[boutique de Ranaghar] Livraison au Palais de la Luxure | Ssinssrin

Tout commença par de l'encre, glissant, se courbant, se reposant avec élégance sur le papier, formant des mots, des lignes, des pages entières parcourues avec une soif telle qu'on pu comparé à celle d'un nain privé de sa boisson fétiche des jours et des jours, recherchant l'ivresse avec une férocité sans pareille, et ivre, il l'était. Ivre de ces connaissances, de ce savoir dont il s'abreuvait depuis des heures déjà, ne marquant un temps de pause que de brefs instants, le temps d'attribuer des tâches à sa chose verte et de faire une remarque sur l'air renfrogné qu'il affichait avec une constance digne d'une statue, figé, à laquelle il recevait pour toute réponse un grognement.
En somme, c'était un début de journée classique, sans frivolité pour l'égayer davantage, une routine à rendre dingue quiconque ne l'était pas encore, ce qui, d'après les dires, et tant d'occasions, ne semblait pas être le cas du Façonneur. Réalité pouvant paraître au combien ennuyeuse à tout ces excités de l'épée, fier de brandir tant celle de fer que celle de chair pour impressionner les dames, tout ces imbéciles, mous du cerveau et avide de faire gicler toutes sortes de fluides corporels dont il est inutile de conter la nature.

Mais quel intérêt à une journée banale sans un événement pour rompre le plus paisible des rythmes ? Aucun ! C'est pourquoi le son des clochettes, astucieux et pourtant si simple système propagé dans l'ensemble de la boutique faisant également office d'atelier mais aussi de laboratoire, du moins, pour les expériences les plus basiques, le tira de sa lecture, l'avertissant qu'un client se présentait à sa porte.

« Klez ! Vas ouvrir, tout de suite ! »

Et il se rendit lui-même dans le vestibule, seule pièce dans laquelle les clients pouvaient pénétrer, à vrai dire, du moins, sans crainte... Quelques imbéciles avaient déjà tenté d'aller plus loin, non sans recevoir quelques accueils ardents ou bien encore la déception d'une porte résolument fermée. On le traitait de fou, de paranoïaque tant sa maison était truffée de piège savamment poser pour dissuader et repousser un fouineur.

L'individu qui pénétra dans la pièce après que la peau verte ait ouvert la porte, se faisant petit, la tête toujours basse, était vêtu comme un prêtre, portant la marque d'Isten Okhras'Gaath, la Déesse de la Luxure. Les affaires pouvaient reprendre !
Il l'écouta, prenant sur lui de ne pas punir son ton et son air hautain, comme si ce mou du sifflet valait mieux que lui. Il était façonneur ! Une rareté, d'une valeur sans comparaison possible avec un fichu prêtre tout juste bon à siffler les femelles, à mettre des mains aux fesses et à reluquer sans vergogne, usant de charmes magique tant la nature l'avait bien mal pourvu. Aussi, avant même que le fameux client qui n'en serait pas un bon ait pu plus en dire, déjà avait été t-il prévenu, il ne faisait pas dans le charme pour renforcer la virilité, commentaire qui fut bien mal prit, mais le prêtre poursuivit, rendant les choses bien plus intéressantes.

C'était donc la Haute Prêtresse, Ssinssrin, dont la réputation et les on-dit, car il ne l'avait jamais vu, faisait bien des éloges, surtout grâce à l'impressionnante différence, le fossé qui la séparait de son prédécesseur, un être plus bizarre et torturé dans l'esprit qu'un façonneur qui aurait perdu la tête, dont déjà, il avait oublié le nom. La description avançant, la commande avait sa valeur, et il y vit un apport pécuniaire plus bienvenu, mais aussi l'occasion de faire sa publicité auprès des très hautes sphères... Les portes des hautes autorités du Puy d'Elda, à sa portée, quelle aubaine !
Mais l'envoyé fit une erreur qui mit fin brutalement à la discussion... Il réclama que le travail soit bien fait, enfin, pas comme ça mais il ne fallait pas que la qualité déçoive sa maîtresse ! C'était l'offense, l'insulte de trop après cette hauteur qu'il avait prit ! Trop, c'était trop !

Il l'attrapa par le col et le conduisit à la porte avant de le foutre dehors, criant ensuite.

« Et ne revient jamais ici, cervelle de gnome ! On ne remet pas en cause ma réputation, jamais ! »

Et il multiplia les noms d'oiseaux, agressant vraiment, sous les yeux de passants, rabrouant le prêtre avec une audace que d'autres, témoins, n'auraient pas eu, mais il était fou, après tout. Mais le pauvre prêtre, sale type rancunier, incapable même de s'excuser, pour toutes réponses jeta un sort, que le façonneur découvrit être un sort qui le rendit impuissant, au grand damne d'une charmante conquête qu'il était parvenu à amener dans son lit, au terme d'une soirée d'ivresse.
Dès lors, alors même qu'il travaillait sur la commande de la Haute Prêtresse, il prépara un sale tour vengeur à l'adresse du vilain ! On insultait pas et on ensorcelait pas Ranaghar impunément !

Les jours passèrent jusqu'au jour de la livraison où il descendit et pénétra dans la chambre où avait été bâti et creusé le Temple d'Isten Okhras'Gaath, accompagné de son assistant, le gobelin Klez, véritable aimant à regard, autant que son maître, vêtu d'une tenue des plus soignés, une tunique à la teinte semblable à l'amethyste, surmonté d'une longue cape d'un rouge légèrement terme sur lequel était brodé des dragons verts. Il tenait dans ses mains un tout petit coffret en bois, des plus simples.
A côté, légèrement en recul et plus bas, le gobelin lui portait un présent bien plus imposant couvert pour l'heure d'un drap blanc, afin de le cacher aux regards des curieux.

Quand on lui demanda le motif de sa visite, alors qu'il allait voir une prêtresse, la première qui lui tomba sous la main, il se présenta comme le Joaillier auquel la Haute Prêtresse Ssinssrin avait passé commande. A cela, il ajouta en tendant le petit coffret qu'il fallait porter, après avoir averti la Haute Prêtresse, ceci au prêtre qui était venu passé commande, un petit présent modeste, en guise de d'appel à la réconciliation, ils étaient parti sur de bien mauvaises bases, après tout.

Elle le conduit dans une alcôve, pour ne pas ennuyer les allers et venus des fidèles et visiteurs autant que pour le faire patienter confortablement, et s'en alla tant quérir la maîtresse des lieux, mais aussi apporter son présent de paix à son destinataire.

Les caprices de Ssinssrin sont innombrables. Certains ne quittent jamais son antre, ils sont autant de secrets qu’elles partagent, protègent jalousement du monde. D’autres ne sont jamais formulés, ils sont ourdis, selon la volonté d’Isten, comme autant de toiles qu’elles tissent. Les derniers, les plus nombreux, accaparent l’attention du Temple, dès l’instant où ils glissent hors de ses lèvres jusqu’au moment où brille la satisfaction dans son regard. Parfois, ils sont murmurés, suppliques délicieuses à l’oreille de l’élu. Parfois, ils martèlent les esprits, s’y ancrent sous le joug de l’ordre donné. Et très rares sont les plaisirs contrariés.

Ce jour là, la Fille d’Isten a voulu se parer de nouveautés, rien de plus. Les choix ont été laissés aux prêtres, et depuis, elle attend. Sur sa peau se sont succédé des bijoux par dizaines, tous des merveilles amassées par le passé, et pourtant elle n’a pas oublié. Il lui tarde de contempler l’amour des siens, d’en apprécier la beauté ou, au contraire, de souffrir sa disgrâce. De son ravissement naîtront les récompenses, de sa déception les châtiments, mais nul ne peut prévoir, car ainsi est Ssinssrin. Imprévisible, à jamais. L’humeur, l’envie, l’intérêt… et le visage, bien sûr, qu’elle aborde sur l’instant sont autant d’altération à son jugement. Laquelle l’a voulu la première, elles ne le savent plus, s’en moquent, car ce que l’une désire, l’autre le convoite, pour elles, pour elle. Laquelle reçoit, elles ne le savent, car le Jeu ne saurait s’écrire à l’avance. Le sort en décide, et joueur, il a choisi la Soumise, et la Soumise s’épanouit à l’annonce de la bonne nouvelle.

« Vraiment ? »

Se dessine sur ses lèvres alanguies un sourire ravi, sincère et impatient. Elle quitte, féline, sa montagne de coussins, arrache sa peau frissonnante à l’étreinte doucereuse de la soie. Véritable Reine en ces murs, elle n’en reste pourtant pas moins en retrait, invitant d’un signe de tête la prêtresse venue l’informer de lui montrer la voie là où sa sœur aurait simplement ordonné, la tête droite et le regard fier.

« La pièce est-elle à votre goût ? »

Elle sourit, observant les teintures, admirant les jeux de lumière tamisée, comme si elle les découvrait en même temps que son invité. Avec lenteur, elle le rejoint, prenant le temps de le détailler. Elle-même est vêtue comme à son habitude, de brumes légères, tentatrices audacieuses, maintenues prisonnières par le collier d’Isten. Ses cheveux courent libres sur ses épaules, et la peau de ses pieds caresse les roches polies du Temple. Ses yeux carmins s’attardent sur les improbables couleurs, et s’arrêtent sur le vert d’une peau blafarde. La surprise se dispute à la répugnance. L’être est indigne de la demeure d’Isten, il n’est que difformité et absence de grâce, simple déchet d’une création dont il est étranger.

« Sa présence est-elle réellement obligatoire ? »

La Soumise ne cache pas son dégoût, pourtant, la honte de la créature ne rejaillit pas sur son possesseur. Surtout qu’à l’instant où son regard se pose à nouveau sur l’orfèvre, elle le découvre enfin. Elle le laisse apercevoir sa surprise, et interroge, d’une voix mesurée.

« Que vous vaut l’ire d’un servant d’Isten ? »

Les minutes défilent tandis qu'il attend, regardant autour de lui les ornements et l'architecture de l'alcôve dans laquelle on l'a conduit pour patienter. Il observa avec un mélange de crainte et d'amusement les tremblements du gobelin sous l'obligation de tenir la commande, debout, le poids pesant toujours un peu plus sur les petits bras fin. C'était une torture qui n'avait rien d'obligatoire mais qui satisfaisait les envies du drow de le voir souffrir gratuitement.

Et arriva finalement celle qu'il souhaitait voir, la Haute Prêtresse d'Isten, Ssinssrin, qui, en guise de premier contact lui demanda si la pièce était à son goût. Mais qu'est-ce qu'on se fichait de savoir ce qu'il pensait de la pièce hein ? Bon, il n'allait tout de même pas répondre ça, il était certes fou, enfin, surtout aux yeux des autres, c'était justement ces autres là, les fous, du moins, atteint dans sa propre perception des choses, mais c'est une Haute Prêtresse, une cliente et une publicité potentielle, elle parlerait à ses pairs, à ses proches peut-être de la qualité des bijoux qu'il lui donnait, de la beauté de l'œuvre. Penser à l'avenir et aux profits qu'il engendrera, non à la futilité des présentes questions.

« Et bien... C'est coquet et confortable. »

Il ignorait si c'était ce qu'elle espérait, mais s'en fichait... La seule manière dont il contentera cette femelle, enfin, la seule manière prévue, après y a toujours des imprévus, et les servants d'Isten ont une possibilité de surprise qui, dit-on, est des plus agréable, aussi, elle ne serait pas mauvaise, mais dans tout les cas, pour l'heure, c'était les bijoux, les bijoux et encore les bijoux.
Il observa avec un amusement tant la surprise que le dégout qu'inspirait son assistant à la peau verte, répugnante créature en un lieu qui prône le désir et les envies charnelles, et il avait amené une créature hideuse et dégoutante, et, quand elle demanda si sa présence était obligatoire, il répondit simplement.

« Jusque là, oui, il devait porter votre commande, mais si vous y tenez... Klez, pose ça délicatement sur la table et attends moi dehors. »

Le gobelin pour la première fois leva les yeux, du mépris dans le regard, mais il s'exécuta, contraint par la magie, il posa doucement le paquet, sans pour autant le découvrir avant de se retirer, la tête basse en grommelant quelques chose dans un langage inconnue, très primaire.

« Excusez-le, il est d'un naturel grognon. »

Il sourit, amusé, nullement gêné par l'image qu'il laissait paraître avec cette bestiole qui, si elle obéissait, ne semblait pas dérangé par le fait de grogner, même en pareille présence. Il écouta encore la Haute Prêtresse, son regard posé sur le drap couvrant le coffret, puis revint à la Ssinssrin. Elle mentionna le servant d'Isten, sans doute le Prêtre et son sort d'après s'être fait jeté dehors... L'impuissance, la fameuse.
Il sourit toutefois à l'idée que dans quelques instants, il aurait sa vengeance.

« Il n'a pas apprécié que je défende ma réputation dont il doutait, Haute Prêtresse, et m'a jeté un bien vilain sort pour cela. »

Il évita de mentionner tout de suite sa vengeance, elle comprendrait, du moins l'espérait-il, mais il fit tout de même une demande, car il n'avait pas l'intention de subir ce sort éternellement.

« Pourriez-vous me libérer de ce maléfice, car vous verrez que mon travail ne mérite pas qu'on ait douté un instant de mon talent ? »

Et, comme première preuve, première étape du dévoilement du présent, il tira le drap, dévoilant un coffret de bois noir incrusté de quelques pierres précieuses, commandé et fabriqué juste pour la présentation de ses bijoux, un travail de sculpteur d'une très grande qualité. Dans les coins, des femmes aux formes épanouies outrageusement dévoilées, mise en avant, des yeux faits d’améthyste, dont les jambes fines et nues servaient de pied au coffret. Sur chaque face, des scènes, des unions charnelles multiples hautement détaillés, tout appelait à la luxure, non d'une manière sale ou grossière, mais d'une manière bellement érotique. Sur le sommet, la marque d'Isten au centre et surplombant de ce qui semblait être une véritable orgie où les corps se mêlent tant qu'on ne saurait distingué les uns des autres... Le coffret lui-même représentait un véritable hommage au Culte et à la Déesse.

« C'est la contribution d'un de mes collaborateurs que j'ai commandé spécialement à l'occasion de votre demande, si vous voulez un jour à venir ses services, je vous donnerais son nom... »

Voit-elle le désintérêt briller dans les prunelles du sombre ? Bien sûr, elles sont une lumière vivace, véritable brasier dans la nuit de son ignorance. Encore aveugle, elle doit avancer à tâtons, se frayer un chemin jusqu’au cœur de ses passions, ses désirs et ses pulsions, mais elle sait déjà qu’elle n’y trouvera ni l’opulence ni le confort. Qu’importe, le Jeu débute à peine, et elle a tout son temps. Il n’est qu’une énigme de plus, une psyché dont Ssinssrin s’emparera. A moins qu’elle ne réclame le cœur du serviteur en offrande. La Soumise sait déjà le courroux qu’elle essuiera, pour avoir laissé pareil cœur battre en cette nef sacrée.

« Il vivra. Mais prenez garde, la clémence est un présent rare en ce Temple. »

Car le sang coule, en la Demeure d’Isten, et pas seulement celui de la virginité sacrifiée. La violence est souvent sous-jacente aux desseins de l’Aveugle, y apparaissant sous ses formes les plus variées.

Elle est seule, désormais, seule avec son présent, et elle découvre qu’un autre a posé sa marque avant elle. Ses iris témoignent sa surprise mais taisent sa colère et sa jalousie. L’aura de sa Déesse enlace le Joaillier, et l’envie la gagne de briser cette étreinte, sur le champ. Mais d’abord, elle veut savoir qui, et pourquoi, car Ssinssrin ne laissera pas l’outrage impuni. Qu’importe désormais les surprises à venir, il aura suffit d’une erreur pour la froisser. Elle regrette son manque de précision, mais il l’empêche de protester. Le voile glisse, caresse le bois qu’il découvre, et l’éclat verni accroche le regard carmin. La Soumise sourit, ravie, elle aime ce qu’elle voit. L’ouvrage est rempli de promesse, à moins bien sûr que son rôle ne soit pas de cacher mais de faire oublier. Elle ne peut le croire, pourtant, pas face à tant d’assurance. Trois pas suffisent pour qu’un doigt s’égare et caresse les corps dénudés.

« Je n’y manquerai pas… »

L’ongle accroche le symbole d’Isten, en suit le contour, se perd dans ses entrelacs. Finalement, comme si elle s’arrachait au chant des sirènes, elle reporta son attention sur l’artisan.

« Mais pas avant de vous avoir demandé le votre. »

Féline, elle laisse derrière elle le coffre tant loué. Elle ne l’oublie pas, loin de là, mais à soif d’autres découvertes. Alors elle apprécie la douceur de la joue, laisse son ongle l’effleurer. Le Jeu danse au creux de ses prunelles, et sa voix se fait caresse de la conscience.

« Voulez vous être libéré maintenant, ou préférez-vous dévoiler d’abord votre chef d’œuvre ? »

La clémence ? Il était hors de question de sacrifier Klez, et puis quoi encore ? Elle se prend pour qui celle-là, une Haute Prêtresse ? Bon oui, mais là n'est pas la question... C'est son assistant quand même ! Y a des choses bien pire dans ce Temple qu'un gobelin, assistant d'un façonneur, tient, au hasard, ce fichu prêtre qui allait bientôt avoir une sacrée surprise. Et puis, pouvait-elle vraiment exiger ce sacrifice ? Il n'en savait foutrement rien, et s'interrogea sur l'intérêt ou non de la faveur d'Isten, si il la satisfaisait en cas de demande... Et là-dessus encore, il ne put statuer.

« Il vivra, oui. »

Manière douce de dire qu'il ferait ce qu'il faut pour que cette vérité demeure, sans quoi, il réclamerait au Culte de la Luxure le dédommagement de la perte occasionnée, après tout, même si il pouvait, dans les années suivantes, récupérer un nouvel assistant de son petit élevage personnel, c'était une main d'œuvre qu'il perdrait, et le fruit d'un coûteuse expédition pour les cinq ou dix ans à venir.
Elle s'interroge sur la raison du sort qui est posé sur lui, mais il reste flou, elle comprendra bien assez tôt qui est responsable de l'outrage, le récupérant dans un piteuse état qu'il ne pourra cacher à son regard, et lui aura sa revanche, il ne pouvait remettre la chose entre les mains d'un autre, c'était à lui de l'assouvir.

Comme diversion d'un interrogatoire plus poussé, il dévoile le coffret, œuvre d'une superbe qualité d'un ami et partenaire d'affaire, taillée spécialement pour l'occasion, et le thème ne fait pas de doute sur ce fait, point là le travail en série et commun, non, la chose avait du demandé des heures, des jours entiers d'un travail minutieux superbement réalisé par un artisan d'expérience.
Elle apprécie le coffret où repose la commande en elle-même, dont il avait prit grand soin de faire une présentation digne d'éloge, bien que la découverte soit pour plus tard, tandis qu'elle s'arrache à la contemplation pour se pencher sur son cas, oubliant le coffre, et ses doigts qui l'instant d'avant parcourait les lignes de l'ouvrage de bois se perdaient maintenant sur sa joue... Isten et sa Haute Prêtresse tenaient-elles les promesses dont se languissent certains mâles, à la simple idée de se rendre en ce lieu ? Mais si tout ceci n'était qu'une ruse, un simple charme, quelques actes dont le but est plus discret qu'une simple coucherie ?

Il laissa s'égarer dans son esprit fou les quelques désirs charnels qui purent apparaître et s'exprimer, même physiquement, quoique la chose restera secrète, dissimulé sous ces vêtements qui ont vocation à dissimuler ce corps, sans jamais le mettre en avant, justement, au contraire des autres mâles. Il répondit alors, avec tout le professionnalisme et surtout l'arrogance d'un homme qui ne doute ni de son talent, ni de la qualité de son travail, et de chaque aspect.

« Quel piètre artisan je serais si je ne présentais pas moi-même le produit de mon Art, vous ne pensez pas ? »

Puis, comme invitation à faire mieux, niveau du charme, et donc, lui signaler que pour ce premier coup d'essai, il ne mordrait pas à l'hameçon, tout en demeurant poli et surtout, discret dans le refus de cette tentative, il dit simplement.

« Mais vous devriez retrouver votre place, que je puisse vous les dévoiler, non ? »

La Soumise s'étonne en silence, dardant ses prunelles sangs sur ce sombre qui dédaigne ses interrogations. Pourquoi garder ainsi à part soi son nom, alors qu'elle se propose de la chanter ? Craint-il les foudres de la terrible Isten, lui qui déjà subit l'ire d'un de ses servants ? C'est oublier que des Fidèles, elle est la première, devant laquelle tous ploient l'échine. À moins que ce ne soit tout autre chose, la démonstration d'un esprit singulier, dérangé par un art trop grand pour lui. Il n'est pas stupide, ses iris brillent tout autant d'arrogance que d'intelligence, mais fou, de magie ou d'elle ne sait quoi, il l'est sans doute un peu. De quoi piquer encore un peu plus sa curiosité.

Elle le sent réagir, à mesure que s'aventure son doigt sur sa joue. Il mime l'indifférence de l'esprit, cédant aux caprices d'un corps réveillé sans leur accorder la moindre importance. Folie, une nouvelle fois. Ssinssrin sait la faiblesse des sens. Il est un feu qui, de sa voluptueuse fumée, endort l'être et réveille la chair, et de ces brasiers elle est le plus flamboyant.

« Impudent celui qui refuse les cadeaux d'Isten, murmure-t-elle, car la faveur de l'Aveugle, jamais n'est acquise. Du maléfice, je peux vous libérer sans peine, tandis qu'à tenter seul, douleur et séquelles vous sont promises. »

Avertissements ? En apparence, car sous le vernis du conseil se cache l'envie furieuse d'être contredite. Qu'il montre ses crocs dominateurs et déchire sa faible plaidoirie. Qu'il se perde dans ce charme qu'elle exhalait en permanence, car chaque contestation était une porte ouverte, chaque pression un pas en avant.

« Prendrez-vous le risque de sacrifier ce qui fait de vous un mâle pour votre art, maître artisan ? »

Ssinssrin n'est qu'attente, Ssinssrin n'est qu'innocence. Elle l'en croit capable, lui qui n'a cessé de la surprendre. D'un gobelin il s'est fait le maître, de son nom le gardien. De sa virilité, dès lors, quelle importance y attache-t-il ?

Pourquoi garder ainsi pour soi son nom ? C’est une excellente question. Quiconque chercherait une réponse censée par quelques théories dont la logique apparente parait éclairée serait choqué d’apprendre la vérité. Ranaghar quant à lui ne se posait même pas la question, et avait depuis longtemps déjà tourné cette page, en admettant qu’il ait un jour posé ses yeux sur elle.

Bref, passons.

Face à un interrogatoire qu’il ne voulait pas trop pousser, de crainte qu’elle ne finisse par dire des sottises trop grosses qu’il s’emploiera à corriger, avec toute la finesse et le doigté qu’on lui connaissait, il avait entamé la présentation de son œuvre. La Haute-Prêtresse pourtant semblait plus désireuse de découvrir une tout autre merveille de la nature… Lui, son esprit indiscutablement supérieur et son corps indiscutablement inférieur – on ne peut pas tout avoir – ce qui, bien qu’agréable n’en était pas moins embarrassant, il ne s’était jamais illustré dans les pratiques physiques auxquelles s’adonnaient les autres.
Elle murmura alors des choses étranges, dans ces façons que les religieux ont de s’exprimer pour se donner un genre. Les cadeaux d’Isten ? Il n’avait reçu aucun cadeau, pas de cette Déesse là en tout cas, il décida donc d’oublier ces bêtises et de se concentrer sur l’essentiel… Le maléfice. Elle disait pouvoir l’en défaire, alors qu’attendait-elle pour le faire ?

« Alors qu’est-ce que vous attendez ? que je vous supplie ? »

Ca n’avait rien d’un ordre mais le ton permettait même de supposer du non-dit… Pour les supplications, elle pourrait toujours espérer qu’elle ne serait jamais satisfaite. Il ne répondit rien de l’avertissement… Rompre un maléfice issue de la magie divine avec sa propre magie, il ignorait si c’était possible, sinon, il vivrait avec, ce n’est pas comme si c’était pénalisant.
Et là… Elle posa la question la plus idiote, enfin, l’une des plus idiotes, qu’il eut entendu… L’avait-elle vraiment regardé ? Lui ? Bon, certes, il était caché sous des vêtements n’exposant rien, mais rien dans son physique n’en faisait un « mâle » de son espèce et seul son art en faisait un être supérieur aux autres.

« Ne prendriez-vous pas le risque de sacrifier une part de ce qui fait de vous une femelle pour votre déesse, haute-prêtresse ? »

C'était possiblement contester l'étendue de sa foi, mais lui ne s'était pas posé la question...
Et il décida qu’avec une femelle de ce genre, incapable de comprendre les évidences, une image vaut mieux que tout les discours qu’il aurait pu offrir, aussi fit-il une chose qu’il n’aurait jamais fait en d’autres circonstances.
Il se leva, s’écarta d’elle et se débarrassa de son lourd et ample manteau, découvrant un corps qui ne ressemblait à aucun autre chez les drows. La peau sur les os, maigrelet et sans muscle… Pour sa race, il était une représentation de ce qui, physiquement, pouvait se faire de plus médiocre, de ce qu’on éliminerait en considérant la chose comme une erreur de la nature.

« Où voyez-vous la moindre virilité, haute-prêtresse ? » lui demanda t-il très sérieusement, « Je n’ai rien de ce qui fait un « mâle » comme vous dites, et mon Art est tout ce que je possède. Alors ne brisez pas ce maléfice si ça vous chante, croyez-moi, je vivrais très bien avec. »

Et sur ses mots, et sans lui laisser la chance de l’en empêcher, il réenfila son manteau, dissimulant totalement sa maigreur et l’ingratitude de son physique.

« Maintenant, voulez-vous découvrir votre commande, ou allez-vous continuer à croire que vos ruses de femelle envers un mâle en rut comme vous devez en côtoyer quotidiennement peuvent fonctionner ? »

Tenter de chasser le naturel, il revient au galop… Il avait tenu mais pour le coup, il n’avait rien retenu, enfin si… Il aurait pu dire des tas de méchancetés sur elle, son comportement et sur celui des brutes dont le cerveau se trouve entre les jambes, mais ça, il s’en était abstenu… Il lui fallait quand même sortir d’ici.

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