au nains autrement qu’en gestes, et Nodrion se retrouva bien vite à devoir non seulement faire office de guide mais aussi de traducteur. De nombreuses fois, l’officier remarqua à quel point les ondur semblaient désorientés au cœur de la forêt. Le rythme de la marche, bien qu’il fut toujours soutenu, diminua alors légèrement, contribuant à la sensation de mollesse du voyage pour des elfes certes citadins mais habitués à voyager sur les sentiers anedhels.

-Alëandir approche. Avait-il enfin finit par lancer un matin, alors que tout le monde s’apprêtait à reprendre la marche.

Et quelques heures plus tard, les impressionnants murs blancs de la capitale Taledhelle apparurent entre les arbres. Les gardes en faction devant l’une des grandes portes réagirent immédiatement, mains sur le pommeau de leurs armes sans dégainer et attitude attentive. Faisant signe au chef nain de rester un peu en retrait, le caporal pris les devants et s’approcha de ses camarades lëandrin, un salut militaire pour toute amorce. Le dialogue qui suivit fut en elfique et l’officier ne prit pas la peine de le traduire. Malgré tout il sembla choisir avec attention les mots qu’il employa.

-Caporal Nodrion. Se présenta-t-il. J’escorte ces dignitaires depuis la frontière, jusqu’au trône blanc.  Il ajouta un peu plus bas. Celui qui porte notre symbole est leur Aran.

-Je part les prévenir.

-Prévient aussi les adeptes d’Elenwë de l’hospice sur le chemin.

Un hochement de tête échangé et l’un des gardes tourna aussitôt les talons, disparaissant au pas de course entre les murs de la cité. Le second soldat s’écarta tout simplement, laissant la troupe passer. Nodrion désigna alors deux  de ses hommes d’un geste de la main et leur intima l’ordre de mener la dizaine de nains en civil à un lieu qu’il nommait ‘’hospice des libertaires’’. A un troisième il demanda de se diriger vers l’académie et enfin, il se retourna vers Harald.

-Suivez-moi Heru. Fit il dans un kazahlid tout juste passable. Le restant de vos troupes seront mené envers leur repos.

Et de nouveau tout ce beau monde se mit en mouvement, non sans la certitude d’attirer un bon nombre de regard stupéfait et curieux sur leur passage… Les Lëandrin n'avaient pas vu de nain en si grand nombre depuis bien des siècles.

Ici, être le souverain des Nains n’avait aucune espèce d’importance. Ici, être le Grand-Roi de tout le Zagazorn, n’avait aucune importance d’aucune sorte. Ici, Harald n’avait d’importance que via ce bijou qu’il porte autour du cou, un bijou qui lui fut offert il y a de cela plusieurs mois.

Ici, il n’était qu’un invité. Un invité avec une couronne, certes… Une couronne bien singulière, une couronne bien unique, un artefact de puissance ayant vécu au travers des siècles, et des cycles, porté par tous les souverains du Zagazorn depuis les temps jadis. Le Mogarium avait cette particularité d’être inaltérable, indestructible, et toujours impressionnant. Si certains pouvaient regarder cette couronne des airs subjugué, pour d’autres… Elle n’était rien d’autre qu’une couronne aux couleurs d’or veinée de rouge.

Alors, il suivit les soldats Elfiques aux armures éclatantes. Lui devait être mené devant le Roi des Cités d’Anaëh, afin de plaider leur cause auprès d’eux. Les autres, eux, devaient être menés en un lieu de repos. Harald était inquiet, et voulait leur faire confiance à eux, aux Elfes. Et il y arrivait, plus facilement qu’aux Humains certes… Mais les vieilles méfiances ont la peau épaisse.

Il avança, suivant le soldat, pour enfin arriver dans cette magnifique salle où trônait le trône blanc, le trône des Rois. Harald se présenta alors, tentant du mieux qu’il pouvait le faire, de se montrer inoffensif et respectueux. Pour un nain aussi bourru que lui, l’exercice n’est point aisé. Pourtant, il essaie.

Il se présente au trône, mais quelqu’un l’occupe-t-il ?

L’ombre d’un Trône vide ne semblait pas particulièrement incommoder conseillers, diplomates et artisans dans leurs va-et-vient à travers le Palais. Si l’Anaëh chérit son Aran, l’absence d’un Monarque n’a jamais été suffisante à la faire s’écrouler… et heureusement. La lourde tâche qu’était l’administration de Cités têtues aux cultures disparates au sein d’un monde plus chaotique que ne voulait bien le reconnaître le monde Sylvain avait maintes et maintes fois prouvé le poids qu’elle pouvait être sur la santé de ceux qui s’y attelaient. Les têtes dirigeantes d’Anaëh, et tout particulièrement sa Couronne, étaient paradoxalement peut-être les seules positions au sein de cette civilisation d’éternels, à connaître de réguliers changements.

Peut-être est-ce là la raison pour laquelle le peuple Taledhel si longtemps échappé à une routine autodestructrice. Peut-être est-ce là ce qui empêche les Cités de se reposer sur leurs acquis, et de s’embourber dans des schémas qui s’ils pouvaient rester efficaces des millénaires durant derrière les frondaisons devenaient vite obsolètes dans le contexte plus large du monde connu.
Ce qui était sûr et certain cependant, c’est qu’en contrepartie de cette volatilité des Hauts-Postes s’était bâtie une fondation extrêmement solide, et plus adaptable – toute proportions gardée – que ce que l’immobilisme apparent de la société Sylvaine pouvait laisser croire. C’est donc sans broncher, qu’ayant appris – bien trop tard – la nouvelle de la visite du Grand-Roi du Zagazorn, la Couronne Taledhelle s’organisa pour le recevoir sans avoir à passer par leur propre Aran

- Heru Harald ? une grande elfe aux longs cheveux blancs et au visage légèrement creusé s’incline respectueusement face au nouvel arrivé Je crains de devoir vous annoncer que l’Aran n’est malheureusement pas en état de vous recevoir directement. elle se redresse, joignant ses mains dans son dos Cependant, si cela vous sied, le Conseil est prêt à vous prendre en charge immédiatement.

La dame tend la main vers une large tablée, attirant l’espace d’un instant l’attention des nombreux elfes qui y sont assis. Les conversations y allant bon train se coupent soudainement, et quelques-uns des elfes présents hochent la tête, signifiant ainsi leur accord à la venue du Seigneur Dawi. Leur pause n’aura pas duré bien plus longtemps cependant, et les conversations et autres échanges de parchemins auront repris dès lors que le regard du barbu se sera ne serait-ce qu’un brin détaché d’eux pour revenir à l’hôtesse.

- J’aurai simplement besoin de savoir ce qui vous amène, afin de vous présenter à la personne appropriée. elle fait un pas en arrière Pour le reste, je vous servirai de guide et traducteur tant que vous resterez dans l’enceinte du Palais.

L’instant était intéressant. Du moins, intéressant pour quiconque aurait un intérêt plus ou moins développé pour les mœurs des peuples foncièrement différents, tentant de s’allier envers et contre tout. La science des peuples, la sociologie des races.

Harald, thane du Clan Brise-Os, surnommé jadis Barbe-Sanglante, en référence à ses mœurs sanguinaires lors des maintes batailles qu’il aura mené contre les vermines de dessous le sol ; contre les fanatiques de Dun Eyr ; contre les sauvages des Wandres. L’habitus de tremper sa longue barbe tressée dans les entrailles ouvertes, sanguinolentes, poisseuses et puantes d’une victime tout juste terrassée. Elevé dans la plus pure tradition guerrière Naine, doté d’une carrure de roc, d’un caractère d’acier, d’une force de bélier, il remplissait magnifiquement bien son armure de plate de couleur noire de jais, forgée jadis par un maître forgeron de talent. Tout son être transpirait l’éducation froide et dure d’un peuple des Montagnes du Nord… Et il faisait face à une Elfe de grande stature, aux cheveux magnifiques, raides et longs, à la taille gracile et à la dignité toute haute.

Mais Harald, ici, n’était pas Roi. Il n’est qu’un invité, possédant la grâce d’un bijou sacré. Et en plus, son seul ami au sein de ce peuple, n’est point ici. Alors, après avoir regardé de loin celles et ceux qui constituaient ce conseil, devant lequel il allait devoir plaider la cause des Nains… Harald offrit à celle qui se tenait devant lui, une révérence de sa tête couronnée. En son esprit, il voyait la possibilité de recevoir l’aide des Elfes s’amenuir, s’amoindrir, s’assombrir, prête à disparaître dans un nuage de poussière.

« Bien. Si vous êtes disposés à me recevoir en cet instant, je serais malpoli que de vous faire attendre, moi, qui viens à vous. » Précisa-t-il, soufflant toutefois dans sa barbe, conscient que le seul appui qu’il aurait pu avoir dans cette quête, n’était point présent sur son trône. « Je viens quérir l’aide de votre peuple, dans ma quête contre ce que les miens nomment les Engeances de Brisséa. Des créatures nées de la Longue Nuit, et qui déciment les miens. Nous ne savons rien d’elles, sinon qu’elles tuent mon peuple sans aucune pitié… Je viens quérir votre aide. »

Et dire que tout pouvait s’arrêter maintenant. Si cette Elfe décidait que rien ni personne ne pouvait écouter Harald, ce dernier aurait fait tout ceci pour rien…

La main de la Dame vient se poser contre son menton, le temps de réfléchir à la demande du Dawi, puis d’un geste, elle se retourne, et l’appelle à le suivre. Constat surprenant cependant, les longues enjambées de l’elfe l’éloigne de la table des Conseillers du Trône. Au lieu de cela, c’est en direction de la modeste – en comparaison de celle du Chapitre Blanc du moins – Bibliothèque royale. Là, glissant avec discrétion entre les rayonnages, elle guide l’invité aux courtes jambes à la rencontre d’une autre. La grande blonde, d’un doigt sur l’épaule, tire une brunette au visage poupon de sa lecture, pour lui présenter le dernier arrivé.

- Les Ondur semblent avoir des soucis avec des créatures étranges qui seraient apparues pendant le Voile. Ton expertise pourrait être utile.

- Tu penses ? J’ai déjà du mal à faire sens de ce que le Voile a fait en Anaëh alors au Septentrion…

- Qui sait, peut-être que ça nous permettra d’en apprendre plus. Ça ne coûte rien d’au moins s’y intéresser de loin. Pour le reste, il faudra de toute façon voir avec le Mainyth.

Un nouveau geste de la traductrice indique à ce qui s’est transformé en un véritable petit groupe la direction de la sortie. Son travail l’emmènerait finalement en dehors du palais.

- Il paraît que vous avez des soucis avec des créatures ? la traductrice reprend les mots de la naturaliste, de l’elfique vers l’Oliyan Vous avez déjà plus de détails ou c’est vraiment tout nouveau ?

Les sourcils de la naturaliste se froncent, son visage enfantin se plissant dans son entier en une expression de curiosité que le rythme de diction millimétré de l’interprète ne se donne pas la peine de traduire.

- Il va nous falloir le soutien de l’armée s’il on veut vous offrir une aide plus pratique. l’interprète reprend pour elle-même Mais en attendant de l’avoir, et même si on ne l’a pas, les moindres bribes d’informations peuvent être utiles à nos naturalistes. À défaut d’étude de terrain, à partir de ce que vous collectez ils peuvent vous aider dans vos hypothèses.

Suite à la remarque, la grande blonde désigne sa camarade du coin du regard et s’écarte d’un pas. Ainsi elle se replace en position d’aidante, laissant les deux principaux intéressés la liberté d’échanger.

L’espace d’un instant, Harald craignit pour sa vie. L’espace d’un instant, son esprit fut empli des sagas des anciens, qui racontent comment les Elfes ont trahit les Nains à la frontière, voilà 5000 années, et comment cette trahison à l’encontre des Nains mena à une guerre sanguinaire, violente, et à de nombreux massacres. L’espace d’un instant, lorsqu’Harald vit l’Elfe se gratter le menton, et l’emmener loin du conseil qui, pourtant, semblait l’attendre de pied ferme, le Grand-Roi des Nains craignit de voir sa vie s’éteindre ici, maintenant.

Lorsque les deux Elfes parlèrent dans leur langue incompréhensible pour Harald, sinon quelques mots de-ci, de là, Harald mit spontanément sa pogne là où se trouvait jadis son épaisse hache d’arme… Aujourd’hui absente. Mais enfin, l’on vint à lui parler en Oliyan, une langue que Harald connaissait bien, et qui le rassurait. C'était à son tour d'entrer en scène.

« Nous les appelons « Engeances de Brisséa ». Elles sont apparues lors du Voile, alors que les montagnes du Septentrion, et de la Nérania, étaient secouées d’une vague que d’aucun nommait « magique ». Une vague qui provoqua la… » Il peinait à le dire, mais, après tout, il s’agissait bien de cela. Et il était venu jusqu’ici pour mander l’aide des Elfes, alors tout garder pour lui, là, maintenant, cela serait trop bête. « … Transformation de Nains, en créatures difformes. Elles sont plus grandes que nous, plus épaisses, plus fortes et plus endurantes que nous, alors qu’autrefois, elles furent des nains. Elles se déplacent en hardes plus ou moins grandes, dévorent les cadavres et la faune lorsqu’elles chassent. Certaines Engeances sont capables de manipuler la magie, de manière chaotique, certes… Mais sans devoir passer par des runes, contrairement à nous les Nains. » Voilà beaucoup de détails, et Harald ressenti le besoin de prendre une pause. Il se racla la gorge, bruyamment. Les Nains étant très secrets, très fiers, dévoiler autant de choses, en si peu de temps, relevait d’un véritable exploit. « Il est possible de les tuer, à grands renforts de magie, ou de haches… Mais il faut trois nains, pour abattre une seule de ces créatures. Elles sont si… Puissantes, qu’elles parviennent à briser nos murs de boucliers. Je les ai combattues moi-même. Est-ce que cela vous aide ? »

Il l’espérait sincèrement…

- Je préfère ne pas trop m’avancer. la traductrice lève un sourcil en réaction aux mots de sa collègue Mais je pense avoir une idée de ce qu’il a pu leur arriver.

Le visage de la naturaliste hésite à suivre la route de la fascination, de la tristesse ou de la pitié. Certes, ce n’était là qu’une première hypothèse lancée à la volée, mais pour peu qu’il ne s’y trouve ne serait-ce qu’un peu de vrai, la transformation d’une part des Ondur pourrait être lourde d’implications.

- De notre côté, en Anaëh, le Voile a rendu beaucoup de vigueur à la forêt. Les plantes poussent plus vite et plus abondamment qu’avant et produisent plus de fruits. Quant aux animaux, ils sont nombreux à avoir connu plus ou moins le même sort. elle finit par esquisser un sourire Et chez nous, les elfes, non seulement il y a eu une reconnexion à la nature, mais il semblerait que le renouveau de la forêt vienne avec un renouveau de notre population… elle rougit un instant, avant de reprendre Quoi qu’il en soit, au sein de nos terres, le Voile semble avoir agi en tant que magnificateur. Il est bien possible qu’il en ait été de même chez vous. Après tout, il aurait été étrange que Calimenthar laisse l’Œuvre retrouver de sa superbe sans réagir.

Les sourcils de la traductrice se soulèvent, perplexes. La moue de la naturaliste se pince, anxieuse. Les bénédictions de La Mère semblaient jusque-là préfigurer de nouvelles heures de gloire pour Anaëh. L’expansion de l’Estel, la Symphonie renouvelée, l’accalmie d’Aduram, tout laissant entendre un inexorable retour du monde à un nouveau Prime Etat. Une nouvelle Prime Œuvre. Une nouvelle ère de faste et d’harmonie… seulement il y avait Calimenthar. Ce qu’il a détruit une fois, ses frères et sœurs voulant, il détruira deux fois. Peut-être faudra-t-il, durant les prochains millénaires, livrer une nouvelle grande guerre contre le Père des Batailles.

- Si c’est le cas, alors j’ai bien peur qu’il n’y ait pas grand-chose à faire si ce n’est faire avec. Mais si c’est le cas, ça voudrait aussi dire que vos Engeances ne sont que d’autres créatures de chair et d’os, donc rien d’extrêmement menaçant. elle baisse la tête Mais j’imagine que ce serait tout de même triste de perdre une part des vôtres de cette façon.

Harald écouta avec une très grande attention, les propos tenus par la grande Elfe aux mouvements fluides, et à la grâce fluette. Il comprit bien assez vite que ses propres connaissances, en termes de cosmogonie et religion Elgi étaient bien insuffisantes, pour cette épopée au-delà des frontières du Zagazorn. Sans doute aurait-il dû plus préparer son entreprise : il aurait pu lire les parchemins et les vélins de la bibliothèque de Kirgan ; lire ceux de la Grandsalle des Scriberunes, encore que cela aurait repoussé de plusieurs ennéades, la venue de Harald chez les Elfes.

Calimenthar était donc Mogar, pour les Elfes. Mais Harald n’avait rien perçu d’un nom, ou d’un titre, qui ferait référence à la Déesse Ours, Brisséa. Ainsi donc, Mogar existait dans le panthéon des Elgi, mais point Brisséa. Une information de plus, bien que Harald ne la juge nullement utile, pour le moment.

« Le Voile n’a rien eu de magnifique, par chez nous. Kirgan a été détruite, Almis a été conquise par les Vermines, un Roi est mort, la Grandsalle des Scriberunes, plus ancienne encore que votre académie, a été détruite. La moitié de mon peuple, a été tuée ; une partie, transformée en ces Engeances, par la Déesse Ours, celle qui fut autrefois l’esclave de Mogar. » Expliqua-t-il, la voix quelque peu changée, habitée par toutes ces souffrances passées. « Rien de menaçant, vous dites ? Je peux vous jurer, qu’elles le sont, assurément ! Elles tuent sans distinction, et dévorent les cadavres des nains massacrés par leurs faits. Nous avons besoin de votre aide, de vos connaissances en matière de malédiction… Non de votre jugement. »

L’émotion disparaît des visages. Traductrice et naturaliste abandonnent le naturel pour le masque d’infinie patience seyant si bien aux Taledhels. Leurs pensées se sont accordées en des mots que la diplomatie leur interdit de prononcer, mais si elles savent toutes deux se parer d’un aimable déguisement, elles savent aussi pour l’avoir toutes deux revêtues au même instant les raisons pour lesquelles elles l’ont fait. Ainsi les deux elfes partagent un secret, tandis que se calme la discussion, et qu’approchent les portes de la caserne de l’armée royale.

- Je m’occupe de vous introduire.

Les regards interloqués se multiplient au sein de la caserne, alors que l’étrange procession s’y déplace. Pourquoi ? C’était la question qui se lisait sur les visages de tous les soldats. Vraiment ? C’était celle se dessinant sur ceux des plus réfléchis d’entre eux. Parce que la première, ils savaient qu’ils y trouveraient inévitablement une réponse. Ce n’était finalement qu’une question de temps avant que le responsable actuel ne se soit entretenu avec le barbu.

- Les Ondurs semblent avoir des soucis avec des créatures dangereuses dans leurs territoires et pensent que nous avons les outils adaptés pour les aider. Pour peu que l’on accepte, il est de grandes chances que votre soutien soit requis. La traductrice se retourne vers le Roi nain, l’invitant à s’approcher du soldat Harald, si vous le voulez bien.

Harald gronda longuement, sourdement, comme l’Ours surveillant un autre prédateur rôdant autour de sa caverne à lui, comme le lion jaugeant un adversaire, prêt à fondre dessus au moindre geste douteux. Il suit néanmoins les Elfes, mais rumine dans sa barbe. S’il ne sait rien des potentiels secrets de ces Elfes, il ne parvient pas à comprendre pourquoi tous ces faux semblants, tous ces sous-entendus. L’art de lire entre les lignes, ne fait point d’adeptes chez les Nains. Si aucune race n’égale leur obstination, et leur fierté, ils peuvent néanmoins se targuer d’une chose : la parole donnée n’est ni détournée, ni fausse, ni oubliée.

Il est introduit jusqu’à la caserne d’Alëandir. Le soldat qui sommeil au fond de lui, mit de côté la fierté raciale, et regarda avec attention les armures qui dansaient autour de lui. S’il était bien un peuple qui pouvait espérer égaler le savoir faire des nains, c’était bien le peuple Elgi.

Mais bien vite, Harald doit revenir sur terre, et faire ce pour quoi il avait traversé tout le Zagazorn, et une partie d’Anaëh… Il avait besoin d’aide. Il avait besoin d’informations. Il avait besoin de moyens pour lutter contre les Engeances.

« Bien… » Soupira-t-il. Puisqu’il fallait recommencer, alors, autant s’adonner à cet exercice. « Depuis le Voile, nous faisons face à des créatures, qui, jadis, furent des nains, mais qui subirent une cruelle malédiction. Ils subirent des transformations physiques : ils sont plus grands, ou parfois plus petits, mais ils sont beaucoup plus forts que jadis. Ils se déplacent en hardes, et ils sont plus résistants aux blessures. Certains, même, sont devenus capables de manipuler la magie, là où nous autres nains, en sommes incapables, via notre corps. Ils pullulent dans la Nérania, une zone montagneuse, et il faut trois nains pour les abattre. Nous luttons difficilement, et votre aide nous serait précieuse… »

Comme nombre de ses camarades, c’est avec une curiosité non feinte que le soldat avait laissé s’approcher la petite troupe. Et c’est avec la même curiosité faisant hausser haut ses sourcils et relever la pointe de ses oreilles qu’il écouta les mots traduits par sa camarade.

-Une malédiction datant du Voile vous dites. Le soldat fronça les sourcils passant de curieux à songeur. Peut-être que quelque chose dans vos terres en est la source…

Comme la dissonance avait été instigatrice des abominations qui peuplaient Aduram après tout… Ou bien comme L’Estel avait été le vaisseau des bénédictions de la Mère durant la même époque dont parlais si sombrement le nain.

-Quoi qu’il en soit, je vous avoue qu’il est difficile pour moi de vous donner une réponse claire concernant votre problème Heru. Il lança un bref regard vers ses consœurs. En matière de savoir vous avez sans doute déjà adressé des elfes mieux placées que ne l’est l’armée. Le soldat finit par croiser les bras contre sa poitrine, comme pour appuyer des propos qui ne souffriraient pas de négociations. Si mes frères et sœurs qui vous accompagnent pensent nécessaire d’impliquer des elfes d’armes dans vos recherches à venir ici, alors soit, nous interviendront, mais je ne peux vous promettre plus.

Le royaume Anehdel avait après tout lui-même ses propres menaces à affronter et le militaire ne pouvait se permettre de détourner ses hommes de leur devoir pour combattre des créatures dont il ne savait au final pas grand chose.

Décevant, tout ceci devenait… Décevant. Est-ce que la présence d’Artiön y aurait changé quoi que ce soit ? Sans doute. Peut-être. Les militaires aussi possédaient leurs secrets, mais ils avaient au moins cette franchise directe qui permettait à quiconque désirait d’apprendre, de connaître où commençait le spectre des choses que l’on peut dire, et on commençait celui des choses qui devaient être tues. Pour les autres, cette franchise devenait soudainement nettement plus nuancée, et, pour les esprits tels que Harald… Cela devenait difficile à comprendre.

Mais au moins s’était-il rassuré lui-même, lorsque le soldat indiqua que si le concours de l’armée des Elfes se révélait nécessaire, alors soit. Un mince espoir, une mince lueur, qui permettait à Harald d’envisager un autre plan plus ou moins sereinement. Un plan selon lequel, un contingent Elfe serait accueilli en Zagazorn, et inclut dans le dispositif d’étude et de recherche. Là, si leurs savoirs actuels sont secrets, ou inexistants, sans doute que leurs affinités raciales pour la magie, ou pour les mystères de la création, pourraient-elles éclairer les lanternes naines dans ces souterrains bien sombres.

Alors, le souverain se remit à grogner, et à soupirer. Baissant quelque peu le visage, dans une intense réflexion, Harald passa sa pogne gantée de d’acier dans sa barbe hirsute, et soupira à nouveau.

« Nous prévoyons de débuter des études sur ces créatures. De vraies études. Qui sont-elles, reste-t-il une part de Dawi en eux, ou point du tout ? Comment fonctionne leur corps ? Bref, tout de ces créatures. Souhaiteriez-vous… » Dit-il en direction du militaire. «… Et vous… » Rajouta-t-il à l’intention des savants académiques présents. « … Y prendre éventuellement part ? Après tout, vous chérissez les connaissances autant que nous autres Nains. Pourquoi ne point les partager ? »

Des concessions, encore des concessions… Mais rien n’était trop pour l’avenir de son peuple.

Un silence retombe, l’ondur réfléchit et grogne. Le visage du soldat se pare du froid détachement de celui qui sait pourquoi il prend ses décisions et il ne se démonte pas. S’il apprécie peu cette réaction il n’en montre rien et écoute patiemment ce que son interlocuteur a à dire.

-Comme dit précédemment, je ne peux pas vous offrir ça. Répond-il calmement. J’ignore ce qu’il en est de nos elfes de science et je ne parle qu’au nom de l’armée mais je ne peux pas me permettre de prendre le risque d’envoyer une troupe combattre aussi loin sans savoir quand ils reviendront, s’ils reviennent. C’était une triste réflexion mais puisqu’Harald lui-même semblait avoir si peur de ces créatures, le militaire ne pouvait l’esquiver. Anaëh regorge elle aussi de menaces auxquelles nous devons faire face. Nous avons tout autant besoin que vous de protéger nos frères et sœurs et chaque bras que j’enverrais vers l’inconnu sera un bouclier et une épée de moins contre nos propres prédateurs.

Aucune connaissance, aussi rares et incroyables fussent-elles n’en valaient la peine selon le militaire. Ce combat n’était pas le leur et ne le deviendrait pas.

-Si vous avez besoin de nos armes, ce sera sur nos terres. Malgré tout vous avez eut ma parole, si c'est nécessaire, l'armée se rendra disponible pour soutenir vos efforts.

Peut-être les choses évolueraient-elles avec le temps. Peut-être, sans doute même, si la menace semblait bien plus forte, si le royaume nain semblait réellement au bord du désespoir, que ces créatures s’avéraient en effet bien plus terrifiantes que les plus terribles des prédateurs que la Dame sauvage ait pu engendrer, allant jusqu’à menacer son Oeuvre, alors oui ils interviendraient. Mais si le roi ondur en personne avait le temps de quitter son royaume, alors c’est qu’ils ne devaient pas si mal s’en sortir…

Si les visages des deux femmes se refusèrent à en faire témoignage, le soulagement qui était le leur au moment de l’intervention du soldat était bien réel. Ce fut chez la traductrice en particulier que la chose fut cruciale, concentrée qu’elle devait rester afin de correctement rendre compte des inflexions et de la prosodie de l’elfe d’arme. Etudier était une chose. Avoir l’occasion d’étudier des sujets normalement inaccessibles au peuple Sylvain était une aubaine… mais il faut bien le dire, elles n’étaient pas prêtes à voir s’en aller ne serait-ce qu’une poignée des leurs vers les terres du Septentrion. Pas dans ces conditions en tout cas.  

- Aider à l’étude des Engeances, on en serait ravis. Après tout, personne n’aurait rien à y perdre. la naturaliste s’attrape le bras Problème étant, sans concordance de notre armée, malgré tout le respect que nous vous devons, il serait trop risqué d’envoyer de nos scientifiques sur le terrain au Zagazorn.

La traductrice se retourne un instant vers la naturaliste, et d’un geste du menton, lui laisse entendre qu’elle aimerait parler pour elle-même un instant. À ce moment le ton de la grande elfe change, quittant le déguisement de ses comparses pour son habit naturel.

- Je comprends que ce pourrait vite devenir une déconvenue logistique de votre côté, mais le mieux que l’on puisse faire serait certainement compter sur vos expéditions pour ramener du matériel d’analyse à un camp à la frontière de nos territoires pour que nos scientifiques puissent travailler de concert.

S’il y avait bien une chose que Harald n’appréciait point depuis qu’il avait franchit la frontière d’Anaëh, c’était cette sensation d’être toujours, toujours épié, jugé, observé et même moqué. Les Elfes avaient une réputation d’être inquisiteurs, menteurs, secrets et imbus d’eux-mêmes. Être sur leurs territoires, aujourd’hui, relevait autant d’un exploit interracial, que d’un gigantesque effort de la part du souverain du Zagazorn. En cet instant, Harald aurait apprécié la présence d’Artiön, le seul Elfe en qui il avait confiance.

« Neh, neh… » Refusa-t-il. « Peut-être me suis-je mal exprimé. Je ne demande point le concours de votre armée, ceci reste un combat que les Nains doivent mener. Le concours de vos scientifiques, en revanche, apparaît comme primordial. » Précisa alors Harald, reprenant ensuite très rapidement. « Nous allons fortifier une place forte, à la frontière avec la région victime de ces créatures. De là partiront nos expéditions militaires, qui ramèneront des sujets jusqu’à la place fortifiée, où nos érudits… Et les vôtres, je le souhaite, pourront étudier la problématique, en toute sécurité. Je ne comptais pas demander à vos gens de risquer vos vies… J’espérais seulement un peu de votre expertise. »

- Ne vous inquiétez pas, sur cela vous avez été clair.

Les doigts de la traductrice s’entrecroisent entre deux paumes ouvertes, et sa tête se penche légèrement. Offrir aux Ondurs leur expertise n’était pas le problème. Bien au contraire. La majorité des érudits elfes capables de se pencher sur le sujet le feraient probablement volontiers. Le souci se trouvait dans les conditions dans lesquelles ils devraient offrir leur expertise. Partir à l’étude de ce que le Grand-Roi du Zagazorn décrivait comme des créatures extrêmement dangereuses était loin d’être comparable à une « simple » rencontre diplomatique, à un mariage, ou même à l’accord – sur le papier pourtant relativement similaire – déjà passé quant à la gestion de leurs ressources naturelles. Contrairement à tout ce qu’il avait déjà été entrepris avec le petit peuple, cette situation présentait un danger inhérent, et pour peu qu’un elfe vienne à être blessé en terre naine… personne n’avait envie de prendre le risque de voir le passé se répéter.

- Et comme nous le disions, nous serions ravis de vous offrir l’expertise de notre peuple. Seulement, si ces Engeances sont aussi dangereuses que vous le décrivez, il serait négligeant de notre part de ne pas accompagner nos érudits au moins de quelques bras armés, ne serait-ce que pour qu’ils puissent servir de témoins dans le cas où un incident venait à arriver. ses doigts se séparent, et ses sourcils se lèvent haut sur son front, lui faisant une mine désolée Ce que nous ne sommes à l’heure actuelle pas en possibilité de faire. C’est pourquoi je proposais – si bien sûr cela ne représente pas de trop grands problèmes logistiques de votre côté – de conduire les études communes en terrain neutre, à la frontière entre nos deux territoires.

Peut-être un jour les elfes pourraient-ils assez faire confiance aux nains pour confier des leurs à la protection du petit-peuple, seulement ce jour n’était malheureusement pas encore arrivé. Alors quoi qu’il arrive, précautions seraient prises, quitte à faire fi de practicité.

Au moins avait-il été clair, d’après le témoignage de la grande Elfe aux doigts entrecroisés. Cela rassura Harald, d’une certaine manière. Mais d’une certaine manière, seulement. Car voilà que ce qui trônait dans la tête de Harald comme étant un symbole luminescent l’obligeant à se montrer attentif, à ne point prendre pour argent comptant tous les propos tenus par ces grandes oreilles, un symbole lui ordonnant de ne pas faire trop confiance… S’illuminait dans l’esprit de ces Elfes devant lui.

Avait-il été si naïf ? Ou avait-il placé trop d’espoirs en tout ceci ? Comment aurait-il pu penser que si les Nains, et lui en premier chef, n’avaient point pu oublier le pourquoi du comment de cette ancienne guerre meurtrière, violente, destructrice, les Elfes, à la vie autrement plus longue, auraient, eux, oubliés ladite guerre ? Cette pensée n’avait effectivement point été intelligente…

Ainsi donc, le manque de confiance était partagé par les deux peuples. Si un incident venait à arriver, sans la présence de témoins militaires pour attester de la bonne foi des Nains, alors une guerre pourrait à nouveau arriver… Au moins les Elfes désiraient-ils éviter cela, et leurs réflexions le prouvait bien. De cela, Harald pouvait être rassuré à son tour.

Il souffla toutefois longuement, grondant encore comme un Bëarog dans sa profonde caverne montagneuse. Tout fut pensé de sorte à construire ce centre d’étude à la frontière avec la région de la Nérania, la région la plus touchée par les Engeances. Le point le plus proche de la frontière avec les Elfes, du protectorat de Malereg, ce terrain « neutre » comme expliqué par la scientifique, était à environs 4 jours de trajet de la future place forte, à dos de bélier. Un convoi sécurisé, fait d’un char transportant la ou les créatures dans une épaisse caisse de métal graverunée, jusqu’à la zone neutre, mettrait sans doute 4 ou 5 jours… Mais surtout, il demanderait une grosse protection… Soit.

« Bien. » Harald n’avait déjà que trop dit qu’il avait vraiment besoin de l’aide des Elfes. Il n’aurait pas dû, sans doute. Les Elfes le savent donc dans le besoin, et ainsi, leurs conditions peuvent s’apposer sur cette potentielle aide… et Harald n’a que peu de leviers de négociation. « La confiance entre nos deux peuples s’exerce déjà dans le Lörn et le Brissalion, via vos herboristes et vos horticulteurs. Je souhaite depuis plusieurs années déjà, que cette confiance puisse grandir encore. En plus de notre fort frontalier avec la Nérania, nous construiront une zone d’étude… Dans la forêt mitoyenne entre l’Est du Brissalion, et le protectorat de Malereg. Cette zone neutre nous servira donc, comme vous le suggérez. Les Nains assureront le trajet des sujets d’étude depuis le lieu d’extraction, jusqu’au lieu d’étude. » Harald avait ainsi parlé. « Toutefois, cette logistique demandera du temps, et du temps, nous n’en n’avons point autant que nécessaire… Serait-ce trop vous demander que de nous aider à monter le lieu d’étude en zone neutre ? Vos besoins seront sans doute différent des nôtres, cela s’est déjà montré par le passé… » Harald faisait référence au premier concile, ou les chaises étaient trop petites, et la bière trop légère, ces deux choses ayant été victimes des clichés d’un peuple sur l’autre… « Si vous acceptez, alors cette étude pourra réussir, grâce à vous. »

La diplomatie nécessitait parfois de faire taire sa fierté… Même si cela pouvait heurter sa propre sensibilité.

Extérieurement, la traductrice resta aussi contenue qu’elle l’avait été tout du long de cette entrevue. Intérieurement, c’était une montage de tensions qui s’effondrait enfin. Un compromis avait finalement été trouvé. À partir de maintenant les échanges – s’ils devaient continuer – pourraient se faire avec moins de pression. La grande question passée, les opportunités de prononcer un mot de travers et de s’attirer l’ire du Grand-Roi du Zagazorn diminuaient drastiquement. Si les intermédiaires entre Taledhels et Ornedhels aimaient se plaindre de la difficulté de leur tâche, qu’ils essaient un instant de s’occuper des nains ! Au moins les contacts n’étaient pas encore rétablis avec la Péninsule…

- Aider à la préparation des lieux est le moins que l’on puisse faire.

La naturaliste en retrait hoche le menton, devinant – à défaut de comprendre l’Oliyan – l’état de la situation au ton adopté par sa congénère. Les choses semblaient s’être relativement bien passées, aussi bien qu’elles le pouvaient du moins dans un rapport entre deux peuples qui se comprennent à peine.

- Donnez-nous juste le temps de réunir des volontaires et vous pouvez compter sur nous.