Regagner du terrain

Deuxième Ennéade de Verimios, An 21 du Onzième Cycle,
Terres Stériles, vers l'Est du Puy d'Elda.

Surplombant plusieurs légions grelottant de froid sous leurs armures, l'Obok Senger du IIIè Ost, lui, ne tressaillait pas d'un cil. Après la tentative de ceux que beaucoup appelait vulgairement des gnolls de s'installer dans la jungle de Vatna, Kaernsÿmran avait décidé de lancer une contre-attaque d'envergure. L'arrivée de cet hiver glacial, prématuré qui plus est, avait fortement réduit la mise en place des défenses qu'il avait ordonné, et avait également incité les gnolls à lancer l'assaut plus rapidement que les deux camps ne l'avaient anticipé. L'armée d'Elda, perturbée au départ, avait finalement commencé à reprendre le dessus. Du moins étaient-ce là les dernières nouvelles que le Senger avait reçu, avant de mener cette percée l'ayant catapulté, avec ses hommes, dans le désert de sable. Une percée sanglante qui avait eu l'effet escomptée : les gnolls avaient ralenti leur avance face à cette attaque aussi surprenante qu'implacable. Et, parce qu'il devait s'appuyer sur cette victoire pour pouvoir en souhaiter une deuxième, le Senger du IIIè Ost avait ciblé l'Est car c'est de cette direction que venaient les plus grandes hordes d'hommes-chiens.

Les bataillons firent une halte après une énième escarmouche, le sol blanc gelé devenu rouge du sang des combattants gnolls fauchés par les soldats eldéens. L'adrénaline des batailles avait réchauffé les corps et les esprits des eldéens, qui, certes, grelottaient toujours, mais savaient comment combattre le froid. Néanmoins, Kaernsÿmran avait sous-estimé le climat sur un autre aspect de sa puissance : le brouillard. En effet, une épaisse brume masquait l'horizon, et il était impossible d'envoyer des hommes en éclaireur au risque de bêtement les perdre. Cependant, cela obstruait également l'avancée gnolle, qui s'avérait plus désordonné grâce à cela.

« Repli vers les arbres ! » tonna l'Obok Senger, point son bâton vers la jungle qui était encore visible derrière eux. « Nous avancerons une fois que la brume se dissipera. »

Au pas de course, les soldats aux armures lourdes damasquinées du IIIè Ost foncèrent vers les arbres. Sur les ordres de leur chef, ils dressèrent un long mur de boucliers, duquel pointaient les longues lances des piquiers, et derrière lequel les arablètriers étaient prêts à faire voler les carreaux. Au bout de quelques minutes, les cris singuliers des gnolls se faisaient entendre dans la brume, et leurs silhouettes se dessinèrent dans le brouillard. Une nouvelle vague approchait.

« Feu ! » ordonna alors le seigneur de guerre, aussitôt écouté par ses arbalètriers qui décochèrent une volée mortelle de carreaux.

La première ligne ennemie fut abattue par les carreaux, tandis que la seconde s'empala sur les piques dressées des phalanges.

« Contrez ! »

C'est alors que le reste des fantassins, dont le Senger lui-même, se ruèrent sur les combattants ennemis restant, à coup de masse, d'épée, ou de bouclier. Un nouveau champ de cadavres fut alors planté près du Puy d'Elda, et on ne les comptait plus depuis l'arrivée invasive de ces hommes-chiens. Peu de temps après, le brouillard commença à s'estomper, offrant aux Eldéens présents l'opportunité de découvrir les Terres Stériles en ces froids polaires.

« Ne nous reste qu'à savoir d'où ils affluent. » commenta alors l'un des lieutenants présents, observant les alentours.
« En espérant qu'ils ne viennent que d'un seul et même endroit, et ce n'est sûrement pas le cas. » renchérit un autre Veldruk, flanqué aux côtés du Senger, étonnamment silencieux, mais non moins pensif.
« Ce sont là deux points cruciaux, mes braves. Mais nous devrons également reformer une base avancée, de laquelle les autres Ost pourront également opérer. » intervint alors Kaern, sans rompre son stoïcisme.
« Alors nous devrions peut-être commencer par celui que nous avions établi, il n'est peut-être pas encore perdu. »
« C'est exactement l'idée que j'avais en tête. Ne perdons pas de temps, le brouillard peut revenir à tout moment. Soldats, en marche ! »

Sur le sable blanc des Terres Stériles l'on pouvait repérer non sans mal ces bataillons noirs se mouvoir. Des étendards s'élevaient des colonnes de soldats qui s'avançaient à une allure millimétrée par la discipline, emmené par un officier qui leur montrait l'exemple. Quels que soient les obstacles qui leur feront face, ils vaincront. Cette simple idée suffit à tous ces soldats de ne jamais ralentir l'allure.

Après une longue marche sur le sable blanc, l'armée présente pouvait apercevoir, au loin, de la fumée noire s'élever. Il s'agissait, sans l'ombre d'un doute, du campement avancé qui prenait feu. Le Senger ordonna de presser le pas, et, peu à peu, ledit campement prenait forme à l'horizon. Les quelques tours d'observation n'étaient pas encore tombées, tandis que des cadavres des créatures ennemis jonchaient jusqu'au pied de la colline sur laquelle les fortifications avaient été construites. Faute de herse ou même d'une simple porte de bois renforcée pour protéger l'entrée, les hommes-chiens avaient pu déferler à l'intérieur du campement, incendier les tentes et submerger les soldats présents, qui avaient dressé des barricades de fortunes pour enrayer au mieux l'invasion. Au moment où les légions commandées par le Senger arrivèrent, plusieurs hordes des canidés bipèdes s'apprêtaient à renforcer les leurs.

« A l'attaque ! » hurla Kaernsÿmran, tirant son épée d'un air rageur.

Les deux armées s'entrechoquèrent avec fracas, les hurlements canins se mêlant à la hargne des eldéens, avant que le couinement des chiens ne soit étouffé par le massacre qui venait de se produire. Les renforts drows venaient d'oblitérer les renforts ennemis, ce qui laissait un répit aux soldats défendant le camp. Mais la bataille était encore loin d'être terminée.

« Fantassins ! Reprenez le camp ! Arbalétriers, reprenez le contrôle des tours, et enrayez les renforts ennemis ! »

Sans attendre, les soldats gravirent la colline, toujours emmenée par leur chef, toujours désireux de montrer l'exemple. Là, ils virent l'étendue des dégâts : nombre des soldats du IIIè Ost avaient été occis, leurs corps piétinés par la longue bataille qui se déroulait ici depuis maintenant des jours entiers. Seules quelques tentes n'avaient pas encore été dévorées par les flammes, et l'entrepôt contenant les provisions avait également été brûlé, sans que les soldats présents n'aient pu les sauver, trop rapidement submergés par les envahisseurs.

« Lanciers ! Formez des phalanges aux entrées du camp ! Ne laissez personne passer ! » ordonna le Senger, dans le feu de la bataille. « Que tous ceux qui le peuvent les protègent ! » hurla-t-il, avant d'embrocher un homme-chien qui avait tenté de le prendre par derrière.

Au fur et à mesure qu'Elda prenait l'avantage, les troupes s'organisaient plus efficacement. Les arbalétriers aux tours abattaient des renforts contraints de s'empaler sur les phalanges, ou de rebrousser chemin. A l'intérieur du campement, les hommes-chiens restants furent massacrés les uns après les autres, sauf un. Kaern faillit taillader celui à qui il avait donné un puissant coup de bouclier, avant de s'apercevoir que son allure différait de celle des autres. Il était plus grand, plus fort, plus hargneux, et son poil était plus gris. Un véritable mâle alpha dans une meute de canidés, pensait le Senger.

« Ligotez-moi celui-là et attachez-le à un poteau. » fit ce dernier, avant de se retourner vers les soldats du camp qui avaient survécus à cette bataille. Ils n'étaient même pas plus d'une vingtaine.
« Merci, Senger. Vous arrivez à point nommé. » s'éleva une voix au milieu des soldats épuisés. Un drow expérimenté se fraya un chemin parmi les rangs. Kaern' put facilement reconnaître le Lieutenant à qui il avait confié la défense de ce campement d'une importance pourtant capitale pour la guerre contre les hommes-chiens.
« Je ne suis pas sûr que cela ne sauve tes fesses. » gronda froidement Kaernsÿmran, alors que la plupart des soldats, attendant ses ordres, s'étaient presque réunis en cercle autour de lui et du lieutenant. « Comment se fait-il que ce campement était à un rien d'être perdu ? »
« Je... nous pensions que l'hiver les tiendrait éloignés, mais cela n'a fait qu’accélérer l'invasion. » balbutiait le lieutenant, qui savait pertinemment que sa vie pouvait dépendre de ses explications. « Ils nous ont submergé à une vitesse phénoménale, même si nous sommes parvenus à les repousser à plusieurs reprises, pour rétablir des barricades. Chaque jour, ils revenaient plus nombreux. »

Le Senger ne dit rien, ne cilla pas. Son regard rouge était rivé sur son lieutenant qui, à ses yeux, avait échoué. Ce campement était capable de résister à un assaut dépourvu de catapultes. Son positionnement rendait les mouvements ennemis visibles de loin, il était facile d'y tenir position, et, même si aucune porte ne barrait ses entrées, tenir les entrées avantageaient le talent drow, et non le nombre canidé.

« Tu as tout simplement sous-estimé notre ennemi, ce qui t'a fait bafoué les règles les plus élémentaires de l'art martial. » finit par dire le Senger. « En une minute, j'ai trouvé un moyen d'empêcher les vagues continues de nos annemis. Tu aurais eu la même idée si tu n'avais pas tenu la victoire pour acquise avant même de te battre. » poursuivit-il, alors que la lame de son épée vint se poser sur sa main libre. « Un tel défaut de commandement ne peut rester impuni. »
« Non, Senger, par pitié ! »

Et ce fut la les dernières paroles d'un officier défait, décapité par son supérieur d'un coup d'épée sec et net. Alors que certains soldats s'apprêtaient à embarquer son corps, Kaern' les interrompit, voulant exhiber cet échec comme exemple d'une règle fondamentale de la guerre : ne jamais sous-estimer son ennemi. La guerre pouvait transformait les plus faibles en de véritables ennemis, à des moments où il était difficile de s'y attendre.

« Soldats, reposez-vous, et mangez. » fit Kaern' aux survivants du siège, avant de pointer du bout de l'épée plusieurs autres combattants qui, eux, faisaient partie de ses renforts. « Toi, toi et toi. Vous allez retourner au Puy, et rapporter aux autres Osts que nous avons repris notre base avancée. Nous devrons reprendre nos opérations sur les Terres Stériles, et ce sans attendre la fin de l'hiver. »