La première loi

L’allure allait bon train au sein du petit groupe de Taledhel en route pour le fort de l’Annon. Le voyage était long, fatiguant, mais il touchait à sa fin et cette perspective semblait donner un peu de courage aux miliciens et à leurs montures. Ils n’étaient pas bien nombreux, quatre en tout. Aegden avait demandé à des soldats de confiance leur présence au sein du fort, tant pour leurs expertises à chacun que pour continuer encore et toujours à mélanger les soldats de tout horizon lorsque l’occasion se présentait. Beaucoup de soldats de Celimë étaient de ses propres rangs certes mais pas tous. Profitant de l’expédition, les quelques soldats étaient aussi accompagnés d’une poignée d’elfes civils destinés à suivre et aider les travaux et ils faisaient de leur mieux pour suivre le rythme militaire. Etre à dos de monture n’épargnait ni les courbatures ni la fatigue propre à tout long voyage…

-On devrais s’arrêter un peu. Finit par lancer l’un d’entre eux qui se dandinait depuis quelques minutes.

-Oui je crois que ça vaut mieux. Jusqu'ici très silencieux, Aegden lui lança un regard un peu amusé par la scène avant de lever les yeux vers les frondaisons. Le soleil commence à décliner de toute manière.

Il leur fallu encore quelques minutes avant de trouver une clairière propice à établir un camp des plus sommaires. Les militaires se mirent alors à accomplir des gestes répétés tellement de fois qu’ils en devenaient machinaux : tresser racines et lianes pour créer des couches suspendues sans briser la nature, réunir brindilles et pierres pour le feu… Il ne manquait plus que de quoi manger avant d’attendre la nuit et le repos tant mérité.

-Je m’occupe des provisions.

En même temps, il finissait de détacher l'équipement sommaire de son mathandil. Celui-ci s’ébroua joyeusement bien content d’être libéré de son entrave pourtant allégée au maximum, ce qui rappela un instant à l’elfe qu’il lui faudrait trouver un artisan capable de créer un équipement sur mesure à son compagnon un de ses jours… Sa selle n’avait beau comporter ni étriers ni lanière superficielles, Vailimo ne semblait guère l’accepter que parce qu'il s’était attaché à l’elfe qui grimpait sur son dos. Il lui faudrait trouver une solution pour leur confort à tout les deux.

-Quelqu’un m'accompagne ? Ajouta-t-il, loin cependant de verbaliser ses pensées.

Il ne donnait pas un ordre cette fois-ci.Les miliciens savaient se débrouiller et étaient suffisamment volontaires pour que l'un d'eux finisse pas se désigner de lui même. Ils ne seraient pas trop de plusieurs à trouver de la nourriture pour le groupe qu’ils étaient après tout.

La route qui reliait la capitale des elfes de l’Anaëh au fort ce Celimë était longue, mais bien tracée. Le cortège avait avancé sans le moindre encombre, et rien n’était venu troubler le calme de leur voyage paisible. À dire vrai, Lynn avait même finit par apprécier de monter à cheval, à force de cavaler dans tout le territoire ces trois derniers mois. Ses fesses et son dos n’étaient plus endoloris, et ces cuisses s’étaient musclées. Son corps était plus tonique encore qu’avant, et ces chevauchées lui avait fait naître une certaine aisance à dos d’équidé. La seule chose qui lui manquait, c’était un vrai compagnon de voyage, et pas le premier cheval disponible à l’écurie d’Alëandir.

C’était une jument qui l’accompagnait cette fois. D’un noir de jais et d’une race noble, elle avançait d’un pas sûr, et prenait un malin plaisir à partir devant de temps en temps. Ainsi, Lynn se rendait souvent volontaire pour partir en éclaireur. Elle aimait la solitude de ce rôle, et c’était une excuse parfaite pour se débarrasser de Adulor, l’un des soldats royaux choisis pour cette mission. Il était devenu vraiment collant, ces derniers jours, et les regards qu’il lui lançait lui faisaient froid dans le dos. À chaque fois qu’ils montaient le bivouac pour la nuit, il se débrouillait toujours pour s’asseoir à côté d’elle. Elle aurait dû en être flattée, mais son premier instinct était de s’éloigner et de lui répondre sèchement, mais en restant courtoise. Elle en était venue à s’isoler pour boire et manger, quand elle devait retirer son masque. Il la rendait trop mal à l’aise.

Là encore, alors qu’elle retirait son sac et ses armes de sa selle, le soldat lui narrait une autre de ses péripéties épique. Elle soupira et feinta l’amusement à chacune de ses tentatives désespérées de la faire rire, mais au fond d’elle, Lynn ne ressentait que du profond dédain pour lui. Il lui était toujours difficile d’imaginer nouer une quelconque relation intime aujourd’hui. La perte de son être aimé était encore trop proche, et la douleur trop présente. C’était le seul aspect de ce voyage qu’elle regrettait. Si elle arrivait enfin à trouver un moment seule avec Aegden, il faudrait absolument lui en parler.

L’occasion se présenta très vite quand il demanda à l’assemblée quelqu’un pour l’accompagner à la recherche de nourriture.

« Avec plaisir, grand roux ! »

Elle se plaisait à l’appeler par des surnoms, parfois. Une certaine complicité s’était créée entre elle et lui, après ces quelques missions effectuées ensemble. Elle lâcha ses affaires, prit son arc et ses flèches au cas où du gibier filerait sous leur nez, et avant qu’elle n’eut le temps de remettre ses chausses, le fameux Adulor s’exclama plein d’enthousiasme :

« Je vous accompagne ! »

Lynn leva les yeux au ciel alors que leur dernière camarade se fendit d’un sourire discret. Elle aussi avait eut sa dose de compliments démesurés de la part de ce soldat, lorsque Lynn partait en éclaireur. Serrant le poing, elle tenta une approche raisonnable :

« Voyons, on devrait s’en sortir à deux. Et puis, il faut bien au moins deux gardes pour le camp, non ? »

Elle avait lancé cette question au commandant, en le regardant, pleine d’espoir. En vérité, la zone était très tranquille, rien ne justifiait que l’on garde le bivouac. Certes, ils approchaient de la frontière, mais les seuls qui pourraient leur poser problème étaient les Noss qui rôdaient aux alentours, dont Lynn avait aperçu les couleurs une ou deux fois. Toutefois, ils n’étaient pas leur cible, tant qu’ils ne faisaient pas d’erreur saugrenue envers la faune et la flore. Lynn bloqua sa respiration en se mordant la lèvre derrière son masque, souhaitant que Aegden ait remarqué ce qui se passait depuis le quasi-début du voyage.

Aegden avait esquissé un fin sourire amusé devant l’enthousiasme de Lynn et le surnom qu’elle lui donna. En plus d’apprécier sincèrement la compagnie de l’archère qu’il avait décidément souvent côtoyée ces derniers temps, le mainyth était satisfait de constater être bel et bien intégré à l’armée royale et ses membres malgré son arrivée aussi tardive et précipitée. Savoir que ses hommes s’accommodaient de sa présence et se comportaient parfois avec lui comme n’importe quel camarade, malgré son grade, lui était plus que précieux.

En revanche l’échange entre l’archère et l’un des autres soldats le laissa un peu plus perplexe, bien qu’il n’en montra pas grand-chose. En règle générale il ne prêtait que peu d’attention aux histoires de cœur des uns et des autres tant que cela n’avait pas d’impact sur leurs obligations, considérant que cela ne le regardait pas, mais il avait été difficile ces derniers temps de ne pas remarquer le comportement du jeune homme…

-Lynn et moi, ça devrait suffire. Appuya-t-il, comprenant que l'autre était devenu indésirable pour l'archère. Voyant l’air déçu du soldat, il ajouta pour le réconforter un peu : je te fais confiance pour garder le camp, Aludor. On a besoin de tout sauf d’un prédateur affamé déboulant au milieux de nos chevaux.

Sans attendre une quelconque protestation, il se détourna rapidement des elfes destinés à les attendre. Son mathandil quand à lui, se rapprocha, envoyant quelques petits coups de museau sur l'épaule de l'elfe pour quémander quelques dernières attentions.

-Non, reste Vaillimo.

Le lancier déposa une dernière caresse sur le chanfrein de son compagnon avant de le détourner de lui. Les oreilles de l’équidé s’inclinèrent en arrière mais il sembla comprendre le message et après un soufflement, vint retrouver la compagnie de ses compagnons équins.

-On y va Lynn ?

Lorsqu’elle fut prête, ils s’éloignèrent donc du petit campement de fortune. Aegden attendit d’être suffisamment loin pour lancer un regard un biais à sa camarade.

-Aludor semble beaucoup t’apprécier. Commentât-il simplement, un sourcil haussé témoignant de sa curiosité.

Il n’ajouta rien de plus, son regard retrouvant les fourrés alentours en quête de leur repas nocturne. Si Lynn voulait lui en parler il l’écouterait mais il lui laissait faire le premier pas. S’il elle décidait de garder le silence, il respecterait son choix et n’insisterait pas. Aegden accordait une très grande importance à la vie privée de ses camarades et jamais il n’insisterait pour que l’un d’eux se livre de cette façon. D’autant plus qu’il avait toujours une dette envers l’archère après le comportement généreux qu’elle avait eu à Naëlis.

Lynn poussa un soupir de soulagement, alors que le soldat dépité marmonnait dans son menton en terminant de défaire ses affaires. Elle lui lança un regard amusé et en passant devant sa camarade qui affichait, elle aussi, une mine peu enjouée, elle chuchota doucement :

« On n’en aura pas pour longtemps, ne t’inquiète pas. »

Elle lui répondit par une grimace pouvant dire beaucoup de choses, mais opina de la tête et reprit le tressage de son hamac entre deux troncs. Lynn vérifia les nœuds de son carquois et, l’arc bien accroché lui aussi, elle s’élança joyeusement pour rejoindre Aegden.

« Allons-y ! »

Ils s’enfoncèrent ainsi dans la végétation luxuriante. Autour d’eux, les animaux nocturnes se réveillaient peu à peu. Les rongeurs sortaient le bout de leur nez, et les hiboux commençaient déjà à traquer leur proie. Pour une âme novice, ce bruit aurait pu être quelque peu inquiétant, mais Lynn en avait largement l’habitude. Elle marchait aux côtés de son commandant et défit son masque pour sentir la brise fraîche du début de soirée sur son visage. Elle inspira et sourit, profitant de ce délicieux moment qui précédait la chasse.

La remarque de son compagnon lui arracha à peu près la même grimace que l’autre soldate avait montré. Elle leva les yeux vers lui, puis au ciel en mimant une lame qui passerait sur sa trachée.

« Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi persistant, c’est épuisant ! »

Lynn s’arrêta une seconde et se pencha en avant, ayant cru remarquer une trace au sol, puis se redressa en constatant que ce n’était rien.

« Il n’a pas l’air de comprendre que je ne suis pas intéressée. J’ai hâte d’arriver au fort pour pouvoir m’extirper plus facilement... »

Elle parlait sans gêne devant son ami. Il lui avait fallu du temps pour s’ouvrir, mais maintenant, elle lui faisait suffisamment confiance pour lui parler de tout et n’importe quoi. Il faut dire qu’il prêtait toujours une oreille attentive et jugeait rarement ses propos. Et puis, leurs idées autour des Noss et de la société actuelle se rejoignaient sur beaucoup de points. Tout cela faisait de lui un confident de choix, avec lequel elle pouvait parler en totale transparence, sans craindre de répercussions futures.

« En parlant du fort, la mission consiste seulement à superviser et vérifier le travail effectué, n’est-ce pas ? Tu ne nous amènes pas de nouveau dans un traquenard ? »

Elle posa cette dernière question avec un sourire moqueur. Quand on faisait partie de l’armée royale, on était souvent confrontés à imprévus. Il fallait rester digne et courageuse, et ce dans n’importe quel cas. Si proches qu’ils étaient de la frontière, elle s’attendait à moitié à devoir dépasser le but initial de leur mission. Toutefois, cela ne la dérangeait pas, au contraire. Si ce voyage devait se solder par un simple « tout est en règle, on repart », elle en serait peut-être même déçue.

-Tu es dure avec lui. Il cherche juste un moyen d’attirer l’attention de la grAnDe Lynn… Le lancier plaisanta gentiment. Enfin…Il repris un peu de sérieux, grattant machinalement sa joue balafrée. Je ferais attention à vos groupes respectifs à l’avenir. Je pense qu’il finira par comprendre et passer à autre chose avec le temps mais peut être que tu devrais avoir une discussion franche avec lui.

Aegden était loin d’être l’elfe le mieux placé pour donner de quelconques conseils à Lynn, tout ce qu’il pouvait lui promettre c’était de l’aider à s’éloigner un peu du malheureux éconduit. Connaissant en revanche bien les émotions parfois vives à l’excès de ses congénères, encore plus lorsque le terrain était aussi délicat que celui des sentiments, il espérait tout de même que cette histoire en resterait à ce niveau et n’empirerait pas. Il détesterait avoir à s’en mêler de manière plus directe…

Lynn changea ensuite de sujet, rappelant la raison de leur présence. Il était vrai que souvent ces derniers temps, leurs missions d’abord tout à fait banales avaient tendance à partir rapidement en vrille. Aegden espérait que ce ne fut pour une fois pas le cas.

-Hm…Les oreilles du mainyth s’agitèrent. J’aimerais me dire que tout se passera comme prévu. Il n’avait pourtant pas l’air extrêmement convaincu par ses propres paroles. Après tout, le fort se porte parfaitement bien jusqu’à maintenant. On ne fait quasiment rien d'autre qu'acte de présence. Qu’est-ce qui pourrait arriver ?

Un peu égoïstement il pensa à son foyer qu’il mourrait déjà d’envie de retrouver. Malgré la dévotion qui l'animait, il n’avait pas envie de s’éterniser dans cette région un peu trop loin de chez lui. Son fils était encore si petit...

A nouveau cependant, il ne verbalisa pas ses pensées, gardant ses craintes pour lui seul. Malgré la proximité de Lynn, Aegden restait un elfe particulièrement secret au sujet de ses propres sentiments. Très rares étaient les elfes auquel le mainyth confiait ses sentiments et ses inquiétudes, estimant souvent que cela n’avaient pas lieu d’être exprimé.

Un battement d’aile rapide quelque part sur leur gauche le fit de toute façon reléguer tout ça dans un coin de son esprit. Il se raidit un peu sur ses appuis, cherchant à gagner un peu de discrétion. Sa lance passa dans sa main.

-Par là. Fit-il alors à voix basse, indiquant d’un geste l’endroit duquel l’oiseau s’était élancé, effrayé par autre chose.

À nouveau, une grimace. Lynn n’appréciait pas tant qu’on vante ses louanges. Après tout, elle restait tout de même discrète. Et selon elle, l’archère n’avait rien accompli d’extraordinaire. Elle ne faisait que son travail.

« C’est gentil de ta part. Je vais quand même essayer de lui parler avant notre arrivée, tu as raison. Sinon, il va me coller toute la journée au fort... » Elle soupira, peu enchantée d’y être. « J’espère que je ne vais pas être trop froide avec lui. »

Elle frissonna, et ne souriait plus. Ce genre de discussions n’était vraiment pas son fort. En général, des réponses sèches et courtes suffisaient à écarter tout prétendant. Peut-être avait-elle vraiment fait son effet sur lui. Elle soupira encore une fois. Ce ne serait vraiment pas simple.

La réponse du mainyth à sa petite pique la fit souffler du nez. Qu’est ce qui pourrait bien arriver ? Avec un peu de chance, Anaëh se mettrait de nouveau à faire des siennes. Ou peut-être la Symphonie rendrait fous tous les animaux. Ou peut-être encore verrait-on le retour d’un dragon terrifiant. Après tout, leurs aventures les menaient toujours dans la gueule du loup. Au moins, cette fois, des grosses murailles les protègeraient. Ou bien devraient-ils les défendre eux-mêmes ? Lynn s’étira et se craqua la nuque. Mieux valait ne pas penser à tout ça, et profiter du temps présent.

« Peu importe ce qu’il advient, tant que je serais en vie, tu peux être sûr de rentrer vivant voir ton fils. » Lynn lui fit un sourire tendre. « Toutes mes félicitations, d’ailleurs. Puisse-t-il connaître la paix que nous nous efforçons de bâtir. »

Elle évoquait bien sûr cette tension qui vivait sans cesse entre Taledhels et Ornedhels. Avec un peu de chance, celle-ci viendrait à disparaître, mais ce serait un travail de longues décennies.

L’envol de l’animal ne lui échappa pas. Elle suivit du regard le mouvement d’Aegden, et plissa des yeux pour essayer de remarquer quelque chose. Pendant quelques secondes, rien. Puis un buisson remua. On entendit alors un grognement sourd, très caractéristique. Une striure de blanc apparut pendant un instant. Il n’y avait pas de doute. Instinctivement, Lynn se baissa et observa autour d’elle, tout en chuchotant à l’attention de son compagnon.

« Un Phish Oura. Tiens-toi prêt, il chasse. Et il n’est peut-être pas seul. »

Ce tigre géant était en effet rarement solitaire. Il était généralement avec sa fratrie, ou sa femelle – quand il n’en avait pas deux. Et s’il était jeune, ses parents n’étaient jamais bien loin. Il fallait redoubler de prudence. L’archère prit son arme à la main et encocha une flèche, surveillant les alentours. Il fallait attendre qu’il fasse le premier pas. Si l’animal avait choisi ses proies, il faudrait le tuer, mais mieux valait éviter l’affrontement, si possible. Accroupie, prête à tendre la corde de son arc, Lynn patientait, une goutte de sueur perlant sur son front, les yeux rivés sur leurs arrières.

Aegden se fait très bat sur ses appuis, fixant la direction dans laquelle le prédateur avait été aperçut. Il restait calme et froid, comme le soldat qu’il était se devait de réagir. Cependant le danger était réel et il le savait. De chasseurs ils étaient devenus proies.

Les oreilles du lancier se haussent, ses yeux balaient la végétation dense. Le félin est là, quelque part, il le sait. D’une seconde à l’autre il va bondir. Ou pas. Les phish oura sont des créatures cruelles. Celui-ci pourrait bien décider d’attendre une erreur fatale de la part des elfes, attendre qu’ils se lassent.

Un grondement vient de leur droite, puis vient lentement leur faire face à nouveau. A travers les feuillages, deux yeux brillent un cours instant avant de disparaitre.

-On recule de suite. 

L’elfe n’avait pas du tout envie de s’en prendre à la créature. La mort de l’animal ne leur serait pas utile et il détestait participer à un tel gâchis. Malgré tout, la prime œuvre était ainsi faite : tuer ou être tué. Alors si le prédateur ne renonçait pas, ils devraient se défendre. Avec un peu de chance, voyant la ténacité de ses proie, le fauve s'en irait.

-En hauteur ! Ordonne-t-il soudain à sa camarade.

Un éclair blanc et roux fonce soudain sur eux. La lance forme un arc de cercle et frappe le poitrail de l’animal dans sa première charge en même temps que l’elfe s’esquive de justesse des immenses pattes. Le phish oura retombe, recommence à gronder en tournant en rond, la queue battante et les oreilles en avant. Ils se font alors face l’un et l’autre, l’elfe et le fauve. Les deux se jaugent, s’observent, cherchent à savoir de qui viendra le second assaut. D’un très bref coup d’œil, Aegden cherche Lynn du regard. S’il peut tenir tête un temps à l’immense tigre, ce seront sans doute les flèches de l’archère qui scelleront l’issue de ce combat.

Immobile, tous les sens en alerte, Lynn eut un faible sursaut en entendant la voix du Mainyth. Elle en avait presque oublié sa présence. Son pied se décolla doucement du sol, et lentement, elle recula, obéissant à l’ordre du commandant. Un regard vers l’elfe lui permit de constater qu’il était autant sur ses gardes qu’elle, bien appuyé sur ses appuis, prêt à réagir dès que la créature les attaquerait. Car il n’y avait pas de doute : le Phish Oura ne les laisserait pas partir. Il était apparemment seul, parce qu’aucun bruit n’avait retenti autour d’eux. Chaque bête pouvait faire office de proie avait prit la fuite depuis longtemps, et seuls les deux Taledhels étaient assez fous pour faire face à cette nouvelle menace.

Le deuxième ordre cingla, et Lynn réagit au quart de tour. D’un bond, elle se redressa, et commença sa course très courte. Un pas, un second, et elle s’éleva. La plante de son pied rencontra un tronc qui lui permit de s’élever, et agripper la branche la plus basse d’un arbre centenaire. Sans stopper son élan, elle força sur son bras en profitant de la poussée de sa jambe, et se retrouva ainsi debout sur la branche, le tigre en joue. Elle n’avait pas perdu une miette de l’affrontement entre Aegden et son adversaire. Il avait réussi à lui porter un premier coup, mais le tigre n’avait pas l’air gêné. À dire vrai, il avait l’air plutôt énervé de ne pas avoir réussi à croquer dans la chair du Mainyth.

Lynn décocha sa flèche. Le trait fila droit sur le haut d’une de ses pattes arrière, qui lui provoqua un autre grognement sourd. Il s’élança alors, du sang giclant de sa plaie ouverte, pour bondir sur Aegden. L’archère banda rapidement son arc une nouvelle fois et lâcha une deuxième flèche, qui vint se planter au milieu du dos de l’animal, mais elle ne l’arrêta pas. Il quitta le sol pour sauter droit sur le commandant. Lynn cria son nom en prenant une troisième flèche, mais elle n’aurait pas le temps de tirer de nouveau : le félin était sur lui.

Le tigre rugit, l’elfe montre les dents. La bête n’est décidément pas prête à s’en aller malgré les flèches. Aegden entend Lynn hurler son nom alors que le prédateur se jette sur lui. Il pourrait s’esquiver à nouveau, d’une valse ou d’un saut, continuer la dance jusqu’à l’épuisement de son adversaire. A la place, il se recroqueville et saisit quelque chose dans sa botte avant d’encaisser l’impact du sol contre son dos et des griffes du prédateur sur son armure. Alors, évitant le claquement des mâchoires du prédateur, il lève sa main gauche et plante brutalement la dague en acier noir dans le coup de l’animal.

Le phish oura couine, secoue son immense mufle, tandis que percé de flèches, son corps n’est plus aussi vif. Le soldat recommence une deuxième fois son geste. Le prédateur finit par s’effondrer pour de bon et Aegden roule juste à temps pour éviter l’immense masse de l’écraser. Les cinq cent kilos de muscles et de fourrures chutent lourdement sur le sol à quelques centimètres de lui.

L'adrénaline qui retombe doucement, Aegden se redresse mais reste quelques instants assis sur le sol à fixer le phish oura mort, sa lame ensanglantée dans les mains. Les oreilles basses, il affiche une moue ennuyée. Il est sincèrement triste d’avoir dû tuer cette pauvre bête. Il se sent coupable alors qu'ils n'ont fait que se défendre c'est plus fort que lui

-Rien de cassé Lynn? finit-il par lancer malgré tout, cherchant la silhouette de sa camarade parmi les branchages.

Il l'a aperçue prendre de la hauteur quelques instants plus tôt et d'après les flèches qui hérissent encore l'animal, elle s'en est très bien sortie, mais il ne la voit pas de là où il est.

-Tout va bien. Répond-il à peine à sa camarade lorsqu’elle réapparut d’entre les branches.

Levant le menton vers les frondaisons, il imita en silence sa camarade lorsqu’elle adressa une prière à Kÿria, la remerciant pour cette vie prise afin que la leur se poursuive. Bien entendu le sacrifice de la bête serait mis à contribution et aucune ressource ne serait gâchée. Les soldats de Celimë ne seraient sans aucun doute pas contre quelques provisions supplémentaires.

Et puis Lynn posa une question d’importance : Comment transporter la créature ? Jamais les deux elfes ne parviendraient à soulever une telle masse.

-On devrait nous déplacer, nous, au lieu de lui. Finit-il par répondre tout en nettoyant machinalement la lame qu’il avait toujours en mains. Je ne tiens pas à m’occuper de lui sans être certain de ne pas voir un de ses camarades arriver et même nos chevaux ne pourront pas le transporter.

Une foi assuré de la propreté de son arme, le mainyth la cacha de nouveau dans l’une de ses bottes avant de se relever. Il avait toujours l’air contrit par la mort de la bête, mais maintenant qu’il n’y avait plus rien à faire, il fallait avancer.

-Si tu veux je m’occupe d’aller prévenir les autres du changement de plan. Ils ne sont pas bien loin de toute façon. Un très léger rictus vint même étirer un coin de ses lèvres et y créer une fossette alors qu’il enchaina. ça te laissera quelques minutes de répit supplémentaires avant de retrouver nos frères.

Évidemment, il pensait surtout à Aludor que lynn n’était certainement pas pressée de retrouver.

Aegden ne traina pas et à peine l'archère le salua-t-elle qu’il tournait déjà les talons en direction du camp. Rien n’avait bougé depuis qu’ils étaient partit. Les quelques civils se reposaient du long voyage tandis que les deux soldats gardaient patiemment leur petit camp. Preuve de leur attention, à peine entendirent-ils les pas de leur supérieur que leurs mains avaient gagnés leurs armes avant qu’ils ne reconnaissent la silhouette du lancier et se détendent. Ou presque.

-Où est lynn ? Tout va bien ? Aludor haussa les oreilles, inquiet de ne voir revenir qu’un seul des deux chasseurs.

-On s’est retrouvé à combattre un Phish Oura. Elle le garde le temps qu’on bouge le camp. Dépêchez-vous, je ne veux pas la laisser seule trop longtemps. Ce n’est pas le seul prédateur des environs.

Le Mainyth siffla son mathandil auquel il enfila à nouveau son équipement, non sans la promesse que ce ne serait pas long et tous s’empressèrent de récupérer équipement et fournitures comme s’ils étaient prêt à repartir. Quelques minutes leur suffire pour retrouver leur camarade, heureusement saine et sauve près de la dépouille de leur proie. Bien entendu aucun ne remarqua quoi que ce soit d’anormal, la noss étant partie depuis longtemps et la symphonie toujours aussi paisible.

-C’est une sacré bête…Ne put s’empêcher de souffler l’un des membres de l’équipée. La dame sauvage soit louée vous n’avez rien après un tel affrontement…

-Est-ce que ça va Lynn ?

Aludor fit mine de vouloir approcher sa camarade, mais avant qu’il n’en ait le temps, l’autre soldate lui coupa l’herbe sous le pied et vint s’agenouiller près du grand félin.

-Je m’en occupe. Fit-elle doucement.  Tu veux bien m’y aider Lynn ?

-Vérifions qu’il n’y a plus rien dans les environs dans ce cas. Aegden lança un bref regard vers son camarade qui acquiesça à nouveau en boudant. Et après ça on aura mérité d’enfin se reposer je crois.

Si Aegden était du genre silencieux, ce soir-là il s’en trouva un qui rivalisait grandement avec lui. Aludor était bougon et il le resta durant toute leur dernière ronde et bien que le mainyth aurait sans doute pu tenter d’apaiser sa frustration il n’en fit rien. Rien de ce qu’il lui dirait ne l’aiderait, et il ne comptait pas mentir quant à l’état d’esprit des soldates qu’il convoitait. Alors tout se fit dans un silence le plus total et lorsqu’ils revinrent, le soldat s’attaqua à ses nouvelles tâches sans plus de cérémonie, laissant Aegden se reposer quelques minutes.

Cependant, à peine avait-il ne serait-ce qu’ôté le plastron de son armure que Lynn lui proposa de les accompagner prendre un bain plus que mérité. Il était vrai qu’il avait encore les mains rougies par le sang de l’animal et qu’il devait porter son odeur étant donné que le Phish Oura lui avait littéralement sauté dessus…

-J’arrive. Accepta-t-il alors.

Il prit juste le temps de retirer son armure et de simplement garder l’uniforme de tissus dessous avant d’emboiter le pas aux deux soldates. Uniforme dont il se sépara une fois sur les berges d’une petite rivière relativement proche, Kyria soit louée. Les elfes n’avaient que peu de notion de pudicité lorsqu’il était question de nudité, après tout naturelle, et d’autant plus les soldats habitués au confort le plus rudimentaires, alors personne ne s’en soucia une seule seconde.

En tout cas, le soldat accueilli le contact avec l’onde claire avec un soulagement certain. Lassé comme il était par le voyage et par la chasse, il en avait plus besoin qu’il ne s’y attendait. En revanche il y eut autre chose qui lui fit hausser les sourcils. S’il ne dit rien dans un premier temps, le regard étonné qu’il lança à Lynn lorsqu’elle avait fini par ôter son masque avait suffi. Pourquoi avait ces étranges traces sur son visage ? Qui plus est avec du sang…

Lorsqu’elle le remarqua, Aegden eut le réflexe de détourner un peu son regard l’espace de quelques secondes. Il n’avait pas voulu qu’elle se sente épiée.

-Excuse-moi Lynn, Fit-il en passant une main dans ses cheveux à présents trempés et rendus presque bruns par l’eau qui alourdissant les mèches. J’étais simplement surpris par les marques sur ton visage. Elles n’y étaient pas tout à l’heure alors je me demandais ce qui t’était arrivé. La pointes de ses oreilles s’affaissa légèrement. Mais ça ne me regarde pas.

Tout comme les relations entre elle et l’autre soldat, Aegden n’était pas certain d’être réellement en droit de lui demander la moindre explication. Si elle ne désirait pas répondre, il n’insisterait pas. Elle ne faisait après tout rien de mal aussi étrange cela lui parraissait-il.

-Effectivement...je ne suis ne suis pas sûr de comprendre toute la portée que ce rituel à pour toi. Répondit-il après quelques secondes, honnête. Il baissa un peu la tête, plongeant son regard sur les petits poissons filant dans l’onde claire autour d’eux. Les coutumes ornedhelles ont toujours étés très floues pour moi.

Il finit malgré tout par relever la tête, voulant offrir un sourire réconfortant à sa camarade. Machinalement il recula pour se plonger un peu plus dans la rivière.

-Mais même en ne comprenant pas, ça ne m’empêche pas de respecter ta vision des choses et d'essayer d'en mesurer l'ampleur. Ajouta-t-il. Si tu me dit que tu penses que ton rituel a fonctionné alors j’en suis soulagé. Il hocha la tête. Et je te remercie, Lynn. Je n’imagine probablement à quel point c’est dur d’évoquer ton passé de cette façon. Je suis touché de ta confiance, sache-le.