[Croisade Eldéenne] Prisonniers de l'onde

Nuit de Julas à Calimehtarus
1e ennéade de Karfïas
21e année du Onzième Cycle

Bercée par le clapotis de l’eau, tu danses de vague en vague, guidant les canots de tes Frères vers ce qui serait le véritable début de votre campagne. Les pieds légers, tranchant à travers des adversaires qui n’existent pas, tu conjures la glace sous tes pieds à chaque pas, avançant en pointes sur la surface de l’eau quelques dizaines de mètres en avant des vaisseaux, prête à leur ouvrir le passage.
Rien. Pour l’instant rien. Votre adversaire est encore endormi, et le voile de la nuit vous couvre. Après avoir posé pied à terre, tu les appelles à te suivre. Les barques s’échouent contre le rivage, et enfin, les guerriers las de vivre sur l’eau peuvent enfin espérer s’en éloigner.

- Il va falloir remonter les cours d’eau vers la montagne.

Tu pointes du doigt les reliefs perçant le ciel vers l’Ouest. L’Ouest, pas le Sud-Ouest. Parce que si la vermine réagissait comme tu l’imagines à l’attaque de Haurse-Porc, le Sud-Ouest deviendrait certainement très vite impraticable. Et à partir du moment où ils commenceraient à se douter de la présence de certains d’entre vous sur leurs territoires, les routes plein Ouest ne tarderaient certainement pas non plus à s’engorger.

- Vous pouvez ramener les barques.

Pas question de les laisser traîner sur la berge. Là où les regards indiscrets de navigateurs curieux ou de vigies trop zélées pourraient trop facilement les repérer et comprendre que le véritable danger vient non pas de Haurse-Porc, mais de l’intérieur. Aux vôtres la responsabilité de décider s’ils attendent de vous que vous surviviez ou pas. Aux vôtres, restés du côté d’Aduram, de décider s’ils viendraient vous chercher ou pas après que vous ayez terminé. À vous de survivre après avoir mené votre mission à bien.

- On se sépare chaque fois qu’on croise un affluent direction Sud-Ouest. tu lances la marche, leur dissimulant un mutin sourire Et on ne laisse surtout pas de témoins derrière nous.

Il avait entamé une nouvelle étape, un nouveau chapitre. Le trajet avait été long, extrêmement long. Les esprits s’étaient échauffés, certains avaient même péris sur le fer des autres, mais Kiel Elamshinae n’en avait rien à faire. Pas une seule fois, elle était montée sur le pont, trop occupée à rendre hommage à sa maîtresse, lacérant sa propre chair pour entendre son murmure. Mais elle ne l’entendit point. Aucun cri ne franchit ses lèvres alors que le sang coulait sur sa peau grisâtre, même pas un tremblement dans son souffle. Pas d’excitation. Pas d’extase. Rien. Trop habitué à ses propres sévices. Même l’esclave qu’elle avait sacrifié en chemin ne l’avait pas fait réagir. Il avait été trop vite. Il n’avait pas assez hurlé… Même lorsque Brane’Klez lui cracha de l’acide dans ses yeux, même lorsqu’il avait répété son exploit, cette fois-ci attaquant l'extrémité de ses doigts. Et lorsque l’emmerdante petite créature s’était posé sur l’épaule de sa maîtresse en couinant, il se régala de la langue à peine arrachée de sa victime alors que cette dernière se crispait de colère.



Elle avait besoin de sang. Elle avait besoin de cri. Elle voulait sentir l’extase de nouveau.



Mais ce soir, ce soir est le début de ce nouveau chapitre. Un chapitre qui ferait trembler les fondations de cette horrible terre. Aussitôt qu’elle mit pied à terre, l’Obok Yatharil s’avança dans l’obscurité, les prunelles vides à l'affût d’un mouvement. Elle sentait la chaîne pulser au même rythme que son cœur. Il était temps. La lame de Teiwon mena la marche, ordonnant que l’on ramène les barques et que l’on ne laisse pas de témoin… La favorite eut un sourire carnassier, et de sous le masque d’Onous’Delab la voix rocailleuse s’éleva. « Car ce soir laissé court à vos pulsions. Que chaque humain qui n’ose entrer dans ses bois soit sacrifier. Faites-les supplier. Faites-les pleurer. Mais surtout… Faites les hurler…»



Soyez le fer et le carnage.
Plier le monde à sa volonté.
Oui, sa volonté
La volonté de la maîtresse.
Peux-tu l’entendre hurler ?
Laisse l’ennemi savoir que vous n’êtes pas effrayé par le noir…



Kha’linas ne put s’empêcher de sourire de nouveau sous son masque impassible. Oh oui… Ils l’apprendront. Elle ferait en sorte que le sol soit recouvert du sang de ses créatures impies. Ferait en sorte que cette partie du monde soit nauséabonde avec l’odeur de leur chair en décomposition. Un couinement se fit de nouveau entendre, alors que le bagron revint avec le corps d’une créature noire, recouvertes de fourrure. Il se posa sur l’épaule de sa maîtresse, avant que cette dernière n’attrape la créature. Son sang chaud coulait sur ses doigts alors qu’elle tourna le lapin sans douceur. Puis, elle vit les pattes manquantes, arrachées… Des blessures qui n’avaient pas été fait par le stupide bagron sur son épaule. « Nous ne sommes pas seuls dans ces bois… La vermine est beaucoup plus près qu'il ne laisse paraître…»

La première nuit arriverait bientôt à son terme. Il vous faudrait bientôt trouver un abri, et vous cacher. Vous cacher… alors que pour une fois tu aurais préféré avancer face au monde, maculer le ciel nocturne des hurlements d’ennemis dont le destin s’écrivait malgré eux, impuissants face à la marche d’Elda. Seulement – malgré les bénédictions du Père – à vous seuls, vous n’en aviez pas le pouvoir. Pas seuls face à la multitude aveugle grouillant autour de vous. Pas de cette façon. L’heure aujourd’hui était à une autre forme d’affrontement.

- Un instant.

Tu laisses le reste du groupe s’écarter, et tes yeux lorgnent sur lui. Tu soupires. L’édifice ne t’inspire rien. Si ce n’est une forme de pitié. L’amas de pierres ne fait rien de plus que se jeter d’une rive à une autre. Il est sans plus dire, attendant d’être utilisé par ceux qui l’ont façonné. Il est, entièrement dévolu à son usage, et sans autre prétention. Si la vision de ce pont t’importunes, c’est parce qu’il est à l’image des Sans-Flammes : superficiel et vide de caractère. Le rappel s’il en est, que sans Flamme, il ne peut exister d’art.

La pointe de ton pied trouve appui contre le sol, et tu t’élances dans une folle danse martiale. Ta lame siffle à travers l’air nocturne, lui arrachant une à une de fines gouttelettes d’eau. Ton pas devient fiévreux et s’accélère, et bientôt tu ne marches plus au sol, mais contre l’air, contre les flocons que tu t’es toi même offerte comme tremplins, et puis tu sautes, et dans une vrille, tu tranches deux croissants d’une Lune aqueuse dans la nuit.
Les pieds au sol, et la fièvre retombée, tu regardes d’un œil impassible les lames d’eau qui contiennent ta rage avaler la pierre. Et lorsque le pont s’effondre, tu es satisfaite. Voilà qui jouerait plus en la faveur de vos alliés près de Haurse-Porc qu’en la vôtre, mais ne le leur devais-tu pas bien ?

- C’est fait.

Nuit de Calimehtarus à Panahos
1ère ennéade de Karfias
21e année du Onzième Cycle

Un petit bosquet aux abords de l’eau. Un petit animal mutilé. Probablement par un piège. Vous étiez sur l’un des habituels terrains de chasse des locaux. Et ils étaient là. Livrés à vous à la faveur de la Lune, prédateurs devenus proies. Le coeur de la Favorite battait. Ses traits trahissaient sa faim grandissante. Elle voulait entendre les cris et sentir l’odeur du sang. Elle voulait vous voir prendre possession de ce terrain de chasse et faire souffrir ses premiers occupants… ce serait sans toi.

Continuant de guider le convoi, à tes frères tu as laissé la tâche de la chasse, car tu ne lui aurais pas fait honneur. Ta main n’est pas faite à l’exercice de la torture. Toi qui n’as jamais appris qu’à donner proprement la mort, tu te contenteras d’observer tes alliés jouer le jeu de Kiel, en attendant patiemment qu’a nouveau vienne ton tour.

Les ennéades s’étirent, les combats ne faiblissent pas. Bien uu contraire. Car le peuple des Hommes n’entend pas se laisser impunément attaquer. Loin de là. Les contingents des armées du Nord ont tôt fait de s’installer aux abords des routes permettant d'entrer ou de quitter l’Oësgard, de surveiller plus encore les ponts et les alentours des cités importantes.
De même que des forces venues de l’Odélian s’en viennent prêter main forte aux leurs frères de la Sgardie. Haurse-Porc devient le théâtre d’agressions régulières, d’escarmouches sanglantes et meurtrières. Des affrontements qui ne se déroulent qu’autour de ce pont qui enjambe la Siriliya.

L’approche de la fin de ce mois empli de tensions et de haine sonne le début d’une accalmie. Les attaques puysardes se font moins incisives, moins violente, peut-être même moins régulières. De quoi ravir les cœurs des Hommes et leur donner l’espoir d’enfin voir venir la fin de ces échanges guerriers.

Pour les daedhels, le temps du départ est arrivé. Par petits groupes, discrètement, afin de ne pas dévoiler leurs mouvements aux hommes. L’Aduram leur offre ce couvert, ce manteau naturel ayant vu naître leurs ancêtres, dissimulant leurs véritables intentions. Ils quittent ces rivages, non sans la satisfaction procurée par les affrontements.