Amis, mangeons ! [Archibald]

4ème jour, 8ème ennéade de Vérimios – Premier mois de l’Eté – Année XX | XI cycle.
Cité de Missède – intramuros.

Le prêtre et ses fidèles quittèrent Odélian avec un léger pincement au cœur. L’accueil offert par la maîtresse des lieux avait été des plus doux et des plus agréables. Lünn avait particulièrement apprécié l’ouverture d’esprit de la Comtesse douairière, ainsi que ses appétences pour la discussion et le partage, la philosophie… Et cette naïveté d’esprit toute Péninsulaire qui la rendait véritablement charmante.

Ils reprirent la route, donc, et se rendirent plus loin au Sud. L’entrée sur les terres Marquisales de Langehack avait été des plus remarquées, et des plus remarquables. Pourtant, les regards des Langecins avaient ce petit quelque chose qui indiquait que, depuis récemment, ils avaient vu leurs comptes de Nains, et qu’ils en voyaient encore. Mais Lünn, fidèle à lui-même, ne désirait ni faire de la politique, ni faire valoir les intérêts de la couronne Naine. Il ne voulait que communier, discuter, rencontrer, et rendre hommage au Ripailleur par tous les moyens possibles.

Bien-sûr, il savait son culte différent de celui qui avait cours ici, en Péninsule. Loin de vouloir concurrencer le culte Pantien, il ne vivait toutefois que pour rendre hommage au Ripailleur, par la nourriture, le partage, la boisson et la philosophie. Aussi s’évertuait-il à ne point réaliser de prosélytisme dans les rues, ou devant autrui, mais bel et bien dans des conditions plus privées, évitant ainsi la vindicte religieuse du clergé Pantien.

Missède leur ouvrit les bras. Non sans quelques vérifications qui, comme d’ordinaire, avaient pour but de s’assurer de l’innocuité des Nains qui se baladaient en armure, et avec un char blindé d’acier au confort tout à fait agréable. Comme d’habitude, les gardes de la cité vidèrent l’entièreté du char, fouillant même les doublures des couvertures, des oreilles et des draps, l’intérieur des poteries qui conservaient la nourriture et les condiments, l’équipement des quatre Béliers qui tiraient le char, et, bien-sûr, inventoriaient toutes les armes que possédaient les Nains. Comme d’habitude, les nains se placèrent dans un coin, attendant sagement que les gardes finissent leurs contrôles douaniers, sans heurts ni grande difficulté.

Ils eurent l’autorisation de reprendre la route. La journée avançant, ils voulurent profiter de ce jour de marché pour pouvoir faire le plein de nourriture et de provisions, en plus de trouver de nouvelles spécialités locales qu’ils pourraient cuisiner, en attendant la messe du soir.

Nous déambulions dans les rues et ruelles de Missède, chef-lieu de cette partie du Langehack. Abandonnant le char, car celui-ci était bien commode pour les routes du Zagazorn, mais bien moins pour celles de Péninsule, et encore moins pour les rues des cités, nous avancions. A nouveau, nous étions descendus avec seulement quelques dagues, peu de bijoux, et, bien-sûr, sans armures. Quelques pièces de cuir tissées sur nos tenues de lins, voilà qui assurerait notre protection pour aujourd’hui. Girdon guidait nos pas, comme d’ordinaire. Et le Ripailleur désirait que nous répandions l’ouverture d’esprit, la joie, la bonne humeur… Certainement pas la haine, la méfiance, et la défiance.

De toute manière, les effluves venaient déjà caresser nos tarins, et déjà, je pouvais discerner de fabuleux poissons pêchés ce matin même, jouxtant une étale de légumes et d’épices. La viande, aussi, vint bientôt accompagner ce mélange d’odeurs… Et déjà s’entrouvrait en moi, la perspective, l’image même, d’une communion prandiale faite d’une viande saisie à la poêle, doucement revenue dans un bouillon de beurre, d’oignons, d’ails, de thym et d’herbes provinciales. De belles feuilles d’épinards, un œuf, et du pain aux sésames, pour saucer le tout.

« Mes amis, mes Fils ! » Dis-je, en tant que prêtre du Ripailleur. « Je sens aujourd’hui s’entrouvrir une voie, une communication, que dis-je, une communion, avec le sixième fils. Préparons un festin digne d’un Grand-Roi, et offrons aux Umgis toute la bienveillance et la bombance du Ripailleur ! »

Ces instants de communion sont d’une extrême importance pour moi. Car, dans ces moments, je crois sincèrement que Girdon communique, par de petits signaux, de petites indications, de petites choses disparates que je suis seul à pouvoir analyser. Lorsque cela arrive, je ne peux m’empêcher de le communiquer à mes ouailles.

C’est alors qu’arriva un cheval, magnifique ! Surmonté d’un homme, vêtu chichement, richement, arborant armoiries, crinière flamboyante et sourire de circonstance. Ne connaissant que très peu les armoiries nobiliaires, et refusant obstinément toute assimilation politique, je ne reconnais pas mon vis-à-vis… Sans doute est-il un homme puissant, cela ne fait aucun doute. Peut-être même est-il le dirigeant de ces lieux ? A en juger par sa garde non loin, il à tous les droits, ici. Mais qu’importe ! Qu’il soit simple roturier, riche marchand, ou puissant noble, tous ont droit à mon respect et ma considération, car ainsi dicta le Ripailleur.

Je lui offre alors une révérence qui, si elle n’est en rien protocolaire selon les volontés Péninsulaires, est une démonstration de respect. Inclinant la tête, ramenant mon avant-bras sur mon poitrail, frappant ce dernier d’une force tranquille, je relève ma trogne, et lui offre un sourire. Il s’adresse a moi en Péninsulaire… Aussi vais-je lui répondre dans sa langue.

« Bien le bonjour monseigneur ! » Dis-je, un sourire dans la voix, ouvrant alors doucement les bras avant de recroiser mes mains devant mon ventre bombé. « Eh bien, oui ! Mes Fils et moi-même, sommes en voyage sur les magnifiques terres de Péninsule. Nous ne cherchons point à faire commerce, ces affaires là ne nous regardent pas, ni ne nous intéresse d’aucune manière que ce soit. Nous ne voulons qu’apprendre votre culture, surtout culinaire, et répandre bienveillance, ouverture d’esprit et bon-entente entre les races. »

Sans geste brusques, nous regardons l’homme qui se tient là devant nous. Sa dureté d’esprit tranche avec l’accueil de ses propos… Aussi suis-je curieux à l’idée de connaître notre interlocuteur.