Soyons saoûls

Le banquet organisé par Harald était dans sa globalité une réussite. Tous les dawis présents fêtaient comme il se doit les annonces d’expéditions à venir et autres décisions prises par le Groman-Rick. A leur manière les dawis savaient faire la fête et profiter de pareille tablée ; Il commençait à se faire tard et la majorité d’entre eux étaient encore présents, dans des états bien différents qu’à leur arrivée, mais tout se passait dans la bonne humeur bien connue de ce peuple dès lors qu’il avait de quoi boire et manger à profusion comme il était le cas ce soir-là.

A sa place, Ararün Fier-Marteaux, accompagné de quelques autres cognards de son clan, profitait lui aussi de l’instant. Il faut dire qu’il avait de quoi fêter l’évènement, le capitaine de Kirgan avait vu sa requête de mener l’expédition dans le Nord-Ouest, à la Montagne disparue, validée par le Grand-Roi et pareil honneur ne pouvait que se célébrer dans la boisson et la sympathie. Le Volcan Fier-Marteaux avait perdu son apparence sévère et froide pour se parer d’un visage bien plus avenant et souriant, trinquant avec ceux qui venaient le féliciter de sa sélection, mangeant avec appétit et buvant à ne plus en compter les choppes.

Après un court instant, il sentit une lourde main venir frapper son épaule, le faisant alors tituber vers l’avant en manquant de renverser sa bière. Il se retourna en riant, prêt à trinquer avec ce nouveau venu et vit Braähm Main-Ferme qui était venu le saluer. Ararün leva alors sa choppe en sa direction et vint la frapper contre celle de l’arrivant dès lors qu’il se saisit d’une nouvelle au contenu bin rempli.

« Braähm Main-Ferme ! Par ma barbe ! Quel plaisir d’te rencontrer enfin ! »

Le Capitaine Kirganais offrit son avant-bras au nain et quand ce dernier vint lui serrer, il le tira à lui pour lui donner une accolade. Un geste qui pouvait paraître étrange pour ceux qui ne sont pas coutumiers des traditions dawis en voyant deux inconnus faire, mais de la sorte le Fier-Marteaux marquait à la fois son honneur et son plaisir de rencontrer un de ses frères au nom réputé parmi le peuple de la Montagne.

Après ces brèves salutations, le Gromtrommi se lança sur le sujet de la Montagne disparue. Il était venu mettre en garde Ararün, qui s’était porté volontaire, sur la dangerosité de cette expédition. Le guerrier hocha alors de la tête envers ce dernier et, une fois qu’il avait terminé, reprit aussitôt.

« J’doute pas qu’c’est un coin dangereux ! Mais j’préfère encore prendre l’risque de m’y rendre plutôt que d’laisser mon joufflu bien au chaud ici-même et risquer d’voir le Père de nouveau nous prendre par surprise. »

Pour Ararün, c’était l’évidence même que cette explosion était causée par le Père, Mogar, qui avait voulu de nouveau s’en prendre aux dawis. Il ne savait pas comment, ni pourquoi, mais il était persuadé qu’il trouverait des réponses en allant voir directement sur place et ainsi, peut-être éviter d’autres tragiques incidents comme la Longue-Nuit. Les dangers du Septentrion, il les connaissait bien, certes le Voile avait apporté un nouveau danger avec la venu des sauvageons, des berserks et des engeances, mais il en avait déjà croisé quelque représentants et savait à quoi s’attendre. Le clan des Fiers-Marteaux avait fait des montagnes du Nord leur spécialité, après le retour de Lante lors de la reconstruction de Kirgan, Ararün avait mit un point d’honneur à retrouver cette spécificité là pour les plus jeunes du clan.

« J’connais bien l’dangers aussi qu’peut nous tomber sur l’coin d’la caboche ! L’miens ont fait d’la Montagne leur terrain d’jeux et d’formation depuis des années on est paré à combattre sur c’coin là du Septentrion. »- Il accompagna ses propos d’un geste de la main pour désigner les quelques cognards qui l’accompagnaient, ces derniers vaquaient à leurs occupations, profitant de la soirée. « Et t’sais bien qu’pareil danger ne fera jamais reculer un cognard. »

Il tapa alors à son tour sur l’épaule de Braähm avant de boire une longue gorgée de sa bière. « Tu m’dis qu’les tiens vivaient pas très loin d’là où la Montagne à disparue… Tu souhaiterais t’rendre de nouveau chez les tiens ? »

Il le regarda en haussant un sourcil, titubant légèrement sur sa chaise sous l’effet de cette concentration pour tenter de rester sérieux un instant. Peut-être que Braähm avait des idées derrière la tête concernant cette expédition, peut-être était-ce là une occasion pour lui de pouvoir renouer avec son passé.

Les paroles du Gromtrommi, bien que dans un état assez loin de la sobriété, avaient pour effet de faire réfléchir les quelques méninges qui s’activaient encore dans la caboche du capitaine. Braähm n’avait pas totalement tort, du moins, sa réflexion était loin d’être mauvaise. Pourquoi le Père de tout avait décidé de frapper si loin des mortels ? Lui qui, s’il l’avait voulu, aurait pu de nouveau causer d’innombrables dégâts et causer, cette fois-ci probablement, la perte des dawis.

« Tu jactes et cogite bien, Braähm ! Voilà toute la sagesse d’un Gromtrommi ! AHAHA ! » Il plaqua sa choppe contre la table, manquant d’en renverser une partie de son contenu. Il était rieur, non pas moqueur, mais se prendre telle leçon dans un banquet l’amusé bien. « J’saurai pas t’dire pourquoi l’Père à frappé si loin d’nous… Peut-être bien qu’il a été prit d’remord et n’voulait pas nous refaire vivre une seconde Longue-Nuit ? Ou peut-être que comme le dit Harald, c’est Ikthor qui l’en a empêché ? » Il secoua sa tête en signe d’incompréhension, essuyant la mousse dans sa barbe d’un revers de son gantelet. « Tout c’que j’sais, c’est qu’on se doit d’le découvrir… On est maître d’ces terres et d’ces montagnes et rien qui s’y passe doit nous échapper. » Le rouquin plaqua sa lourde main sur la table comme pour ponctuer sa phrase avant de se resservir un verre presque à ras-bord.

Il haussa un sourcil quand son interlocuteur évoqua la dangerosité des lieux et les cauchemars qui pouvaient s’y trouver ; Engeances, berserkers et même sauvageons. Ararün finit alors pas froncer les sourcils dans une sorte d’échauffement bref et sourd avant de rétorquer sur un ton bien plus amical. « J’connais bien ces dangers-là ! Que c’soit moi, ou certains d’mes cognards. » Il pivote sur lui-même pour montrer vaguement quelques guerriers attablés derrières qui semblaient avoir l’âge d’être des Longue-barbe comme l’est le Thane. « On n’a peut-être pas connu l’pire de c’que ces choses-là ont à nous offrir, mais… par ma barbe ! J’en ai vu calancher plus d’un. Beaucoup plus d’sauvageons, j’dois l’avouer, mais j’sais à quoi m’attendre avec l’reste, t’en fais pas Main-Ferme, mon marteau saura trouver la route d’leurs caboches. »

Le guerrier kirganais bomba le torse comme pour assurer sa posture en face d’un ancien. Braähm n’avait pas à lui montrer du respect aussi facilement, et il le savait, il devait lui-même lui montrer et surtout lui prouver. Ainsi fonctionne la société dawi, les anciens n’ont plus rien à prouver aux autres. Alors que les plus jeunes font tout pour gagner le respect et le mérite. Ararün prit de longue rasade de boisson pour calmer sa gorge sèche et reprit sur un ton bien moins orgueilleux, démontrant le retour de son calme et sa sympathie. « Mais comme tu connais bien l’coin et les dangers qui s’y trouvent, Main-Ferme, tes conseils seront les bienvenus pour préparer cette expédition. »

Ararün le savait, toute aide serait bonne à prendre pour cette mission. Il avait peut-être l’habitude, ou du moins, l’expertise de la montagne dans sa globalité, rien ne vaudrait plus qu’une connaissance approfondie des lieux. La pratique prévaut bien souvent sur la théorie et quand il s’agit de pareille situation, mieux vaut un qui sache et conseille afin d’aviser des meilleurs possibilités. « Peut-être pas ce soir… La bière commence à m’faire tourner la caboche et j’serai pas en état d’cogiter à quoi que ce soit, mais dans l’prochains jours il faudra qu’on se retrouve pour en discuter toi et moi ! »

Il posa de nouveau sa bière sur la table, laissant cette fois-ci sortir un rot sonore. Il se tapa sur le ventre dans un souffle de satisfaction et reprit alors. « On saura s’faire une petite place héhé. Ca s’rait un plaisir que tu puisse revoir les têtes des tiens même d’courtes durée et j’suis sûr qu’eux aussi auront l’palpitant réchauffé de te voir encore en vie. »

Habituellement froid et fermé, le capitaine semblait se laisser davantage aller aux boutades du Gromtrommi. Il trinqua avec lui et porta la choppe à ses lèvres, extirpant plusieurs grandes gorgées du breuvage.

Les conseils, même sur le ton de l’humour, étaient précieux. Braähm connaissait bien la région et son froid mordant, de plus, l’idée d’emporter de quoi nourrir les hommes était aussi bienvenue car il faudrait pouvoir compter sur eux en tout instant et chacun sait qu’un dawi avec la panse remplie est capable de réaliser de grandes choses.

Il s’agissait maintenant de prévoir le tout, de préparer la route à emprunter et de choisir des nains pour les accompagner. À la vue de l’état des deux dawis, il était préférable de ne pas faire de plan dans l’immédiat. Une bonne nuit de repos et quelques jours pour se remettre d’aplomb ne seraient pas de trop.

« J’pense que tu recevras une missive d’ma part, ou d’un autre concernant les préparatifs Braähm. Y’aura sûrement d’aut’ barbes qui voudront se présenter aux préparatifs et ça sera l’occasion d’voir avec tous et de discuter de la marche à suivre. » Il le tempéra d’un geste du plat de sa main, avant que cette dernière ne glisse vers sa choppe vide.

Cherchant une cruche pour la remplir, il reprit aussitôt. « J’connais pas très bien l’coin dans lequel on va foutre nos panards, j’dois l’avouer. J’y ai quelques fois trainer mes bottes dans ces montagnes pour ma formation, mais y’a d’ça…. Pffffiou… j’crois que même les plus sages d’grattes-plumes s’en souviendraient ahahah ! » Il tapa du plat de main sur le bois de la table et essayant de reprendre contenance pour poursuivre. « … J’vais sûrement faire confiance aux barbes qui ont vécu dans c’coin là du Zagazorn, pour la route à prendre… On en décidera tous ensemble. Pas d’surprise et pas d’trainards. »

Il faut dire qu’Ararün n’avait pas réellement préparer sa route, ne s’attendant pas à ce que sa demande soit acceptée aussi rapidement. Il passa une main dans sa barbe et son visage s’assombrit un bref instant à cet idée d’être désemparé, sans idée à présenter. Il laissa le temps d’une brève réflexion en silence et en reprenant sa joie de vivre des quelques instants plus tôt, poursuivit. « Ca sera pas d’tout repos, on va s’geler les joufflus et sûrement s’faire ronger les couilleries par des viandards, mais par ma barbe qu’on oubliera pas d’sitôt cette expédition ! »

Il s’efforça de finir sur une note positive, du moins, c’était seulement ce que son ivresse lui permettait de faire pour tenter de rassurer son interlocuteur quant à son manque de plan à l’heure actuelle.