Vérimios, premier mois d'hiver, 9ème jour de la première ennéade
An 21 du XIe Cycle
le Ballast - le Bosco Mon regard restait fixé sur l’horizon, celui où lentement se dessinaient les côtes d’Ithri’Vaan. Nous étions de retour, enfin, après une absence qui nous avait tenu éloigné presque deux ans du continent, après un voyage qui avait définitivement étouffé nos derniers espoirs de retrouver Raegon Sandrakis en vie.
Il faisait désormais partie de la légende qu’aucune rumeur ne saurait plus ressusciter. Il était mort, disparu en mer, beaucoup plus loin au sud après avoir pourchassé des légendes oubliées. Nous avions marché si longtemps sur ses traces, l’espoir chevillé au corps, jusqu’aux confins du pays, tout ça pour au final, comprendre que nous avions poursuivi un fantôme.
Et si la tristesse m’avait longtemps accompagnée une fois la décision prise de rentrer, ce n’était rien à côté de la déception ressentie par mon maître, Cecias Levante. Le Ballast n’était plus qu’un vieillard fatigué, frustré d’avoir perdu tout ce temps pour courir après des rumeurs, pour du vent.
Encore que le vent, sous ces nouveaux lointains horizons m’avait chanté des airs inédits, audacieux et intriguant que j’avais appris à apprivoiser ou tout du moins à étudier, les percevant, les traçant, les dissociant pour mieux les reproduire, avec toujours cette même fascination. Avec jour après jour, un peu plus de dextérité sous l’attention aveugle mais aigüe de mon mestre dont le silence valait mieux que tous les compliments.
Il me reconnaissait enfin quelques talents, un peu plus avare de ses cinglants reproches qui me manquaient désormais, tandis que je le voyais s’enfermer dans ses airs revêches, plus encore qu’auparavant. Il ne m’abreuvait plus d’insulte, et guère plus de reproche, ou autre de ses fameux conseils. Une éduction qu’il se targuait de me donner afin de faire de moi « quelqu’un de bien ».
Et contrairement à ce que je me plaisais à lui renvoyer, ce n’était pas en vain. Même si au sein de l’équipage, ils n’avaient que faire de nos beaux mots et de belles manières. Non à côtoyer ces drôles, ces pirates sans façon, je me plaisais à user des mêmes jurons, avec sans doute un rien de provocation, guettant le taquet de mon mestre, juste pour le plaisir de le voir fulminer encore.
Mais ça ne fonctionnait plus aussi bien qu’avant. Peut-être parce qu’il avait changé, ou peut-être parce que moi j’avais évolué. Même si je continuais à m’occuper du vieil homme qui était désormais autant de ma famille que les autres hommes d’équipage. J’espérai seulement que le retour au pays, lui redonnerait un peu plus de cette morgue dont il avait fait sa réputation et cette vivacité d’esprit que j’aimais tant.
Au-delà de mes préoccupations pour le Ballast, il y en avait d’autres qui se précisaient alors que nous approchions de Thaar. Quel était désormais mon avenir alors que celui tout tracé par Raegon s’était noyé avec lui ? Saurais-je reprendre son flambeau ? Faire montre de la même pugnacité, et inaltérable ambition ? Était-ce bien là, ce que moi je souhaitai ? Je n’étais désormais plus sûre de rien.
- Deejah ?Je sursautai, ne l’ayant pas senti arriver tellement j’étais perdue dans mes pensées. Je me tournai vers Yann et lui souris.
- Hey Bosco, tu dois être soulagé d’être arrivé. Son regard gris sonda le mien.
- Je le suis, tout le monde l’est. Pas toi ? Je ne répondis rien, si ce n’est un nonchalant haussement d’épaule.
- Ne laisse pas l’humeur du vieux déteindre sur toi, me recommanda-t-il avec cette fois une ombre de sourire.
Le mien s’étira un peu plus.
- Non, ça ne risque pas. - Bien, alors va lui dire de se préparer. On va bientôt débarquer.J’acquiesçai, avant de faire demi-tour, serrant mon manteau de laine autour de moi, l’inquiétude venant marquer mon expression. Avant, ça aurait été le Ballast qui m’aurait sommé de me préparer fissa afin de débarquer en grande pompe. Apparemment cette fois, c’était moi qui allais devoir le bousculer pour faire les choses dans les formes.
Un instant plus tard, je cognais à la porte de sa cabine.
- Mestre !! On arrive ! Grouille-toi de te préparer si tu n’veux pas passer pour un vieillard défraîchi. Il est temps de nous remettre au travail, sommais-je avec force.
J’attendis derrière la porte sur laquelle je venais de tambouriner et pendant un instant, il ne se passa rien.
Puis soudain la porte s’ouvrit sur le visage fripé du vieil homme qui gronda, visiblement contrarié.
- Ce n’est pas des façons de parler à un vieil homme !Mon sourire s’étira, chassant le spectre de l’inquiétude.
- C’est ainsi qu’il faut parler aux feignasses ! Et à ma plus grande joie, je vis son regard aveugle s’écarquiller de stupéfaction, si bien qu’il ne trouva rien à répliquer. J’en profitai pour tourner les talons avant qu’il ne retrouve sa verve ou la force de me balancer un coup de bâton.
Je devais moi-même me préparer, afin d’être un rien présentable pour le débarquement. Après tout j’étais l’héritière de Raegon Sandrakis, unique représentante désormais de son nom. Et le Vol d'Or s'apprêtait à faire son grand retour.