Le jour des pommes flétries.

Voici venu le temps des rires et des chants, en ce mois de redoux, est afin arrivé l'événement qui marque la fin de l'hiver : la foire aux pommes flétries de Merval.

Héritée d'une tradition maraichère millénaire, et poursuivie par les purotins des hautes terres, (les bourgeois Mervallois ne participent pas au jour des pommes flétries, lui préférant des fruits plus onéreux et moins populaire) l'us veut que les festivités se déroulent lorsque le général Hiver, usé, siffle la retraite à ses glaciaux partisans (dont le petit écuyer flocon, le sergent d'arme houle et l'austère givre aux moustaches aussi blanches que roides.)

C'est alors une véritable orgie de divertissements, l'on peut en effet, à tous les coins de rue, goûter des compotes.


L'édition de l'année semblait se présenter sous les meilleurs auspices! Des fruits par tonnes, grant fuisson de fletrissures et des cultivateurs rougeauds, dissimulant déjà sous leur gilet sans manche des bouteilles de gnôle au subtil fumet de pomme qu'ils partageront, n'en doutons pas, dans quelque taverne avant d'en licher les dernières gouttes sous les étoiles en pataugeant, hilare, dans la merde d'un caniveau.

Eulalie elle-même, au crépuscule, doit faire grâce de sa présence aux hardis prétendants au titre de compotier Baronnial. En effet, dès la baronne arrivée, commence le coeur du festival : l'on peut ouïr des aèdes (nécessairement aveugles) chanter quelques heures durant, et avec un lyrisme exacerbé, les différents états de maturité du fruit des dieux.

Après quoi, selon le protocole, la maîtresse de cérémonie désigne sous les clameurs des quelques preux qui ont su rester éveillés tard dans la nuit, laquelle des compotes est la plus fameuse. La succulence du met est évidemment prise en compte, mais il faut en outre y ajouter l'aspect, qui se doit d'être "moult visquieulx mai point gléreulx" comme l'exige la tradition. Toutefois, la patience des hommes réduisant comme peau de chagrin au fil de leur montée en puissance, les barons successifs de Merval finirent par considérer cette riante fête comme un fardeau, et de ne plus honorer les participants que par un morne signe de la main depuis l'une des tours du manoir.

Eulalie, pour sa première année, ne voulut point manquer de tact et décida qu'elle serait présente tout le jour. Ses conseillers privés tentèrent de la dissuader, mais que valent les arguments de patriarches grisons quand le cri d'amour d'une pomme vous presse d'aller à sa rencontre?

Elle s'était vêtu très simplement, pour ne pas écraser son peuple sous les munifiscents atours qui dormaient dans ses malles. Le seigle n'avait jamais apprécié porter des robes de princesses, les frusques quotidiennes dont elle se vêtait, même si elles dépassaient de loin en qualité les tissus des bourgeoises, n'avaient rien d'ébaudissant.

Pour l'occasion toutefois, elle se coiffa d'un petit chapeau noir, qu'elle cru d'abord consacré au deuil, et elle l'habilla d'une pomme, le dévouement de cette femme n'étant plus à faire quand il s'agit d'être en phase avec les plus démunis parmi les siens.