[Trame des Engeances] En passant par la forêt

4ème jour de la 5ème ennéade de Vérimios – Premier mois de l’Eté – An XVIII du cycle XI.
A la frontière entre le Zagazorn et le territoire d’Anaëh.
Lieu de réalisation du précédent concile, le long de la frontière de pierres levées.

La voici, la frontière entre le territoire boisé du Lörn, et les terres d’Anaëh. Cette frontière désormais bien connue du Grand-Roi es Nains, puisque c’est ici, à cet endroit même, le long de cette frontière symbolisée par des pierres levées et inscrites de runes, que Harald et Artiön se sont rencontrés pour la première fois, pour renouer les liens entre Nains des Montagnes, et Elfes des Cités.

Ces pierres sont âgées de cinq cycles, et furent la solution trouvée par les Nains d’alors, pour mettre fin à un conflit sanglant entre Dawis et Elgis. Un conflit dont l’origine fut oubliée des deux races, mais dont l’issue demeure encore visible aujourd’hui. Un conflit qui provoqua la mort de milliers de Dawis et d’Elgis, qui provoqua la destruction de l’antique forêt du Lörn, autrefois aussi luxuriante que celle d’Anaëh, aujourd’hui ombre de celle qu’elle fut jadis.

Harald avait combattu autrefois dans le Lörn. Bien avant que le mur Sud ne soit construit – l’Hunzrung-Langk – et lorsqu’il n’était alors qu’un soldat, qu’un sergent puis capitaine du premier régiment d’infanterie lourde de Lante, il avait fait face aux multiples incursions Wandrais, ces sauvages remontant parfois jusqu’aux portes du Brissalion, pillant tout sur leurs passages, assassinant sans aucune pitié les Dawis face à eux, soldats comme innocents. Il s’était battu dans le Lörn, dans le Brissalion, il avait participé à la construction du mur Sud, et il avait dirigé ces terres, lorsqu’il était Gardien des Plaines – Gazanundi en Khazalide.

Mais plus que tout ceci, Harald savait que ses ancêtres avant lui, s’étaient battus par ici… Et qu’avant eux encore, certains rendirent leurs Braises-Vies dans cette guerre face aux Elfes, il y a 5 cycles. Le clan Brise-Os n’était alors pas fondé, mais le clan d’avant, qui allait fonder plus tard le clan bien nommé, existait déjà, lui. De grand aïeux, qui s’étaient battus ici, et qui furent tués sous les flèches et les lames des Elfes, pour conquérir le Lörn, pour défendre leurs Braises-Vies… Harald, aujourd’hui, s’y tenait en tant que Grand-Roi de tous les Nains. Ironie de l’histoire sans aucun doute, mais l’histoire, elle, demeure.

Comme il l’avait promis dans sa missive, Harald attendait à la frontière, que des Elfes daignent se montrer. S’il ne connaissait pas toutes les subtilités de cette partie du monde, il savait qu’entrer sur le territoire Elfique sans une escorte de ces Elgis, signifierait la mort, tout simplement. Il savait également qu’il était le premier nain à traverser la frontière, de manière pacifique, depuis des cycles et des cycles. L’histoire, encore une fois, se jouerait ici. Alors, se tournant vers son fils – un des cinq gardes royaux qui composait sa garde personnelle, en plus de dix civils et érudis – il tint ces quelques mots, lui montrant la frontière, lui montrant la forêt :

« Mon fils, voici la frontière que nous partageons depuis des cycles, avec le peuple d’Anaëh. Ici, mon fils, tu dois te souvenir de ce qui fut, et de ce qui sera. Nous serons les premiers des nôtres à traverser cette frontière en temps de paix. Mais tu dois te souvenir d’une chose aussi : ici, nos ancêtres se battirent contre les Elgis. Ici, nos aïeux sacrifièrent leurs Braises-Vies, et ils festoient depuis dans les Derniers Halls. Ici, mon fils, d’atroces choses apparurent… Il est temps de faire des choses de bien, des choses de paix… Toi, et vous autres, n’oubliez pas ce qui nous amène ici : nous avons besoin de connaissances, et d’aide, pour vaincre les Engeances de Brisséa. Les terres de la Nérania, et celles du Nivor, et du Septentrion, sont nôtres. Leur reconquête commence ici. »

Et puis, Harald se tut. Car déjà, il entendait les crissements typiques d’une vie dans la forêt. Quelqu’un vient.

Personne ne s’était attendu à trouver des nains attendant bien sagement du côté du Lörn, aucun message de la part d’Alëandir ne les avait prévenus. Ainsi les soldats Maleregeois gardant la frontière furent d’abord pris au dépourvu, puis, entrainés ils avaient tout de même réagis en vitesse, s’interposant et barrant le chemin aux étrangers.

-Halte-là. Avait lancé l’un d’eux, un archer aux cheveux châtains et à l’air froid.

L’elfe s’adressait aux ondurs en elfique, partant visiblement du principe que le groupe le comprendrait. De toute façon, s’ils ne comprenaient pas ses mots, le ton de sa voix et son attitude était clair. Un bref instant son regard se perdit sur le médaillon porté par l’un des barbus et son expression oscilla entre surprise et incompréhension.

-Peut-on savoir ce qui vous amène sur ces terres ?

Point d’animosité dans le probable chef des gardes-frontières, cependant le groupe d’elfe n’avait pas l’air très à l’aise devant tant de nains, nombre d’entre eux qui plus est armés, débarquant à l’improviste. L'un d'eux portait leur symbole, Kÿria fasse qu'il vienne en paix...

Baldwin regardait avec une curiosité teintée d’appréhension, cette épaisse forêt impénétrable, qui s’étendait là, devant eux, de l’autre côté de la frontière. Le jeune soldat de la garde royal, après une vie passée à se former dans les troupes lourdes de Lante – comme tous les membres du clan Brise-Os depuis plus d’un cycle – avait pourtant vécu plusieurs batailles, notamment celles visant à détruire Dun Eyr, et à reprendre Almis. Né dans le Brissalion, il connaissait par cœur les sentiers et les bois du Lörn… Mais jamais il ne s’était dit qu’il traverserait un jour cette forêt.

Alors, lorsque son père lui tint quelques mots, et que des bruits curieux se firent entendre de l’autre côté de la frontière, le garde royal, protégé par une épaisse armure de plate couleur blanche et or, se sentait soudainement… Très vulnérable. Les légendes disaient-elles vraie ? Les Elfes étaient-ils si puissants, si discrets, si mortels, qu’une flèche pouvait être tirée depuis une longue distance, entre plusieurs rangées d’arbres espacés de seulement quelques millimètres, et atteindre les parties fragiles d’une armure naine, sans le moindre bruit, sans le moindre avertissement ? D’aucun disait que l’on ne deviner la présence d’archers Elfiques qu’une fois un camarade tué d’une flèche imparable…

Le cœur battant dans sa poitrine, Baldwin posa sa pogne gantée sur le pommeau de sa hache, alors que l’entièreté de la cohorte naine se prépara à l’imprévu, si tant est qu’il fut possible de se préparer à tout. L’arrivée soudaine de soldats Maleregeois augmenta soudainement le niveau d’anxiété et de tensions du côté des Nains. S’ils avaient pu approcher le Roi des cités d’Anaëh lors de sa venue à la cérémonie de serment de fidélité, c’était la première fois, pour eux, qu’ils rencontraient des soldats en armes, et en armures.

Alors, Harald s’avança, tout en veillant à ne jamais traverser la frontière sans l’accord des Elfes. Se démarquant des siens, il ôta son heaume couleur noir de jais, qu’il gardait jusqu’ici sous son bras. Sa couronne sur son crâne, Harald montrait le bijou du Roi Artiön, tout en essayant de mobiliser ses faibles connaissances sur la langue Elfique. Des mots prononcés par le soldat Elfe, Harald n’y comprit que l’idée globale. Si l’attitude invitait à l’arrêt, et à des comportements évitant au maximum tout malentendu, Harald pu comprendre que le soldat désirait connaître la raison de la présence d’autant de nains, ici, maintenant, à la frontière.

Il avait également repéré les regards curieux et loin d’être rassurés, des Elfes face à lui, posés sur le bijou sacré qu’il portait autour de son cou. Harald, en souverain, et en chef militaire, prit alors les devants.

« Je Harald Barbe-Sanglante. » Dit-il dans un Elfique haché, frappant son poing sur son plastron. « Je Aran Zagazorn. Ami de Aran Artiön Laergûl. Je aller… Alëandir… Aran Artiön Laergûl être prévenu par Je. Nous, paix. »

Il fallait rester droit et fier, pour garder les nains ensembles, et pour éviter un quelconque accident. Mais il fallait aussi se montrer ouvert, et pacifique, afin d’éviter de se prendre une flèche dans le cou…

Cette fois ci les nains purent observer le groupe talehdel s’échanger quelques regards surpris mais surtout sombres, comme alourdis par une certaine forme d’inquiétude qu'ils partageaient mais ne verbalisèrent pas. Le premier à avoir parlé renchérit finalement, s’efforçant de garder la face devant les étrangers.

-Vous n’arrivez pas au bon moment, Aran Harald, les temps sont difficiles pour nous, mais peut être aurez-vous un peu de chance... Attendez ici.

Le soldat ne s’expliqua pas et vint chuchoter quelque chose à l’oreille d’une de ses camarades qui acquiesça et s’éloigna un peu, griffonnant à la va-vite sur un vélin qu’elle donna à un oiseau argenté qui finit par s’envoler.

Les minutes passèrent sans qu’aucun soldat ne fasse mine de quoi que ce fut envers les nains. Ils attendaient visiblement quelque chose tout en discutant parfois entre eux, à mis voix. Et puis, peut-être une trentaine de minutes, voir une heure, plus tard, des pas se firent entendre, faisant relever les oreilles pointues des anedhels.

-Hé bien.

Un nouveau soldat, lui aussi particulièrement bien accompagné, leur apparut. Les traits burinés, un peu vieillit pour un elfe et les cheveux aussi pâles que la majorité de ses camarades, ils fixait tout ce petit monde avec curiosité, les poings contre les hanches. Mis à part cela, il était difficile de lire les sentiments de l’elfe sur son visage.

-Il semblerait que je prenne la suites mes amis. Fit-il à ses camarades elfes, avant de se tourner vers la troupe naine et de s’adresser à elle dans un kazalid un peu maladroit. Je suis Nodrion. Voulez vous me suivre. Aran harald, le trône blanc vous réceptionne, mais un long voyage attend. Nous protègerons vos frères. Paix.

Et sans qu’il n’eut à faire quoi que ce soit, le reste des elfes d'arme se plaça en escorte autour du petit groupe de nains, veillant tout de même à ne pas les brusquer. Ils n'étaient pas là en tant qu'agresseurs.