Retour chez soi ; retour aux affaires | Catarina

5ème jour de la 1ère ennéade de Bàrkios.
Second mois de l’Automne | Année XXI | XI Cycle.
Soltariel-la-Ville | Palais ducal.

Les jours et les nuits en Ydril avaient été les plus mouvementées de ces derniers mois. Pour la seconde fois en trois années, quelqu’un attentait à la vie d’Adriano pour prendre le pouvoir et la couronne Ducale sur ses restes sanguinolents. Pour la seconde fois, Adriano avait eu à faire à la chance : la chance d’être aidé au dernier moment ; la chance de faire face à un adversaire point assez préparé.

Norbert d’Ydril, pourtant, avait tout préparé dans les moindres détails, mais l’un d’eux échappa à son contrôle : l’allégeance de son frère, Louis d’Ydril. Ce dernier sauva Adriano in-extremis, et assassina son propre frère sous les yeux du Duc. Mais, comme si tout cela ne suffisait point, voilà qu’un autre évènement allait presque assassiner la réputation du Duc : Adélina, sa jeune épouse, serait en cheville avec les pirates. Emprisonnée, Norbert l’accusa d’être une pirate, fidèle au Rokvenha qu’elle aurait marié d’après une chanson fameuse chez les flibustiers. Mais Louis, lui, assura du contraire : il s’était lui-même rendu en Syrila et n’avait point vu le Rokvenha ni aucun autre pirate attendra Adélina tandis qu’elle était en visite dans sa famille Nordienne. Tout ceci n’était donc que des rumeurs, et des paroles calomnieuses… Alors, que croire ?

Car non seulement une chanson existait concernant Adélina et sa romance présumée avec le capitaine pirate maudit, mais en plus, on aurait retrouvé une dague Mécane à sa cheville… Que croire…

Tout cela, toutefois, fut éclipsé durant son séjour en Ydril par la tentative d’assassinat, mais surtout, par l’avortement obligatoire et indésiré de leur enfant à naître. Adélina était en effet enceinte, au moment de ces terribles évènements… Et Norbert, voyant un danger en cela, empoisonna Adélina de sorte qu’elle expulse le fœtus sur le sol froid et humide d’une geôle, éliminant alors un potentiel héritier supplémentaire du duché… Alors, perdre encore une fois un enfant avait été un traumatisme suffisant pour Adriano, qui aura un peu oublié les accusations et la défense d’Adélina, quant à ses allégeances flibustières.

Il rentra bien vitre à Soltariel, Ydril étant désormais sous bonne garde avec le nouvel Archonte à sa tête. Ce dernier avait fait un bon travail dans la chasse aux traîtres, et continuait de le faire, pacifiant et nettoyant la noblesse Ydrilotte, infiltrant les quartiers sombres, chassant ceux qui pourraient s’apparenter à la fois aux pirates et aux nobles séditieux. Satisfait, Adriano rentra alors à Soltariel, où des choses l’attendaient…

A peine était-il rentré qu’il s’attela tout de suite à son bureau. Bien-sûr, il envoya un garde prévenir sa fille de son retour, elle qui devait être si inquiète et si tourmentée après que les rumeurs d’un coup d’état contre Adriano lui soient arrivées. Il voulait la voir… Mais il avait aussi des choses à faire de son côté. Notamment : reprendre du poil de la bête, et reprendre le dessus sur son Duché et sa notoriété. Encore aujourd’hui, il était marié à Adélina Emmeline née de Lourbier… Quoi faire alors de Gabriel ? De par se mariage, Gabriel était sous sa responsabilité, bien qu’il se trouve aujourd’hui avec sa famille, en Alonna… Et puis, quid de son alliance avec les Alonnais ? Allez-savoir… Et il voulait, le savoir.

Aussi rédigea-t-il plusieurs missives, qu’il allait envoyer prestement.

3ème jour, Ière ennéade de Bàrkios – An XXI : XI. Cité de Soltariel – Duché de Soltariel. A sa majesté bénie par la Mère, Bohémond Ier. Puisse cette missive vous trouver en bonne santé, et puisse la Mère vous donner le courage face à ce qui va suivre, car je suis dans l’obligation de vous faire part des troubles qui se sont déroulés dans le Comté d’Ydril, il y a moins d’une ennéade. Norbert d’Ydril, ainé de la lignée retrouvée par l’un de vos envoyés royaux, Antioche d’Essenburg, a fomenté un attentat contre ma personne, et une tentative de coup d’état. Aidé par une partie de la noblesse Ydrilote, il aura enfermé Antioche dans ce but, avant d’enfermer ma jeune épouse, Adélina Emmeline née de Lourbier. Cette tentative d’assassinat fut presque réussite, mais évitée par l’intervention de Louis d’Ydril, cadet de la fratrie. Ce dernier m’aura sauvé la vie, face à son frère, qui mourut dans la tentative. La mort de feu Norbert propulsa Louis, son jeune frère, à la tête du Comté, comme le veut la loi. Antioche fut libéré, mais point Adélina. Cette dernière a en effet fui la Péninsule, car d’affreuses rumeurs l’accablaient. En effet, vous n’êtes pas sans savoir qu’Adélina fut enlevée par un pirate Mécan, et retrouvée par mes soins, voilà plus d’un mois. Norbert et ses sbires l’auront enfermée pour tuer dans son ventre notre enfant à naître, mais aussi, pour des accusations de pirateries. Une dague Mécane retrouvée sur elle, et des témoignages plus ou moins vérifiés, l’accusent en effet d’avoir été mariée avec le pirate qui l’aura enlevée, le Rokvenha. D’après les témoignages d’Antioche d’Essenburg, Adélina Cortès di Alcacio aurait fui, effrayée que ses rumeurs soient prises pour vérité, en direction de l’Estrevent. Toutefois, aux dernières nouvelles, le navire emmenant la duchesse aurait été attaqué par des pirates. Si des débris auront été retrouvés, aucun corps ne fut repêché… Et Adélina reste portée disparue. En tant que Roy de Péninsule, béni de la Mère, vous m’avez reconnu comme digne souverain du Soltaar. Je vous ai alors juré fidélité, et vassalité. Aussi devais-je vous informer de ces terribles évènements. La pacification du Comté d’Ydril continue, menée par Louis. De mon côté, je recherche activement toute trace d’Adélina, et enquête sur ces rumeurs, et suis déterminé à vous informer de la vérité, la pure vérité. Que la Damedieu vous guide et vous inspire. Adriano Cortès di Alcacio, Duc de Soltariel et Seigneur d’Alcacio.

code retouché, original de (c) Ayameko@Never-Utopia.com

Puis, une seconde missive dû être écrite par Adriano, qui s’y attela immédiatement après avoir scellé la première. Le sceau ducal apposé sur la cire chaude scella ce document que seul le Roy allait pouvoir lire ensuite.

3ème jour, Ière ennéade de Bàrkios – An XXI : XI. Cité de Soltariel – Duché de Soltariel. A l’honorable Charles de Lourbier, Baron régent d’Alonna. Puisse cette missive vous trouver vous et les vôtres en bonne santé, et puisse la Mère poser sur vous un regard bienveillant. Je vous écris en ce triste jour, pour vous informer de la disparition volontaire de votre nièce, Adélina. Alors qu’un de mes vassaux tentait un coup d’état à mon encontre, ce dernier emprisonna Adélina, l’accusant de piraterie. D’après ces accusations, des preuves plus ou moins directes accuseraient Adélina de s’être marié avec le pirate qui l’aura enlevé voilà deux mois. Une dague Mécane aurait également été retrouvée sur elle au moment de son arrestation. Alors que le coup d’état était contrecarré par un de mes alliés qui aura préalablement libéré Adélina, cette dernière aura fui en direction de l’Estrevent face aux accusations, craignant que je les prenne pour preuves et que je n’exerce la justice à son encontre. Aux dernières nouvelles, le navire qui aura emporté Adélina aurait été attaqué par des pirates, et Adélina est portée disparue. Etant lié à votre famille par le mariage et par l’alliance politique, je me devais de vous apprendre ces évènements personnellement, et non vous laisser dans l’ombre et le manque d’informations. Je mets tout en œuvre pour retrouver Adélina dans les plus brefs délais. Je vous promets que toute la lumière sera faite sur sa disparition. Que la Damedieu vous protège et vous bénisse. Adriano Cortès di Alcacio, Duc de Soltariel et Seigneur d’Alcacio.

code retouché, original de (c) Ayameko@Never-Utopia.com

Catarina s'était rarement sentie aussi agitée.

Si elle avait regardé son père partir tranquillement en Ydril, les nouvelles qu'elle en avait reçu l'avait profondément perturbé, hantait ses cauchemars et ses peurs les plus profondes. Comment avait-on pu attenter à la vie de son père ? Quel vil félon que ce nouveau - et feu ! - comte d'Ydril quel sale petit parvenu misérable, qui s'était cru le droit de vie et de mort sur l'héritier potentiel que portait l'épouse de son père !

La jeune fille voyait difficilement Dame Adélina de mèche avec des pirates, et ne pouvait accroire si facilement la rumeur d'un départ volontaire avec son ancien geôlier. Aussi, après avoir organisé des prières publiques avec le clergé de Néera pour implorer la Mère d'accorder son aide à la toute nouvelle épouse du Duc, ainsi que pour le Souffle du malheureux enfant qui aurait dû naître, elle s'empressa d'écrire à son père, mais surtout au nouveau Comte, qui avait sauvé le duché. Sa loyauté méritai d'être récompensée ; mais cela ne faisait pas taire l'angoisse sourde qui dardait en son cœur.

Adriano s'était trouvé en danger de mort, sa belle-mère était livrée à l'inconnu, à nouveau ; et elle-même était bien en sécurité dans les murs du château, alors qu'ils avaient risqué leurs vies ? Elle s'estimait indigne de son rang, de sa charge de princesse ducale - car elle était incapable de leur venir en aide.

Aussi s'était-elle impliquée de son mieux au Conseil, et avait-elle redoublé d'efforts lors des leçons que lui offraient ses précepteurs - mais elle tint plus de joie et de soulagement lorsqu'on lui apprit que son géniteur était enfin rentré au château, et qu'il avait même regagné directement son bureau.
Elle se dépêcha, aussi rapidement que sa dignité le lui permettait, de s'introduire dans les appartements privés de son seigneur, sans même faire attention aux gardes qui inclinaient leur tête devant elle à son passage.

- "Père !"

Elle referma soigneusement la porte de la large pièce ensoleillée, prit ses jupes à pleines mains pour se laisser la liberté de courir, contourna le bureau majestueux et sculpté, pour se jeter à ses genoux, ses beaux yeux clairs emplis d'amour et de préoccupations.

- "Oh, comme vous m'avez manqué ! J'ai cru que j'allais mourir d'inquiétude. Comment vous portez-vous ? N'êtes-vous pas blessé ? Que s'est-il passé exactement ? Et dame Adélina ...? J'ai fait faire... des prières publiques pour sa sécurité... et pour ... la sauvegarde du Souffle de votre enfant à naître. Père... je suis si désolée pour vous... vous ne méritez pas cela."

Avec sincérité, la douce enfant saisit la main de son géniteur, y déposa un baiser empli d'amour filial, les yeux emplis de chagrin et de tendre commisération.

Rédiger ces missives lui demanda du temps, beaucoup de temps. Il fallait être précis, méticuleux et surtout ne point faire d’erreurs pour ne point tout recommencer encore et encore. Mais, amoureux de la calligraphie, Adriano prit du plaisir à l’exercice qui l’aida alors à demeurer concentrer et à faire face à ses pensées. Car depuis les évènements d’Ydril, demeurer calme n’est point chose aisée… Au moins, écrire avait cette capacité à concentrer son attention et à lui faire oublier tout le reste.

Tant et tant que l’arrivée avec fracas de Catarina fit lever le menton d’Adriano qui, surpris, hoqueta en silence. La stupeur était grande, et il pouvait sentir son cœur battre la chamade avant de doucement se calmer tandis que Catarina courrait en sa direction. Elle se jeta alors sans réfléchir à ses genoux, comme le ferait une fille aimante heureuse de revoir son paternel ayant survécu à une attaque meurtrière. Comprenant, Adriano la laissa faire bien-sûr, et, alors qu’elle était contre lui, lui offrit une caresse tendre sur le sommet de son crâne pour pouvoir la rassurer autant que possible.

« Ma fille… » Dit-il, alors qu’elle lui offrait un baise-main tout sauf protocolaire. Prenant les mains de sa fille, Adriano l’aida à se relever. « Relevez-vous ma chère. » Dit-il, lui adressant ensuite l’un des confortables fauteuil de son bureau privé. « Asseyez-vous très chère. Désirez-vous un rafraichissement ? Ces émotions vous ont sans aucun doute chamboulées… Désirez-vous quoi que ce soit ? » Lui dit-il à nouveau, avant d’accéder à une de ses requêtes. « Non, non, je ne suis pas blessé, rassurez-vous. » Répondit-il, rassurant tout de suite sa fille anxieuse. « Ce qu’il s’est passé est… Horrible. Êtes-vous prête à l’entendre ? »

Adriano sous entendait une chose : il allait tout lui dire, tout lui raconter, tout lui expliquer ; l’officiel et l’officieux ; et il allait la mettre dans la confidence. Mais, pour cela, il fallait qu’elle soit prête…

Elle avait presque les larmes aux yeux, mais la Princesse héritière Ducale de Soltariel offrit un sourire lumineux et sincère à son père. Par Néera, il n'était réellement pas blessé, et bien que les évènements qui s'étaient produits à Ydril étaient bel et bien terribles - elle croyait son père sur parole - elle était sa plus loyale et plus aimante sujette.

Ainsi, Catarina se redressa avec sa grâce coutumière, les joues rosies sur sa peau délicatement hâlée, avant de venir se placer docilement sur un siège, en face d'Adriano, où elle posa les mains sur ses genoux.

- "Je vous en prie, racontez-moi tout ce que vous avez vécu. Je l'endurerai volontiers, sachant que je n'ai rien pu faire pour vous venir en aide. C'est bien le moins que je puisse faire, mais nous trouverons ensemble des solutions afin que cela ne se reproduise plus. Mon devoir est de vous protéger, Père, et de vous seconder. Alors il me faut tout savoir. D'ailleurs, j'ai envoyé une lettre au nouvel Archonte Louis, pour le remercier de sa loyauté."

Elle serait forte, même si la réalité était dure à accepter. Il le fallait, pour le Duché ; pour travailler de son mieux et faire honneur à sa position. Elle en était convaincue.

La jeune héritière avait également un projet qu'elle désirait présenter à nouveau à son géniteur, mais cela devrait être fait en temps et en heure. Pour le moment, il fallait surmonter cette première épreuve le dos droit et avec attention.

Elle jeta un œil à la porte pour s'assurer que cette dernière était bien fermée et que rien ne filtrerait de cette conversation privée, laissa quelques secondes son regard errer sur la décoration de la pièce, en se promettant de faire envoyer un bouquet de fleurs, afin qu'il puisse avoir un peu de son enfant à chaque heures qu'il passerait ici à l'avenir.

« Que je vous raconte tout… »

Ses mots, il les prononça avec un air grave. Son visage se ferma soudainement, ses yeux se plissèrent, son regard se fit aussi froid que le fer. Il soupira alors, profondément, triturant machinalement la plume qu’il avait utilisé jusqu’ici, comme le ferait un mage pour ordonner ses pensées et ses incantations. Mais, en lieu et place d’un outil de focalisation magique, il ne s’agit que d’une vulgaire plume, focalisateur liant l’encre noire à la pensée élaborée de celui qui décide d’écrire, de coucher sur papier ce qu’il pense, ce qu’il désire dire à ceux qui le liront dans les générations à venir, ou celui qui le liera, à des lieux et des lieux de là.

Finalement, il accède à la demande de Catarina. Demande qui, de toute manière, aurait trouver des réponses de la part du paternel car ce dernier était bel et bien désireux de tout dire à sa propre fille. Il joignit ses mains alors au-dessus de son bureau de bois de chêne et d’acajou majestueux. Puis, machinalement – et avec un certain aplomb – il se relève, et marche en direction d’un planisphère miniature trônant sur le dessus d’une desserte immobile. S’il n’a aucun regard pour ce qui ressemble au continent tel que les cartographes le connaissent, il s’intéresse au petit mécanisme qui, d’un tour de doigt et en quelques cliquetis, ouvre le meuble jusqu’ici rendu clos et sans aucune utilité. Et dedans, un tire deux verres de cristal, et une bouteille d’un spiritueux translucide, mais au haut degré d’alcool, que d’aucun pourrait identifier comme un gin vieilli et parfumé. Il revient, enfin, là où trône son bureau, et sert deux verres à petites doses. Il pousse l’un des deux vers sa fille, d’un regard entendu, avant de prendre une gorgée à son tour, et de se lancer dans son récit.

« Comme vous le savez, je me suis rendu en toute hâte en Ydril, après avoir reçu une missive trahissant qu’un évènement important était arrivé à Adélina. C’était un piège, nous le savons maintenant. En réalité, Adélina avait été emprisonnée sitôt arrivée dans la cité. » Commençait-il, illustrant la situation de départ connue de Catarina à l’heure d’aujourd’hui. « Elle a été emprisonnée, car accusée par le Comte félon et sa clique de piraterie. D’après-eux, elle serait l’héroïne d’une chanson connue des flibustiers, et serait surnommée « la Rose ». Si, effectivement, l’un de ses titres officieux n’est autre que « La Rose de Lodiaker », cela fait peu pour des accusations. Ils auraient retrouvé aussi une arme, une dague, de fabrication Mécane, à sa cuisse qu’elle gardait secrète tout ce temps. Elle aurait été toujours été en lien avec des pirates depuis son retour… Ce qui est vrai. » Dit-il, annonçant alors volontairement une information extrapolée par les Ydrilottes, mais connue de lui-même. « Mais là où les Ydrilottes traîtres crièrent aux liens de pirates, Adélina elle-même m’a dit avoir gardé des liens avec des Mécans, dans le but de se venger. Point de véritables pirates en tant que tels… Mais des Mécans, tout de même. M’aurait-elle menti en travestissant leurs noms ? Allez-savoir… » Racontait-il, prenant une nouvelle gorgée qui lui tira une grimace, car la gorgée était un peu trop grande. « A mon arrivée, j’ai été emmené dans une salle où se trouvait un corps drapé d’un linceul. M’y approchant avec ma garde, le traître Norbert me ment, et très vite, je me retrouve avec une dague sous la gorge. Des rideaux sortirent alors les complices : d’anciens partenaires de pillages et de banditisme de Norbert de Louis, lors de leur vie d’avant l’anoblissement. Ils exécutèrent et massacrèrent ma garde… Je ne dois la vie qu’à l’arrivée rapide et avec force de Louis, qui tua son frère félon. L’intendant me raconta alors tout… Et, alors que je voulais me rendre dans les geôles, Louis m’annonça avoir libéré Adélina avant de venir me chercher, et de l’avoir extrader en direction de la cité portuaire de Tylère, avec Antioche, l’envoyé royal. Immédiatement, j’ordonne l’envoie d’un navire pour récupérer Adélina et Antioche, et nous nous attelons à la purge de la cité. » Ajoutait-il, froid, calme et avec précision. « Mais seul Antioche d’Essenburg est revenu. Et selon lui, Adélina aura fui, trop inquiète que les accusations de pirateries soient prises pour argent comptant. Elle aurait fui, en prenant un navire qui voguait en direction de Thaar. » Expliquait-il, avant de reprendre, dans une nouvelle gorgée terminant le verre. « Seulement… Le navire fut attaqué. En une journée, deux attaques de pirates furent recensées dans cette même région, et nous n’avons retrouvé que des débris… » Explique-t-il à nouveau, dans un soupir las. « Mais voilà… Je sais aujourd’hui de sources relativement sûres, qu’Adélina est à Méca… Avec le Rokvenha. Je ne sais si elle l’est de gré, ou de force, mais la présence du fameux pirates dans ces eaux-là, ces eaux précises, à cet instant précis, dans ces circonstances précises… Sont trop belles, pour que tout cela ne soit qu’une coïncidence. En mon esprit, je l’entrevois : elle l’aura rejoint… Et elle y restera sans doute un long moment, sa réputation étant d’ores-et-déjà ternie. » Conclut-il, avant de reprendre dans un raclement de gorge. « J’ai prévenu le Roy des évènements, ainsi que Charles de Lourbier. Ils tireront leurs propres conclusions, mais si Adélina devait revenir, elle serait sans aucun doute emprisonnée, ne serait-ce que pour pouvoir comprendre ce qui a pu se produire, et comprendre la vérité derrière tout cela. » Dit-il, brossant alors un tableau complet. « Dans tout cela, un enfant est mort : celui qu’Adélina portait en elle, et qui était de moi. Mais Gabriel est l’autre victime également… Car sa mère l’a abandonné, et il demeure loin, au Nord. Il n’a point réellement débuté sa vie que déjà, son nom est souillé. Voilà, vous savez tout, ma fille. »

La jeune fille marqua un instant de silence lorsque son très noble géniteur se tut.

Tout ceci était grave, terriblement grave. Le terrible piège fomenté par feu l'Archonte d'Ydril lui arrachèrent un rictus d'horreur ; mais comme pour tout, son père avait gardé les idées claires, et avait su agir avec discernement. Ce fut surtout le sort d'Adélina qui la toucha profondément. Elle était enceinte, et ce fol, ce monstre félon avait osé attenté à la vie de l'héritier putatif de Soltariel ? Avait osé la mettre aux fers comme une simple criminelle, sans véritables preuves ? Son cœur tendre se serrait, les larmes lui en venaient presque aux yeux - mais Catarina se retint, évidemment. Son interlocuteur avait dû souffrir profondément dans son Souffle, tout comme la pauvre mère - sans même parler de ce qui était arrivé à cette dernière.
Il lui serait d'ailleurs difficile de rentrer, désormais. Car l'épouse d'un Duc devait être irréprochable, bien sûr, et bien qu'elle jugeât les soupçons de piraterie ridicules, la jeune Soltarii ne doutait pas que, très bientôt, la Péninsule toute entière bruisserait de la scandaleuse rumeur.

Etait-il d'ailleurs possible qu'Adélina ait pu abandonner son fils, son adorable bébé, le très jeune baron Gabriel d'Alonna ?

- "Mon père... Vous me voyez sans voix devant toute cette épopée, et je ne peux que présumer votre chagrin. Nous ne pourrons pas empêcher les commérages de se répandre, mais je suis sûre que nous pouvons à la fois faire la lumière sur les véritables convictions de ma belle-mère, et, du moins pour le moment, prendre soin de son fils à sa place. Il aura besoin du soutien du Duché de Soltariel, ne serais-ce que pour garantir sa sécurité face à la Marquise de Langehack, et pour se tenir la tête haute devant ses pairs."

Elle songea qu'il serait certainement un bon appui politique dans l'avenir, surtout dans la lutte d'influence qui ne manquerait pas de s'établir si l'hérésie de leur ennemi se répandait. Mais c'était un sujet secondaire et délicat ; aussi l'héritière ducale reprit-elle la parole au sujet d'Adélina.

- "Pour cela, nous devons prouver que votre épouse n'est pas une pirate. Nous pouvons certainement, grâce à vos espions, retracer précisément ce qu'elle a fait depuis que son arrivée au château, depuis qu'elle a été sauvée du Rokvenha. Qui elle a rencontré, de quoi ils ont discuté, tout, enfin, qui pourrait nous donner des preuves qu'elle n'a eu aucun contact avec eux, et qu'il ne s'agit à nouveau "que" d'un enlèvement. Qu'elle est la victime, et non la... femme perdue que les gens vont soupçonner. Un simple poignard ne signifie rien... Elle l'a sans doute volé à ses infâmes pirates lorsqu'ils menaçaient sa vie. En tout cas, une enquête minutieuse nous permettra de l'innocenter, sans aucun doute. Qu'en pensez-vous, votre Altesse Ducale ?"

Rien de plus simple que la justice pour faire triompher la vérité et la ramener en lieu sûr avec les honneurs. Son père ne méritait pas une telle malchance. En tout cas, elle était soulagée que son père aille bien, qu'il soit revenu indemne - c'était la condition première à la survie de son épouse.

L’attitude de Catarina au regard des évènements trahissait encore une fois son manque de clairvoyance, sa naïveté, et sa candeur d’âme. D’aucun devrait se réjouir d’une telle candeur : son cœur n’était encore point corrompu, son souffle était pur, sincère et aussi blanc et merveilleux qu’à son premier souffle… Mais Adriano n’était plus de ceux-là. Son cœur à lui était sec, son Souffle, corrompu ; ses yeux avaient vu trop de morts, ses oreilles entendues trop de râles de souffrances ; ses mains étaient trop ensanglantées, sa lame trop affutée, ses mots trop acerbes.

Cela le fit sourire. Quelque part, il vivait ce que tous les parents souhaitaient vivre un jour : voir leur enfant devenir meilleur qu’eux, d’une manière ou d’une autre. Soltariel aurait forcément besoin d’une souveraine bienveillante, gentille et calme, et sans doute son futur règne serait-il meilleur que celui de son paternel… Sans doute subirait-elle moins de drames, et moins de difficultés. Mais des drames et des difficultés, elle en vivrait sûrement quelques-uns… Cela était inhérent avec la fonction.

« Chagrin, oui… » Reprit-il, réutilisant les mots de Catarina pour pouvoir s’y accrocher et lui répondre de sorte à ce qu’elle écoute attentivement cette réponse. « Les commérages sont déjà nombreux, plus que vous ne pouvez l’imaginer… Nous ne pourrons rien n’y faire, nous ne pourrons rien y changer… Par deux fois, le Duc de Soltariel aura perdu son épouse, enlevée par les pirates hier… Et aujourd’hui. Tout cela pourrait ressembler à une mauvaise blague, mais je ne crois ni aux coïncidences, ni aux blagues. Et je sais qu’elle est là-bas… Et je sais que pour pouvoir briser notre blocus militaire plus que présent, le Rokvenha aura été aidé, d’une manière ou d’une autre… » Répétait-il, résumant à nouveau la situation qu’il avait clairement explicité tout à l’heure. « Gabriel devra s’élever avec l’aide de sa famille, mais sa mère aura autant jeté l’opprobre sur lui, que sur nous. Qu’elle soit avec le Rokvenha volontairement ou non, le fait est qu’elle y est de nouveau. Et aucun noble Péninsulaire ne voudra croire qu’une Baronne devenue Duchesse aura été retenue par le même pirate, deux fois de suite en à peine deux mois, sans que cette dernière n’y soit pour quelque chose, au final. Ma fille… Ne cherchez pas uniquement à la retrouver et à la discréditer… Commencez à penser au fait qu’elle nous aura probablement trahi, et que nous devons nous relever le plus rapidement possible. Préparez la guerre en espérant la paix ; souhaitez le meilleur, en vous préparant pour le pire. »

Adriano le savait : en parlant ainsi, il indiquait à sa fille qu’elle était potentiellement dans le faux, mais surtout… Qu’il fût déjà en train de retourner la situation à son avantage, faisant preuve alors d’un certain cynisme, et d’une volonté d’esprit presque tragique… Pouvait-il seulement aimer à nouveau, et être triste un jour face aux évènements de sa vie ? Pouvait-il seulement se montrer humain ? Faire preuve d’empathie ? En tous les cas, le Duc savait que cette attitude allait sans doute choquer sa fille. Mais serait-ce suffisant pour lui faire comprendre l’importance de la chose ? L’importance de devenir plus forte, et moins… Bienveillante ?

« Je vais… Contacter le Rokvenha. Je crois avoir une piste pour lui faire parvenir un message, et j’ose espérer que sa cupidité, mais aussi ses besoins, le pousseront à me rencontrer, au large. Là, j’aurais toutes les informations dont j’aurais besoin, pour que notre famille devienne plus forte qu’auparavant. Ce mariage était… Sans doute maudit. Vous, ma fille, j’aurais besoin que vous soyez à l’affût. Je sais que les petites gens vous adorent, que le clergé vous soutient, que vous avez vos entrées dans certains quartiers que ma propre garde n’apprécie point. Cherchez les informations, disposez d’espions, et surtout… Poursuivez le travail religieux de lutte contre les cultistes. Nous les avons bien affaiblis, mais ils restent de dangereux fanatiques. »

La situation était grave. Son père avait décidé de renoncer à ce mariage ; cependant, la réalité serait plus complexe que cela, car, Adélina vivante, il ne pourrait plus jamais convoler en justes noces, même cela lui assurait une meilleure emprise sur le pauvre orphelin, abandonné par sa génitrice, qui se prénommait Gabriel.

Pis encore, il était persuadé qu'une enquête sur son épouse la discréditerait ... alors qu'il n'était nullement question de cela : au contraire, cela prouverait certainement qu'elle avait été menacée, peut-être molestée directement, et qu'elle n'avait eu d'autre choix que de prévoir son retour chez les pirates.
C'était la seule option envisageable si le Rokvenha avait forcé le blocus si facilement.

D'une voix et préoccupée, elle reprit la parole. L'idée d'avoir des espions à sa solde était étrange, mais d'une grande intelligence ; e telle nota mentalement de trouver un officier loyal qui lui serve aisément de relai, sans que cela ne puisse créer de scandale.

- "Si s'avère que Dame Adélina vous a trahi, je n'ai pas de doute que vous puissiez demander au Roi et à la Grande Prêtresse de vous défaire de ce mariage, Père. Cependant, je désirerai devenir la marraine et protectrice officielle du Baron Gabriel, car on ne peut laisser ce pauvre enfançon sans soutien. Il en aura besoin pour garder sa position dans ces terribles conditions. Cependant, en ce qui concerne le Rekvenha... je vous exhorte à la plus grande prudence, Père. Si vous organisez cette rencontre, ne croyez pas un mot de ses propos... Tout le monde sait que les pirates sont sans foi ni loi, et que c'est un truand de la pire espèce qui ne mérite que la corde. Il serait capable de vous raconter les pires billevesées pour vous persuader de lui donner encore de l'argent, même s'il y a toujours un espoir qu'il vous rende votre épouse saine et sauve."

En ce cas, cette dernière n'aurait plus d'autre choix que de se retirer dans un couvent. Une issue digne et convenable pour une femme de son rang à ce point touchée par le scandale. Elle y aurait une vie dévouée aux autres, ce qui était on-ne-pouvait plus respectable.

- "Dans le cas contraire, nous pourrons toujours la déclarer décédée, en tout cas aux yeux du monde. Il vous sera aisé de faire annuler ces épousailles malheureuses, mon cher père. Quant à ces espions que vous évoquiez, j'ai une idée pour les mettre en place. Les orphelins de la ville vont et viennent partout, comme des petits oiseaux... Une adjonction au couvent de Néera a été commandé sur ma cassette, et abritera bientôt des femmes seules avec des enfants. Je pourrais acheter une bâtisse à Soltariel-la-Ville pour y abriter des orphelins la nuit, et leur offrir au moins un repas chaud le soir... nous pourrions offrir à certains petits garçons une rémunération supplémentaire s'ils acceptent de me donner des informations discrètes. Si cela vous convient, je m'occuperai de tout. Sur le long terme, je pourrais fonder un orphelinat où je donnerai un véritable métier à quelques enfants. Au-delà de leur propre bien-être, ils nous seraient certainement loyaux."

Cela permettrait d'assurer leur survie en plus de leur trouver une utilité - mais la jeune princesse héritière ducale éprouvait de nombreux scrupules. N'étais-ce pas les mettre également en danger ? Il faudrait peut-être se servir de ces deux bandits qui gisaient toujours dans les geôles pour organiser tout cela... Ce qui pouvait poser d'autres problèmes.

- "En tout cas, je suis sûre de pouvoir compter sur le clergé pour lutter contre l'hérésie. J'organiserai tout cela rapidement, mon cher père."

A nouveau, les mots de de Catarina étaient criant d’une sincérité enfantine, raisonnant ensuite dans le lointain d’une candeur qui, jusqu’ici, n’était point prête à quitter l’esprit et les us de la princesse héritière. En cours de formation depuis seulement quelques mois, Catarina devait apprendre et réapprendre tant de choses qu’Adriano pouvait comprendre qu’il était difficile et long de devenir quelqu’un d’autre. D’un certain côté, il la plaignait : la candeur de sa fille avait fait d’elle un être aimé de la population du Soltaar, chose qu’il n’avait point pu approximer à aucun moment de sa vie. Lui faire perdre cet… Avantage, serait douloureux pour elle. Mais il le fallait. Aucun souverain aussi haut placé ne pouvait se permettre de devenir aussi naïf et aussi gentil, sans craindre ensuite les contrecoups politiques d’une telle bonté de Souffle. Malheureusement pour Catarina, il lui fallait devenir plus égoïste, plus manipulatrice, et plus… Calculatrice.

« Et ce sera fait. Qu’importe ce que j’apprendrais, elle sera la grande perdante, en ce qui concerne la Péninsule. Point utile de la déclarer décédée, cela ne pourrait que l’aide. Trahir ses vœux maritaux, et rejoindre un des ennemis de la Péninsule, seront des raisons suffisantes pour annuler ce mariage et la déclarée ennemie publique, et Persona non grata. » Assurait-il, montrant que sa décision était prise concernant cet aspect des choses, mais aussi, qu’il éclairé sur l’importance de sa situation. « Pour autant, je ne peux faire de vous la marraine et protectrice de Gabriel. Ce dernier est, et demeurera en Alonna, où il prendra les rênes de la Baronnie. L’autorité le concernant ne sera que celle de Charles de Lourbier. » Conclut-il, sapant l’idée de sa fille mais lui offrant une légère caresse paternelle sur sa main qui se trouvait au-dessus du bureau. « Ne vous inquiétez point : la situation concernant ce capitaine est extrêmement tendue pour nous deux. Il sait sa survie sur ces eaux compromise s’il continue ainsi, et je sais qu’il restera une épine dans mon pied aussi longtemps qu’il trouvera des marins à payer. Il nous faut nous entendre suffisamment pour nous garder en respect. Je vous expliquerais tout à l’issu, sans détours. »

Mais voilà qu’une chose se passa, qu’Adriano n’avait point prévu. Catarina proposa alors une idée, et quelle idée ! Point naïf, point inutile, point éloignée d’une réalité qui est celle du Duché. Utiliser les enfants de cette partie du monde pour en faire des atouts dans le jeu politique du Soltaar, et en faire des yeux, des oreilles, et des petites mains utiles que personne ne pourrait suspecter. Sincèrement impressionné, Adriano en oublia même de contenir ses impressions physiques, arquant un sourcil et arrondissant ses yeux, regardant ensuite sa fille avec une mine surprise mais joyeuse.

« Excellente idée ! Vous avez mon autorisation ! Et les capitaux nécessaires. »