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 S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr

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MessageSujet: S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr   S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr I_icon_minitimeVen 24 Déc 2010 - 2:48

La foule. Elle était là, tout autour d’elle, véritable masse sans âme ni conscience, béhémoth sans visage capable des pires atrocités. Katalina le savait. Dissimulée dans l’ombre d’une bâtisse, recouverte de l’étoffe soyeuse d’une cape brodée, elle attendait.

Ce n’était pas exactement pareil. La mélopée était bien là, chantée par les âmes innombrables qui traversaient la place, mais leurs chants semblaient bien fade, en comparaison. Tout semblait bien fade. La Gardienne avait bien dû se rendre à l’évidence, ce qu’elle avait vécu pendant le Voile était définitivement perdu. Jamais elle ne retrouverait le Rêve. Elle en avait douloureusement conscience, tout comme elle avait conscience de l'inutilité de sa présence, à attendre quelque chose qui ne viendrait pas. Elle devait accepter ce qui n’était plus, et retrouver ce qui avait toujours été. Parce que la vie continuait, même après ça. Parce que sa fille vivait, grandissait sans qu’elle n’en ait réellement conscience. Le temps lui avait filé entre les doigts, et continuait de lui échapper alors qu’elle ne voulait que le remonter. Katialyne n’aurait dû être qu’une nouvelle née, elle était déjà âgée d’un mois. Katialyne n’aurait pas dû s’appeler Katialyne. Sa mère n’avait pas pu veiller sur elle les premières années de sa vie, n’avait pas pu choisir son prénom, et maintenant qu’elle était de retour, elle devait accepter que son enfant avait grandi sans elle, loin d’elle. Une enfant qu’elle n’entendrait jamais pleurer, parler, chanter. Tout cela à cause du caprice des Dieux.

Ce ne fut pas un son qui lui fit tourner la tête. Pas plus une odeur. Ce fut une sensation, une prédiction diraient certains, digne d’un Oracle. Son regard aveugle s’égara sur cette place qu’elle ne pouvait voir, et le hennissement caractéristique d’un poney la salua. S’ajoutèrent ensuite quelques jurons qu’elle ne comprit pas, mais la langue était celle du roc et de la pierre. Le chant aussi, quoique teinté de tristesse et de colère ; comme il se devait, l’âme tourmentée des fils rejetés clamait sa solitude.

« De leur colère naîtra le plaisir de leur Père, ainsi qu’il l’a souhaité. »
Mais déjà, Katalina n’écoutait plus. Elle avait quitté l’ombre rassurante, s’était aventurée dans l’arène baignée de soleil. Fort heureusement, on s’écartait autour d’elle. Il y en avait pour la reconnaître, mais plus nombreux étaient ceux qui agissaient instinctivement. Au loin, elle entendait le rude parler nain mêlé à la langue humaine. On confiait les poneys, on cherchait un endroit pour se restaurer. Quoi de plus normal pour un voyageur, mais un voyageur nain était tout sauf banal, alors plusieurs !

« S’écrasent au Nord les Larmes de Pierre… » murmura-t-elle avec douceur. « Résonne au cœur des galeries le chant des Pairs. »

Ils étaient tombés, par milliers. Elle les avait entendus, avait chanté leur arrivée au Royaume de Tyra, les avait accueilli, l’un après l’autre. Elle s’en souvenait, désormais, et marchait toujours, jusqu’à les rejoindre. Jusqu’à le rejoindre. Son chant était différent des autres.

« Sturkh le Jeune n’a pas souffert. Au moment de partir, il a loué une dernière fois Lirgan, et l’a remercié de l’avoir libéré de la folie qui avait animé sa hache. »

Avec douceur, la Gardienne repoussa sa capuche, laissant apparaître aux yeux des passants un visage sans âge et l’éclat argenté d’un regard aveugle. Si Katalina était toujours humaine, les épreuves l’avaient à jamais changée, et cette apparition là venait le confirmer.
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MessageSujet: Re: S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr   S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr I_icon_minitimeVen 24 Déc 2010 - 3:57

Serramire. Un grand bourg, peuplé d’encore plus grands Humains.
Si Dun Eyr n’avait passé depuis plusieurs semaines de Charybde en Sylla – ou plutôt de Holwerm en insurrections – il se serait bien écrié que les ennuis allaient commencer, dans cette cité du Marquisat.
Bondissant au travers des faubourgs et hameaux, le Haut-Prêtre talonna son poney qui écumait aux naseaux, et franchit dans la bave sanglante les derniers pont-levis et postes de garde, pour que la bête s’affaisse d’éreintement dans la cour pavée d’une vaste place peuplée de grandes-guibolles. Quelques regards se retournèrent sur le Nain et sa monture ravagée aux chemins, mais rien de bien menaçant.
Se laissant choir aux côtés de sa monture flageolante, et qui hennissait à pleins poumons décornés, le Nain bondit de quelques pas vers un aubergiste de la place, et lui commanda une plus fraîche monture pour abattre la route jusqu’en Arétria. Que le poney, les pupilles bouillonnant de sang jusqu’aux œillères, s’effondrât à l’instant sur le sol dans un dernier souffle caverneux, cela n’était pas pour encourager cet honnête marchand à concéder une nouvelle bête au cavalier fou – mais une belle giberne de piécettes qui jaillit à la pogne du Nain, et voilà notre scrupuleux palefrenier qui vend à Dun Eyr plutôt dix bêtes qu’une seule.
Et un larbin d’écurie pour dégager du passage le cadavre rougi du brave poney. Dommage qu’il l’emporte, Dun Eyr en aurait volontiers fait sa pitance pour le reste du voyage – au lieu de quoi il allait lui falloir empaqueter de la viande des pâturages humains. Quel gâchis de piécettes – crime abominable aux yeux de nombre de crapules, véritable hérésie sur l’échelle des valeurs Naniques.

De quelques gestes empressés, Dun Eyr sangla ses vivres dans les fontes, harnacha solidement le licou à l’encolure du nouveau poney de ses tourments, attrapa du pied l’étrier ; et il aurait à l’instant bondi en selle, si un éclat moiré d’argent, gris comme la perle, n’avait attiré son regard. C’étaient deux yeux, deux vastes yeux couleur de nuages – et une lente voix de mélopée.

« Sturkh le Jeune n’a pas souffert. Au moment de partir, il a loué une dernière fois Lirgan, et l’a remercié de l’avoir libéré de la folie qui avait animé sa hache. »

Sturkh le Jeune ?

D’une volte-face, Dun Eyr se dégagea de sa monture et, sur la place engorgée de cette matinée, retourna son regard soudain baltique. Il n’y avait pas dix mille personnes au monde pour connaître la mort de l’Adepte de Lirgan – ou plutôt, il fut un âge où il y en eut dix mille, mais ces temps étaient bien révolus, et par milliers les Nains gisaient dans les fumerolles de la Cité Embrasée.
Boucher ou pleutre, un fugitif de la Fournaise avait trouvé refuge en Serramire – et avait retrouvé la trace de Dun Eyr.
Et le Haut-Prêtre se trouva à dévisager cela.

Mais cela n’était pas un Nain, c’était même à mille lieues du Petit Peuple, et à plusieurs têtes de supériorité. Grand, pâle, et certes magnifique, le grand échalas d’une Humaine Dame aux yeux brumeux se tenait là.
Et cette voix, cette voix de caveau blanchi.

Tout à côté du poney anéanti, et les bottes campées dans un ruisselet du sang de l’animal, ce ne fut pas campé sur ses deux jambes que Dun Eyr posa sa question – et, prosterné sur deux genoux, il implora à la Noble Dame :

– Madame, qui vit tomber Sturkh le Jeune et ses frères d’âme ?

Jamais, de mémoire de Nain, on ne vit un Fils de la Montagne si respectueux – ni si triste.
Il faut dire que Dun Eyr n’était plus qu’un lâche, qui recollait les fragments de la mort de ses compagnons tombés lors même que lui-même dormait sous les lointains tropiques.

Il est des jours où Lirgan s’en fout.
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MessageSujet: Re: S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr   S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr I_icon_minitimeVen 24 Déc 2010 - 10:14

C’était comme si le temps avait subitement arrêté sa course et s’était penché sur la scène pour mieux l’observer. Les passants ralentissaient le pas, s’arrêtaient même parfois pour admirer le spectacle insolite d’un nain pliant le genou face à une humaine. Ce n’était pas pour plaire à Katalina, qui aurait voulu pouvoir les transporter tous deux ailleurs.

« Relevez-vous, Maître Nain, ce pavé la n’est pas digne de vous voir agenouillé. »

Une fois encore, elle regrettait sa cécité. Elle aurait voulu le voir, être confrontée à sa tristesse autrement qu’au travers des tourments de son âme. Elle semblait profonde, assez pour ravager son visage, assez pour le mettre à terre, et ce n’était pas peu de choses, pour un nain. Du Petit Peuple, elle n’avait rencontré que deux représentants avant ce jour ; un commerçant venu conclure quelques affaires dont elle n’avait alors pas la connaissance avec feu son époux, et un mercenaire qu’elle avait engagé pour veiller sur une de ses caravanes et qui avait péri lors de l’attaque de celle-ci. Et à aucun moment ils n’avaient fait montre de faiblesse. Or celui qui lui faisait face n’était ni meilleur ni pire, seulement blessé par la déchéance des siens. Ils avaient été poussés à bas de leur montagne, par l’ire incomprise d’un Père bafoué.

« Cela vous soulagera-t-il vraiment ? Connaître le nom du malheureux qui lui ôta le Souffle de Néera rendra-t-il sa mort plus supportable ? »

A ses questions, elle aurait pu apporter des réponses, mais elle ne s’infligerait pas ce tourment, à elle pas plus qu’à lui. Elle n’avait pas vécu les massacres du nord, pas directement, mais elle devinait la violence des affrontements et le traumatisme qui en était né. Qu’importait au serviteur de Lirgan que Sturkh eut péri sous les coups d’un soldat qui n’avait voulu que ramener le calme ? Qu’importait que ce fut le Jeune qui engagea le combat, quand leurs mais à tous deux n’étaient plus que marionnettes dansant pour l’amusement d’un autre.

« Il n’existe qu’un coupable. Un coupable qui ne supportait plus de vous voir vous épanouir au cœur de vos montagnes. » Et, se disant, elle tendit la main, laissant la brume s’y amonceler doucement. « Vous avez préféré le tintement d’une forge aux fracas des combats. Voilà votre crime. Il a oublié les raisons qui le poussèrent à vous créer. Ce n’était pas pour la Guerre, mais pour le délivrer. Il a fait de vous des tailleurs de pierre et vous a châtié pour cela. »

Dans sa paume reposait l’effigie de Mogar tel que le voyait les nains, apparition fantomatique qu’un rien aurait balayé. Qu’elle balaya en serrant le poing et en laissant son bras retomber le long de son corps. Quelques panaches s’attardèrent, vite dissipés par la brise du nouvel automne.

« Mais vous le saviez déjà, n’est-ce pas ? »

S’écrasent au Nord les Larmes de Pierres, résonne au cœur des galeries le chant des Pairs. Montent des cimes enneigées les Plaintes des Sacrifiés, se brise contre l’accalmie les Volontés brisées. Tous savaient, cette vérité les poursuivait, où qu’ils aillent, cette injustice brûlante, qui les rongeait de l’intérieur. Qu’était-elle, face à pareille peine ?
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MessageSujet: Re: S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr   S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr I_icon_minitimeVen 24 Déc 2010 - 12:50

Au jour où, sous les yeux de Dun Eyr, s’était révélé le Temple en ruines, les gravats rougis, les pierres éclatées et, par-delà, la pourpre du sang sur la poussière des corps, le Haut-Prêtre s’était raccroché à quelque rêves par son esprit comme une griffe. Au jour où avaient paru les cadavres éventrées, et le crâne de Sturkh balançant au bout de sa corde de viscères, le Nain avait pleuré l’humble contemplateur abattu par les loups de Mogar.
Mais dans le matin serramirois, cette grande ombre de la Trépasseuse, cette femme aux voiles-de-paupière venait cracher sur la gloire des Fils du Ciseleur, et avancer que nos Nains étaient tombés dans le plus ignoble des charniers, la hache à la pogne et le sang aux crocs, pourceaux de Lirgan sur pourceaux de Mogar.

Et que la Cité Blanche soit renommée la Grande Incendiée, quelle raison à ce châtiment ? Que quelques Nains, délaissant leurs éventreuses-de-Gobelins et leurs fracasseuses-de-crânes, avaient extirpé de la flamme et des fourneaux bien plutôt de sonnantes piécettes que de tranchants lames. Était-ce là toute leur faute, que les Cogneurs des Cimes se soient fait marchands de bières et ciseleurs de montagnes ?
Sous la roche de Kirgan, dans le Temple aux adeptes décimés, Dun Eyr avait, il y a dix ou vingt jours de cela, affirmé que Mogar fauchait les Nains avec justice. Foutaises.
Devant la grande annonciatrice de malheurs, le Haut-Prêtre cracha sur le sol, à quelques pas de la haute-silhouette. Selon les usages des Nains, crachez aux pieds d’un compagnon, et il y aura un étripage crémonialement réglé entre les deux bretteurs. Mais ce Marquisat est fort loin des Montagnes, et la foule y est peuplée de longues-rotules uniquement – un carreau d’arbalète entre les deux yeux sans vie, voilà qui suffirait.

Les grands-nuages pouvaient bien avoir quitté les cieux depuis des jours, et Mogar s’être retiré à ses frontispices de tripailles, la haine maintenait son emprise sur le cœur du Petit Peuple – et elle triomphait là encore, comme Dun Eyr arracha de son barda la large arbalète qu’il aimait tant.
Une vieille compagne de massacres – le dernier compagnon du Nain que le Dieu Boucher n’ait pas escamoté.
Et la foule pouvait bien sursauter, elle n’était qu’un troupeau imbécile, un cheptel que l’on manie à la pointe de la hache.

Et pourtant. Le malheur est bien increvable sous les flèches, et cette grande ombre de blancheur allait fort bien rire de son petit carreau empreint de vielles Runes ébréchées. Quel soudard que ce Nain, qui fait jouet de son arbalète à tout vent.
Là-dessus fondirent les visages de Sturkh, de Fahrtok, de Kori-Ban et de tous les autres, les gueules anonymes, qui avaient agonisé sous la rocaille du Temple ; et derrière, en cortège, c’étaient les ennemis des Nains, les rudes massacreurs du Petit Peuple, toutes ces âmes que Dun Eyr avait envoyées à leur perte et qui riaient sous cape du très-petit Haut-Prêtre. Et derrière, derrière encore, un père et un frère, qui faisaient moquerie de leur rejeton empêtré dans ses couardises.
Dun Eyr n’était plus digne.

Quelques lumière, pourtant, flottaient dans le lointain, le foyer d’une taverne où riaient et ripaillaient ses frères Nains – tous ils étaient là, un sourire étirant leurs frimousses barbues, et ce n’était qu’un petit voile, un mince ruisseau que Dun Eyr avait à franchir, pour rejoindre ses frères.

Des gardes qui jaillissaient, le rire des vieux contempteurs, et la joie retrouvée de quelques Nains autour des chopines… tout était perdu. Seule la lointaine taverne comptait.

Du poignet le Nain ramena son arbalète et, élevant la pointe d’acier contre sa gorge palpitante, il décocha sa souffrance.

Rideau pour la farce.
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MessageSujet: Re: S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr   S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr I_icon_minitimeMer 29 Déc 2010 - 11:57

Katalina était habituée au mépris. Elle s'y épanouissait depuis l'aube de sa troisième décennie. Mais plus que tout, elle était familière à l'hypocrisie. Or il n'y avait rien d'hypocrite dans l'attitude du fils déchu de Mogar. Il n'y avait que du mépris, sans façade, sans courbette dissimulatrice, sans paroles vides de sens. Il aurait pu la frapper, il aurait pu la blâmer, l'accuser de tous les maux, comme il était souvent d'usage avec le porteur des vérités dérangeantes, elle aurait préféré.

Malgré elle, la Gardienne frissonna, mais ne recula pas.

Elle était ce que les Dieux avaient fait d'elle, littéralement. Un être à part. Elle aurait pu les haïr, la haïr pour cela, mais il était trop tard et elle en avait douloureusement conscience. Depuis trop longtemps, elle luttait contre elle-même, cherchait à retrouver ce qu'elle avait perdu quand Nilhantar l'avait arrachée à sa vie paisible pour l'emmener au Puy. Mais la vérité était que Katalina Noblegriffon était morte au moment où le Drow avait posé ses mains sur elle. Elle avait essayé de le refuser, malgré sa douleur, malgré ses doutes, malgré les confirmations des êtres qui l'avaient entouré. Merwyn, Aerandir, Kassandra, Gabriel et Tyra elle-même. Ils avaient compris bien avant elle. L'un après l'autre, ils avaient mis à bas cette image qu'elle avait d'elle-même. La mort les attendait tous, mais la vie semblait plus douce à ceux qui se contentaient de voir sans se cacher derrière quelques fallacieuses vérités.

Et la vérité était qu'elle utiliserait ce nain, comme d'autres l'avaient utilisée. Aussi pouvait-il bien la mépriser, il était dans son droit et elle ne contesterait pas.

Le Voile avait marqué à jamais Miradelphia, mais c'était les Nains qui en avaient le plus souffert. Les Montagnes avaient vu les nains se déchirer, sous l'impulsion malsaine d'un Dieu cruel, et désormais, les survivants de l'holocauste avançaient à l'aveugle dans un monde qui ne semblait plus vouloir d'eux. Leurs frères assassinés, leurs cités détruites, leurs cœurs écorchés, ils se débattaient contre une partie d'eux-mêmes, contre cette foi jadis inconditionnelle, contre cet amour naturel d'une créature envers son créateur. Sous la pression désespérée du doigt, l'arbalète céda comme si elle avait été du cristal le plus fin et le plus fragile. Dans la main noueuse et carnée du Haut Prêtre, elle devint si froide qu'il ne put que la lâcher dans un cri de souffrance, la laissant s'affaler à terre où elle se brisa et se répandit au sol en mille et une aiguilles brisées.

« Votre chair n'oubliera jamais ce que vous avez essayé de faire aujourd'hui, Maître Nain. »

Et ce n'était pas pure métaphore que cette promesse là, car les doigts crispés du nain gémissaient sous la morsure de cette glace qu'ils n'avaient qu'à peine tenue, cette glace qui, paradoxalement, venait de le sauver. Katalina n'avait pas bougé, ni quand il avait récupéré son arme, ni quand il l'avait retournée contre lui, mais elle avait su qu'elle devait agir, et son pouvoir irradiait. Un pouvoir qui ne pouvait laisser indifférent, qu'on pratiquât les arcanes ou non. Un pouvoir qui effrayait, aussi, tant il semblait incroyable, inéluctable et impitoyable. Autour d'eux, on murmurait, inquiet quant à la suite, mais Katalina n'en avait cure.

« Votre heure n'était pas venue, et elle ne viendra pas tant que vous n'aurez pas achevé votre dessein. Lutterez-vous contre cela ? Vous dresserez vous contre la volonté de Tari, parce que Mogar vous a trahi ? » demanda-t-elle d'une voix douce, s'approchant avec lenteur, comme s'il s'agissait de ne pas faire fuir un animal blessé et apeuré.
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MessageSujet: Re: S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr   S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr I_icon_minitimeMer 29 Déc 2010 - 13:19

Les Nains sont créatures d’honneur. Ils peuvent se brocarder de médaillons, de cuirasses creuses, ou de vastes torsades dans leurs barbes brunes, ils ne portent jamais que l’honneur d’une lignée. Et l’honneur fluctue.
Qu’un Nain soit laissé en paix, et il chassera les ours pour l’honneur.
Qu’un Nain soit mis à mal, et il luttera pour l’honneur.
Qu’un Nain soit vaincu, et il tirera sa révérence avec honneur.

Et en ce jour, la cruauté de Tyra avait fait choix de retirer au Petit Peuple son dernier vœu de gloire – et le fuyard crasseux, le lamentable déshonoré qu’était Dun Eyr, ne pouvait plus même s’envoler de ces noirceurs avec dignité.

D’un soubresaut blessé, Dun Eyr laissa tomber l’arbalète qui se fracassa sur le sol, et dans la chair de sa paume avait laissé l’empreinte d’une lourde morsure de givre. Qu’était ce monde larvé des jours neufs, où les armes bondissent hors de la poigne des Nains, où les guerriers sont ligotés à la vie ? Mogar avait ravagé les Montagnes, et fallait-il donc que la Mort condamne ses pantins de Nains à errer parmi les décombres d’eux-mêmes, porcelets défaits, pour qu’ils ruminent la chute de leur propre siècle ?
D’un tour de nuque, Dun Eyr cracha au sol, une fois encore. Comme un Nain. Comme toujours les Nains le firent, des trous-de-Gobelins aux confins de l’Est, et de la forêt ruisselante aux mers des Hommes, ils crachèrent et crachèrent encore, devant les légions et les fléaux. Etait-ce donc tout ? Tout ce qu’il restait de leur engeance vaincue, qu’un peu de salive de défi pour porter l’honneur de la tribu ? Et il cracha encore, trois fois, six fois.

– Quel destin attend ceux à qui les célestes brutes ont tout ôté ? Que l’aveugle bêtise de votre Tyra me foudroie donc, je ne le crains pas.

C’était beau, n’est-ce pas ? Flamboyant, diraient bien quelques chroniques futures des Serramirois.
Le Nain, seul au milieu de la horde des badauds badelants, qui défiait la Mort en personne, cette âme noire drapée de blanc, tandis qu’alentour s’était fait le silence de ceux qui contemplent l’écheveau des destins. Que ferait la Mort s’il ne peut mourir ? Etait-il des terres gelées et défaites où expient les calomniateurs de la Grande Dévastatrice ? Des plaines mortes et grêlées, où il resterait pour les parias de Nains l’once d’une gloriole à ravir, lorsque s’effondrent toutes les logiques ?
Dun Eyr, guerrier errant et maudit, qui parcourrait les landes dévastées du tranchant de son glaive, érémitique destructeur en lutte contre les relents de la folie – voilà qui, à défaut de lui rendre sa gloire, ferait du Nain un mythe.
Et être un mythe serait bien pour ravir notre Nain.

Mais voilà, les rêvasseries de gamin d'Almis n’eurent qu’un temps, et ce fut bien vite le grondement d’une foule houleuse, et la douleur effroyable d’un bras calciné de gel qui extirpa le Nain de ses bucoliques ballades en songe. La damnation est belle sur le parchemin – mais combien de Nains seraient préservés par un Dun Eyr demeuré loin de ses contrées maudites ?
L’orgueil. Ce n’était rien d’autre que cela, qui maintenait notre grand imbécile de Nain campé sur ses deux pieds, les bottes enracinées au sol, et grommelant face à la Prêtresse de Catastrophe. Il redressait toute sa haute-stature jusqu’au ciel – pourtant bas et comme un couvercle – et crachait dans le vent pour se faire croire qu’il connaissait le cap à tenir dans ces tempêtes-ci.
Mais un peu de raison, un peu d’us des peuples du Sud, et une âme un peu plus grande que la petitesse de son corps, voilà qui inclina la nuque du Nain vers le sol, et le fit se courber tout à fait, le front touchant le sol, devant la vaste ombre de glace, pourfendeuse d’arbalètes.

– Que vos lumières éclairent un peu de mes sentiers, car les ombres sont bien grandes pour ma bien faible vue. Quel chemin a tracé pour moi la griffe de la Mort ?

L’on dit que les Nains ne pleurent pas.
On le dit…

Et Dun Eyr maintint sa face dans la poussière du pavé.
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MessageSujet: Re: S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr   S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr I_icon_minitimeSam 15 Jan 2011 - 0:16

« Ce choix, a jamais, restera le tien. Je te soutiendrai. »
Je ne resterai pas les bras croisés, pas alors que j'ai une chance d'agir. Pas alors que je peux enfin donner un sens à tout ceci. Forte de cette résolution, Katalina affrontait le mépris et la colère du Haut-Prêtre. Pour la première fois, peut-être, depuis plusieurs mois, elle savait quoi faire. Ce n'était pas seulement une vague intuition, à laquelle elle se raccrochait avec l'énergie du désespoir. C'était une conviction, profonde et sincère. Totalement folle, aussi, mais qu'importait. Son père l'avait crue folle, de se lancer à la conquête de la Péninsule, et elle lui avait donné tort, de la plus éclatante des façons. Elle recommencerait encore. Et encore. Jusqu'à ce que, finalement, Tyra la rappelle à elle. Alors elle parla, mettant fin à son silence, et décida spontanément de le tutoyer. Sa voix se fit douce, aussi.

« Tu dois vivre, Dun Eyr, fils de Bynkarnd. Parce que ta mort n'aurait aucun sens et parce que tu as encore beaucoup à faire. »

Tout était clair, enfin. Plus de doute, plus d'interrogation, seulement ce savoir, si important.
Tout était limpide, finalement. Il avait fallu deux longues années, et bien des périples.
Rien n'était écris, cependant, mais c'était justement là que Katalina se retrouvait. Loin de ce destin si cruel qui s'était joué d'elle.

« Les Dieux sont rarement cléments, mais que cette blessure te rappelle que si Mogar t'a trahi, il en est parmi les Cinq qui n'oublient pas les Fils rejetés. »

Ne mentait-elle pas, en affirmant cela ? Peut-être. Qu'elle s'intéresse au sort du petit peuple ne voulait pas dire que Tyra en faisait de même. Elle avait certes une petite idée de ce qui pouvait motiver sa Déesse, mais peu lui importait au fond. La vérité était souvent basée sur des mensonges, elle était bien placée pour le savoir, surtout après ses rencontres successives avec Gabriel et Kassandra. Parfois, elle se surprenait à croire qu'elle aurait sans doute préférée être laissée dans l'ignorance. Aussi, si un mensonge pouvait rendre à Dun Eyr ce que Mogar lui avait arraché, était-il condamnable ? Surtout quand il existait, à jamais, un fond de vérité. Car personne, plus que Tyra, ne connaissait mieux les souffrances des nains, excepté Mogar lui-même. Katalina le savait, pour avoir en partie partager ce savoir.

C'était d'ailleurs en grande partie à cause de cela qu'elle se lançait dans sa croisade. Ça, et la Voix des Morts de Dun Eyr, chargée de tristesse, emplie d'amertume. S'approchant, elle mit un genoux à terre et prit doucement la tête du nain entre ses mains, la redressant. Même si ses yeux morts ne pouvaient le voir, elle sourit.

« Tu dois continuer ta route. Trouver un nouveau foyer, une nouvelle vie à offrir à ceux qui te suivent. Quand tu y seras parvenu, nous nous reverrons, et tu me diras si tu souhaites toujours mourir. Lève toi, maintenant. »
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MessageSujet: Re: S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr   S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr I_icon_minitimeLun 17 Jan 2011 - 22:59

Voilà, il l’avait fait.

La Prêtresse terrible, aux doigts si aquilins, lui intimait de se soumettre, et il se soumettait – elle donnait ordre de se relever, et il se relevait. Avec moins de Nain qu’un costume.
La Mort était un admirable marionnettiste.

Eux, tous alentours, ici amassés, les bœufs bêlant de la foule, le peuple crasse de ces terres, les ignares, qu’étaient-ils d’autre que les sémillants pantins de la Grande Dévastatrice ? Là, sous ce Soleil mielleux, ils marchaient, ils cheminaient, encore vifs, vigoureux ; certains, à l’appui d’une canne, d’autre au secours d’un bâton – mais tous bondissaient droit et fiers comme Artaban, ou comme les beaux Loups de la Guerre ; et volaient les rires. Que craignaient-ils, que redoutaient ces grands, ces magnifiques Fils des Hommes en leur cité toute de pierre engoncée ? Ils étaient la beauté et la jeunesse, la vigueur qui battait les vents.
Si tous, un instant, avaient pris le temps de ravaler l’éclat d’un rire, peut-être auraient-ils entraperçu quelques mésanges qui s’enfuyaient au loin ; et ces plumes, ce duvet des moineau, que faisait-il à choir parmi les airs ? Il était que des fils, de grandes lianes de soie, s’enlaçaient de la carcasse de tous ces hommes, du nourrisson au père, et du contremaître à l’usurier ; partout, Serramire n’était que vastes filins d’argent, qui vous enserraient les épaules et les gorges pour s’en aller se ficher sous le grand dos des nuages, là où s’affairaient les longues et interminables phalanges d’une belle main – froide, et bleuie par le gel, mais terrible en ses étaux.
La Marionnettiste devait bien se jouer de ses pantins.

Mais au reste, qu’importait ? Quelque part, dans le fond de ses chausses, et à l’entournure de sa capeline, quelques petits cordages devaient bien servir d’espar pour Dun Eyr lui-même…
Maîtresse des poupées ou ombre perdue de son âge, le Haut-Prêtre ne savait bien qu’était cette grande essence de robes et de voiles, qui devant lui murmurait qu’une petite ombre de salut dormait quelque part.
Que les Nains eussent été éventrés appartenait désormais au domaine des certitudes – qu’ils eussent tous péri sous le couperet relevait des possibles. L’unique question portait sur l’état du rafiot, de la grande Barque des Montagnes ; et voir si quelques frimousses rémergeaient du nœud de cordages après l’avarie, après la tempête ?
Ce doute avait obsédé notre Nain juché sur son poney – et la Déliquescente lui avait offert les prémisses d’une réponse.

Qu’il soit bien connu que les Nains ne sont pas enclins aux papouilles et galimatias de l’affection, et que les embrassades mouillées d’un lendemain de larmes sont fait de guerre pour un clan – aussi saura-t-on la grandeur de la Dame Murmurante, lorsque Dun Eyr bondit à l’accolade de son immense silhouette ; lui, le petit courtaud du jarret, enfoui dans les jupons de la Belle de Nuit.
Et là, contre la cuisse de la merveilleuse, ses bras potelés palpitant à l’embrassade des jupes splendides, le parfum de la Dame vint éveiller quelques visions dans l’âme du petit Voyageur.

Kirgan, revoilà la Belle du Nord, la Troglodyte aux boucles de marbre.
Partout, ce n’était plus que paix et sérénité ; clame, luxe et volupté. Oh, bien sûr, ces petites flammèches de bataille, et quelques suies noires jaillies à l’assaut des murs de granit, vous donnaient l’air trouble des fumées de guerre qui ne sont pas toutes enfuies. Mais des Galeries aux Chambres, et des Chambres aux Cavités, nulle dépouille, nul cadavre mortel de Ceux-qui-s’en-furent. L’atroce tuerie avait relevé ses voiles barbares, et quelque grand souffle des pavés achoppés avait balayé le sang et le cervelet. Quelque part, dans les entrailles de roche, une ombre de serpent traçait des mimiques de feu, un antique destructeur au nom de Holwerm.
Pourtant, la vieille Troglodyte n’avait cessé de battre et bouillir au son des maillets. D’entre les piliers, de quelque tréfonds, voilà que reparaissaient les doux sons du fracas des armes, de la masse abattue sur le roc, et de quelques fourneaux et de quelques forges. Déceler là-dedans l’ombre d’une barbe, c’eût été bien rude, mais des frimousses agitées, quelques sourcils qui murmuraient parmi les rocailles, voilà que tout Kirgan vous revenait un instant à la vie ; ils étaient obscurs, ces Nains, ils flairaient le souffre des magiciens, mais des pénombres de figures repassaient entre la poussière des rocs.
Dun Eyr, seul fermement campé en ses bottes, voyait çà et là flotter en tourbillon les vieux compagnons de la bagarre, les camarades de la chopine ; de petits reflets, des esquisses de Nains, tout ce qu’il restait d’un vieux peuple suranné, de ces admirables barbares qui pourfendirent les légendes du tranchant d’un hache. Encore, devant le Haut-Prêtre, tous se dérobaient – mais voilà qu’une arcane se profilait à la barbe du Nain, le vaste écart d’une voûte de roche : et au-delà palpitait le véritable cœur de Kirgan, le grand rugissement des Nains revenus de l’ailleurs lointain.

D’un pas, d’un grand bond de Petit Bonhomme, notre Dun Eyr franchit la voûte céleste, et ce fut l’univers des Nains qui déploya ses ailes de roche pour sa gloire. Tous, ils étaient là ; tous, ils souriaient – les vieux briscards, les matois et les autres, ils grondaient comme seuls savait l’être heureux le Peuple des Petits.
Par-delà l’Arcane, ils observaient leurs frères encore vifs ; et ils leur portaient l’honneur de leurs chopines.
Kirgan chantait encore.


Lorsque Dun Eyr émergea de sa vision troublée, il eut la surprise de se trouver noyé entre les jupons de la Dame. Et de l’arcane à ses cuisses, de la grotte aux mystères de sa robe, il n’y avait qu’un pas que notre Nain baladeur avait franchi en rêverie.
D’un bond poli et révérencieux, mais non sans le sourire, Dun Eyr se retira de sa compromettante position.

Il était d’autres voies pour remercier sa bienfaitrice lunaire ; et celle-ci en fut une :

– Maîtresse de l’Echeveau des Possibles, toute le sagesse des Nains ne saurait trop vous remercier. Et si bourrue, si brute que soit notre petite peuplade, elle a quelques palpitations qui encore la travaillent au cœur, et je sais bien de petits îlots qui sauront prémunir contre l’insolation les bons amis venus faire sur notre concession d’affectueuses révérences.

Il marqua la pause d’un instant, et reprit avec la tumultueuse joie des buveurs de bière – et toutes ses dents, quoique jaunâtres, rayonnaient devant la Belle :

– Un jour alors, Ma Dame, nos petits bouts de sentier se recouperont – et nous verrons si les quelques braillards de mes frères ont tous succombé aux caprices de l’Adieu.

Oh, non ; cela ne signifiait pas grand-chose, ces quelques paroles, mais peu importait – Dun Eyr n’était plus tout à fait à sa conversation.
D’entre les visages de la foule, l’un avait jailli aux yeux de notre Nain. Ni plus beau, ni plus grand, et à peine plus régulier de traits, il était une sorte de valetaille crottée par les ânesses, un petit palefrenier d’écurie au tabard noyé de purin. Mais qu’importait la couleur, ou bien même l’odeur ? Car ses yeux, deux grandes pépites de montagne, possédaient le fol éclat d’un grand échalas d’ironie, d’un mutin – en un mot, d’un Moqueur.
Lirgan ?...

Las, déjà reparti, le petit garçonnet aux mulets.

Mais Dun Eyr conservait un éclat de ses yeux en souvenir d’adieu, et ce fut avec grand’ joie que notre Nain se tourna à nouveau vers la splendide, la grande Prêtresse du Nanesque Renouveau.

– Quand saurai-je, Ma Dame, vous retrouver sous les cieux ? Et n’y a-t-il pas un petit fragment de lueur que je puisse emporter avec moi, dans mes fontes et besaces, pour que les Parias de la Poussière se ressouviennent d’un jour de vie en Serramire ?
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MessageSujet: Re: S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr   S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr I_icon_minitimeMar 18 Jan 2011 - 16:32

La lumière. Belle, pure, blanche, trop blanche même. Aveuglante. Pourtant, Katalina ne se permit pas de fermer les yeux. Qu’elle les lui agressât ne comptait pas, elle aurait pu les lui crever, sa paupière n’aurait pas frémi. Aveuglée, mais de blanc et non de noir, et œil plongé dans les ténèbres n’est pas très regardant. Ce ne furent d’abord que des formes, des tâches de peinture éparses sur une toile encore vierge. Des visages, ça et là, sans plus de détail qu’un ovale griffonné. L’esquisse brumeuse d’une forge, véritable monument nain creusé à même la roche, que la chaleur grondante aurait brouillée. Jamais Katalina ne s’était aventurée au Nord, et jamais donc elle ne se confronterait à Kirgan la Grande, Kirgan la Foisonnante, mais qu’importât son ignorance, elle comprit. L’espace d’une seconde qui en dura mille, elle contempla ce qui avait été et serait à jamais dans le cœur du peuple renié.

Puis le rideau tomba. Et les ténèbres, comme si elle n’avait attendu que cela, rejaillirent, emprisonnèrent ses prunelles et les étouffèrent. Aveuglée, de noir et non de blanc, mais œil plongé dans les ténèbres sait ce qui l’attend. Ce qu’avait vu Dun Eyr, elle n’avait fait que l’entrevoir. Comment, pourquoi, elle n’en avait cure, pas plus qu’elle ne se soucia des regards qui convergeaient sans doute vers eux.

« Nombreux seront encore les Adieux. Mais nombreux aussi seront les Bienvenus. Bien plus, si Néera le veut. »

Aveugle, certes, mais non pas stupide, elle n’avait pas besoin du sourire pour deviner la joie. Et que le Haut-Prêtre la ressentit, alors même qu’il avait frôlé l’abîme, alors même qu’il avait retourné contre sa gorge son amie de toujours, oui, qu’il la ressentit malgré tout cela la mettait en joie, elle aussi. Comme si, devenu soudain brasier de félicité, Dun Eyr allumait d’autres foyers. Son âme pleurait toujours. Pleurait, oui, mais s’apaisait aussi. Et là où elle n’avait recueilli que le mépris de l’Ancenois, là où elle n’avait ressenti que la violence de la Rose Noire, elle accueillait la gratitude du petit Haut-Prêtre.

« Est-ce cela dont tu as besoin ? D’un espoir ? » Une pause, un battement de cœur, et autant de temps pour réfléchir. « C’est ce que nous voulons tous. »

Et sur cette réponse qui n’en était pas une, elle sourit. Se penchant légèrement, elle saisit la main du nain, celle qui du givre n’avait pas goûté la morsure, et déposa ses doigts sur sa paume. Ce qu’elle voulait faire existait déjà, il lui suffisait de lui donner une nouvelle réalité, plus tangible ; tout n’était, au fond, qu’une affaire de partage. Alors elle se focalisa sur cette idée qu’elle gardait pour elle, et ses ongles tracèrent doucement leur route sur les cornes du tailleur de pierre. Il avait réclamé un fragment de lueur, et elle le lui donnait. Sous la forme d’une poussière d’océan, d’un éclat de rosée, d’une goute de pluie emprisonnée dans une prison de glace.

« Elle n’est pas éternelle, mais contre la rage du Guerrier, elle saura te protéger. Quand le temps l’aura perdue, je te retrouverai. Mais perds la toi-même, et jamais plus tu n’entendras parler de moi. »

Sous la protection de la pluie faite pierreries éphémères, le feu du Père resterait impuissant. Il faudrait son plus proche servant, pour briser cette promesse, et s’il venait à s’approcher de son protégé, alors Katalina le saurait, et pourrait le mettre hors de danger. En attendant, elle espérait que ce présent offrirait à Dun Eyr la possibilité d’un nouveau départ, tout comme elle espérait que le nain ne gâcherait pas la chance qu’elle lui offrait.

Se redressant tout à fait, la Serramiroise porta son regard aveugle sur la place curieuse. Peu comprenaient ce qui venait de se passer, mais les manifestations successives de pouvoir les avaient fait s’écarter avec prudence. Et c’était avec autant de prudence que Katalina attendait. La foule est un animal étrange, qu’un mouvement pouvait effrayer, qu’un frémissement pouvait enrager. La Gardienne le savait, et craignait une réaction disproportionnée.

« Où iras-tu ? »
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MessageSujet: Re: S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr   S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr I_icon_minitimeJeu 20 Jan 2011 - 11:07

Le vieil astre barbu de feu, comme lassé de dorer l’univers Serramirois de ses longs bras d’organza, avait laissé planer sur les airs un dernier bâillement rougi de fatigue, et s’en voulait retirer sa vieille carapace de Soleil derrière les petits monts de sa nuit. Sous les préparatifs de l’adieu au jour, la longue ville s’était empourprée de vastes reflets sanguins et charnels, comme l’interminable silhouette d’un guerrier assoupi dans le reflet du crépuscule ; partout, le plastron d’Hommes et de pierres luisait paresseusement à cette heure de l’épuisement.
Dans l’écrin de flammes qui enrobait toute leur petite fourmilière de bipèdes, Dun Eyr s’était courbé une fois encore devant l’Ondoyante Dame, tant pour recevoir le miraculeux présent comme une larme, que pour éviter le violent éclat de l’argent dans un monde doré à la feuille d’orichalque. Il était vrai que les Nains savaient vivre dans la fascination du beau joyau, et qu’un éclat de diamant était pour eux le digne égal d’un rôti d’ours braisé aux champignons cavernicoles – mais pour autant, cette larme de pluie là embrasait de glace le monde d’alentour, et c’était, pour le paria en fuite qu’était Dun Eyr, une lumière trop noble entre ses lourds doigts gourds de chevaucheur-de-chèvres. Toutefois, ce fut grand’ joie pour son âme de ciseleur, et d’arpenteur des galeries foisonnantes, de retrouver les impertinentes ridules du cobalt rieur, dans les soupçons de la pierre de glace.
Avec la reconnaissance fébrile de l’élu – et un soupçon de l’avidité séculaire du Petit Peuple des chapardeurs – le Haut-Prêtre s’empressa de faire disparaître le joyau dans le sein de ses doublures, quelque repli secret du Nain sous les tissus ; et ses yeux brillaient joyeusement en contemplant le visage toujours si impassible de la Splendide Silencieuse.
Il était vrai qu’offrir un éclat de pierreries à ses paumes, voilà bien qui savait raffermir la poitrine fuyante par une vaste bouffée d’espoir tourbillonnant.

– Les bannis que nous sommes, vous adressent dans l’honneur un merci.

Puis alors, tandis que les badauds badelants des environs contemplaient nos deux honorables avec les soupçons du paysan, le Nain s’arrogea enfin le droit de toiser tous ceux-là, tous ces colporteurs, ces chalands achalandés, ces usuriers et bouilleurs de crus qui étaient de la Noble Race des Hommes, tandis que lui aurait dû soupirer à la dérobade sa nature de Court-Jarret.
Cependant, la belle lumière avait endurci les prunelles du Nain, et il était lointain le temps où un affolé cavalier-à-poney venait commander dans un souffle, iris abaissés, qu’une nouvelle monture portât sa carcasse loin des gentilshommes Serramirois. Un regard de plomb porté sur les mille faces de la foule, et Dun Eyr s’immisça dans ce qu’était ce grand repli de laboureurs qui passait et repassait alentour des deux, de la Dame et du Nain.

Combien, de ces écuyers miteux, de ces aubergistes de gargotes crasses, de ces polisseurs de chausses et lustreurs de selles, combien des tanneurs et des miliciens appuyés à leur bouclier sans éclat, étaient des enfants qui avaient déviés de leur petit sentier ; ou bien qui, de la foultitude des ennuyés, était un gamin joyeux qui avait pris le sentier sans caillou, le sentier sans bourrasques, pour parvenir à la porte de son auberge poisseuse ? Ils étaient tous des espèces de météores chargés par l’ennui, et qui avaient pris la paresse de demuerer à quai, lorsque les véritables traînées d’étoiles s’emparaient du firmament ; et eux, trop lâches ou trop las, avaient fait le parti d’être de ces poussières solaires, qui tombent lentement sur les chaumières de paille, avec langueur.
Combien de généraux, combien de princes, combien d’empereurs parmi ces visages bouffis de fatigue ; et qui, épuisés d’un néant, ronflaient confortablement à naseaux redoublés ? Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers, qui s’enfouissaient dans leurs taudis plombés, pour dormir un peu à l’ombre de la tranquillité.

Dun Eyr, lui-même, aurait été un visage parmi les vagues vitupérants, et son petit corps replet serait venu grossir la foule des incommodés du courage, qui se repliaient sous leurs caparaçons de silence ; déjà, il est vrai, il avait rêvé fermette Lantoise, et biquettes Lantoises, et fleurettes Lantoises, bref ce petit éclat rosissant qui avait su enténébrer sa vaillance. Il était vrai qu’une petite chaumière dans les environs de la ville, quelques navets à regarder croître sous les saisons, et la taverne pour repos et repli d’avec ses compagnons laboureurs, que rêver de mieux ? Il aurait eu la paix pour le siècle qu’il lui restait à traverser.

Mais pourtant, une vaste gifle était venu balayer ses petites causeries vespérales sur les rendements de la terre Lantoise – et c’était d’un bras blanc comme neige, guidé par deux prunelles aveugles, qu’était venue la gifle salutaire.
Le Nain reprenait pied sur son météore, et à califourchon de la comète, il bondissait vers les grands destins des petits d’entre les Braves.

– Les Nains ont trouvé aussi avides qu’eux sur la terre, et il est une Suzeraine de Sybrondil qui attend à poignes ouvertes les deniers des Nains. Nous irons là-bas ; certains de mes frères patientent en mer. Mais je ne sais si ma course s’arrêtera dans une province des Humains, ou plus avant vers l’Est encore obscur.

Alors, grisé de sa joie, et ravi par la rencontre de la Dame, Dun Eyr voulut à son tour lui offrir un présent de sa reconnaissance, comme gratitude des pas-si-petits envers les certes-grands.
Et, tirant de ses longues besaces à outils une petite bourse cordonnée de soie, il en extirpa cinq minuscule statuettes qu’il fit rouler sur sa main. Elles étaient ciselées par la délicatesse d’une arachne, et la légèreté d’une petite souris de montagne tout à la fois ; et, d’entre toutes, Dun Eyr choisit la plus blanche des idoles, celle qui fut façonnée au cœur du marbre sans nervures.
C’était l’effigie d’une longue Dame, aux vastes replis de mantelet frémissant sous la brise de l'artisan.

– D’entre les Cinq, Éternelle Dame, voici Celle qui est nommée Tyra ; selon Sturkh le Jeune, avant que Nééra ne se dérobât à ses années.

C’était, cueilli sur le sol de basalte du Temple Eboulé de Lirgan, l’un des ultimes éclats de la grandeur d’antan ; les petites babioles d’un Aspirant aux doigts-dansants, la dernière œuvre sous le regard du Moqueur.
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MessageSujet: Re: S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr   S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr I_icon_minitimeJeu 27 Jan 2011 - 23:50

Dun Eyr avait voulu mourir. Il avait levé son arme, non contre la silhouette qui lui faisait face, mais contre elle. Son doigt avait pressé la détente, scellant son choix. Quel plaisir, dès lors, de l’écouter. Simplement l’écouter. Si elle l’avait pu, Katalina serait restée muette. Malheureusement, une discussion se faisait rarement seule, et pour profiter de l’entrain du nain, il fallait l’entretenir.

« Garde tes remerciements, haut-prêtre. Le temps nous dira si j’en suis réellement digne, c’est lui qui me rappellera à toi, n’oublie pas. »

Elle pouvait la sentir, toute proche, sous la protection de son protégé. Un léger sourire ourla les lèvres de la Gardienne à cette amusante pensée. Elle était liée, désormais, sans possible retour en arrière. Les choses se mettaient en marche d’elle-même, et elle sentait qu’enfin, elle était celle qui choisissait leur direction. Durant son enfance, on lui avait conté ces histoires merveilleuses. On lui avait empli la tête de rêves, faits de fées et d’elfes, de dragons et d’ombres menaçantes, de dangers et de trésors. On lui avait ensuite expliqué que sa vie serait bien différente, que si le devoir était important, il prenait pour elle une forme bien différente, faite de renoncements et de sacrifices. Bien des années avaient passé depuis son premier mariage, et les contes lui revenaient finalement en tête.

Bientôt, elle tournerait son regard aveugle vers le nord, et sur les montagnes ravagées se pencheraient. Impossible ? La joie de Dun Eyr lui soufflait le contraire.

« Que Sybrondil soit une destination ou une étape, qu’importe ? L’important est que plus jamais tu ne baisses les bras. Je ne serai pas toujours là pour te sauver. »

Et ses yeux riaient, et sa voix chantait sa bonne humeur. Sûrement le devait-elle au nain, qui avait le bonheur communicatif. Un bonheur qui s’accrut encore quand elle reçut des mains boudinés du haut prêtre une petite statuette. Elle tendit la main avec solennité, et frissonna malgré elle sous la fraicheur du marbre. La portant face à son visage, elle caressa les cheveux de pierre et sourit. Ses doigts caressèrent l’ouvrage ; elle regardait, exactement comme le lui avait appris Aerandir. Et ce qu’elle voyait lui plaisait.

« Un cadeau magnifique », voulut-elle commenter avec retenue, mais sa voix tremblait légèrement. « Honore la mémoire de ton Aspirant, fils des montagnes. »

Elle le sentait, presque trop réel, sous un doigt qui n’aurait du effleurer qu’une absente d’irrégularité. Un N invisible, à peine perceptible même pour qui savait quoi regarder, mais pourtant bien présent un peu au dessus du cou. L’envie lui prit de porter sa main à sa propre marque, mais elle n’en fit rien. A la place, ses phalanges serrèrent doucement ce qui apparaissait comme un miracle ; à moins qu’il ne s’agît d’un signe, elle n’en savait rien, et ne poserait pas la question.

Malgré tout, elle restait une mortelle, et il y avait des secrets que jamais elle ne pourrait percer.
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MessageSujet: Re: S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr   S'écrasent au Nord les Larmes de Pierre | Dun Eyr I_icon_minitimeSam 5 Mar 2011 - 14:03

Décocher à son cou un carreau pouvait bien n’être guère gourmand en temps, les nuages et les heures avaient passé au-dessus de Serramire, et le bon peuple du Marquisat avait bougé et bouillonné autour d’eux.
S’il fallait ne reconnaître qu’une vertu aux joyeux badauds des environs, c’était bien qu’ils savaient se montrer discrets et respectueux – ou simplement indifférents – et il n’était maintenant guère plus grand-monde qui ouvrait des yeux ronds comme deux tournesols à voir une grande ombre diaphane babiller avec un Nain passablement suicidaire. Oh, bien sûr, de temps à autre, un petit garçonnet des écuries, un demi-écuyer, ou l’once d’un gamin de gargote venait pour jeter un caillou à ce petit gnome difforme du centre de la place, et s’assurer par là qu’il était bien un de ces machins de l’antique légende, un Nain.
Mais dès lors que se retournait le « machin », disparaissait notre charmant bambin.
Les mouches, quant à elles, ne s’y étaient guère laisser tromper – et c’était une cohorte bombinante qui faisait ripaille des restes du poney éreinté. Un festin d’esthète, un moiré de couleurs.
Peu ragoûtant néanmoins.

Les événements récents avaient laissé quelques échos alentour ; une arbalète fracturée, des débris de carreau runique, et quelques reliefs de larmes parsemaient encore le pavé argenté, çà et là. Les reliquats de notre petit impulsif de Nabot du Nord, épandus alentour.
Restait désormais à s’assurer de ce qui toujours avait fait la joie des Nains, la bombance et le repos. A cavalcader à bride abattue sur les monts du lieux, à bondir ainsi dans sa fuite vers les bateaux du Sud, Dun Eyr avait pris au ventre le fringale des grands errants – et ce n’était guère sans convoitise qu’il lorgnait les bêtes d’écuries des environs, quelques carnes que ce fussent.
Cependant, il n’était pas à parier que la Longue Dame fût disposée à venir partager son repas dans un bouge des ruelles, encore moins à lui offrir le repas – car n’est pas Nain celui qui n’est pas avide de préserver ses rubis, et de ne point les donner sur l’ongle à un quelconque marchand de viandasse flétrie.

Le Nain avait pourtant l’œil – au surplus d’avoir l’estomac – et une longiligne silhouette de Blanche Dame, au si noble port, et si riche de splendeurs en ses robes, ne pouvait guère loger sous le parapet des pontons et colombages. Sans compter que les tavernes des environs n’auguraient que maigre pitance, et rude accueil pour les Nains.
Ne restait plus qu’à se faire offrir gite et bienvenue par-devers la demeure de cette noble âme, à la noble fortune, sans doute pensable.

Il toussota un brin, s’éclaircit la gorge, et laissa retomber ses fières épaules – un soupçon de comédie, mais une louchée de véritable anémie.

– Madame, les Nains vous remercient, par la voix de ce qu’il reste d’entre eux. Et si à n’en pas douter les petites œuvres de Sturkh trouveront bien grâce aux yeux d’une étagère oubliée dans le coin d’une pénombre, vos présents à vous demeureront bien assurés dans l’âme du Nain, votre obligé.

Il laissa tomber un soupir entre ses dents.

– Mais votre serviteur a bien cheminé aujourd’hui, et les bouleversements de sa vie n’ont su lui faire oublier que la chair va en se repaissant d’autre chair. Partagé entre le besoin de courir encore, et celui de demeurer pour retrouver des esprits, je me trouve bien honoré de vous offrir de partager quelque grappe de raisin, quelque coupe de vin pour saluer la beauté du jour.

Grappe de raisin et coupe de vin, c’était façon de parler.
Il eût dévoré un ours, éclusé une pleine cave de houblon.
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