[Haut-Temple de Kiel] Entre deux cris [Eiriz']

Oglicos, Première ennéade de Verimios, An XIX, Cycle XI

«Ori'gato lil' ul'nusst mrimm uns'aa»
«Ori'gato lil' ul'nusst mrimm uns'aa»
«Ori'gato lil' ul'nusst mrimm uns'aa»
«Ori'gato lil' ul'nusst mrimm uns'aa»
Laissez le cri nous guider…


Cela semblait être la seule réplique qui s’élevait dans le temple de la maîtresse des souffrances. Des adeptes répétaient encore et toujours la phrase qui semblait résonner dans l’énorme pièce. De temps à autre, un cri de douleur venait troubler la litanie des adeptes, signe que quelqu’un venait de faire une offrande à celle qui ne cessait de hurler. On aurait dit que les adeptes étaient de plus en plus nombreux dans le temple. Déesse pilier – Kiel semblait être de plus en plus dans les conversations. Il fallait dire que la nouvelle de son avatar ne laissait personne indifférent, et les illythiiris ne se gênèrent guère pour envahir le temple pour rendre hommage à celle qui avait formé leurs esprits.


Soudainement, une figure entra. Une ilythiiri comme mille autres qui venait saluer la maîtresse des souffrances. Si les innombrables adeptes ne semblèrent guère y porter attention, l’un des prêtres s’arrêta net en la voyant arriver. Sans attendre, il s’avança vers le fond du temple, là où une silhouette vêtue de rouge semblait diriger la prière scandée. Le corps d’un sacrifié devant elle, alors que ses mains, teintées de rouge, retiraient quelque chose du corps en face d’elle. Le prêtre s’arrêta près de la grande figure, avant de s’arrêter près de l’Obok Yatharil. Les deux prunelles blanchâtres s’ouvrirent finalement alors que l’adepte ornée d’une tunique rouge venait de finir de murmurer sa phrase à son oreille.


« La Doth’ka est là… »


Un sourire carnassier sembla s’étirer derrière le masque avant que l’Obok Yatharil ne se relève et ne tourne doucement la tête vers celle qui venait de faire son apparition. Les deux yeux blancs semblaient scintiller au travers du masque d’Onous'Delab alors qu’elle fixait sa prochaine victime, ou invité qui pouvait réellement le savoir? Après tout, ces membres n’étaient pas un secret pour les prêtres de Kiel, qui veillait à leur formation, peut-être venait-elle simplement pour un entraînement supplémentaire? Bien que l’idée plût particulièrement à la haute-prêtresse, elle aurait plus parié que la Doth’ka avait été envoyée pour vérifier les dires qui résonnaient au Puy. À croire que les rumeurs ne tombaient plus dans les oreilles des sourds. La figure voilée de rouge s’avança vers l’ilythiiri avant de se mettre à ses côtés, fixant les adeptes qui se scandaient toujours la même prière. Silencieuse pendant un moment, la prêtresse observa silencieusement la scène qui se déroulait devant elle. Sous son masque impassible, on pouvait voir l’excitation qui bouillait dans ses yeux, seule chose que son masque semblait alloué. Puis soudain, une voix neutre, semblant sans expression vint finalement briser le silence. « J’imagine que tu n’es pas venu pour une autre formation… » Nul besoin d’observer sa réaction, nul besoin de regarder l’ilythiiri pour savoir ce à quoi elle pensait.

C'est lorsqu'elle arpentait les Profondeurs du Puy d'Elda qu'Eiriztraena comprenait qu'elle passait bien trop de temps loin de chez elle. Sur les quatre-vingt-un jours composant un mois miradelphien, elle n'en passait qu'une poignée ici-bas, avant de repartir presque immédiatement. Mais, cette fois-ci, les choses semblaient bien différentes. Chacun œuvrait pour le Puy à sa manière, mais venait un moment durant lequel l'on devait surveiller son voisin du coin de l'œil. Si Eiriz' n'avait pas chômé, elle n'était vraisemblablement pas la seule. Et la voilà devant le titanesque Haut-Temple de Kiel, la déesse de la douleur, missionnée par ses maîtres.

Il s'agissait probablement de l'un des seuls bâtiments du Puy duquel s'échappait régulièrement des cris ou des complaintes. Qu'il pourrait d'être une banale architecture qu'on le reconnaîtrait tout de même entre milles. L'on penserait de prime abord aux sacrifiés, mais l'on ne pouvait ignorer les Ilythiiris qui rencontraient les prêtres de Kiel pour se mutiler de bien des manières, et pour bien des raisons. Ils n'étaient pas qu'une poignée, bien au contraire. Les adeptes étaient les premiers à endurer ce qu'ils infligeaient aux sacrifiés. Mais, nombreux étaient les profanes qui rencontraient les prêtres de Kiel pour mettre à l'épreuve leurs limites. En tant qu'agente de la Doth'ka, Eiriztraena le savait très bien. Une recrue ne pouvait espérer intégrer la Doth'ka s'il ne parvenait pas à endurer les tortures pour le moins créatives des prêtres de Kiel qui assistaient le Maître des Tortures. Un agent confirmé n'en gardait jamais un bon souvenir, jusqu'au jour où cela lui sauvait la vie. Nul doute que c'est également le cas d'Eiriztraena, qui souriait comme une adulte confirmée qui venait retrouver un ancien professeur pour lui raconter à quel point elle avait réussi sa vie.

Loin des infiltrations discrètes si communes aux agents de la Doth'ka, la Prima Sanguis n'était à rien de s'offrir une entrée théâtrale dans l'antre de la douleur. En son sein, les complaintes des sacrifiés et des initiés se voulaient plus stridentes, comme si Kiel elle-même hantait l'esprit du visiteur par son cri. Les prêtres en bure rouge réunis psalmodianent continuellement devant une figure qui les dominait. Eiriztraena faisait irruption au beau milieu d'une cérémonie ou d'un rituel. Sans l'interrompre, la figure dominatrice se détacha finalement et rejoignit la visiteuse. Nul doute qu'il s'agissait d'une personne haut placée au sein du Culte, mais difficile de reconnaître qui que ce soit avec tous ces masques. C'était à se demander s'ils n'étaient pas plus cachotiers que les agents de la Doth'ka.

« Euh… je crois que j'ai ce qu'il faut. Du moins pour l'instant. » pouffa Eiriz', sans quitter des yeux le rituel qui se déroulait devant ses yeux. « À dire vrai, je ne comptais pas vraiment débarouler ici en plein milieu d'une cérémonie. » se désola-t-elle, malgré son ton léger et délicat. « Mais, on dit que de grandes choses sont à l'œuvre ici. Ce doit être la première fois, depuis la débâcle de Naélis, que de telles rumeurs pullulent ainsi au Puy, et je suis prête à parier que je ne suis pas la première à venir voir cela de plus près. »