Nehril Sang-mêlé
Nombre de messages : 522 Âge : 130 Date d'inscription : 08/08/2018
Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 248 ans Taille : 1m98 Niveau Magique : Arcaniste.
| Sujet: Au revoir, papa (solo) Mar 9 Nov 2021 - 22:29 | |
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An 18 du Cycle 11 Mois de Bàrkios, second mois de printemps, quatrième ennéade, Tariho :
Le vent souffle à travers l’épaisse frondaison des arbres, secouant les lourds rameaux verdâtres avec férocité, les dépouillant de leur parure verte et ocre. Les feuilles arrachées par ces puissantes bourrasques tombent en une pluie d’émeraude autour des deux personnages qui s’abritent autour d’un feu de camp. La fumée qu’exhale le bois qui se consume volette lentement dans les airs avant de disparaître sous les branches basses. Seule la lueur du feu éclaire les environs. La forêt semble profonde, sauvage et inhospitalière. Les longs hurlements des loups retentissant dans la nuit ne provoquent aucune réaction de la part des deux voyageurs qui demeurent impassibles.
Nehril lève une main avant de pousser un grognement. Le foyer à nouveau inerte se ravive dans un craquement sourd. Ceralyn observe les flammes cramoisies qui lèchent le bois vermoulu en silence. Les deux ne parlent pas, mais Nehril remarque que les yeux de la jeune femme cherchent les siens.
— Tu… tu as l’air d’aller mieux, remarque-t-elle en lui adressant l’ombre d’un sourire.
Le mercenaire note que son timbre est hésitant. Comme l’est son regard. Elle cherche à mesurer la distance que ces ennéades ont creusée entre eux. À voir si le lien qui les lie unit est toujours aussi fort. Elle semble désorientée, mal à l’aise. Le mercenaire doit à présent lui apparaître différemment : sûrement plus froid, plus distant… plus étranger. Les récents événements ont probablement changé sa perception sur beaucoup de points… et notamment sur lui. Malgré sa gène évident, elle fait l’effort d’amorcer la conversation. Ses yeux sont brillants, mais inquisiteurs. Lui n’éprouve que le désir d’y échapper. Il redoute les questions qu’il voit poindre dans son regard, il craint que ses réponses ne la blessent davantage. Il ne sait que trop bien que la vérité n’est jamais celle que l’on souhaite entendre. Il sait néanmoins qu’il ne peut plus y échapper.
Nehril jette dans le feu le dernier morceau de bois mort qu’il tenait entre ses cuisses et joint lentement ses mains. Son visage est plongé dans les ténèbres. Seuls ses yeux argentés brillent sous la lueur des flammes vives.
— Ce fut rude, lâche-t-il d’une voix rauque. J’aurais aimé que tu ne sois pas mêlé à tout cela. Cette affaire ne te concernait pas.
Ceralyn secoue la tête et fronce les sourcils. Ses cheveux flamboyants glissent le long de ses épaules alors que ses yeux brillent de colère.
— Comment peux-tu dire cela ?! tempête-t-elle en serrant le poing. Si je me suis retrouvé dans cette situation, c’est par ta faute ! Tout ce qui est arrivé, c’est parce que tu ne m’as rien dit !
Le semi-elfe lève la tête, mais ne détache toujours pas son regard du feu.
— Tu n’étais pas encore prête.
— Non c’est faux ! fait-elle en se levant. C’est toi qui n’étais pas prêt à m’avouer la vérité ! C’était trop compliqué de m’avouer que tu étais mon père ? « Oui bonjour Ceralyn j’ai rapporté du pain, ah et au fait, je suis ton père ! », singe-t-elle en imitant la voix grave de son protecteur. Ouaah, c’est vrai que c’est difficile ! Elle resta un moment immobile, guettant sa réaction. Elle poursuivit, une expression douloureuse au visage. À moins que tu n’aies eu honte ? C’est pour ça que tu voulais m’abandonner quand j’étais petite ?
Nehril demeure silencieux. Son absence de réponse fait exploser la jeune femme.
— C’était donc ça ?! Pour ça que tu ne me disais jamais rien, que tu refusais à ce que je t’accompagne en mission ?! Tu craignais que j’apprenne la vérité ? Tu ne voulais pas t’attacher à cette petite gamine stupide qui te suivait partout où tu allais ? C’est pour ça que… tu n’as jamais voulu de moi… après ce que s’est passé à Thaar ?
Les sourcils du semi-elfe se froncent. Une colère froide née dans son bas ventre.
— Réfléchis un peu fillette ! cingle la voix du mercenaire en se levant à son tour. Que crois-tu qu’il te serait arrivé si je t’avais gardé avec moi à la naissance ? N’as-tu pas vu l’Œil qui me pourchasse ? N’as-tu pas vu mon propre père vouloir me tuer ? Crois-tu que la vie d’un enfant à sa place auprès d’un mercenaire pourchassé ?
— Tu pouvais changer de métier, devenir maître d’armes, professeur ou retourner chez les elfes pour m’élever ! La vie d’un enfant n’a sa place qu’auprès de son père !
Nehril balaye ses arguments d’un geste du bras. Ces mots font mouche, mais il préfère ne pas y prêter attention. Il craint qu’elle n’ait raison.
— Tu déraisonnes Ceralyn, fait-il en s’asseyant à nouveau. Tu ne sais pas de quoi tu parles.
La jeune femme jette au sol le sac qu’elle portait sur son épaule.
— J’en ai plus qu’assez ! Assez d’être traité comme une enfant ! Je suis une adulte Nehril, que tu le veuilles ou non ! Tu me dois ces réponses !
— Ceux qui clament leur maturité sont souvent ceux qui en sont le plus éloigné, réplique le semi-elfe.
Ceralyn grimace et lève les bras en l’air.
— Oh oh, encore une tes célèbres mises en garde ! À m’assommer de tes remontrances, à m’exhorter de me méfier de ma propre ombre, mais refusant que je ne quitte la tienne ! As-tu si peur que ça que je ne m’émancipe de ta tutelle ?
— Tu n’es pas prisonnière de mon ombre, Ceralyn. Elle n’est qu’un manteau qui te protège de la morsure du froid qu’est ce monde. Ne fais pas l’erreur de le sous-estimer. Il te dévorera, sois-en certain. Comme il m’a dévoré. Le mercenaire plante ses yeux durs dans les siens. Les événements récents ne m’ont pas donné tort. Tu n’es pas encore prête, martèle-t-il de sa voix grinçante.
La jeune femme tire sa lame et la brandit sous le regard interloqué du semi-elfe. Le père et sa fille restent ainsi immobiles plusieurs secondes. La tête de Ceralyn est basse, ses cheveux masquant son visage. Lorsqu’elle la relève, Nehril peut voir l’expression qu’elle affiche. Une expression qui le frappe aussi violemment que si elle l’avait poignardé.
— Est-ce là le seul moyen pour que tu comprennes ? murmure-t-elle d’une voix écorchée, tiraillée par la douleur. Est-ce le seul moyen pour que tu me regardes telle que je suis vraiment ?
Ses yeux s’embuent de larme. Des sillons argentés se tracent sur ses joues pâles. Le cœur du mercenaire manque un battement. L’expression de douleur qui se dépeint sur le visage de Ceralyn l’exhorte à réagir. Il aimerait céder à cette sensation : tendre ses bras dans sa direction, la rassurer, lui ébouriffer les cheveux, lui dire que tout ira bien. C’était si facile. Jadis il aurait pu. Mais plus maintenant. Pas après tout cela. Pas après avoir lu le doute dans son regard. Il reste ainsi, immobile et froid. Aussi immobile que les feuilles recouvrant le tapis de verdure autour d’eux.
— Que souhaites-tu que je te dise Ceralyn ? lui répond-il avec tristesse en détournant les yeux.
La jeune femme semble chercher quelque chose dans son regard. Ce qu’elle y trouve renforce le flot de larmes qui s’écoule de ses yeux émeraude. Elle jette au sol son épée : celle qu’il lui avait offerte dans son enfance.
— Un simple « je t’aime » aurait suffit, lui dit-elle sur un ton tressaillant en effaçant les dernières larmes qui coulent le long de son menton. Mais peut-être ne connais-tu pas le sens de ces mots.
Se détournant, elle ramasse son sac à dos et ses affaires. D’un pas lent, elle s’éloigne du campement. Le mercenaire la regarde partir. Alors qu’elle disparaît de son champ de vision, elle lâche dans un souffle :
— Au revoir, papa.
Nehril reste immobile. Il ramasse lentement l’épée de Ceralyn, la tête basse. Genou à terre, il contemple l’homme qui se reflète sur l’acier nu. L’homme qu’il hait de tout son cœur. Une brusque bourrasque souffle une nouvelle fois, éteignant le feu, le laissant dans des ténèbres qu’il ne connaît que trop bien.
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