La mâchoire serrée à t’en briser les dents, tu mets tout ce qu’il te reste de force dans ce qui se sera prouvé être la répétition de trop. La douleur irradie ta poitrine, et tu peines à en éloigner la fonte, mais si tu ne veux pas finir tristement décapité par une barre de métal, tu n’as pas réellement d’autre choix que de lutter. Tes épaules tremblent, tes jambes tremblent, mais ton abdomen serré au point de te faire regretter avoir aussi copieusement petit-déjeûné, tu finis tout de même, au prix d’un silencieux cri d’agonie, à rendre le poids au râtelier. Tes pieds quittent le sol, et dans un mouvement de balancier, le retrouvent pour aider ton buste à se soulever. Tes mains viennent chercher ton visage, et tu souffles, tant d’épuisement que de soulagement. Tu souris, fier du travail accompli, et l’espace de quelques instants, tu profites, avec une joie mélancolique, du semblant de brise d’hiver soufflant depuis la fenêtre.
Chaque fois que vient l’hiver tu te gardes bien de le répéter, mais tu détestes les mois « froids » d’Alëandir. Justement parce qu’à Alëandir, le froid n’existe pas. Les ridicules courants d’air s’écrasant contre les volets pourtant grands ouverts s’essayaient en vain à rafraîchir l’atmosphère, mais l’odeur acide de tes efforts demeurait, et la poisse qui te couvrait la peau se refusait à sécher. Les yeux fermés, tu respires amplement, faisant mine d’ignorer ta propre odeur, alors que tes autres sens s’adonnent à quelques vagabondages. La sourde cacophonie des allées en contrebas, les pas marqués par les habitants du palais, le souvenir des babillages de Saeledhel et Hràvion, tout un univers de sons passés et présents se mêle en ton esprit.
Puis un cri.
Un cri attire ton attention, et t’arrache à tes pensées. À peine levé que tu te lances à grandes enjambées vers le sommet des plus hautes tours du Palais du Trône Blanc, saluant au passage – et à la va-vite – un soldat au nez retroussé, dont tu sais déjà les raisons de la présence.
Il est là. Depuis ce fameux épisode dans les cimes de Daranovar, l’animal revient régulièrement chercher ta compagnie. Et si tu en es heureux, tu ne sais réellement qu’en penser. Si ce qu’en disent les
Lirfelû est bien vrai, l’aigle est âgé. Des siècles durant l’animal aura régné, en compagnie de sa moitié, sur les hauteurs des Monts Norn. Et aujourd’hui il était seul…
Debout au belvédère de la pointe du Palais, le regard perdu dans l’horizon, tu flattais pensivement le plumage de l’oiseau. L’animal en retour s’amusait à te chahuter, te poussant à l’occasion de ses ailes ou de sa tête lorsqu’il voulait que tes caresses aillent autre part, parfois t’enveloppant de son plumage pour te rendre la pareille, parfois se saisissant d’une mèche de tes cheveux comme s’il s’agissait d’un plumage à lustrer. Lui piaillait allègrement, comme cherchant à te communiquer quelque histoire, tandis qu’en retour, tu lui racontais les tiennes. Et ainsi passaient quelques minutes, rapidement faites une heure. Une heure entière avant de remarquer, alors que – gêné – l’animal finit par secouer la patte, tu finis par remarquer la bourse qui y était nouée.
Interloqué, tu t’en étais saisi. À qui pouvait-elle bien appartenir ? Sû avait-il fini par s’acoquiner de quelqu’un ? L’un de tes sourcils s’était levé, et c’est avec une nervosité certaine – et non sans une pointe de jalousie – que tu t’étais appliqué à déplier l’origami que le-dit propriétaire avait fait d’un parchemin. Curiosité mal placée est la pire des effronteries qu’il disait, le prêtre ton premier mentor… mais découvrir l’identité de l’ami d’un ami n’était-elle pas juste cau…
Tu ris. Et c’est à Sû d’être maintenant perplexe. À gorge déployée tu ris, te rendant compte d’à qui ces mots étaient destinés. Et l’animal, sans savoir ce qu’il fait, de ses cris aigus et rauques semble essayer de t’imiter.
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Qu’est-ce que tu en dis ? tes doigts viennent gratter le jabot de l’animal On part à l’aventure ?Les expressions de l’oiseau, soumises à ton imagination, ne peuvent qu’acquiescer. Alors sans perdre une seconde, tu es parti. Sans prendre la peine de rien emporter de plus qu’une ceinture de force à laquelle accrocher ton focaliseur, tu es parti. Trop heureux te pouvoir un instant t’arracher à la routine du palais, sans pour autant avoir de guerre à livrer.
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Je remonte la Trace.Sera la seule information que tu auras laissé aux gardes du Palais avant de disparaître dans les rues de la Cité. Qu’ils te cherchent, et tu ne serais pas bien difficile à trouver, car en plus d’être grand tu étais suivi. Loin au-dessus de ta tête battait une immense paire d’aile, à laquelle tu faisais, d’un sourire, régulièrement signe. Et cela jusqu’à ce que le couvert de la forêt ne rende l’échange plus difficile, et que la minceur de la semelle de tes chausses –
elle n’étaient pas de celles faites pour marcher hors de la ville – se rappelle à toi. Mais tu n’en as cure, en réalité. Ton attention toute entière va à la Sylve et à sa pulsation, car qui sait, un « fruit » bleu se présenterait peut-être plus vite à toi que tu ne pouvais l’imaginer.
- Du coup non, il a pas pris le temps de correctement s'habiller non plus en partant donc la tenue du jour: