{ Lettre et promesse } PV

Elle pensait ne jamais sortir du Puy… Le déroulement des opérations lui donnait désormais tord. D’un autre côté, elle comprenait presque ce qui avait pu pousser un drow aussi tordu que « Nhil » à agir ainsi. Après tout, c’était le meilleur moyen de lui sapper ses espoirs de l’intérieur, si elle avait su qu’au bout d’un moment, ses souffrances prendraient fin, peut être aurait-elle agit différemment ? Elle ne le savait pas, elle n’avait aucun moyen de le savoir avec certitude, mais savoir qu’un jour elle serait libre l’aurait-elle aidé à subir le premier viol plus… stoïquement ? Elle en doutait. Mais elle était finalement sortie de cette prison. Pas de son fait, pas grâce à son obstination légendaire, non… Si certain voyait cette tragédie comme un chef d’œuvre théâtrale, elle n’arrivait pas à la considérer autrement que comme une farce dont elle était le dindon. Cynique pensée, au final.

Et voilà qu’elle était dans une clairière, faible et misérable, dans un état innommable et encore et toujours à la merci de la même personne, du même monstre méprisable qu’était son bourreau. Une légère fièvre l’avait prise à mi-chemin, à cause de ses blessures et des mauvais traitements. Il lui arrivait de délirer légèrement, par petites périodes intermittentes, mais elle s’efforçait même dans ces moments là de ne pas prononcer les mots « Merwyn » ou tout ce qui pourrait laisser « Nhil » soupçonner ce qu’il n’avait pas à savoir. Et c’est d’ailleurs durant une de ces périodes qu’il ne trouve rien de mieux à faire que de la faire démonter. Peu assurée sur ses jambes, manquant de tourner de l’œil, elle s’accrocha malgré elle à son bras comme à une bouée de sauvetage. Mais il en décida autrement, la poussant en avant, si bien qu’elle s’affala sur la pierre du rendez vous. Se redressant légèrement, leva sa tête vers lui, elle parla, d’une voix faible, très faible.

- Allez voir chez Tari… Si j’y suis… Je lui vendrai mon âme pour ne plus jamais vous voir.

Ses yeux s’exorbitèrent légèrement alors qu’elle tournait la tête autour d’elle.

- Où suis-je… ?

Il le lui avait dit, du moins le pensait-elle, mais elle ne s’en souvenait plus. Sa poitrine la brûlait, encore à vif et pour un moment surement… Elle avait du mal à se concentrer, elle avait chaud et froid, elle avait… mal. Portant une main sous son cou, elle palpa doucement l’étoffe qui recouvrait sa peau et gémit faiblement… Le sang coulait de nouveau.

Plus rien n’existait, hors de cette bulle de souffrance qui était la sienne. Elle était marquée, par le fer, par le sang, par le viol immonde. Ses oreilles bourdonnaient, alors qu’elle sentait la douleur pulser au rythme des battements de son cœur. Pire que tout, elle se sentait partir. Elle n’était plus qu’une plaie béante, sa poitrine, son ventre, mais aussi son dos et ses jambes étaient à vifs, c’est ce qui risquait d’arriver quand on faisait violer à même la roche, qu’on était plaquée sans ménagement contre un mur froid et irrégulier… C’était la punition pour sa stupide erreur, dire qu’il lui aurait suffit de lire une lettre avec attention pour ne pas vivre tout ça.

Et puis, une nouvelle ombre s’ajouta à son malheur, mais elle était plus lumineuse que la pénombre dans laquelle elle était plongée depuis si longtemps. Elle sentit des bras l’entourer et la retourner doucement, comme pour mieux l’inspecter. Luttant contre sa faiblesse, elle fixa son regard sur la jeune femme qui venait ainsi rompre avec la routine de sévices.

« Aidez-moi… » La voix était sifflante, presque inaudible pour quiconque autre que la jeune Karine. Attrapant son bras comme elle le pouvait, elle tenta de se redresser, tirant dessus. « Je vous en supplie… Je n’en peux plus… »

Elle n’entendait plus ce qui se disait autour d’elle, elle n’avait d’yeux et d’oreilles que pour sa potentielle sauveuse. C’était la première humaine qui la touchait depuis un mois, un long mois où elle n’avait pu subir que les attouchements des drows. Ils étaient trois, il était seul, ils pouvaient donc la sauver. Ils devaient la sauver ! La liberté lui tendait les bras, ils leur suffisaient de chasser « Nhil ». Ils parlaient d’honneurs, de promesses, elle saisissait les mots mais ne faisait pas l’effort de les trier et d’en comprendre véritablement le sens. Pour elle, il n’y avait qu’une seule chose qui comptait : mettre fin à une folie.

« Que vous a-t-il promit ? Dites le moi… »

Les larmes commencèrent à couler sans qu’elle ne puisse rien pour les arrêter, alors qu’elle commençait à paniquer. Ils devaient l’aider, ils étaient humains après tout, comme elle…

« Je vous en donne le triple… Si vous me sauvez… »

Et plus encore, s’il le fallait.

Qu’il était étrange de sentir une main toucher sa joue sans qu’elle n’apporte un coup de poing. Qu’il était déstabilisant de recevoir des paroles réconfortantes, quand les insultes et les humiliations s’étaient succédées sans interruption pendant si longtemps. Katalina était perdue, elle avait envie de se raccrocher à cette inconnue, mais n’osait pas vraiment le faire. Etait-ce un nouveau piège de « Nhil », plus subtil et cruel que tout ce qu’il avait pu imaginer ? Elle ne pouvait mettre cette option de côté, après tout, la détruire semblait être son jeu préféré, et elle savait qu’elle ne survivrait pas à un retour au Puy. Une fin grandiose pour un jeu dont il s’était lassé, la fin d’une femme à laquelle il avait tout pris… Une fois, il lui avait demandé si elle voulait mourir, afin de mettre fin à ses tourments, et elle n’avait pas eu le courage de répondre. Pas un « non », ni un « oui », elle l’avait attaqué dans sa chair à la place, fuyant cette douloureuse interrogation. Qu’il la ramène, et il aurait sa réponse : elle s’empalerait sur son arme.

La main caressait doucement sa joue, cherchant surement à la réconforter. Mais Katalina ne savait même plus comment recevoir ce geste de soutien, combien de fois « Nhil » s’était-il montré doux avec elle, avant de la frapper ou pire encore ? Sauf que la main était humaine et gracile, et cela changeait tout. Sa voix ne lui parvenait qu’étouffée, tout son environnement paraissait comme en retrait. Brûlante de fièvre, elle l’était surement, et elle en subissait les contrecoups de plein fouet. Ses membres engourdis ne lui répondaient plus qu’à moitié, et sa vision se tâchait parfois de noir. Elle savait ce que cela signifiait, elle avait appris à reconnaître ces signes avant-coureurs. Bientôt, dans quelques minutes à peine, elle allait perdre connaissance.

L’inconscience était devenue une amie fidèle, qui l’arrachait à ce monde barbare quand il devenait insupportable. Elle accueillait toujours sa venue avec gratitude, presque vénération, et car elle apportait avec elle l’oubli. Mais pas cette fois, car elle savait qu’il se jouait quelque chose d’important. « Nhil » voulait l’échanger, son seul but était désormais de se débarrasser d’elle et de retirer de sa capture assez d’argent pour en organiser une autre. Rien que cette pensée la rendait malade, savoir qu’une autre risquait de subir ce qu’elle avait vécu par sa faute. Un instant, elle se demanda quel maillon de la chaîne représentait-elle, s’il y en avait eu beaucoup d’autres avant elle à vivre ce qu’elle vivait désormais. Levant un regard hagard et horrifié vers la jeune femme, elle remarqua qu’elle s’était retournée pour dire quelque chose, mais elle ne comprit pas le sens de ses paroles. Et si elle était la suivante ?

La noble déchue envisageait désormais sa capture autrement, désormais que les dessous de l’affaire se déroulaient lentement sous ses yeux. Il s’agissait toujours d’un jeu, mais dont la partie n’avait pas de fin, il s’autoalimentait de lui-même de part ses règles primaires : « Capturer. Torturer. Rançonner… Capturer. Torturer. Rançonner… » Merwyn l’avait pourtant prévenu, lui avait demandé de se doter d’une escorte digne de ce nom, mais non, elle n’avait rien voulu entendre. Et si elle en avait payé le prix et plus encore, elle savait désormais qu’elle ne serait pas la seule, que d’autres viendraient après d’elle. Non… C’était inconcevable.

« Je vous en supplie… Il recommencera, vous ne pouvez pas le laisser faire… Si vous ne le faites pas pour moi… Faites le pour la prochaine… »

La main quitta sa joue et fouilla doucement ses cheveux, cherchant surement à les remettre dans un état plus… présentable. Emmêlés, gras et luisants, on était bien loin de la chevelure qu’elle avait abordée lors de l’enterrement du duc. Cette période de sa vie, pourtant vieille d’un peu plus d’un mois, elle ne la reconnaissait plus. Il lui était arrivé parfois de se questionner : était-elle vraiment la femme qui du haut de sa fortune avait influencé au moins faiblement le Royaume Humain ? Avait-elle jamais eu un pouvoir entre les mains ? Comme pour couper court à ses interrogations, un homme s’imposa à son champ de vision, s’agenouillant devant elle. La pauvre eut un mouvement de recul, s’agrippant encore un peu plus à la douce jeune femme qui prenait soin d’elle. Blond aux yeux bleus, tout le contraire de son tortionnaire, mais elle ne pouvait se résoudre à lui faire confiance, d’ailleurs elle ne savait même pas si elle savait encore comment faire. Une douce voix, tendre et rassurante, creva sa bulle de silence, mais elle n’eut pas l’effet escompté. Secouant négativement la tête, Katalina commença encore à se reculer, remuant des jambes plus qu’autre chose. Elle ne voulait pas qu’on la touche, elle supportait plutôt bien le contact déjà établie mais si elle avait eu le choix, il n’aurait jamais eu lieu. Un homme était violent, plus fort qu’elle ne le serait jamais, et capable des pires atrocités.

Un homme ? Non, pas forcément… Un drow l’était assurément, mais certains hommes étaient bons. Merwyn… Où était-il, alors qu’elle-même gisait au sol ? S’inquiétait-il ? Etait-il loin, proche ? Avait-il terminé de rassembler l’argent ? Des questions qu’elle s’était posée des milliers de fois mais auxquelles elle n’avait aucune réponse. C’était d’ailleurs l’unique chose qui l’empêchait de se réjouir de sa future libération, elle avait trop peur de se voir transformée en piège humain, elle avait trop peur de voir son amant perdre sa liberté en essayant de lui rendre la sienne. Pourquoi avait-elle parlé ? Pourquoi avait-elle cédé ? Qu’en était-il de Ross ? Prendrait-elle le risque de se retrouver en son pouvoir, durant une chevauchée ? « Nhil » l’avait prouvé, il était simple pour un cavalier la tenant par la taille de s’amuser un peu, et elle n’avait aucune envie de revivre de tels attouchements, pas alors que sa libération se profilait. Chaque seconde qui passait était une seconde de moins vers sa liberté, mais elle rendait surtout les sévices plus dur à supporter. Elle n’arrivait même plus à parler, la peur fermait sa bouche comme n’importe quel bâillon. Détail importait, les tâches se succédaient de plus en plus vite, couvrant toujours une plus grande partie de sa vision brouillée par les larmes. Bientôt, tout cela n’aurait plus d’importance, mais elle n’en était pas encore là.

« Je ne me sens… pas bien… J’ai du mal à respirer… »

Et c’était vrai. Il ne s’agissait pas d’une vaine tentative d’esquiver son calvaire, mais quelque chose de plus pernicieux encore. La peur avait cette étrange faculté de faire ressurgir des souvenirs qu’on aurait préféré oublier, le plus souvent pour nous stimuler et nous encourager à fuir l’objet de nos craintes. Or, si ici Katalina ne pouvait pas fuir, son cerveau remplissait tout de même son rôle. Et quoi de plus stimulant pour fuir que la scène de son premier viol ? Quel meilleur façon de la voir se déchaîner pour éviter que cela se reproduise ? Revivant ses presque-noyades, elle suffoquait en tentant de trouver de l’air, sans comprendre qu’elle n’était pas plongée sous l’eau…

« Je ferais tout ce que vous voulez, mais éloignez moi de lui… »

Parlait-elle de « Nhil » ou de Ross ? Difficile de le savoir avec certitude, mais elle ne bougeait plus. Bientôt, cela n’aurait plus d’importance, de toute façon. Elle ne bougeait déjà plus, et sentait peu à peu sa tendre amie l’enserrer de ses bras doux et salvateurs. Quelques secondes encore, et elle laissa doucement sa tête s’affaisser. Vaincue par la peur, la douleur et la fatigue, elle venait de sombrer dans l’inconscience. C’était surement mieux comme ça… Au moins, le voyage s’annonçait sous de biens meilleurs augures pour le petit groupe. Au moins n’auraient-ils pas à supporter les pleurs et gémissements d’une esclave brisée.