Quelque chose qui te dépasse [PV Viliam]

Début de la 4e ennéade de Bàrkios
20e année du Onzième Cycle
Thaar
à la suite de Sa première traversée

- Alors ?

- Toujours.

Ils avaient fini par s’en aller. Du moins c’est ce qu’ils voulaient vous faire croire. À l’entrée de Thaar, votre route et celle des deux étrangers s’étaient séparées. Rien ne t’avait semblé particulièrement suspect, mais Aren ne l’avait pas entendu de cette oreille, alors il t’avait emprunté la tienne. Voilà quelques heures, qu’avec difficulté, tu tentais de rester focalisé – malgré le constant brouhaha Thaari – sur les déplacements de deux personnes dont tu n’avais pas le droit de croiser le regard. Plusieurs fois, tu avais failli les perdre, ou du moins, plusieurs fois, tu les avais perdu. Mais heureusement, ils vous suivaient d’assez près pour que leurs silhouettes à l’occasion projettent des ombres auxquelles tu pouvais te raccrocher pour les reconnaître. L’apparent peu de respect qu’ils avaient en votre aisance jouait en votre faveur.

- Et ?

- Toujours pas loin.

- Bien.

Voilà qui vous rassurait. Le Wandrais et toi vous compreniez là-dessus. En réalité, que les deux étranges énergumènes vous suivent était à vos yeux une bonne chose. Appelez ça un vain espoir, mais quelque chose dans leur attitude vous disait qu’il était certainement plus sûr de les avoir non loin que de vous jeter dans la gueule du loup sans personne d’autre pour vous suivre. Dans ce cas précis, ils étaient de « vôtre » côté. Peut-être pas loin de la perpendiculaire, mais de vôtre côté tout de même.

La Perle Rare, sous les lampions nocturnes.

Un bouiboui comme il y en a des centaines d’autres à Thaar. À première vue rien qui ne mérite qu’on n’y porte grande attention. Des breloques à ne plus savoir quoi en faire, de la poussière, du sable, et un tenancier trop souriant aux bras maigres mais au ventre gonflé par l’alcool. Pourtant c’était ici que votre jeu d’acteur connaîtrait sa plus grande épreuve. Car quand l’enfant et sa suite s’étaient finalement éclipsés, par soi-disant peur de mettre le pied dans quelque chose qui les dépassait, il vous avait fallu en paraître convaincu. Et maintenant que le marchand votre employeur avait mordu à l’hameçon, il s’agissait de se servir de lui comme leurre.

- Alors qu’avons-nous-là ? le tenancier déclare d’une voix chantante en s’approchant de la marchandise Ah ! Et bien et bien ! enfin, le contenu des coffres vous est « dévoilé » Exactement ce que je recherchais ! Elles sont magnifiques !

- Choses promises ! Choses dues !

Vous voilà forcés de mimer l’excitation, de mimer l’anticipation, et de feindre la déception. Tout ça pour quelques statuettes de marbre ? Qui irait courir les routes parce qu’on lui a volé quelques statuettes de marbre ? L’enfant devait vraiment soit être un menteur invétéré, soit vraiment avoir une attache sentimentale à ces pauvres choses… n’est-ce pas ?

- Et beh ! Ma foi ! C’est que ça donne envie de se mettre au commerce de breloques tout ça !

- Hé hé ! Chose promise chose due ! le marchand vous offre derechef votre part de la paie V’voyez ! C’était pas la fin du monde. Allez les gars, suivez-moi, je paie la tournée !

Vous suivez votre employeur dehors, sourires contrits au visage. Partir faire la fête n’est actuellement pas vraiment dans vos plans.

- Non ça va pour moi. Je suis fatigué.

- Et nous on peut pas laisser l’elfe tout seul.

- Et bah tant pis pour vous et tant mieux pour moi. Y’en aura au moins un pour s’amuser ce soir !

Ainsi s’en fut-il, prêt à dépenser ses sous « dûrement gagnés » pour assouvir quelque bas plaisir. Vous… il était temps que vous vous réunissiez. Les Wandrais, toi, l’adolescent, l’un de ses compères, et les deux autres… vous attendiez qu’ils se montrent.

Lorsqu’ils arrivèrent finalement aux portes de Thaar, le groupe étrange qu’ils avaient tous formé par le plus grand des hasards dû finalement se séparer, chacun empruntant naturellement son propre chemin.

Pourtant, le duo de hors la loi n’avait pas fait dix mètres de leur côté que les masques tombèrent. Ren semblait avoir plus de facilité à passer à autre chose, son compagnon en revanche semblait loin d’accepter de simplement en rester là. Il affichait une mine renfrognée, se laissant presque guider à contrecœur par sa monture. Finalement, après quelques minutes à peine il avait fini par bondir sur le sol.

-J’ai besoin d’être au moins sûr que ce gosse n’est pas en danger. Avait-il sifflé à son ami surpris. Rentre à la taverne je serais pas long.

Mais Ren n’en avait pas non plus entendu de cette oreille. Il n’allait pas laisser son meilleur ami plonger dans les ennuis comme ça. Alors à peine les chevaux confiés à la première écurie sur leur route, les deux bandits s’étaient ensembles lancés dans une filature improbable. A peu près sûrs de ne pas être repérés parmi la foule encore dense de la fin de journée, ils avaient même pris le risque de rester à moyenne distance, de peur de perdre définitivement le bien étrange convois.  

Parfois parmi les cris, les rires, les éclats de voix diverses et variés de la foule Thaarie résonnaient à peine un ou deux sifflements. Une banalité qui passerait inaperçue pour qui ne savaient en déchiffrer le langage. Ce pouvait être n’importe qui ou n’importe quoi. Pour le duo qui s’en servait, c’était un outil inestimable, pour s’orienter lorsque l’un ou l’autre était forcé de perdre le reste de vue ou tout simplement communiquer sans oreilles indiscrètes.

Pourtant, durant de longues heures il ne se passa rien de plus que ce discret jeu du chat et de la souris. Il n’y avait que l’entêtement de Viliam à vouloir comprendre ce qui était en train de se dérouler pour ne pas les faire renoncer à plusieurs reprises lorsque les aventuriers s’éloignaient un peu trop, ou que le risque d’être découvert se faisait soudain sentir.

D’ailleurs, la nuit tombée, la déception avait pesée lourd sur leurs épaules. Accroupis sur le toit plat d’une maison, abrités par l'ombre de sa rambarde décorative il n’avait pu que vaguement entendre la transaction se faire en contrebas…Sans aucun accroc… Il semblait y avoir en bas le plus banal et ennuyeux des marchandages qu'ils n'aient jamais pu voir dans leur courte vie... C'était vraiment ça la vie d'aventurier...?

-Tu nous a vraiment fait courir toute la journée pour des bibelots, Vil’ ? N’avait pas pu s’empêcher de murmurer Ren dont c’était le tour d’afficher une mine boudeuse.

Mais l’autre ne répondit que d’un signe de la main lui indiquant de rester silencieux. En bas, la petite troupe n’avait pas l’air prête à repartir, attendant visiblement quelque chose…ou quelqu’un. Alors le blond contrarié par ce qu’il pensait définitivement être une perte de temps se recroquevilla de plus belle derrière les tuiles, retenant de justesse un grognement, tandis que son compagnon ne quittait pas la troupe du regard insensible à ses états de Souffle.

- Fait moi confiance Ren. Y a un truc pas net.

- Laissez tomber ils viendront pas.

Pourtant ils sont là. Ils ne sont simplement pas prêts à vous suivre. Pas de plus près qu’ils ne le font actuellement en tout cas. Tant pis. Au moins ils avaient une idée de là où vous étiez, et donc probablement une idée de ce que vous vous apprêtiez à faire. S’ils comprendraient la suite, tu n’en es pas certain, mais à ce moment ils ne pourraient s’en vouloir qu’à eux-mêmes.

- Alors on y va. tu regardes tes comparses de sous ton couvre-chef Accrochez-vous. Ce sera désagréable.

L’obscurité traverse tes pupilles, et tes mains s’accrochent à la fabrique du monde. Après une grande inspiration, tu griffes une plaie béante à travers la trame et à travers le construct de la réalité. Sous tes ordres, les ombres dévorent votre petit groupe.

- Suivez-moi.

La morsure du néant ne t’avait pas manquée. Le froid glacial régnant dans les ombres, même lorsque l’on s’y est habitué, est tout sauf anodin. Mais il leur faudra faire avec. C’est la meilleure solution que vous ayez. Tu aurais pu gagner du temps, vous catapulter à travers l’obscurité, glisser à toute vitesse en direction de votre objectif… seulement à cela tu préférais jouer la sûreté. Prendre le temps d’observer, et économiser tes forces.

- Où est-ce qu’on est ? le gamin commence à paniquer Qu’est-ce que tu nous as fait ?

- On est toujours à Thaar. tu pointes du doigt le ciel nocturne Regarde, écoute, et respire.

Les bruits de la ville vous parviennent toujours. Les senteurs de Thaar vous chatouillent toujours les narines. Le monde physique est toujours là, tout près, à portée d’yeux et à portée de main, mais aussi tellement loin, comme séparé de vous par un mur de verre.

- J’ai froid.

- C’est normal. Ne t’inquiète pas. On s’habitue. tu reprends la marche de plus belle Suivez-moi. Il faut faire vite.

De nuit, les ombres portent loin. Les lampions et les torches ne sont jamais que quelques balises dans un océan de noirceur. Voilà qui joue en ta faveur. Traverser les ombres de nuit est facile. S’introduire là où vous ne devriez pas mettre les pieds – de nuit – est facile. C’est ce que découvriraient bientôt les gens de La Perle Rare.
Camouflés par un voile fuligineux, vous vous étiez retrouvés de l’autre côté du comptoir. Là où les marchandises perdent soudainement leur allure de breloques sans importance pour se transformer en reliques faites d’objets précieux. Voilà donc ce à quoi ressemblait un point de recel. De l’or, de l’argent, du cuivre et des gemmes dissimulés par une épaisse couche de poussière. Si ton appréciation de la valeur monétaire qu’accordait cette société aux matières rares était juste alors c’est face à une véritable fortune que vous vous trouviez. Et tout était à portée de main, ou presque.

- C’est pas ici qu’on trouvera le patron. Aren peste à voix basse Et sans ça, aucune garantie de pas prendre de représailles si on tente quoi que ce soit.

- À moins de ne pas laisser de témoins.

- Ça va pas ? Non seulement ça grouille de brutes ici, mais même si on avait nos chances, on va pas non plus massacrer ces pov’gens ! Certains qu’y en a qui doivent avoir leurs raisons.

Pendant que les Wandrais repensaient leurs morales, l’adolescent avait ralenti la cadence. Ses yeux cherchaient, au sein de cette image distordue du monde, quelque chose qui ressemble à ce qu’on lui avait volé. Et quelque part, la minutie avec laquelle les petites mains de La Perle Rare classaient leur butin lui facilitait la tâche. Il savait ce qu’il avait perdu. Maintenant il suffisait de comprendre où était rangé quoi, et…

- Les voilà !

L’espace d’un instant, le gamin s’oublie, et galvanisé tant par la proximité de ce qu’il cherchait que par la sensation d’être complètement à l’abri des regards, il avait tendu la main vers l’une des reliques du trésor familial. Un son sec claqua à travers le néant. La main de l’enfant se porta à sa bouche. Tu l’avais frappée. Juste à temps. Avant qu’il ne brise ton sortilège.

- Je m’en occupe.

Tu touches les murs de votre cloche, et le verre devient obsidienne. Tu viens de clore votre espace. Tu n’aimes pas leur infliger ça, mais c’est la meilleure solution. Tu ne peux pas prendre le risque de voir leurs visages reconnus. Le tien de visage par contre… tu n’as pas à l’afficher. L’ombre s’empare de ta peau, et rapidement tu deviens un spectre, une chose protéiforme dont seul le cœur bat toujours. Puis seul, tu quittes votre abri, et tu pars défier la maison de recel.

La panique est immédiate, et la réaction violente. Les épées quittent leurs fourreaux et les lances sont immédiatement dirigées vers toi. Cependant tu n’es pas une cible facile. Ton corps fuligineux n’est pas plus tangible que n’importe quelle ombre. Tes agresseurs se battent contre un fantôme dont ils ne connaissent pas le point faible. Seulement si toi tu n’es pas tangible, la gueule du néant est tout sauf un mirage. Mais heureusement pour les receleurs, la bête ne semble en avoir qu’après l’or. De manière apparemment aléatoire, la créature balaie étagères et établis de sa langue, et avale goulûment or, argent et gemmes. Les cris de panique se transforment en cris de rage. Les renforts se multiplient. Les carreaux d’arbalète commencent à frôler de trop près tes ventricules. Il est temps de fuir. Tu en as assez fait. Tu plonges en direction de la gueule du néant, et elle t’accueille volontiers. Sauf que lorsqu’elle t’avale, elle semble s’avaler elle-même, et dans un tourbillon vers le rien, elle disparaît.

- C’est bon, on s’en va.

Tu retrouves tes camarades dans l’espace clos, mais cette fois, il n’est plus temps de marcher à travers les ombres. Comme tu l’as fait avec T’sisra, tu tords l’Entre-Deux en une spirale infernale, qui vous attire inexorablement et à une vitesse folle, vers un quelque part approximatif. Loin d’ici est tout ce que tu demandes. Mais cette fois « loin » est beaucoup demander. Vous n’êtes pas que deux, alors quelques pâtés de maisons suffiront. Juste assez loin pour éviter de vous retrouver directement dans le collimateur des gens de La Perle Rare, au détour d’une ruelle sombre, vous réapparaissiez.

- Alors ?

- J’ai pris ce que j’ai pu. Pas tout. Et des choses inutiles. Pour moins éveiller les soupçons.

- Mais… mais… le gamin te regarde avec de grands yeux Qu’est-ce que tu en as fait ?

D’un tour de poignet, tu ouvres un minuscule portail, d’où tombe une bague, que l’enfant reconnaît immédiatement. Tu souris. Il sourit.

- Je te donne le reste quand on sera en sécurité.

- Merci !

- Bon, c’est pas que, les gars… Aren vous regarde avec un air sévère, avant de soudainement sourire … mais j’pense que la manière la moins suspecte de finir avec tout ça, c’est bien d’aller boire un coup ! Nous faut un alibi eh !

- Bien dit mon gars !

La taverne  la plus proche serait une bienvenue terre d’asile pour le reste de la soirée.

-Ils ont disparus !

Viliam était soudain devenu livide. Après une impulsion de l’elfe bizarre, les ténèbres venaient soudain d’avaler le petit groupe, comme dans les pires histoires pour enfants.

Pourtant, comme s’attendant à les voir réapparaitre, comme s’il n’avait s’agit que d’une illusion, une inattention, ils restèrent un moment sur ce toit à fixer les ombres. Soudain, des cris de peur et de rage se mirent à résonner à l’intérieur de la bicoque. Quelque chose ou quelqu'un renversait probablement des meubles vu le son du métal qui s'entrechoquait de manière aussi chaotique.

-On devrait se tirer maintenant. Lança Ren avec une inquiétude grandissante.

Il avait bien raison. Alors qu’il fit mine de reculer, un mouvement attira l’attention d’un des gardiens sortis précipitamment à la poursuite de ceux qui avaient causés tant de chaos. Le problème c’est qu’évidement, le duo planqué sur le toit faisaient des coupables évidents alors que les véritables responsables venaient à nouveau de s’évaporer…

Comme au ralentit, Viliam croisa son regard. L’homme arma immédiatement son arbalète dans sa direction. Il leva son arme, visa. Le bandit recula d’un pas. L’autre tira. Un bruit sec de corde qui cède retentit, suivit d’un sifflement. Un carreau érafla de justesse sa joue alors que Ren le tirait en arrière.

-Cassons nous !

Le cri lui fit l’effet d’une douche froide et tout sembla retrouver sa juste vitesse. Les deux hommes se mirent aussitôt à courir, d’abord sur les toits puis, trop exposés, s’infiltrèrent dans les ruelles sombres du quartier en quelques bonds.

Soudain, après une ou deux minutes de course effrénée, alors qu’ils se glissaient à l’angle d’une nouvelle rue, Viliam cru reconnaitre un groupe de taille et de silhouettes familières. Ceux qui étaient sans aucun doute, les responsables de tout cela…

-Hé !

Sans doute les gros bras de la Perle Rare ne les poursuivraient pas jusqu’ici, abandonnant rapidement une poursuite qu’ils savaient vaine, mais Viliam n’avait largement pas envie de prendre plus de risques. Il entendait encore quelques éclats de voix au loin et c'était suffisant pour le pousser à ne pas s’arrêter. Alors sans ralentir ce qui était devenu une marche rapide, il fit signe aux étrangers.

-Venez avant que quelqu’un vous chope ici. Vous vous êtes foutus dans de sacrés ennuis et nous avec !

Oui certes…Ils n’étaient pas censés être là ni savoir ce qui venait de se passer. S'ils n'avaient pas cherché à les espionner, le duo n'en serait pas là mais les explications viendraient une fois la sécurité retrouvée.

Il leur refit le même geste, les enjoignant à le suivre. D'autant que, s'il fallait encore les convaincre, contrairement à eux, il connaissait Thaar par cœur.

Une interjection brisa instantanément le début de liesse qui s’était installé au sein de votre petite troupe. Les deux espions ne vous avaient pas rejoint avant, mais maintenant que tout était fait et qu’ils étaient devenus suspects collatéraux… ils n’avaient plus le choix. Ils n’avaient plus le choix, et en vous rejoignant de cette manière alors que contrairement à vous, ils s’échappaient directement des lieux du crime, c’étaient eux qui vous mettaient en danger. Être un problème et sa solution à la fois était décidément la spécialité des Vaanis.

- C’est vous qui nous foutez dans une sacrée merde en nous collant comme ça !

Mais c’était chose faite à présent, et par la force des choses, les suivre était devenu – d’apparence en tout cas – la solution la plus sûre. Alors d’un bon pas, quoiqu’à contrecœur vous aviez suivi. Les Wandrais et le gamin n’avaient pas l’air particulièrement excités, mais de ton côté, tu étais trop occupé à essayer de retenir pour t’offusquer de quoi que ce soit. Par-ici vous coupiez à travers des ruelles étroites qu’en temps normal bien peu de gens auraient emprunté. Par-là vous sautiez par-dessus une balustrade. Et parfois – au grand damn de tes compères, qui aimaient avoir les pieds sur terre – votre itinéraire passait au-dessus de la Cité, par des chemins que traçaient les toits des masures Thaaries.
Aussi stupide que cela puisse sembler, aucun d’entre vous n’avait posé de question. L’ennemi de mon ennemi est mon allié dit-on après tout, et puisque vos deux guides ne semblaient pas porter les receleurs dans leur coeur ( et vice-versa ) il vous était apparu presque logique qu’ils n’aient pas pour plan de se débarrasser de vous. Pour autant, cette visite guidée express de la Cité n’avait pas non plus grand chose de rassurant. Vous aviez tous hâte que cette course-poursuite sans assaillants se termine enfin.

Et enfin vous en aviez vu le bout

- Par les Grands-Esprits dites-moi qu’il y a au moins moyen de se faire servir une bière ici !

Ce fut Aren le premier à briser le silence en se laissant tomber sur une chaise proche. Là il ne s’agissait plus de boire pour fêter, mais de boire pour oublier.

-Evidemment. Un vague sourire effleura malgré tout les lèvres du bandit qui avait joué les guides, alors que son compagnon était resté sur leurs arrières. On est pas des animaux.

Tandis que l’aventurier trapu s’installait en râlant, Viliam jeta par précaution un dernier coup d’œil à l’extérieur avant de refermer la lourde porte sur leurs pas.

Il n’y avait quasiment personne dans le bâtiment. Seulement un homme un peu bouffit nonchalamment accoudé derrière le comptoir et qui s’était redressé en voyant la petite troupe débarquer, et un habitué visiblement profondément endormit sur sa table, abandonné à son sort dans un coin. Il y avait aussi un gamin, étrangement jeune pour un lieu pareil, assit sur les marches d’un escalier au fond de la grande salle, mais à peine le groupe avait-il mis les pieds à l’intérieur qu’il avait filé se cacher à l’étage.

-Je m’en occupe. Ren avait marmonné avant de disparaitre à son tour dans l’escalier.

Malgré l’absence de monde dans un lieu pourtant en évidence voué à cela, il y avait une ambiance plutôt chaleureuse qui régnait sur l’endroit. En plus d’un lourd chandelier au plafond, la grande salle était éclairée par une large cheminée faisant face à la porte principale. Le tout baignait dans une lumière tamisée mais constante et les coins d’obscurité se faisaient rares. Le mur extérieur était doté de petites fenêtres à carreaux en losanges, mais des volets de bois ne laissaient pas de regard curieux observer la pièce de l’extérieur. D’ailleurs, l’une des fenêtres était carrément barricadée à la va-vite par d’épais panneaux de bois, comme si les propriétaires de l’endroit n’avaient pas eu le temps de réparer ce qui avait dû être un accident malheureux.

Visiblement pas très heureux de devoir se remettre à travailler à cette heure si tardive, le pauvre tenancier se mit à sortir quelques chopes de derrière son comptoir, les remplissant sans entrain par des gestes machinaux. Quelques instant plus tard, la table sur laquelle l’aventurier bougon avait jeté son dévolu fut emplie de chopes d’alcool à l’odeur caractéristique.

-La tournée est pour moi. Viliam avait lancé une petite bourse entre les mains du pauvre bougre puis s’était saisie d’une des chopes. En Itrih'Vaan il était après tout courant que l’hôte prouve à ses convives la sureté de ses mets…Il l’a leva un peu devant lui, comme portant un toast. Pour oublier les emmerdes. Et en vida une partie d’une seule traite.

Tirant ensuite une chaise sur laquelle il s’assit à son tour, à l’envers et appuyant son coude sur le dossier, il fixa principalement celui qui avait montré le moins d’entrain, à juste titre. L’homme ne lui faisait pas confiance dès le début et les choses n’avaient guère dû s’arranger.

-Je sais que tout est contre nous. C’est vrai qu’on vous a suivi au début. Je reconnais c'était pas spécialement fin. Mais après votre casse, on avait pas en tête de vous coller encore aux basques. On a juste cherché à se tirer et on vous ait encore tombés dessus…Un soupir et un marmonnement plus pour lui qu’autre chose. Néera. Y a des jours comme ça…Ceci étant dit, ajouta-t-il plus intelligiblement, ici vous êtes plus en sécurité qu’à courir la ville sans savoir où aller je vous l’assure. Son regard s’égara ensuite une seconde sur l’étrange elfe. D’ailleurs il rêvait où au final ils ne tenaient aucun butin… ? Leur but avait-il été de simplement sacager l'endroit ? Sacré bordel que vous avez foutu en tout cas, je crois qu’on l’entendait à l’autre bout de Thaar. Pas  que je soit celui qui plaindra Ismaad... Il but une nouvelle gorgée d’alcool avant de sembler brusquement se rappeler quelque chose. Ah ! Manqua-t-il de s’étrangler. Au fait moi c’est Viliam. Et le type en haut, fit-il en désignant l’escalier du pouce duquel descendait d’ailleurs l’intéressé. Il s’appelle Ren.

Ils ne démarraient peut-être pas sous les meilleurs hospices, mais ça ne coutait rien d’essayer de maintenir un semblant d’amabilité malgré tout…

- Aren.

Le Wandrais déclare comme s’il y avait été forcé, puis se renfrogne en regardant une chope dont il ne semble soudainement plus avoir envie. À l’opposé, c’est en catastrophe et avec une moustache de mousse au visage que son ami – plus bienheureux – se présente.

- Nils !

L’enfant se poste à un coin de la table, ses yeux lorgnant sur la boisson mais n’osant pas réellement s’en saisir. Dans une vie passée, éviter l’empoisonnement était son quotidien.

- Geoff.

Quant à toi, tu finis enfin par tomber le chapeau, et avec un soupir de soulagement, tu dénoues le chignon dans lequel tu avais rassemblé tes cheveux pour le voyage.

- Ithìliur.

Tu t’assieds et attrapes une pinte à ton tour, dont tu commences à lentement siroter le contenu. Tu lances un sourire chafouin en direction de Viliam, et alors que tes collègues ont tous fini par se résoudre à engloutir leurs bières à grandes rasades, tu te permets de jouer les innocents et de légèrement provoquer votre hôte.

- N’importe qui aurait pu s’attaquer à la Perle Rare. Ils doivent avoir beaucoup d’ennemis. tu bois une gorgée Et on est ni les premiers ni les derniers à avoir fait une livraison aujourd’hui. tes sourcils se soulèvent Du coup pas besoin de nous protéger. Si c’est bien ce que tu fais. D’ailleurs… ta moue devient dubitative ...pourquoi il n’y a personne ici ? C’est étrange une taverne vide.

-Ah ben ça... Il haussa les épaules, exagérant un peu son soupir par esprit de jeu, Tout le monde n'a pas la chance d'être le coin populaire du quartier... Les temps son durs. Il repris une gorgée de bière, laissant passer un silence avant de reprendre avec un peu plus de sérieux. Nan...En vérité l'endroit est tenu par des amis de longue date. ça leur arrive d'avoir besoin de...rester discret, alors ils en font pas trop pour attirer le chalant. Un sourire. L'heure a fait le reste. Mais de jour c'est pas la même.

Mais quelque chose le chiffonnait alors, au risque d'agacer ses nouveaux interlocuteurs il se permit d'insister un peu et de revenir à eux. Ce n'était pas tant qu'il avait soudain envie de les protéger par monts et par vaux. Il ne connaissait pas ces gens là. Ils étaient sans aucun doute tous -enfin presque tous- de grands garçons capables de se débrouiller. Mais peut-être était-ce à cause du peu de sang elfique qui lui coulait dans les veines, Viliam était quelqu'un de particulièrement curieux. Et passablement têtu dans un même temps...

-Ils ont beaucoup d'ennemis du coté de la Perle rare, je veux bien l'entendre. Mais...Sans vouloir vous vexer, vous êtes pas la troupe la plus passe partout que j'ai pu voir jusqu'ici. Il suffit du mauvais bougre qui puisse se rappeler de votre visage. Il grimaça légèrement avant de reprendre avec un peu plus de légèreté. Enfin en tout cas j'en connais pas beaucoup des gens prêt à faire ce que vous avez fait, et encore moins en ressortir... ça fait aussi partie du lot d'aventurier ce genre d'acrobatie de haut vol ?

Malgré l’éclat espiègle qui brillait sans ses yeux , la question était sincère. Des gens de cette sorte il n'en avait jamais côtoyé alors il s'interrogeait un peu à propos de ce qui se cachait derrière un titre aussi vague. Et puis, il se demandait aussi plus fortement encore comment ils s'y étaient pris concrètement. Les étranges pouvoir de l'elfe n'y étaient sans doute pas pour rien mais c'était là un monde qui lui était trop inconnu pour être capable d'envisager une hypothèse vraisemblable. en tout cas, a coté Clarisse passait pour une sacré amatrice...

- Je ne vois pas de quoi tu veux parler. l'elfe continua de faire semblant de ne rien savoir, sourire aux lèvres. Mais sinon, attaquer un point de recel, ça n'a pas l'air bien difficile. Je pense que c'est surtout être détesté des... des... il prit le temps de réfléchir au mot adéquat des pègres de Thaar qui doit être moins amusant.

-En général l’un ne va pas sans l’autre c’est bien le problème. Il se pencha un peu plus contre le dossier de sa chaise partagé entre la frustration enfantine de ne pas avoir totalement ce qu’il désirait et l’attrait du défi que semblait lui lancer le sourire de l’elfe. Mais bon, qui dit pègre dit généralement gens peut fréquentables alors quelle importance ?

- Donc si je comprends bien, l'elfe sirota une gorgée de plus, le visage flanquée d'une moue dubitative Ren et toi ne faites pas partie des pègres de Thaar ?

-Ah ça j’imagine que ça dépend à qui tu demandes.

Il pourrait simplement refuser de répondre. Il en avait déjà beaucoup dit et vu le regard noir que lui lançait Ren appuyé contre une table et observant l’échange en silence, le blond n’en pensait pas moins. Mais, comme ce jour lointain où il avait décidé de jouer carte sur table avec la Chimère débarqué là par hasard, Viliam ne voyait pas spécialement l’intérêt de mentir plus que pour protéger ce qui devait l’être. Au pire il risquait quoi ? Le guet ? Ils avaient vingt ans de retard.  Que ces gens-là se révèlent vouloir lui faire la peau ? Non. La situation aurait dégénéré depuis longtemps déjà.

-Mais personnellement c’est pas tellement la façon dont j’aime me définir. Il répondit en effaçant un peu le sourire de ses lèvres. Disons qu’on est du genre à vouloir faire les choses biens et que ça plait pas spécialement à notre sacrosainte garde Thaarie. Il y avait une légère pointe d’amertume et d’ironie dans sa voix. Ou ça plait pas au reste de la pègre au sens où tu l’entend, au choix.  L’espace d’un instant son regard se perdit dans le fond de sa chope bien vite désemplie…Quelque chose lui passa probablement à l’esprit avant qu’il ne se décide à la terminer pour de bon. Mais ça répond pas à ma question, renchaina-t-il sur un ton de nouveau plus léger, ça fait partie de vos compétences d’aventurier de vous la mettre à dos, la fameuse pègre, ou c’est une façon d’arrondir vos fins de mois ?

Un bandit, mais un "bon" bandit. L'attitude de Viliam t'amuse, et en ton for intérieur, le fait que son attitude t'amuse t'inquiète quelque peu. L'Ithri'Vaan est un monde de brutes et de truands où l'Homme est un requin pour l'Homme. Ça, T'sisra s'est bien appliqué à te le faire comprendre. Alors l'idée que certains de ses bandits se réclament bienfaiteurs était à la fois réconfortante et profondément triste. Voilà à quoi seraient réduits les Vaanis cherchant à faire le bien autour d'eux ? Si le souvenir d'Anaëh ne te paraissait pas si éloigné, tu aurais eu du mal à y croire.

- On est juste des gens honnêtes qui essaient de survivre en faisant du travail honnête. tu hausses les épaules, conscient de tourner autour du pot Habituellement on travaille plus près de la nature, mais au final Thaar a l'air aussi sauvage que l'Aduram, donc c'est plus familier que je ne l'imaginais.

Ton sourire meurt aussi vite qu'il a essayé de naître. Après ce poussif trait d'esprit, tu aurais dû rire, mais le souvenir de la forêt maudite est tenace, et à en mentionner le nom, les Voix ont tôt fait de te rattraper. Les Voix, la Dissonance, la Symphonie, le souvenir d'Anaëh, et la peur de perdre celle que tu aimes, le tout en même temps. L'espace d'un instant ton regard devient morne, et puis plutôt que de siroter ta bière, tu finis par boire la pinte encore presque pleine cul sec. Enfin, ton visage semble se détendre à nouveau.

- En plus, j'ai même l'impression que la pègre nous aime bien.

- Je sais pas si c’est un bon ou un mauvais signe. le bandit te répond d’un demi sourire et d’un bref rire. Mais enfin, quoi qu’il en soit vous m’avez effectivement pas l’air de mauvais bougres.

Il n’est pas dupe, tu t’en rends bien compte, mais au moins tes frasques semblent l’avoir assez ennuyé pour qu’il ne pousse pas plus sa chance. C’est une petite victoire pour l’instant. Tu oses te dire que malgré tout, tu lui inspires assez confiance pour que l’inconnu que représente ton groupe ne l’effraie pas trop. Probablement parce que c’était aussi rassurant de se dire qu’il ne vous antagoniserait pas assez pour que vous ayez à en arriver aux mains. Embrasser l’ignorance, embrasser l’inconnu. Trinquer à ce que l’on ne sait pas, choppe vide contre choppe presque vide.

- Au gens honnêtes qui essaient de survivre.

Aux gens "honnêtes" qui essaient de survivre. Une manière comme une autre de glisser la poussière sous le tapis, mais surtout une occasion parfaite – puisque l’interrogatoire était clos – pour changer de sujet, et mettre de côté les questions qui fâchent. Surtout quand tu en as une importante à poser.

- Est-ce que tu sais où il y a un très bon cordonnier ici ?

- Ah… le bandit semble surpris, puis se met à nouveau à rire Le voyage à dû être long j’imagine… il marque une pause Je ne sais pas ce que tu entends par "très bon". Mais à quelque rues d’ici il y a toujours l’atelier d’Ashi Oelneva. C’est une elfe, plutôt douée à mon sens, mais elle sait ce qu’elle vaut et elle te le fera payer. il hausse les épaules. Mais elle saura sans doute t’aider quoi qu’il en soit.

- Tu pourras m'emmener demain ? C'est pour faire un cadeau.

- Eh bien, si tu y tiens…Je peux t’y conduire oui. Ce n’est pas très loin.

Le bandit jette un regard vers son camarade en retrait. Il a l’air de s’interroger, mais l’autre se contente du même air un peu déconcerté et hausse les épaules toujours silencieux. Alors l’attention du premier s’en retourne vers ton groupe.

-Ne t’attend pas à ce que je t’aide plus que ça par contre. il plaisante, comme si ce bref échange de regard n’avait pas existé Je suis pas doué pour ce genre de trucs.