« Je dois sortir de ses murs… »Aubry haussa un sourcil en regardant sa cousine qui marchait de long en large dans l’immense salon. Le nordien avait pris comme habitude de venir visiter sa cousine et son neveu presque quotidiennement. Au départ, parce qu’il voulait la soulager de certains de ses tourments. Mais il était devenu clair au fil des jours que la baronne ne lui parlerait pas de ce qui s’était passé. Par chance, le Duc avait réussi à lui tirer les verres du nez, mais la version lui semblait incomplète. Il connaissait assez sa cousine pour savoir que cette dernière lui cachait quelque chose.
« Nous pouvons aller dans les jardins ? » Proposa-t-il
« Non. » Interrompit la jeune femme.
Aubry haussa un sourcil, surpris par sa suzeraine. Jamais il ne l’avait vu ainsi. Elle était impatiente, comme si elle possédait un trop-plein d’énergie. Adélina se retourna soudainement de la fenêtre avant de poser son regard vers son cousin. Elle semblait impatiente, excitée, comme une enfant qu’on venait de proposer le plus magnifique des trésors.
« Allons en balade. Le Duc m’a dit que le Duché m’appartenait. Allons à cheval et suivons la rivière. Nous trouverons bien une petite plage. »Le chevalier eut un sourire en entendant sa cousine, se disant que, malgré tout ce qu’elle avait vécu, cette dernière restait définitivement la même.
***
Ils chevauchèrent pendant un moment, Adélina et Aubry en tête, alors que quelques gardes les suivaient à une certaine distance. Aubry avait été assez clair avec ses derniers, bien que le Duc avait insisté qu’ils les accompagnent, ils devraient rester en retrait pour laisser la baronne respirer. Après tout, il était là pour lui changer les idées, pas pour lui rappeler les dangers dans lesquels elle pourrait se retrouver. Au bout d’une bonne heure, la jeune femme signala à son cousin qu’elle voulait prendre une pause. Il fit signe aux autres chevaliers, qui s’arrêtèrent un peu plus loin. Adélina quant à elle, s’arrêta près de la plage, laissant son destrier au repos, elle s’avança vers les vagues, avant de s’arrêter à quelques mètres de l’eau. Le son des vagues, le vent salin la rassurait curieusement. Elle ferma les yeux, savourant ce moment.
« Comment tu te sens ? »La jeune femme ne répondit pas tout de suite, et s’installa sur le sol. Ses doigts s’enfoncèrent sur le sable, alors que les prunelles bleutées observaient l’océan devant eux. Après plusieurs heures de chevauchée, la jeune femme devait avouer que cet instant de détente était plus qu’apprécié.
« J’ai l’impression de retrouver une partie que j’avais perdue. » Adélina laissa le vent salin balayer ses longues boucles brunes alors que son cousin fronça les sourcils. Il avait entendu le récit de la baronne. Le Duc, lui racontant ce que ce dernier avait réussi à extirper de sa promise. Aubry connaissait sa cousine, il savait qu’elle n’en parlerait plus. Qu’elle enterrait tous ses souvenirs, ces expériences au plus profond d'elle-même, mais il se devait quand même d’essayer.
« En Alonna ? » Tenta-t-il.
Adélina ouvrit les yeux, semblant fixer un point un peu plus loin avant de rétorquer :
« Non, pas en Alonna. » Aubry se rapprocha d’Adélina avant de s’asseoir à ses côtés, les deux cousins fixant l’océan.
« J’aurais dû tuer ce truand à Bransat. »Adélina ne répondit pas tout de suite, laissant son regard vagabonder devant elle.
« Peut-être. » Oui, peut-être. Peut-être que cela aurait tout changé, mais la nordienne savait pertinemment qu’elle n’aurait pas appris, qu’elle n’aurait pas grandit autant sans Caleb. Adélina avait vu un autre aspect du monde, et pour cela, elle lui en était reconnaissante.
« Tout le monde déteste cet être pour ce qu’il m’a fait. Sans réellement savoir les effets de ces actes. » Les deux cousins se retournèrent l’un vers l’autre, Aubry, l’air interrogatif tandis qu’Adélina, semblait beaucoup plus calme.
« Et pourtant, le monde a cessé de tourner le jour qu’on m’a arraché à lui. Je l’ai senti. Dans mes os, dans mon cœur, dans chaque fibre de mon être. J’ai eu l’impression que le soleil a cessé de nous apporter de la chaleur, que la nuit a cessé d’être froide. Les oiseaux ne chantaient plus. Lorsqu’on m’a enlevé, le monde comme je le connaissais à changer. » Aubry resta silencieux, écoutant la jeune femme attentivement, se demandant ce qu’elle voulait dire par là, il connaissait son histoire - ou du moins connaissait la version qu’Adélina avait raconter au Duc. Mais il était clair que des détails manquaient. Il resta silencieux et elle continua ;
« Je ne m’attendais pas à ce qu’il devienne ma cicatrice la plus profonde. » Le regard de la jeune femme se porta sur le sable, alors qu’un léger sourire vint illuminer son visage;
« Et maintenant je dois me souvenir de lui plus longtemps que je l’ai connu. » Adélina glissa sa botte sous le sable avant de la remonter, envoyant les grains un peu plus loin, portés par le vent. L’expression d’Aubry changea soudainement, si au départ, il était relativement fermé, pensif, ce qu’il venait de réaliser l’avait bousculé beaucoup plus qu’il ne pouvait l’avouer.
« Tu l’aimes… » Murmura le chevalier, choqué par les mots qu’il venait de dire.
Adélina hocha la tête, fixant de nouveau l’horizon. Aimer à sa façon. Aimer un être qui ne comprenait pas ce que c’était de l’amour.
« Notre “presque” me hantera pour le restant de mes jours, Aubry. Tant de choses ont été dites dans les non-dits. » Adélina soupira, avant de porter son attention sur la manche de son manteau, enlevant un grain de sable du tissu bleuté.
« J’aurais aimé avoir plus de temps avec lui, lui dire comment je me sens réellement, mais j’ai bien peur que je vais l’aimer jusqu’à la fin de mes jours, sans être dans la même pièce que lui. » Aubry sembla finalement sortir de sa torpeur, se releva pour s’avancer vers l’océan. Ce dernier fixa droit devant lui, regardant les vagues qui s'écrasaient sur le sable non loin d’eux. Il avait l’air perdu, semblant peser la tournure de la conversation. Ce fut qu’au bout de quelques minutes de silence que le chevalier reprit ;
« Jamais je ne me serais attendu à une telle histoire… Je dois avouer que cela m’a tracassé quand le Duc m’a raconté l’histoire… J’ai cru que tu ne voulais plus revivre tout cela, que tu voulais oublier tout ce qui s’était passé. » Adélina releva finalement son regard vers son cousin, l’observant alors que ce dernier se retrouvait maintenant debout, dos à elle.
« C’est le cas. » Commença-t-elle avant d'ajouter;
« Et pourtant, c'est toujours mon histoire préférée, mais la plus douloureuse à raconter et je ne peux en parler à personne. » Aubry se retourna finalement vers sa cousine, s’agenouilla devant cette dernière avant de lui prendre la main, comme pour la rassurer. Il n’avait pas besoin de lui dire, Adélina savait qu’il était réellement la seule personne à qui elle pouvait parler. Peut-être lui passerait-il un savon, mais jamais il ne la jugerait, ou la critiquerait pour ce qu’elle ressentait ou pensait. Aubry avait toujours été à ses côtés, la supportant dans toutes les épreuves qu’elle avait passées.
« Le coeur brisé par un amour qui n’a jamais réellement existé en soi. »« Et le duc ? »Adélina eut un sourire triste, avant de fixer à nouveau le sable, ne dégageant pas sa main de la poigne de l’imposant chevalier.
« J’ai des sentiments sincères pour le Duc. Je l’apprécie énormément, et je me considère chanceuse d’avoir été choisie par lui. Je sais qu’il me rendra heureuse, ou du moins fera tout pour que je le sois. » La jeune femme libéra finalement sa main de la poigne de son cousin, avant de ramener ses genoux contre elle, posant sa tête sur ces derniers.
« Mais cela n’empêche pas qu’il ne soit jamais réellement parti. » Le chevalier ne bougea point, puis il se leva pour rejoindre sa monture, farfouillant dans les sacoches de son destrier pour prendre un poignard. Puis, il retourna devant sa cousine, s’agenouillant à nouveau avant de lui tendre l’arme.
« Je crois que cela te revient alors… » Adélina releva sa tête et aperçut le poignard que le Rokvenha lui avait donné, son visage sembla s’éclairer avant qu’elle ne prenne rapidement l’arme. Aubry reprit rapidement la parole, ne laissant pas la jeune femme parler;
« Il n’est pas mort, n’est-ce pas? » Adélina releva la tête de ses genoux pour planter son regard dans celui de son cousin, semblant chercher quoi dire. Aubry eut un demi-sourire avant de hocher la tête. Elle n’avait pas besoin de rajouter quoique se soit, il avait compris.
Le chevalier se redressa, avant de porter ses mains à sa tête.
« Ah.. Lina… Rien ne peut jamais être aisé dans cette famille. » Il regarda les chevaliers qui les attendaient plus loin, l’air pensif.
« Apparemment certains pirates se tiennent dans une auberge dans le port d’Ydril. Plusieurs auraient falsifié les documents qu’aurait créés le Duc lors de ton absence… Peut-être que c’est là qu’on en apprendra le plus. » Le visage de la jeune femme sembla s’illuminer pendant une seconde, plantant son regard dans celui de son cousin.
« Après tout, tu mérites un meilleur “au revoir”... »