Reprendre ce qui appartient de droit

Entrer dans la Chambre Magmatique, lieu le plus profond du Vatna, était un privilège que peu d’eldéens pouvaient se targuer d’avoir obtenu. Chacune des visites étaient contrôlées et nécessitaient une raison valable pour les gardiens de ce lieu qui renfermait les points névralgiques du pouvoir et de la religion des Fils d’Uriz.
C’est donc avec une certaine appréhension et fierté que Vel’drin se rendit ce jour devant les lourdes et imposantes portes de la Chambre. Saluant les gardes en place, il leur montra la missive reçue quelques jours auparavant qui l’invitait alors à pouvoir y pénétrer. Une fois à l’intérieur, son regard se posa sur l’immensité du lieu et sa majestuosité. Les Hauts-Temples du Père et de la Voilée se dressèrent contre les flancs rocheux, somptueuses demeures des Dieux Majeurs du Panthéon Sombre, qui soutenaient ainsi sur leurs fondations inébranlables toute la société du Puy.
Passé ce temps d’admiration, le Zaurahel posa toute son attention vers le palais de l’Etat-Major et l’esplanade à ses pieds. C’était là le lieu de rendez-vous qui lui avait été indiquée. Il ne fallait pas faire attendre ceux qui l’attendaient, car ils n’avaient que peu de temps à perdre tant leurs obligations les rendaient peu disponibles. Bientôt, il serait l’un des leurs aussi, lui aussi aurait ces lourdes responsabilités qui pèseraient sur ses larges épaules et c’est avec une certaine appréhension qu’il s’avança alors vers la large place en contrebas.

Traversant l’espace ouvert, il porta toute son attention à contempler les œuvres d’arts présentes et réservées à l’élite de son peuple. Les statues des Portes-Flammes, des anciens monarques et membres du Truimvirat rappelaient à sa mémoire l’Histoire d’Elda. Il marqua même une courte pause, s’arrêtant pour prendre le temps nécessaire à se souvenir de chaque détail présent sur ces ouvrages avant de reprendre sa longue marche. Remontant finalement vers la fin de cette esplanade, Vel’drin vit au loin des silhouettes hautes et larges, chacune lourdement vêtue d’armures sombres et aux fines gravures ornementales. Dans le dos de chacun de ces guerriers expérimentés coulaient de longues capes attachées à leurs épaulières et au couleurs et armoirie des ost. Les Obok Senger l’attendaient, certains s’impatientaient peut-être alors que d’autres laissaient le temps au nouveau venu de profiter de l’instant.
Vel’drin portait lui aussi son armure de combat, ses symboles d’appartenance et de bravoures attachés fièrement, ainsi que la longue cape brodée pour lui à cette occasion et faite sur mesure. Faite d’un bleu roi foncé, aux filaments dorées qui frappaient le tissu des représentations symboliques du Premier et des dieux.

Sa Flamme s’embrasa quand il arriva à la hauteur du groupe formé par les trois Généraux de l’armée. Les absences de deux d'entre eux, le Karliik Glenn n’avait pas pu être comblée et le traitre Kerath avait laissé cette place vacante – fort heureusement, il n’avait pas été victorieux de son ordalie et payait maintenant un lourd prix pour ses actes passés - Quant à l'Obok Senger du Premier, Seld'zar ne pouvait plus être parmi ce cercle ayant perdu sa place, au profit de Vel'drin qui le rejoindrait prochainement. Finalement, il s’arrêta devant cet arc-de-cercle ainsi formé et inclina le buste, la main posée sur son plastron, en signe de respect envers ses très prochainement frères et sœurs. « Obok Senger, mes respects. » En se redressant, il vit une tablette au centre de la formation sur laquelle était déposée un écrin soigneusement ouvragé et ouvert. A l’intérieur, posées sur des supports en soie brillaient de mille feux des chevalières ; Celle d’Onyx, symbole du Karliik Glenn attendant son prochain possesseur et celle de Saphir, rendu par Sel’dzar en personne lors de sa défaite durant l’ordalie.

Osciller entre les Profondeurs et la Chambre Magmatique n'avait pas été dans ses habitudes ces dernières ennéades. Homme de proue des batailles contre les gnolls, Kaernsÿmran avait délaissé l'administration au profit des combats, et n'arpentait plus les hauts-lieux du Puy d'Elda... ou plutôt les bas-lieux, selon les définitions. Si l'ardeur des combats s'était étouffé après leur grande victoire le mois précédent, l'Obok Senger du IIIè Ost n'avait aucunement relâché sa vigilance, malgré les vicissitudes internes à certains Osts parvenues jusqu'à ses oreilles. Sa fraîche nomination à la tête du IIIè Ost le tenait encore loin des mutins, encore que certains attendaient sans nul doute sagement leur heure.

Parés d'atours blanc surmontés par son imposante armure rutilante et damasquinée, Kaernsÿmran s'avançait vers l’État-major, sa dernière venue ne différant pas vraiment de celle-ci, puisqu'il s'agissait de sa propre promotion. À sa ceinture était suspendu un sabre cérémoniel, ainsi que de nombreuses bandes de soie violettes. Une cape d'épaule noire brodée de tissu doré couvrait son bras gauche, retombant jusqu'à son genou. Son accoutrement avait changé depuis cette fameuse dernière fois : l'aspirant Obok Senger qu'il fût alors n'était en rien comparable avec le Général plein d'assurance et fort de ses débuts réussis qui s'apprêtait à rallier l’État-major une seconde fois.

L'attendaient alors les Oboks Sengers du IIè et du Vè Ost, le premier n'étant pas son aîné de nombreuses années tandis que le second dirigeait son Ost depuis désormais de nombreuses années. Avec ses dix années à la tête du Vè Ost Alyriwëen Na'jihing tiendrait un record au sein des IIè et IIIè Ost. Les différents revers d'Elda ne l'avait pas ébranlé, ou au moins pas assez pour être ainsi renversée comme le fut le prédécesseur de Kaernsÿmran. Le Ier Ost, réputé pour sa stabilité hiérarchique, avait également était épargné, mais les ambitions des uns et des autres parvenaient toujours à la secouer.

Ironie des événements ou simple planification des choses, Kaernsÿmran avait côtoyé et bataillé avec Vel'drin Zaurahel quelques ennéades précédent son ordalie victorieuse. Avait-il cherché à rallier cette bataille afin de se donner une légitimité supplémentaire ? L'Obok Senger du IIIè Ost l'ignorait et, à dire vrai, il n'en avait strictement rien à faire. Dans un cas comme dans l'autre, cela ne le concernait guère, tant que le Ier Ost ne se défilait pas de ses obligations envers Elda. La Guerre contre les Gnolls débutait seulement, et Kaernsÿmran entendait bien faire en sorte que tous les Osts participe fermement à l'effort de guerre.

Nichés au centre de l'Etat-major, tapissé et décoré pour l'occasion de multiples œuvres martiales, d'armoiries et d'armes cérémonielles, les Oboks Sengers attendaient leur prochain homologue. Autour d'eux, soldats de tout ost, bien que très majoritairement du Ier, devancés par leurs officiers, se tenaient au garde-à-vous, lames, lances, ou encore boucliers à la main. Seule une allée était dégagée afin de laisser passer Vel'drin qui entra à son tour. Il s'avança jusqu'à venir à hauteur des trois Obok Senger présents, seuls représentants, pour l'heure, de l'armée eldéenne. Entre eux et Vel'drin, un piédestal s'élevait, sur laquelle une tablette ornementée accueillait deux anneaux, richement décorés et dont les pierres brillaient de mille éclats, dont les titulaires n'étaient pas encore désignés.

Kaernsÿmran s'avança alors, écartant les bras d'un air solennel.

« Frères et sœurs d'armes, nous voilà à nouveau réunis pour célébrer une nouvelle victoire pour Elda. » annonça-t-il, sa voix puissante résonnant dans la pièce. « Hier fût châtié le lâche Kerath, qui a osé nous trahir pour ne pas assumer ses échecs. Hier échouait également Sel'dzar Do'Hel à conserver vaillamment son titre d'Obok Senger, sous l’œil inquisiteur de Meingal. » Ce rappel suffit à provoquer huées et célébrations venant des soldats, à la fois ravis mais amers de la défaite de Naelis. « Meingal a parlé et a martelé que ceux qui ont perdu ne doivent plus être des nôtres. Et ils ne le sont plus ! Nos yeux sont dès lors dirigés vers l'avenir victorieux qu'il nous est sommé de construire. »

L'Obok Senger du IIIè Ost écarta de nouveau les bras, plus haut encore, enjoignant les soldats de marteler le sol de leurs armes.

« Dès lors qu'une Flamme se consume, une autre flamboie avec plus d'ardeur encore. »

Kaernsÿmran tira son sabre cérémoniel, dont la lame était tout aussi ornée que le manche, et se saisit de l'anneau de saphir de la pointe de la lame. Là, il l'éleva dans les airs pour l'exhiber à la foule qui martelait toujours le sol. Puis, il abaissa lentement son épée, pointant Vel'drin, devant lequel scintillait le saphir immaculé de l'anneau du Ier Ost.

« Vel'drin Zaurahel. Au nom de Meingal et de l'Armée d'Elda, vous voilà désormais le légitime Obok Senger du Ier Ost. Puissent vos victoires futures apporter la gloire au Puy d'Elda, ainsi qu'à nos dieux. »