Faux prétexte pour

De petits doigts délicats, fébriles, se posent sur les lèvres de Renaud.

- Ne dis pas ça…

La guerre, ce spectre atroce composé de tous les hurlements de souffrance et de désespoir de centaines de milliers de gens…

- Ne dis plus jamais cela…Renaud...

Elle a travaillé très dur pour qu’un conflit armé n’éclate pas entre la Péninsule et le Zagazorn, elle refuse d’être la cause d’une autre guerre, tout aussi meurtrière, entre deux Duchés. Il dit qu’il ira parler au Duc de Serramire et ses arguments sont tout à fait valables, alors elle lui fait confiance. Il trouvera sans doute les mots et les arguments qui convaincront Arnaud de Brochant de les laisser s’unir. Les grands yeux noisette, inquiets, regardent Renaud un long moment avant qu’elle ne déplace ses doigts vers la joue de son promis.

- La guerre…ce n’est pas un mot qu’on prononce sans conséquences.

La châtelaine finit par se blottir contre lui, les yeux grands ouverts sur les flammes de l’âtre qui dansent encore sur les bûches, dans cette petite pièce qui est réservée à ses repas en privé. Le cœur battant, elle savoure tout simplement ce contact-là, la liberté de le faire sans plus aucune restriction sinon celle d’une annonce imminente qu’ils ne veulent ni l’un ni l’autre davantage postposer. Un petit sourire étire les jolies lèvres de Louise.

- Peut-être as-tu raison. Les personnes présentes sont celles qui nous sont les plus proches…

Enfin, elles ne sont pas toutes présentes. En ce qui concerne Louise, la plus importante de toutes n’est pas là, déjà reparte vers sa terre natale, de sable, d’épices et de soleil. Un soupir lui échappe. Qu’est-ce qu’elle aurait aimé partager cela avec lui, ce grand dadais estreventin au regard dépareillé. Au lieu de cela, les gens de Fernel en auront donc la primeur, tout autant que les quelques éraçons présents ainsi que le seul arétan qui réside de manière permanente à Fernel, le petit Harven de Terresang, futur Comte d’Arétria, son pupille.

- Alors viens…, dit-elle en s’écartant un peu de lui et en gardant ses doigts noués aux siens. Allons annoncer la bonne nouvelle d’une alliance entre Erac et Fernel.

La joie de Louise la rend radieuse, le bonheur de partager dissipant la mauvaise impression d’un spectre de guerre. Entraînant le Duc par le bout des doigts jusqu’à la double porte fermée, elle se hisse sur la pointe de ses chaussons pour parvenir à l’embrasser, une dernière fois, avant d’ouvrir la porte en grand, leurs doigts toujours noués.

Dans la salle, la musique s’arrête de nouveau et tous les regards sont dirigés vers le couple qui avance d’un pas. Louise a posé sa main sur celle de Renaud, comme s’il la guidait, alors qu’en réalité c’est elle qui initie la marche. Plus loin, Enguerrand vient de pâlir, tout autant qu’Aymeric.

- Bon peuple de Fernel, Chevaliers d’Erac, mes amis…Nous ne pouvons davantage taire la nouvelle et tenons à ce que vous soyez les premiers à l’apprendre.

La châtelaine a un regard doux pour Renaud avant de regarder l’assemblée, puis Harven de Terresang auquel elle décoche un rapide clin d’œil rassurant.

- Son Altesse vient de demander ma main. Et j’ai accepté. Si le Duc de Serramire y consent, nous serons donc bientôt unis sous l’œil bienveillant de notre DameDieu en sa cathédrale de Sainte-Deina.

Louise interpelle Renaud sur ses mots, n'appréciant pas l'idée de la guerre. Naturellement, cela avait été dit sur le coup et sans réflexion, mais peut être serait il capable d'en faire une maintenant qu'il avait trouvé une personne qui lui était chère, un sentiment qu'il avait enfuit tellement profondément en lui qu'il l'avait oublié, et en plus d'être parvenue à cela, il l'aimait, ce qu'il n'avait jamais ressentie pour personne. Mais il détestait la guerre, et après avoir prit le temps de réfléchir, il chercherait d'abord toutes les solutions pacifiques avant d'y avoir recours, et encore seulement en cas d'absolue nécessité. Il embrasse les doigts qui se posent sur ses lèvres. Quelque part les mots de Louise l’apaisent, et le rassure. Elle aurait pu ne rien dire, et penser qu'elle en valait la peine, ou en profiter pour avoir sa vengeance sur Arnaud qui lui avait fait tellement de tord à ses yeux. Mais non, il semble qu'elle soit réceptive aux conséquences qu'une guerre amène indéniablement, ce qui est logique si l'on prend en considération toute l'affection qu'elle a pour ses gens. Les envoyer se faire tuer ne représente pas ce qu'il y a de plus sage, surtout pour une petite châtellenie

"J'ai parlé avec emportement, pardonne moi mon amour. Je sais les ravages que la guerre peut causer, et si je peux l'éviter, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour écarter son spectre et nous préserver de ces méfaits."

Les contacts qu'il partage avec Louise sont magnifiques, et il aimerait qu'ils ne se terminent jamais. La châtelaine se range à son avis concernant l'annonce, acceptant d'en parler à leurs proches, et lui demandant de la suivre. Autant battre le fer tant qu'il est chaud, surtout qu'il n'en peut plus de ne pas crier à la face du monde qu'il est amoureux et qu'il désire garder cette femme auprès de lui pour l'éternité. Lorsque Louise le prend par les bouts de ses doigts, s'accrochant aux siens, et l'entrainant vers la porte avant qu'ils ne s'entrecroisent, le Duc ressent un frisson qui le parcours de la tête aux pieds. Ce simple geste, si évident entre deux être amoureux, et qu'il avait déjà vu à de multiples reprises quand il avait observé ses gens, il ne l'avait jamais fait avec personne, ses mariages étant arrangés, et ses conquêtes, uniquement du sexe. Quelle sensation divine que de partager cela, de ressentir ce lien invisible qui s'est créé entre eux, et qui les relie l'un à l'autre. Il la suit, regardant les doigts qui se trouvent entre les siens, la laissant mener cette danse, comme un petit enfant ne sachant comment réagir.

Il se ressaisit lorsque Louise ouvre la porte, reprenant constance comme on lui a enseigné, même si au plus profond, il est toujours bouleversé alors que c'est lui qui a fait la demande. Il ressent la joie de sa partenaire et ce bonheur il le partage. Il est submergé mais il l'accepte volontiers, le reléguant malgré lui pour tenir son titre et son rang alors qu'il y a du monde autour d'eux. Quel talent elle à pour faire penser que l'autre dirige alors que c'est elle, une future Duchesse qui risque de faire des ravages. Il reprend lorsqu'elle a finit, un sourire béat sur les lèvres

"Mes amis, soyez les témoins privilégiés de l'amour qui nous uni l'un à l'autre. Je suis un homme comblé depuis que la Dame de Fernel à accepté ma demande. De même, je suis certain que Néera à fait se croiser nos chemins, et qu'elle doit se réjouir que l'on ait finit par comprendre tous les signes qu'elle nous avait envoyé. Je n'ai aucun doute que le Duc de Serramire ne s'opposera pas à notre bonheur, et qu'il consentira à notre union, surtout lorsqu'il constatera la force de nos sentiments"

Même un aveugle aurait pu ressentir le rayonnement du couple et à quel point l'harmonie était parfaite quand ils se trouvaient cote à cote.

"Joignez vous à nous dans notre bonheur, et au rapprochement de nos deux peuples."

Il n'avait pas de verre pour le lever, mais c'était bien l'effet attendu. Il avait posé son regard sur l'ensemble de l'assemblée, les uns après les autres durant le discours de Louise, puis le sien, et il l'avait terminé quand ses yeux croisèrent ceux d'Ernest, chez qui il ne manquerait de rechercher l'approbation. Heureux ou pas, toutes les personnes présentes ne manquèrent pas de féliciter allègrement le couple désormais fiancé, du moins jusqu'à la rencontre avec le Duc de Serramire.

Après avoir échangé avec tout le beau monde présent, Renaud finit par trouver un moment pour emmener la belle à l'écart. Malgré le froid, ils finirent dehors, en tout bien tout honneur, pour converser de choses plus frivoles. Ils parlèrent bien entendu de la délégation qui ne manquerait pas de partir très rapidement pour la capitale, le Duc ne voulant pas perdre plus de temps qu'il n'était nécessaire pour que leur future union devienne officielle et validé par Arnaud.