[Rues] Arrivée discrète

Alydaëlle se retourna vivement lorsque quelqu'un la percuta sans crier gare. Elle se crut tout d'abord victime d'une agression et se prépara à dégainer son épée pour perforer le coeur du malandrin, mais elle suspendit son geste en croisant le regard de l'inconnu. Il ne semblait pas en vouloir à sa vie... Menaçante, la tueuse recula prudemment. Elle préférait être prête à parer à toute éventualité, car elle savait combien il était dangereux de se fier aux apparences. La plus amène des créatures pouvait se révéler redoutable démon... Toutefois, la jeune femme avait eu son compte d'ennuis pour quelques temps. Attaques et fuite, mésaventure comme elle n'en avait jamais eue, elle n'aspirait plus qu'à cette damnée auberge et à son précieux repas.

"Vous êtes qui, vous ? Vous voulez quoi ? Me voler ? A moins que vous n'ayez été envoyé par Dieu sait qui dans le but de m'exécuter ?"

A cette réplique, la demi-drow eut un éclat de rire sinistre, mais à l'intonation triste. Elle commençait à fatiguer d'être constamment poursuivie pour être tuée. Les choses ne tournaient plus très rond dans sa vie et la solitude lui pesait. Mais Alydaëlle gardait encore la tête froide et n'avait nullement l'intention d'abandonner la partie. Sa vie, elle y tenait, et elle était toujours prête à se battre pour la préserver. Elle darda son regard bleu sur l'homme qui lui faisait face et qui, a priori, ne semblait pas menaçant. Enfin pas encore.

"Vous avez avaler votre langue ou quoi ?"

Le ton était presque sérieux, ni trop cynique, ni trop moqueur. Juste une phrase pour tenter de lancer la conversation qui peinait à venir. Lui faisait-elle peur ? Après tout, la tueuse appartenait aux Drows, enfin en partie, et son métier pouvait la rendre aussi effrayante que dangereux. Mais elle conservait néanmoins une partie d'humanité en elle.

Alydaëlle regarda l'inconnu se rapprocher d'elle, l'air perdu, comme s'il se laissait uniquement porter par des pensées nébuleuses. Si elle en jugeait par le ton employé, il jouait franc jeu avec elle. Apparemment, qui qu'il soit, il n'avait pas l'intention de l'agresser. Du moins, elle espérait ne pas commettre une erreur de jugement. Elle le vit la dévisager, de ses yeux sombres, et n'eut aucun mal à deviner qu'il allait la percer à jour rapidement. En effet, quelques secondes d'observation et l'homme la qualifia de Drow, ce qu'elle était à moitié. Il la mit ensuite en garde, mais Alydaëlle ne l'écouta que d'une oreille distraite. Le reste de son attention était concentré sur les alentours, afin de guetter la moindre menace. Elle ne tenait pas à se laisser surprendre par un danger quelconque, surtout avec ce que lui rapportait l'homme. Quoiqu'il ne lui apprenait rien en vérité, mais tendait plutôt à confirmer ce qu'elle savait déjà. Puis la jeune femme plongea son regard bleu azur dans celui de son interlocuteur :

"D'abord, sachez que je suis demi-drow. Même si je déteste la plupart des humains, j'ai un grand respect pour la part d'humanité que j'ai hérité de ma mère, ne vous en déplaise..."

Elle croisa les bras devant elle, espérant ne pas avoir à dégainer son épée ce soir. Sa lame avait déjà été suffisamment souiller par le sang versé ces derniers jours. Inutile d'aller en rajouter. Mais si son instinct ne la trompait pas, ce ne serait pas cet homme qui l'obligerait à se battre. Si d'autres ennuis devaient survenir, elle doutait qu'il en soit l'origine. Ou tout du moins, elle l'espérait.

"Et vous ?" reprit-elle d'une voix plus douce, qui entrait en contradiction avec l'éclat froid dans ses yeux. "Vous n'avez pas l'air très... heu... vaillant. Je fais peut-être erreur, peut-être êtes-vous un grand combattant, mais votre allure laisse suggérer une certaine faiblesse dans votre corps plus que dans votre esprit."

Alydaëlle s'interrompit, étonnée. Pourquoi elle lui parlait ainsi ? Pourquoi elle donnait l'impression - sûrement fausse - qu'elle se souciait de lui ? Et puis elle n'était pas bavarde habituellement. Pourquoi soudain se mettait-elle à faire la conversation à un parfait inconnu qui, en plus, ne la portait sûrement pas dans son coeur. En tant que tueuse demi-drow, Alydaëlle avait bien plus d'ennemis que d'amis, et c'était tout à fait compréhensible. La jeune femme eut un soupir et haussa les épaules, détournant le regard.

"Désolée de m'être montrée aussi indiscrète. J'imagine bien que vous avez plus envie de me voir morte qu'en train de vous parler, alors... Je vous en prie, passez votre chemin..."

Elle s'apprêtait à faire demi-tour mais hésita. Elle aurait voulu au moins demander la direction de l'auberge mais elle n'osait pas, de peur de gâter les choses. La situation semblait déjà quelque peu tendue, alors inutile de l'envenimer. Elle trouvait bien sa route sans aide...

Alydaëlle eut un sourire mesquin en se retournant vers l'homme. Elle percevait son irritation, son impatience, et savait pertinemment en être la seule cause. Mais à quoi d'autre pouvait-elle s'attendre ? La guerre entre humains et Drows couvait, plus imminente que jamais, et elle faisait partie des ennemis du peuple des humains. Drow ou demi-drow, quelle différence ? Aucune pour les hommes. Personne ne se souciait de la part d'humanité qu'Alydaëlle avait su garder en elle... Mais cette pensée la laissa de marbre. Elle s'y était faite. Cela ne l'avait pas empêché de vivre, et de vivre bien. Bon, bien sûr, cela lui avait aussi apporté quelques ennuis, de temps à autre, mais que serait la vie sans un peu de piment ? Un soupçon de danger ?

"Puisque vous me proposez si aimablement votre aide, contentez-vous donc de m'indiquer l'auberge la plus proche. Je suis fatiguée, j'ai faim, j'ai fait un long voyage et je n'aspire qu'à un peu de confort et de tranquillité."

Contrairement à son habitude, elle avait employé un ton affable, presque doux. Ne souhaitant pas provoquer son interlocuteur ou lui manquer de respect, c'était la meilleure attitude à adopter. Et puis la tueuse n'avait aucune envie de se battre, ni en mots, ni en armes. Elle regarda l'inconnu sans rien ajouter, curieuse d'entendre sa réponse.

Alydaëlle eut une moue enfantine et laissa échapper un soupir anéanti. Elle écouta l'homme lui parler, et même si son ton était acerbe, elle n'en fut ni blessée, ni vexée, car il avait tout simplement raison. Elle n'avait pas pensé que les choses puissent être aussi changées aux environs de la capitale mais comment aurait-il pu en être autrement ? La tueuse inspira et expira profondément, essayant de se détendre et de réfléchir. Il y avait forcément une solution à son problème. Peut-être pouvait-elle au moins payer quelqu'un pour lui ramener de quoi boire et de quoi manger, ses provisions se faisant rares... Comme l'argent... Alydaëlle secoua lentement la tête, consciente de la précarité de sa situation. Et il avait fallu qu'elle croise le chemin de ce type pour le comprendre... Celui-ci la contourna et lui lança une dernière phrase dans son dos :

-Votre seule chance de vous reposer… est de trouver une personne assez bonne pour vous héberger…

Alydaëlle dodelina de la tête. Il avait encore raison... Il fallait qu'elle trouve quelqu'un qui puisse l'héberger. Elle pensa à Balthier, mais chassa bien vite cette idée. Puis elle releva les yeux vers l'homme, hésitant à l'interpeller une dernière fois.

"Franchement," lança-t-elle d'un ton sarcastique qui sonnait faux de par la tristesse et le regret que revêtait sa voix. "Vous connaissez beaucoup de gens qui auraient l'amabilité d'héberger une demi-drow comme moi ? J'en doute..."

Alydaëlle se força à se ressaisir. Pas question de se laisser aller, et encore moins de montrer sa faiblesse à un inconnu, humain de surcroît. Mais la tueuse était si épuisée, physiquement et moralement, qu'elle se demanda si elle n'allait pas dormir dans la rue, dans un coin discret. Elle adressa un dernier regard à l'homme.

"En tout cas... Merci pour vos... conseils. Enfin avertissement."

Alydaëlle soupira et se détourna, observant les alentours. Elle avait besoin d'un plan.

Alydaëlle regarda avec étonnement l'homme se saisir de ses affaires. On aurait pu croire à un vol très osé mais sa manière de s'éloigner sans précipitation démentissait vite cette impression. Elle devina qu'elle devait lui faire plus pitié qu'autre chose, et cela l'irrita profondément. En d'autres temps, elle lui aurait sans doute tranché la gorge, mais là, il n'en était pas question. Elle était trop perdue pour ne compter que sur elle-même. Si quelqu'un acceptait de l'aider, ne serait-ce qu'un peu, elle devait l'accepter et oublier sa fierté l'espace d'un instant.

Bien… je vous l'avoue… je ne vous apprécie que très peu… mais je vais quand même vous offrir l'hospitalité… je ne vous demande ni merci ni quoique ce soit… si ce n'est… évitez de revenir dans cette ville… cela pourrais vous créez des problèmes…

Ne pas revenir dans cette ville... Alydaëlle doutait d'en avoir besoin néanmoins, elle ne pouvait se résoudre à promettre. Il ne l'aimait pas ? Quelle surprise... Aucun humain n'aimait les Drows, ni les demi-drows. Quoi de plus naturel ? Mais malgré tout, il semblait réellement disposé à lui offrir l'hospitalité, ce que ne pouvait refuser la jeune femme. Mais à quel prix cet acte de bonté ? Le doute la fit hésiter mais voyant l'homme qui s'éloignait, elle se dépêcha de lui emboîter le pas avant de le perdre de vue. Où allaient-ils ? C'était une bonne question... La tueuse haussa les épaules, songeant que nul endroit n'était pire qu'un autre...