Le deuxième rendez-vous après les mots doux | Viliam

Deuxième Ennéade de Favriüs, An XX du Onzième Cycle,
Dans une auberge de Thaar, Itri'Vaan.

Dans les ruelles souvent étroites de Thaar, une silhouette noire vagabondait dans les ombres que le soleil printanier lui offrait. Loin des robes et des bijoux brillants qu'elle avait pris l'habitude de porter à force de fréquenter les Soieries, c'était un long manteau capitonné noir que portait Eiriztraena Deäl'Honn. Celui-ci ne couvrait que des vêtements simples, ceux qu'elle portait lorsqu'elle devait régler quelques affaires… moins conventionnelles. Le printemps était la saison parfaite pour dénicher tous un tas de types qui profitaient de l'hiver pour hiberner et disparaître, mais qui ne pouvaient se contenter de cela toute leur vie éphémère.

Armée de son focaliseur, de ses armes et de quelques protections discrètes, la Garde Silencieuse de la Doth'ka avait écumé Thaar pour éliminer, effrayer, extorquer, ou encore dérober plusieurs cibles listées sur un parchemin. Comme le hasard faisait bien les choses, il fallait, en plus, que tous ces tocards soient disséminés dans toute la ville, du Port aux Lanternes, des Soieries au Bazar. Le soleil une fois couché, Eiriz' en avait sa claque. Son chemin de retour était animé par les soupirs et les étirements, comme pour oublier cette journée frivole. Elle traînait bruyamment des pieds avec ses cuissardes à talons, serrant un peu plus son manteau pour résister à la fraîcheur de la soirée.

Se frayant un chemin parmi les types déjà ivres morts, les brigands et autres bonshommes louches ainsi que les simples passants, Eiriz' fit un détour et s'arrêta dans une auberge plutôt banale, sinon miteuse. Elle se faufila entre les tables d'hommes riant grassement, une pinte à la main, pour s'installer au comptoir, où seul un bonhomme s'enivrait de rhum bleu. La Drow l'observa longuement, comme si elle attendait qu'il s'écroule pitoyablement sur le sol. Mais comme il n'était vraisemblablement pas assez ivre, malgré ses joues rouges et son air hébété, elle se pencha sur le comptoir, observant rapidement la salle comble.

« Vel'bol tlun usstan xundus ghil ? » marmonna-t-elle d'un air dépité, comme si elle ne pouvait s'échapper de cet endroit.
(Mais qu'est-ce que je fais là ?)

Se retournant dans un soupir, Eiriztraena sortit une petite bourse de monnaie, préparant à passer sa commande, bien que personne ne se tenait derrière le bar. Décidément, ce n'était pas sa journée. Ce n'est que lorsqu'une personne émergea de l'arrière salle qu'elle leva la main pour qu'elle vienne le servir.

« Avec mon ami… » fit-elle en désignant l'homme ivre à sa gauche. « On a failli attendre. »

-Je crois que tu te trouves au mauvais endroit pour te faire des amis.

La lame d’une très fine épée vint se poser entre les omoplates de la drow accoudée au bar. En face, l’homme qui s’apprêtait à la servir s’était alors figé, avait pâlit et fixé un point derrière elle. Sans doute lui fit-on un signe car rapidement il s'empressa de faire demi-tour, tandis que l’atmosphère s’appesantissait drastiquement.

Ça et là, des regards s’échangeaient, certains surpris, d’autre plus assurés. Certain s’amusèrent une seconde de la scène, gagnant un regard noir de la part du voisinage, puis s’en retournèrent à leur activité, dans un murmure moindre et légèrement moins joyeux. Personne en tout cas ne dénia intervenir en faveur de la femme.

En tournant un peu la tête, la noirelfe pouvait sans doute apercevoir la silhouette d’un grand humain au cheveux blond, qui s’approcha jusqu’à s’assoir une chaise plus loin d’elle, l’air froid mais pas plus menaçant que ça. A sa main posé sur une dague à sa ceinture, on devinait qu'il n'attendait pourtant qu'une chose : qu'elle fasse un mouvement de trop pour en finir. Quant à la voix dans son dos, elle l’avait elle aussi déjà entendue, quelques mots auparavant. Sauf que cette fois, le chef de l’Aile Blanche était chez lui et il ne la craignait pas.

Eiriztraena ne cilla lorsqu'elle sentit une lame s'appuyer sur son dos. Qui pouvait bien avoir le cran de se penser capable de se mesurer à elle ? Cela suffit à faire fuir le serveur, qui n'avait même pas pris la peine de servir la Drow. Elle regarda d'un air peiné le type bourré à ses côtés, qui, s'il se fichait bien de la situation, n'aura pas à boire, lui non plus. Autour d'elle, personne ne moufta, hormis un type qui croyait certainement l'impressionner, du haut de sa dague pourrie nouée à sa ceinture. Le toisant quelques instants, elle finit d'ailleurs par le reconnaître. Elle voulut observer celui qui pointait la lame dans son dos, mais il appuya plus fort pour l'en empêcher. Cela dit, elle se doutait bien de qui il s'agissait.

« C'est qu'ils sont vivants ! » commenta la Drow, un large sourire aux lèvres. « Comment était cette sieste parmi les rats et la pourriture ? »

Elle ne bougeait toujours pas, sereine là où n'importe quel idiot paniquerait. Elle ne connaissait que trop bien la faiblesse de son adversaire pour lui offrir un semblant d'adrénaline ou de peur. Ceci étant, elle ne pouvait pas ne pas reconnaître son audace. Il fallait un certain courage pour chercher une revanche face à un adversaire beaucoup plus fort. Ou peut-être n'était-ce que de la bêtise ou de l'orgueil. C'est bien là tout ce qu'il restait à ce genre de types.

« Qu'est-ce que tu veux ? De l'or ? Après tout, il a une famille… » lâcha-t-elle, avec son ironie légendaire, pointant du doigt le blondinet passif un peu plus loin. « Si c'est la dague que tu cherches, tu devras malheureusement te retourner vers son propriétaire. » Eiriz' tourna légèrement la tête pour que le bandit puisse ne serait-ce qu'apercevoir son sourire. « Si tu veux te venger… »

Eiriztraena s'interrompit, pensive. Elle aurait simplement pu lui rappeler qu'elle était bien meilleure que lui, qu'il soit seul ou avec sa bande de copains. Si le Guet intervenait, elle n'aurait également aucun mal à s'en défaire. Mais, les menaces franches et directes n'avaient pas tant d'effet que ça sur celui-là. Après tout, il s'était entêté à voler un Eldéen alors qu'elle l'avait averti plusieurs fois qu'il s'agissait d'une très mauvaise idée. Et il n'était pas passé loin de la peine capitale.

« C'est compréhensible, pour être honnête. » finit-elle par dire aléatoirement, haussant une épaule d'un air hésitant. Elle tourna une nouvelle fois la tête, toisant le blondinet au loin, mais s'adressait bien à celui qui pointait son épée sur elle. « Mais, entre nous, tu as si peu à perdre pour venir retenter ta chance ? »

-La vengeance ?  Elle put entendre un ricanement moqueur. Non. J’ai passé l’âge pour ce genre d'enfantillages.

Il y eut un silence, et dans son champ de vision, elle put probablement entre-apercevoir un nouveau signe de la main. Alors sans un mot, Ren s’approcha, et avec une prudente lenteur il fit mine de retirer à la drow la moindre trace d’arme ou d’objet un peu trop aiguisé au goût des bandits. Bien entendu, durant tout ce processus, la rapière de son compagnon se trouvait toujours appuyé au creux des omoplates de la puysarde, des fois qu'elle se rebiffe.

Le tout se retrouva petit à petit posé sur le comptoir du bar et un troisième homme, un elfe au visage très jeune qui répondait visiblement au nom d’Esgalön les emporta lorsqu'on l'interpella.

-En revanche, Continua tranquillement Viliam tandis que le blond s’attela à lier les mains de l'éldéenne à l’aide d’une fine corde, tu pourrais probablement nous dire ce que tu fiche là…

Car aux yeux des bandits, les chances qu'elle se trouve chez eux par hasard étaient si fines qu'ils ne tenaient pas à prendre le risque.

« Alors pourquoi tu me cherches des noises ? »

Il ne tentait pas de lui faire croire qu'il appréciait les coups de pied au derrière, tout de même ? Et croyait-il vraiment qu'elle avait besoin de ses armes pour lui coller une raclée ? C'est avec un sourire narquois qu'Eiriztraena se laissa désarmer, d'autant plus que ce crétin de blondinet, comme beaucoup d'autres, omirent de retirer l'une d'entre elles. La plus redoutable et la plus discrète qui nouait ses cheveux en un chignon désordonné.

« Je venais juste boire un coup mais je crois qu'il y a des imbéciles qui n'ont pas retenu les leçons… »

Son regard pourpre se chargeant de haine alors qu'elle fixa l'autre idiot tenter de lui lier les mains, Eiriztraena serra la mâchoire et gaina son ventre. Sa patience avait des limites, et ils étaient bien fous de penser qu'elle se laisserait ficeler comme un rôti. D'un geste vif et soudain, la Drow pivota pour taper la lame du coude, de sorte à suffisamment l'éloigner d'elle et se donner le temps d'asséner un coup de genou éclair dans le buste du blondinet. Elle le projeta alors vers son copain à la rapière pour qu'ils se télescopent et s'écroulent, l'espérait-elle, sur d'autres tables de la taverne.

« J'étais juste venu boire un verre ou deux pour me soulager de cette journée de merde… » fit-elle en se saisissant de son pic à cheveux pour la tenir comme une dague, dénouant sa chevelure blanche qui ondula sur ses épaules. « Même ça, c'est pas possible ? »

La main fermement agrippée à son focaliseur, Eiriztraena se tenait prête à incanter ou à se défendre selon la situation. Ces débiles n'étaient pas du genre à renoncer, même lorsqu'ils se savaient perdants. Mais quelque chose clochait. Que cherchaient-ils réellement ? Pourquoi l'agresser cette fois-ci, si ce n'est par vengeance comme ils l'avaient nié, alors même qu'elle ne demandait rien à personne ? Ils la savaient riche, mais ils voyaient bien qu'elle ne portait rien de bien précieux sur elle. Tout ceci la laissait perplexe même si cela ne changeait rien à la raclée qu'elle leur donnerait si jamais ils la voulaient.

« Tu peux garder mes armes si tu veux, ça te changera de cette merde qui te sert de rapière. Mais ne t'avises pas d'en demander plus si tu ne veux pas retourner dans les égouts. »

Ren voltigea soudain dans la salle. Son camarade voulu le rattraper mais en vain et sa chute se termina lourdement sur une table qui céda sous son poids. Alors qu’il se relevait non sans quelques grognements douloureux, son compagnon lui lança un bref regard concerné, avant de fixer à nouveau leur ennemie, arme au poing, prêt à riposter. Elle était la menace et le principal centre de toute l'attention de la salle à présent.

-Soit t’es sérieuse et idiote, soit tu te fout de notre gueule. Répondit-il. Et dans tous les cas le résultat est le même. T’obtiendra rien ici.

Pouvait-elle ? Pouvait-elle réellement n’avoir atterrit ici que par le plus pur des hasards ? Non, c’était une menteuse, comme tous les siens et les probabilités étaient trop fines.

Autour d’eux, certains clients s’étaient empressés de plier leurs affaires en voyant l’ambiance qui s’installaient. D’autres, cinq ou si peux être, s’étaient arrêtés de rire et fixaient la scène, les visages tendus et fermés. Certains semblaient se tenir prêt à intervenir, les armes jamais bien loin de leurs mains.

-Tu gagnera pas cette fois. Fout le camps. Je ne le redirais pas.

Aussi forte était-elle, pensait-elle réellement leur tenir tête armée d’un seul pic à cheveux ?

« Parce que tu crois que j'attends quelque chose de toi ? Que je suis là pour une raison particulière ? » ricana Eiriztraena. « Tu me prends pour une mendiante ? Ou alors tu es devenu Prince-Marchand entre temps ? »

Depuis quand les riches fréquentaient-ils les cloaques dans l'espoir d'y gagner quelque chose ? Les ennéades avaient passés, il avait frôlé la mort mais ne s'était pas débarrassé de sa débilité. Ou peut-être avait-il quelque chose à cacher pour se penser traquer par le moindre agent d'Elda ou de Thaar?Quoi qu'il en soit, ce spectacle n'était pas bon pour les affaires du propriétaire qui voyait les clients, même les plus éméchés, s'enfuir un par un de l'auberge. Il fallait bien admettre que cet endroit allait être le lieu d'une bagarre plus que sanglante.

« Cela reste à voir. » fit-elle simplement d'un air las. « Mais… rends-moi mes armes, et je peux éventuellement songer à quitter les lieux, si ça peut te sauver la vie. »

Cette vulgaire bande de malfrats méritait pourtant une bien bonne correction pour leur rappeler quelle était leur place. Mais, Eiriz' n'était pas du genre à ne pas laisser d'échappatoire lorsque ça ne valait pas la peine de tuer. Ces types-là ne valaient rien. La meilleure prime posée sur leur tête ne pourrait même pas financer un bon sofa, ni même l'épée courte et le stiletto qu'ils lui avaient volé. C'est bien pour cela qu'ils se montraient bien présomptueux de penser qu'elle en avait quelque chose à faire d'eux.

La Drow regarda autour d'elle, son visage se prenant d'un rictus maléfique. La taverne n'était plus qu'éclairée par de faibles bougies. Du gâteau. Focaliseur en main, Eiriz' se mit à fredonner une chanson d'un air sombre, et commença à invoquer les ombres autour des diverses sources de lumière. Rapidement, les ténèbres envahirent l'auberge. Dans le noir complet, elle prenait un avantage considérable sur ces pauvres humains qui n'y voyaient même pas le bout de leur propre nez.

« Et maintenant ? Toujours aussi confiants ? » demanda-t-elle en ricanant dans le noir. Profitant de la confusion, elle commença à se mouvoir dans l'obscurité. « J'espère que votre sang aura meilleur goût que les boissons que vous m'avez empêché de consommer. »

D'un pas léger, la Drow, s'approcha de l'un des bandits et, lui planta son pic à cheveux sur l'arrière de la cuisse, avant de rapidement s'éloigner de lui pendant qu'il hurlait. S'ils voulaient une nouvelle démonstration de sa puissance, ils l'auraient. Ce n'est pas comme si elle ne les avait pas averti. Encore une fois, ils avaient décidé de défier plus fort qu'eux.

- Vil’ !

Sans qu'ils ne puissent rien y faire, le silence tomba comme tomba la nuit sur la taverne. Tétanisé, le chef des bandits ne réagit pas lorsqu’une ombre vint le frôler et qu’un cri retentit plus loin. Autour il ne percevait rien que des son étouffés de panique et la chanson entêtante de la drow. C’était comme si tout son monde ne se résuma plus qu’à cette atroce petite comptine qui sifflait à ses oreilles. Il était incapable de dire où il était. Ce qu’il se passait autour de lui malgré les exclamation qui résonnaient. Le danger était unique et partout à la fois. Il était à la merci de la drow. Comme un enfant, incapable de se défendre.

- Viliam ! Bouge de là ! Et Ren d’hurler a ceux qui restaient. On se disperse !

Comme il ne reprennait pas ses esprits, une main vint soudain se glisser jusqu’à saisir son poignet et, avec force, presque violemment,on le projeta en avant. Ignorant le choc de chaises et des tables sur leur passage, la silhouette de Ren l’envoya carrément bouler à l’extérieur du bâtiment. La seule chose que le bandit parvint alors à faire de plus c’est de se recroqueviller derrière un muret, fixant se mains agitées de brutaux soubresauts.

-Hé la drow ! A l’intérieur, la voix fluette de celui qui avait emporté ses affaires retentit en haut de l’escalier d’où brillait la lumière d’une timide lampe.

-Esgalön vas t’en !

-Y a que moi qui sait où sont tes affaires. Ne se démonta pas le jeune homme, ignorant les ordres du lieutenant dans un élan de courage un peu fou. Laisse les autres tranquille et je te les rends.

Comme la Drow l'avait anticipé, la panique gagna le cœur de ces hommes faibles et présomptueux. L'un d'eux, le blondinet semblait-il, tentait au mieux de calmer le jeu, de donner ses consignes pour qu'ils puissent résister avant que la magicienne ne profite définitivement des ténèbres pour tous les emporter dans la tombe. Eiriz' jouait avec leur peur tel un prédateur jouant avec sa propre nourriture. Mais, à dire vrai, elle n'avait pas tant intérêt à tous les massacrer. Néanmoins, elle n'aurait jamais cru ce blondinet capable de faire preuve d'autant de sang froid. Ce crétin avait peut-être plus de ressources qu'il ne le laissait croire.

Non sans un amusement sinistre, elle l'observa pendant qu'il essayait d'évacuer celui qui tenait sa rapière. Plus que les autres, celui-ci paraissait purement et simplement tétanisé. Ses élans de courage et de défi s'étaient complètement envolés. Décidémement, il avait vraiment un don pour provoquer la mauvaise personne. Dire qu'elle était simplement venue boire un coup pour noyer une mauvaise journée dans un peu d'alcool, même infect. La Drow devait bien admettre qu'elle n'avait pas eu de bol en tombant sur ces voyous.

Du haut d'un escalier qu'elle n'avait pas forcément remarqué, une voix qu'elle ne connaissait pas se fit entendre. Bien entendu, ses ombres ne s'étant pas étendu jusque là, d'où la lumière qui jaillissait depuis sa lanterne. Quel genre de piège cherchaient-ils encore à lui tendre ? Était-ce vraiment un élan de camaraderie poussant ce petit à prendre le risque de mourir pour sauver ses copains ? Ce n'était pas la première fois que l'un d'eux acceptait d'encaisser les coups pour les autres, finalement. Mais, cette fois-ci, ils n'étaient pas que deux. Bien que, derrière Eiriz', les brutes essayaient de fuir cet endroit malheureux, elle ne pouvait prévoir ce qui l'attendait dans ce repaire de brigands.

« Vue la situation, c'est plutôt “Rends mes armes, et je laisse les autres tranquilles”. » rétorqua la Sombre d'une voix menaçante, lorgnant le blondinet qui était le seul à ne pas paniquer et à rester sur les lieux. Elle s'approcha des escaliers, vérifiant sans cesse que personne ne tente quelque chose dans son dos. « Lance la dague et l'épée en bas des escaliers, je les récupère et je m'en vais. J'ai déjà renoncé à la picole, il est toujours temps de cesser de mettre mes limites à l'épreuve. Ça ne vous apportera rien de bénéfique. »

Ren se fit silencieux tandis que le jeune elfe hocha doucement la tête. Il ne comptait visiblement pas lutter, pour le salut de ses camarades. Avec une lenteur toute prudente il recula en arrière, sans cesser de fixer l’ennemie en contrebas, ses mains bien en évidence. Finalement il déposa la lampe sur un petit guéridon et leva les mains vers le plafond d’où, par un geste répété mille fois, il délogea une planche visiblement mal agencée.

Là, il passa sa main, toujours avec des mouvements lents, pour montrer à la drow qu’il ne préparait rien. Quelques secondes s'écoulèrent dans l'atmosphère tendue puis comme promis, il sortit de la petite cavité les deux armes de la puysarde, qu’il lança en contrebas dans un tintement métallique qui résonna dans la salle vide.

Il y eut un regard d’échangé entre l’elfe et l’humain, mais aucun mots. L'un semblait s'être résigné devant l'élan de courage de l'autre. Tout d'eux n'espéraient qu'une chose : la fin de cette soirée définitivement gâchée.

-Tu as ce que tu veux. Fit-il simplement en revenant sur la femme. On est quittes.

Eiriztraena était hésitante. Ces types ne l'avaient pas habituée à obtempérer au moindre avertissement. Alors, quand elle voyait ce petit gars bricoler quelque chose, elle ne s'attendait à rien d'autre qu'un piège très rudimentaire. S'ils étaient plus riches, elle aurait anticipé un jet d'acide, ou même une fumigène. Quelque chose qui a du panache. Mais, avec ces gugus, il valait mieux s'attendre à des pierres, des bouts de bois ou encore de la vaisselle. N'importe quel objet qui ne servirait à rien d'autre que de gagner quelques secondes qui ne suffiraient pas.

Néanmoins, la Drow fut surprise d'apprendre qu'il n'en fut rien. Ce gamin elfe obéit et jeta les armes d'Eiriz' en bas des escaliers. Elle jeta un enième regard sur le blond, qui ne semblait pas préparer un quelconque coup-bas. Pendant un instant, personne ne moufta. Ni Eiriz, ni le blondinet, ni l'elfe, en haut de ses escaliers. Lentement, cette première s'approcha de son épée et de sa dague, les ramassa après s'être assurée une dernière fois que ni l'un ni l'autre de ces bandits n'allaient l'attaquer par derrière.

« Ce que je voulais, à la base, c'était boire un coup. Mais bon, on ne va pas revenir sur ce sujet. » répondit-elle, non sans un soupir las dans cette salle retournée par les divers combats. « En tout cas, tu m'as l'air d'être plus honnête que tes copains. Et moins con aussi. Ils devraient prendre exemple sur toi. »

Nul doute qu'il en avait conscience, mais ce petit venait de sauver la vie de sa bande de gredins idiots. Rien de tout ceci n'aurait eu lieu s'ils avaient eu la présence d'esprit de lui fiche la paix. Mais il venait d'y mettre fin en réagissant rationnellement. Certes, il avait couru le risque de lui donner ce dont elle avait besoin de tous les massacrer, mais, si c'est ce qu'elle avait réellement voulu, elle ne se serait pas gênée pour le faire à coup de pic à cheveux.

« Si le destin se joue encore de nous, peut-être que nous nous reverrons dans deux mois. » fit la Drow au blondinet, alors qu'elle s'apprêtait à quitter le bâtiment. « En tout cas, le service laisse à désirer ici. Sans parler de la sécurité… » renchérit-elle en tournoyant l'index pour désigner l'intérieur de la taverne. « Enfin, je dis ça, moi, c'est pour vous. Ce n'est pas un métier évident, alors il vaut mieux éviter de maltraiter les clients, si tu vois ce que je veux dire. Ce n'est pas très bon pour les affaires. » conclut-elle, non sans lui adresser un très large sourire, trop pour ne pas être factice. « Sur ce, je m'en vais. »