A la recherche d'informations

1er jour, 1ère ennéade de Vérimios – Premier mois de l’Eté – Année XX | XI cycle.
Académie de magie d’Alëandir – Bureau du Doyen.

Du temps. Il en avait fallu, du temps, pour que le doyen puisse recevoir les deux scientifiques. Non pas que Lómion, doyen de l’académie et archimage, soit du genre à se faire attendre, ou à ne point recevoir ses ouailles en recherche d’informations, de corrections, ou d’aides de toutes les sortes. L’archimage était, en revanche extrêmement occupé. Et donc, bien peu accessible.

Comme promis, Anardîl fit savoir à Ameanor qu’aujourd’hui devait avoir lieu l’entretien avec le doyen. Elle le lui fit savoir suffisamment à l’avance pour qu’il ne soit ni empressé, ni en retard, afin que tout puisse se faire sous les meilleurs hospices. Le cerveau de l’astronome devait tout entier être disponible pour cette rencontre, car, le cerveau principal de ce projet… C’était lui. Et elle avait remarqué cette propension à s’égarer, se perdre en considérations, pensées et réflexions, lesquelles pourraient faire croire à un magicien expérimenté, que son vis-à-vis était hésitant, peu sûr de lui, et prompt à l’égarement. Et s’il y a avait bien une chose dont ce projet avait besoin : c’était de la continuité, et de la stabilité.

Lorsqu’il arriva, il fut accueilli par Anardîl, qui s’était levée de son assise dans l’antichambre du bureau du Doyen. Lui offrant un véritable sourire bienveillant, ainsi qu’une petite révérence toute gracieuse, elle le gratifia de quelques mots.

« Bonjour Ameanor. » Lui dit-elle, toujours souriante, avant de l’inviter à s’asseoir à ses côtés. « J’espère que l’attente n’a pas été trop… Longue. » Demande-t-elle, consciente toutefois que plusieurs ennéades d’attente étaient toujours trop longues aux goûts des mages. « Nous devons attendre ici. Le Doyen a pu nous ménager un peu de temps aujourd’hui. Je souhaite de tout cœur que nous obtenions nos réponses. »

Si peu de temps s’était écoulé, au vu de la longévité des elfes. Si peu de temps, pourtant, tant de choses s’étaient passés. Des retrouvailles inespérées depuis vingt années, mais aussi des rencontres inattendues, et, bien sûr, une première sortie hors des murs de la cité. Bien sûr, il aurait été plus sage d’attendre. Bien sûr, il aurait été plus sage de développer les objectifs scientifiques, si importants pour beaucoup, avant de se lancer dans la nature sauvage. Mais d’autre sujets autrement plus pressants avait poussés l’astronome à s’éloigner de la ville. Il n’était, alors, pas parti à la recherche de réponse, mais d’un temps perdu. D’un temps nouveau.

Mais ces affaires personnelles n’avaient plus leur place entre ces murs. Aujourd’hui, l’esprit quelque peu apaisé d’Ameanor était plus disponible à sa science qu’il ne l’avait été depuis deux décennies. Et bien que son expédition précipitée ait eu des objectifs restreints, le mage y avait tiré quelques enseignements, autant que des cartes où diverses possibilités d’emplacement figuraient.

Ainsi, ce fut muni d’un étui rempli de papier, autant notes que cartes et comptes-rendus, qu’Ameanor s’était dirigé vers la grandiose Académie en ce début de matinée ensoleillée. Son visage avait une expression plus ferme qu’autrefois, et son fardeau de peine et de douleur était bien mieux dissimulé au fond de son regard. Les cernes sous ses yeux aux maigres rides n’avaient pas disparu, mais s’étaient suffisamment résorbées pour lui donner une apparence de meilleure santé. L’activité dans la cour de l’Académie où pénétrait l’astronome presque comme un elfe nouveau était déjà importante. Les jeunes générations s’entraînaient avec leurs maîtres, certains ne faisaient que la traverser d’un pas pressé, ou bien partait flâner sous des arbres hauts et verdoyants, afin de ressourcer leur esprit ouvert à la trame. L’espace était plein de vie, mais le mage n’y prêta guère d’attention, et se dirigea vers le bâtiment principal à grand pas afin de rejoindre sa collègue qui avait organisé la rencontre avec le très respectable archimage.

Après quelques dernières minutes, quelques étages montés en vitesse, Ameanor rejoignit Anardîl qui attendait dans un large couloir éclairé par de grandes fenêtres laissant passer les rayons doucereux du soleil estival. Le calme de cet endroit jurait avec l’activité visible dans la cour en contrebas, et l’odeur du bois inspirait les jours heureux où faire de la science ne finissait pas invariablement par appeler des ténèbres cruelles. La porte à laquelle la professeur de lumière attendait était simple : un grand battant de bois à la poignée aux couleurs cuivrées, sans autres fioritures que ses gonds munis de quelques arabesques métalliques. C’était l’entrée de l’étude d’une personne qui se considérait encore comme un chercheur parmi ses pairs, de quelqu’un plus intéressé par le chemin qu’il restait encore à faire dans la compréhension de l’univers que quelqu’un profitant des lauriers dorés du passé. C’était, en somme, exactement ce qu’espérait l’astronome du garant de la recherche académique en Anaëh.

- Bonjour à vous aussi, Anardîl, répondit Ameanor en lui renvoyant son sourire. J’ai été particulièrement occupé ces dernières ennéades, je vous avoue. Pour des raisons qui me sont propres, j’ai dû prendre le chemin des Monts Telion avant cette rencontre. Je peux d’ores et déjà vous dire que beaucoup reste à faire, et que nous aurons de fort intéressantes perspectives, là-bas. Je n’ai pu que rassembler quelques informations parcellaires qui nous seront utiles dans votre œuvre, et d’autres expéditions, plus préparées scientifiquement, devront suivre. Néanmoins, j’ai pu réaliser des essais salutaires. Le mage fit une courte pause, tandis qu’un éclair intéressé illumina son regard. Après mûres réflexions, je crois que nous pourrions faire entrer notre lumière dans une forme de résonnance avec la trame, que nous pourrions utiliser leur rapprochement de nature à notre avantage. Mais laissons les détails pour la discussion à venir, celle-ci promet d’être particulièrement intéressante.

Les deux maîtres de la lumière n’eurent pas à attendre beaucoup plus après la dernière tirade d’Ameanor avant d’être invité à entrer dans l’office du doyen reconnu de l’Académie. À l’image de la porte close devant laquelle ils avaient attendu, le bureau qui se révélait était simple d’apparence, poussée dans son côté pratique. Il n’en était pas moins spacieux, lumineux et bien remplis : ses nombreuses étagères y étaient couvertes de manuscrits et d’instruments en tout genre, en nombre suffisant pour donner envie au grand dôme du Coromitinwë, et ce malgré l’immense bibliothèque qui se trouvait dans l’Académie. L’odeur du bois avait fait place à celle, réconfortante, du vieux papier et de l’encre fraîche. Le léger désordre organisé qui régnait sur les tables et sur le bureau rappelait l’espace de travail de l’astronome, et un léger sourire nostalgique illumina son regard. Ici, ni le temps, ni l’espace n’avait cours. C’était un point névralgique de la recherche, un point qui liait autant les scientifiques entre eux que la parole tissait d’immenses réseaux entre les elfes.

Mais Ameanor ne prit pas beaucoup plus de temps pour profiter de cet instant et des pensée fugaces qu’il créait. L’archimage était là, et il attendait patiemment que les deux Luminomanciens expliquent la raison de l’entrevue qu’ils avaient demandée. Son visage sec pouvait paraître dur, mais son expression ne suivait pas ce physique et enjoignait à se lancer. Aussi, l’astronome fit un pas en avant, les mains dans le dos, et se baissa légèrement en une courte révérence pour signifier son respect. L’elfe devant lui avait plus encore que deux fois son âge, et était reconnu dans tout Anaëh pour sa sagesse. Les vagabondages scientifiques d’Ameanor n’étaient peut-être que jeux d’enfant à ses yeux.

- Je vous présente mes plus sincères respects, Heru Assaila. Je ne serais pas étonné que vous ne me connaissiez pas, je n’ai que peu communiqué avec l’Académie pendant mes recherches, et encore moins dans ces deux dernières décennies. Je suis Ameanor Sindënellë, maître Luminomancien, physicien et astronome. Je viens aujourd’hui me présenter à vous avec mon estimée collègue Anardîl car nous avons un projet qui gagnerait à se nourrir de vos connaissances et de vos talents. À vrai dire, reprit Ameanor en désignant de la main sa collaboratrice, il s’agit du projet d’Anardîl, qui l’a conçu et développé sans mon aide. Je ne suis ici qu’en soutient, afin de lui proposer des solutions pour la mise en place.

Comme vous le savez déjà sûrement, Anardîl travail à mettre en place un système de communication entre cités basé sur la lumière. Plusieurs problèmes se sont posés sur ce projet, notamment sur le trajet optique des rayons à utiliser ainsi que sur la manière de générer un rayon capable de voyager sur des grandes distances. Le chemin optique est un sujet que nous pouvons régler nous-même, puisqu’il est possible de modifier la trajectoire de rayons lumineux d’une longueur d’onde choisie sans en changer les propriétés. J’ai conçu un rituel qui devrait être capable d’inscrire ce changement de direction dans un espace restreint. Ainsi, continua le mage en mimant le chemin hypothétique de la lumière avec ses mains, nous pourrons envoyer des lumières qui n’interagissent presque pas avec l’atmosphère jusqu’à un point haut pour les retransmettre ensuite dans la direction de la cité souhaitée pour que le rayon interagisse avec une matière que nous choisirons soigneusement. Il nous reste désormais le problème du rayon : nous savons lequel utiliser, mais sa création semble complexe. Aussi, me viennent deux grandes questions. Tout d’abord, serait-il envisageable d’utiliser votre magie de l’immatériel afin d’amplifier la puissance d’un sort que nous serions déjà en mesure de lancer ? Voir, d’inscrire cette amplification en un espace donné, pour qu’un arcaniste confirmé soit capable de générer le sort que nous désirons ?

Ma seconde question est bien plus théorique, peut-être même folle. Se pourrait-il que la trame puisse fonctionner comme une sorte de champ de puissance inhomogène que nous pourrions essayer de modeler pour directement interagir avec la lumière, elle qui, de mes dernières recherches, semble se comporter comme une forme de mouvement d’énergie ? De sorte que, si nous y envoyons des rayons spécifiques, ceux-ci puissent entrer en résonnance avec la trame, enchaînant les cycles de don et gain de puissance afin que ces rayons en sortent plus puissants ? Et, ainsi, serait-il alors possible de concevoir un rituel qui inscrirait dans un espace donné une amplification d’une lumière choisie sans pour autant toucher à la puissance du sort ?

Entrant à la suite d’Ameanor, Anardîl se fit aussitôt effacée et discrète, comme à son habitude. Bien qu’habillée de couleurs claires et chatoyantes, bien que dotée d’un sourire chaud comme le serait l’astre solaire, la professeure se savait être secondaire, aux discussions qui allaient advenir aujourd’hui. Lorsqu’elle entra, et qu’elle fut accueillie par le Doyen lui-même, elle offrit une inclinaison de la tête, en signe de respect, sans rien oser dire de plus. Il fallait dire que le Doyen l’impressionnait toujours autant, de par sa réputation, bien-sûr… Mais surtout de par ses capacités thaumaturgiques, que d’aucun décrirait incroyablement puissantes.

Assister à la discussion entre ces deux magiciens, était quelque chose d’impressionnant, et d’émouvant pour la magicienne. Elle pouvait voir deux esprits dotés de capacités impressionnantes en matière de magie – de lumière et de l’immatériel – converser ensemble sur la réalisation d’un projet dont elle était à l’origine, ou presque.

Mais point d’animosité en l’esprit de la magicienne. Si, en effet, elle avait fait partie des esprits inauguraux sur ce projet dantesque, elle s’était retrouvée bloquée… Rapidement… Et seule… Et l’arrivée d’Ameanor avait été comme la solution à un problème difficile à résoudre… Voir impossible, même. Alors, aujourd’hui… Elle les laisserait parler, tous les deux. Elle écouterait, elle réfléchirait, sans doute même trouverait-elle elle-même de quoi faire évoluer ce projet, ou peut-être pas. Dans tous les cas, elle a besoin d’aide, et Lomion, aujourd’hui, semble l’unique être capable de résoudre les équations qu’Anardîl et Ameanor auront réussi à faire apparaître, sans réussir à en trouver la solution.

Pour l’instant.

Ameanor sourit et écouta patiemment le retour du vénérable maître des arts de la trame. Il n’avait jamais eu l’occasion de parler une personne au don magique si mythique - ni à un elfe aussi à l’âge aussi vénérable que celui-là -, et il attendait beaucoup de cette rencontre. Bien sûr, le doyen ne devait pas avoir connaissance des travaux de l’astronome, à moins d’avoir lu les manuscrits qu’il avait envoyés à l’Académie. Et ce serait bien surprenant, puisque l’archimage devait avoir bien d’autres choses à faire que de s’arrêter au moindre traité provenant d’un mage inconnu. Néanmoins, sa compréhension de la trame et de son fonctionnement dépassait de loin celle du jeune - relativement à l’ancien devant lui, bien entendu - mage. Les lois physiques avaient, d’ailleurs, peut-être trop accaparé son esprit pour qu’il approfondisse autant qu’il l’aurait souhaité ses connaissances sur la magie.

- Ambitieux, oui, ce projet l’est définitivement. Néanmoins, il ne me semble pas impossible. J’aurais certainement dû soigner quelque peu plus ma présentation puisqu’il est vrai que vous n’avez aucune raison de connaître tous les derniers détails de ce que les savants d’Anaëh ont développé, vous avez d’autres tâches bien plus importantes et critiques à mener. Modifier la trajectoire de la lumière, corriger les aberrations qui en découlent et gérer leur focalisation, tout ceci entre dans mon domaine d’expertise. J’ai longtemps travaillé à simplement modifier la trajectoire de rayons lumineux incidents sans en modifier la nature en utilisant des concepts géométriques qui s’avèrent être relativement simples, dans le but de m’aider à explorer le ciel et les objets si éloignés qui s’y trouvent. Je suis donc tout à fait capable de gérer le sort nécessaire à créer le point d’inflexion que nous cherchons. Néanmoins, il est hors de question de faire cette opération à des centaines de kilomètres de distance, et il faudrait inscrire ce sort dans le temps en utilisant un rituel. J’ai trouvé un emplacement où le sort pourrait être effectué pour arriver à nos fins, dans les monts Telion, et il faudra se rendre sur place pour effectuer le rituel, qui, d’ailleurs, reste à ce jour un sujet à travailler. Je ne suis pas le plus expérimenté dans cette pratique, puisque j’ai principalement pratiqué mon art en solitaires, aux abords de Quatrième-Saison. Mais je pense que ma très estimée collègue ici présente sera d’une importance capitale pour gérer ce point, termina Ameanor en se tournant vers Anardîl avec un sourire.

Reprenons le cœur du sujet, maintenant, repris le scientifique en croisant les jambes et en posant son menton sur son poing fermé, le coude appuyé contre un genou. Si j’ai bien compris – corrigez-moi si je me trompe - , vous pensez qu’il nous serait possible de transmuter un objet, mettons une lentille de verre, pour qu’elle applique l’exacte l’angle que nous souhaitons à un rayon incident, et un mysticiste pourrait, ensuite, intervenir sur ladite lentille pour étendre dans la durée les effets du construct ? Pour la génération du rayon, Ameanor plongea de nouveau son regard dans celui d’Anardîl, pensez-vous que nous pourrions, une fois qu’il sera correctement choisi, transmuter un nouvel objet afin qu’un mage compétant puisse en tirer ledit rayon ? Et, se retournant vers le doyen, il continua. Dans ce cas, serait-il raisonnable qu’un mysticiste intervienne pour amplifier grandement l’intensité du rayon qui sera alors généré ? Ceci pourrait nous permettre de faciliter grandement l’utilisation de l’hypothétique réseau de lumière tout en permettant qu’un arcaniste compétant puisse l’utiliser sans l’intervention d’un grand maître tel Heri Anardîl.

Pour ma dernière question, j’ai, avec le temps, acquis la conviction que des phénomènes orthogonaux peuvent néanmoins s’influencer mutuellement en des conditions d’espace et de temps particulières. Néanmoins, je comprends bien, après votre réponse, que tout ceci ne repose que sur des hypothèses, et qu’il est alors inutile de creuser la question pour l’application que nous souhaitons maintenant, ce ne serait qu’une perte de temps.

Ah, et il me vient une pensée ! Dit Ameanor en se redressant sur sa chaise après une courte pause. Vous vous serez sans aucun doute poser la question de savoir comment nous voulions aligner nos rayons avec nos points d’inflexion ! Nous n’en sommes pas à ce développement, je pense, puisqu’avant cela, nous devons nous assurer qu’il est envisageable d’imprégner lesdits points d’inflexion dans le temps et de générer, plus ou moins facilement, le rayon que nous souhaitons. J’ai cependant des idées d’une méthode qui utiliseront les impressionnants talents de Heri Anardîl. Nous pourrons développer ce point plus tard, si vous le souhaitez.

Ameanor faisait les cent pas dans le bureau de l’archimage, les mains placées dans son dos. Il était pensif, et réfléchissait le déroulement des événements. La tâche à accomplir était, bien sûr, loin d’être simple, et des portes se fermaient dans cet échange. Qu’importe, d’autre s’ouvriraient ! Et une telle entreprise ne pouvait pas trouver une solution simple, une réponse toute faite qui serait sortie de vagues divagations. Une base était bien là, mais son application restait complexe, d’autant plus pour un mage habitué au travail solitaire, à l’application de son art dans un isolement aussi doux que tranquille.

- Je me suis peut-être emballé, si je vous ai fait comprendre que mon idée de rituel était bien avancée, dit alors le mage sans arrêter ses va-et-vient. Je me répète peut-être, et pardonnez-moi si c’est le cas, mais j’ai principalement travaillé mon art seul, dans les hauteurs proches de Quatrième-Saison, et les rituels sont donc un sujet qui n’a pas mon expertise. Néanmoins, je n’aurais aucun mal à vous montrer le sort que je souhaiterais adapter.

Mais vous avez raison sur un point, continua le thaumaturge en s’arrêtant enfin de bouger. Il serait très certainement plus simple et plus avisé que je vous montre ce que je souhaite faire. Vos connaissances et votre compréhension e la trame nous donneront certainement bien plus de réponses que mes conjectures et mes folles demandes ! De même, cette démonstration pourrait très bien vous donner quelques idées, Anardîl. Nous en avons quelque peu discuté, mais ces dernières ennéades ont été… Mouvementées, devrais-je dire. Je ne crois pas que nous ayons échangé par l’expérience !

Les trois elfes prirent alors la direction de la cour de l’Académie. Des elfes, professeurs comme élèves, avaient déjà commencé à s’y agiter. Des sorts prenaient naissance et secouaient la trame alors qu’avec plus ou moins de succès, la talentueuse jeunesse elfique apprenait à maîtriser son art si beau mais si subtil. Une telle effervescence devait être belle à voir pour ceux qui avaient la pédagogie dans le sang, mais laissait comme un malaise chez Ameanor. L’agitation était partout. Elle se voyait, elle s’entendait, et, surtout, elle se sentait. Aucune tranquillité ne pouvait être trouvée, aucune véritable paix pouvait être espérée ici. C’était beaucoup, pour celui qui n’avait connu que la caresse des étoiles et le rire perdu de ses filles.

Mais ce ne serait pas assez pour l’empêcher de faire son œuvre. Pour commencer, il désigna un emplacement parfait, où quelques arbres cachaient en partie l’agitation du terrain de l’Académie.

- Comme je vous en parlais précédemment, l’idée de base est très simple. Nous voyons les choses, reprit Ameanor en s’aidant de tracés effectués sur la terre avec un bâton, puisqu’elles dévient des rayons lumineux vers nos yeux. Mais qu’importe le chemin de ces rayons lumineux, tant qu’ils arrivent effectivement à nos yeux sans se déformer, n’est-ce pas ? Si des rayons partent donc vers le ciel, nous pouvons alors les récupérer pour les amener de nouveau à nos yeux, si nous sommes capables d’affecter leur chemin sans pour autant les dénaturer, ainsi que le ferrait un miroir. Laissez-moi donc quelques minutes, finit par dire le mage en sortant son astrolabe.

Alors, le luminomancien prit quelques instants pour réfléchir ses prochains mouvements, puis regarda le ciel et commença à tourner les cadrans de son instrument astronomique avec sa main gauche. De sa main droite, il tissait son sort, tout en grâce et en précision, ne prenant que l’exacte quantité d’énergie qui était nécessaire. C’était comme s’il prenait de l’eau dans le creux de ses mains en ne créant qu’un remous si faible que seuls les yeux les plus perçants étaient capables de le voir.

Finalement, après quelques instants, il montra un point à cime des arbres. Lorsque les elfes regardèrent, ils purent distinguer sans le moindre mal la cour, derrière les arbres. Les elfes bougeaient, s’agitaient, pratiquaient la magie ou flânaient, exactement comme ils le faisaient quelques minutes plus tôt. Mais ce n’étaient pas des images crées, c’était bel et bien ce qu’il se passait, comme l’on pourrait très bien le voir en observant attentivement derrière les arbres. En fait, la scène qui se déroulait, en ce point précis, était exactement ce que l’on verrait si l’on était à la cime de ces arbres.

- Comme vous pouvez le constater, reprit alors Ameanor, un message envoyé d’un certain point peut être redirigé sans trop de mal. Maintenant, figurez-vous comme message un puissant rayon lumineux, soigneusement choisi pour ne pas être affecté par les conditions du ciel, et, en lieu de nos yeux comme réceptacle, un objet capable de recevoir ce rayon lumineux, ou en chauffant ou en le reflétant. Là est toute notre idée, rediriger un message partant vers le ciel pour nous libérer des contraintes terrestres. Maintenant, notre problème serait d’inscrire cette redirection dans le temps, car il serait fou d’imaginer que des mages restent en permanence à effectuer le sort… Tout comme il serait illusoire d’imaginer un artisan capable de créer un objet physique capable de rediriger la lumière sur des centaines de kilomètres sans que celle-ci ne se perde en diffusion ou qu’un minuscule angle ne vienne fausser la position de sortie. Seriez-vous donc capable de nous aider à inscrire le sort que je vous ai montré, dans une version plus perfectionnée, bien sûr, dans le temps ? Anardîl, n’hésitez donc pas à me corriger ou me compléter s’il le faut.

Ne vous méprenez pas : cet échange entre Anardîl et Emeanor était des plus intéressant et des plus vivifiants. Deux esprits aussi doués, manœuvrant et discutant d’un projet sensationnel mais ô combien difficile qui laissait l’esprit d’Anardîl sur le carreau depuis des années, était une bénédiction. En son for intérieur, la Luminomancienne était soulagée, mais aussi, sensationnellement surprise… Et même soulagée.

Cet être de lumière – puisqu’elle incarnait la lumière dans toute sa splendeur, sa peau de pêche reluisant au soleil et ses vêtements aux couleurs chatoyantes renvoyant une myriade de reflets lumineux – savait se montrer aussi insaisissable qu’une ombre et aussi silencieuse que les pas d’un chat en maraude.

Rejoignant la cour aux côtés du Doyen et du luminomancien de génie, elle fut surprise d’être capable d’enfin répondre à une question, et pas n’importe laquelle. Non pas qu’elle ne soit point intelligente ; non point qu’elle soit timide ; non point qu’elle ne sache rien de son propre projet qu’elle tentait de faire vivre et développer depuis des années… Mais être bloquer durant tant d’années, rendait complexe le fait de pouvoir avancer. Alors, oui, elle ne se sentait point totalement légitime… Et oui, elle était légèrement douteuse sur ses propres capacités d’être effectivement utile à son propre projet…

« En effet Heru Assaila. » Dit-elle, un sourire de circonstance alors que ses yeux d’un bleu azur analysait l’amélioration ésotérique qu’un maître de la trame avait pu apporter à un construct lumineux. « Il m’apparaît que la lumière la plus efficace pour pouvoir réaliser ce genre de trajet et d’utilisation, reste les rayons invisibles. Ceux qui sont sous le spectre du rouge, sont les plus faciles à ressentir, mais ne sont pas ceux qui vont le plus loin. Les rayons qui sont au-dessus du violet, nécessitent plus de pratique en termes de captation… Mais leur stabilité permet une transmission plus lointaine. La contrainte physique, toutefois, reste handicapante qu’importe le type de spectre choisi. »

Ameanor contempla les effets du sort de l’archimage avec respect et satisfaction. Il était déjà bien rare qu’il mette en communs ses talents avec un autre elfe, alors il n’avait guère imaginé que ce soit peut-être l’elfe avec la maîtrise et la compréhension de la trame la plus fine et qu’il n’ait jamais connu qui interférerait avec lui. Ainsi, il put ressentir vibrer les énergies mystiques au plus profond de lui alors que les traits de son sort se précisaient et se déployaient en d’élégantes arabesques pour en amplifier les effets.

Le mage sourit et mit ses mains derrière son dos, regardant simplement les effets de l’intervention de Lómion. Une expérience aussi inattendue que plaisante. Il était encore dans cette position quand sa collègue répondit sur ses avancées et ses capacités. Le mage de Quatrième-Saison hocha simplement la tête pour montrer son accord. Les deux luminomanciens étaient venus chercher des informations sur leurs idées premières, et il semblerait bien qu’ils les aient reçues. Avec un peu de déception, il fallait le reconnaître, certains plans initiaux devaient être abandonnés. Néanmoins, l’échange fructueux avait abouti, dans l’esprit du scientifique, à des solutions tout à fait satisfaisantes. Alors, il baissa de nouveau son regard pour osciller entre ses deux interlocuteurs.

- Bien, il me semble que nous avons eu ce que nous cherchions. Si ce projet de communication doit voir le jour, c’est donc à un Archemage qu’il faudra s’adresser. Néanmoins, après votre démonstration, Heru Assaila, je note qu’un adepte de mysticiste aurait toute sa place dans le système que nous pourrions mettre en place. Car il faut bien l’avouer, il s’agira d’un véritable système mélangeant différents niveaux de magie, de construction et d’organisation. Il me semble néanmoins possible de concourir avec un Archemage pour inscrire le sort que je vous ai montré dans un objet à aligner correctement au point d’inflexion qu’il nous faut savamment placer. Je pense que vous êtes plus qu’à même de gérer la création d’un rayon suffisamment puissant et précis pour atteindre son objectif, Anardîl. Néanmoins, ce ne sera pas le cas de tout le monde, aussi, je pense que travailler avec l’aide de mysticiste afin de rendre la création de ce rayon accessible à des mages moins versés que vous dans ce domaine ne peut être que salutaire. Ameanor fit une courte pause et sourit à ses deux collègues. Je crois bien qu’un plan de travail se met en place, maintenant. Heru Assaila, je vous remercie de votre aide, et n’hésitez pas à corriger n’importe quel point qui vous semble trop difficilement réalisable.