Une rencontre du passé [Iözynn & Ash]

Une nouvelle ville pour un nouveau travail. Après son passage par Ysari et par la mer Olienne, Ash décida de gagner la capitale. Cette décision lui en coûtait en vérité. Il ne lui était pas facile de s'éloigner de son cher océan. Mais ce n'était pas pour très longtemps. Elle avait ouï dire qu'un riche commerçant engageait des gardes pour faire le voyage de Diantra à Ydril. Il craignait apparemment des attaques de brigands et tenait à protéger, avant même ses richesses, ses fidèles hommes. Ash ne s'était même pas posé la question de la véracité des propos, elle s'était engagée aussitôt. Elle allait pouvoir commencer à se racheter, comme elle le voulait, en protégeant des personnes.

En approchant de la capitale, Ash n'avait déjà qu'une seule envie : en repartir. Elle avait vu des maisons calcinées aux abords de la cité. Avec ce temps nuageux et frais d'automne, le paysage lui faisait froid dans le dos. Sans compter qu'elle était d'une humeur plutôt maussade : trop de marche a un effet désastreux sur le moral d'un pirate, même si dans son cas, on pourrait dire ex-pirate.

Mais pour l'heure, elle avait rendez-vous dans une taverne des quartiers aisés de Diantra, dans le centre de la ville. L'auberge du Fer à Cheval lui promettait un accord fructueux. Ash entra dans le bâtiment au bois lustré et entretenu. Elle n'avait pas l'habitude de ce genre d'endroits. Pas d'ivrognes, de bagarres à même le sol, de flaques de bière, d'odeur de mauvaise soupe. Un foyer réchauffait agréablement la pièce, un rôti cuisait lentement pour le repas du soir, Il faisait bon se trouver ici, même si on échapperait sûrement à la pluie pour aujourd'hui. Dés son entrée, elle chercha à repérer l'homme de main du marchand. Elle l'avait déjà rencontré, il s'appelait Peter. Courtaud et dégarni, il avait l'empreinte de la cupidité sur son visage. Ash ne vit pas l'aubergiste qui lui jetait un regard noir derrière son comptoir, tout en se demandant de quelle façon il allait pouvoir faire déguerpir l'indésirable. Peter fit signe au propriétaire pour calmer ses appréhensions. Habituellement, il ne recevait pas les simples gardes dans ce genre d'endroits, mais les circonstances lui avait fait faire une entorse à la règle. Oui, il était las...

Ash salua l'homme et prit place à table. Peter se frotta mentalement les mains : la négociation allait être rapide : la naïveté de la demoiselle ne faisait aucun doute !
Ils discutèrent, elle refusa un verre, il but, il fit une offre dérisoire, elle accepta. Peter se leva alors péniblement. Il devait montrer à Ash l'emplacement de la caravane qui commençait à se former pour le lendemain. Elle resterait là pour la nuit : elle et les autres gardes devaient se relayer pour surveiller la marchandise.
Ash suivaient Peter dans les rues sinueuses de Diantra depuis quelques minutes lorsqu'elle le vit.

Juste une fraction de seconde. Au tournant d'une ruelle. Des yeux azurs, de longs cheveux blonds ceints pas un diadème, une silhouette fine drapée de vert, était-ce vraiment cette même personne ?
Ash s'arrêta instantanément. Son cœur se mit à battre très fort, son regard s'était fixé, tétanisé. Peter la rappela à l'ordre : il n'avait pas de temps à perdre avec elle. Mais Ash n'entendait qu'un murmure indistinct. Elle était plongée dans ses souvenirs.

C'était ce jour où tout avait basculé. Où elle avait compris quelle était l'importance d'une vie humaine. Comme tant de fois, un membre de l'équipage avait été blessé lors d'un sabordage. Comme tant de fois, ils s'arrêtaient dans un petit port pour profiter de leur argent durement gagné. Treas, son père, ne s'occupait pas des blessés, il attendait simplement qu'ils meurent,et si c'était trop long, il les jetait en pâture aux requins. Dans le port de pêche tranquille où le Solerys avait fait escale, des hommes avaient entendu dire qu'un guérisseur aidait tous les gens sans distinction. Ils lui avaient amené le blessé, et Ash les avait aidés. Elle aimerait pouvoir dire que c'était par compassion, mais en vérité, c'était plus par ennui ou par curiosité. C'est comme ça qu'elle l'avait rencontré. Elle n'avait jamais vu un être d'une telle délicatesse, d'une telle compassion. Lorsqu'elle se rappelait cette journée, elle se plaisait à se raconter qu'elle avait vu un ange. Il l'avait séduite, tant par son apparence que par son discours. Ses mains, miraculeuses, avaient guéri le malheureux pirate, et toutes les autres personnes qui s'étaient présentées à lui. Ash ne lui avait pas adressé la parole. Elle s'était contentée de l'observer, discrètement. Elle était restée longtemps auprès de lui, telle une ombre. Elle ne voulait pas lui parler. Elle se sentait trop coupable, trop imparfaite pour approcher cet être divin. Et lorsqu'il fut parti, Ash interrogea les villageois. Elle retient son nom comme une prière : Iözynn. Un jour elle serait capable de lui parler. Un jour, elle aurait lavé le sang de ses mains et elle pourrait faire face à un ange...

Peter lui secoua l'épaule, il n'avait :  "pas de temps à perdre avec des petites sottes sans cervelles."

Ash ne fit même pas attention à lui. Elle se dégagea et partit en direction de la ruelle où elle l'avait vu. Elle le rattrapa bientôt mais resta à bonne distance. Elle ne le lâcherait pas d'une semelle. C'était lui, elle en était persuadée.
Elle voulait à tout prix lui parler à présent mais ne parvenait pas à le faire.

**Hé ! Que lui arrivait-il ? La vraie Ash ne se posait pas tant de questions ! Peut être était-ce lui qui la changeait de nouveau ? Sa présence seule suffisait peut être à révéler sa nature profonde ? RAAAH trop de questions pas assez d'action !**

Ash mit au clair quelques centimètres de sa lame. Comme son père disait : « tu ne connais pas un homme tant que tu n'as pas posé la pointe de ton sabre sous son menton ! »

**Non ! Ash ! Reprends toi ma vieille ! Tu ne vas pas l'attaquer juste pour voir sa réaction !** Non elle ne pouvait pas. Car s'il ne se rappelait probablement pas d'elle, lui, était à jamais dans son cœur. Il avait changé sa vie.

Ash prit une grande inspiration, partit en courant vers lui, et l'attrapa par le bras. Juste là, dans quelques malheureux instants, elle allait revoir son visage.

La jeune femme mit quelque temps avant de répondre sans vraiment prendre le temps de reprendre son souffle :

- Ah Ah! C'est vraiment incroyable! Je vous ai vu! Et je me suis dis : lui, il a vraiment une tête à s'appeler Iözynn. Du coup, j'ai pas pu résister à la tentation de venir vous parler! Non pas que je sois voyante ou sorcière, non! D'ailleurs je suppose que vous l'auriez compris en me voyant! Mais attention, ça ne veut pas dire qu'il faille se fier aux apparences! Je ne suis pas une pirate non plus! Non, enfin... pas vraiment! Plus maintenant! Je ne suis plus une mauvaise personne vous savez? Enfin j'essaie bien sûr! Et, vous... vous... Mais je parle trop je crois. AhAhAh!

Elle se gratta nerveusement la nuque. Iözynn fronça légèrement les sourcils, mais c’était à peine si on pouvait le remarquer. La fille se mit à jeter de furtifs coup d’œil autour d’elle, déconcertée mais surtout semblant mal à l’aise des salmigondis qu’elle venait de prononcer. Le guérisseur aussi était un peu confus. Il ne savait comment réagir, quoi répondre à de tels galimatias. Il lui était lui aussi déjà arrivé quelquefois de dire des choses absurdes à des gens auparavant. Il ne passa aucun commentaire, ne voulant pas décontenancer encore plus la demoiselle. Il attendit patiemment qu’elle reprît la parole. Lorsqu’elle rouvrit la bouche, un certain temps s’était écoulé déjà. Étonnamment, elle avait complètement changé d’attitude et ses propos étaient maintenant clairs, non plus confondus. Elle se présentait :

- Je m'appelle Ash Solerys, ex-pirate sur le chemin de la rédemption, pour vous servir!

La jeune femme, en même temps de sourire, avait les yeux brillants d’un éclat qui ne laissa pas le mage indifférent. Ce dernier avait rarement vu cette lueur dans le regard d’autrui. Or, il était incapable de la déchiffrer. Il finirait certainement un jour, tôt ou tard, par découvrir ce qu’elle pouvait bien signifier. Était-ce simplement le reflet du soleil ou celui d’un quelconque sentiment ? Il ne pourrait le dire, pour le moment, du moins.

La fille avait accompagné son geste d’un salut, lui-même accompagné d’un moulinet de la main. Une certaine grâce émanait d’elle.

Le thaumaturge avait le goût de lui demander de nouveau : «et que puis-je faire pour vous ?», mais il se ravisa. Il se présenta plutôt lui-même, de la même manière qu’il avait toujours faite, c'est-à-dire en se nommant d’abord, puis en parlant de son maître, même s’il fût décédé un bon moment déjà auparavant :

- Je suis Iözynn Yfenn, guérisseur, apprenti du défunt maître Nagayth. Et ce serait plutôt à moi de vous servir, ajouta-t-il avec un brin d’ironie dans la voix.

Il esquissa un demi-sourire. Son interlocutrice semblait être moins décontenancée qu’auparavant. Il lui demanda :

- Alors, pourquoi m’avez-vous demandé ?

Par «demandé», il désignait son geste de lui avoir attrapé le bras.

- Je veux dire… avez-vous besoin de vous faire soigner ? Ou… c’est autre chose ?

Par cette dernière phrase, il avait sous-entendu qu’elle paraissait en parfaite santé et qu’elle ne semblait pas avoir besoin de soins. Mais peut-être dissimulait-elle un mal dont elle était atteinte ? Il ne pouvait en être sûr, dont il avait pensé mieux de lui poser la question. D’ailleurs, si ce n’était pas pour cela qu’elle était venue à lui, pourquoi alors ?

Iözynn se rappela alors qu’ils s’étaient déjà croisés quelques années plus tôt. Profitant en même temps du moment pour chasser le malaise qu’il avait peut-être causé chez Ash, il fit croire qu’il venait tout juste de s’en rendre compte (ce qui n’était pas le cas, car un ancien souvenir l’avait submergé dès qu’il l’avait aperçue) :

- Je crois que je vous ai déjà vue quelque part… C’était à Ydril, non ? Un de vos coéquipiers était gravement blessé. Vous n’êtes donc plus pirate ? Y a-t-il une raison pour cela ?

Il ne se doutait pas que c’était un peu grâce à lui qu’elle avait quitté la piraterie.

Ash se retourna en levant un sourcil. Elle se demandait probablement pourquoi Iözynn acceptait d’aller boire un verre avec elle alors qu’elle avait réagi si violent devant lui. Elle voulut s’assurer :

- Tu es bien sûr ? Je veux dire, tu devrais peut être discuter avec des gens plus fréquentables ! C'est vrai après tout tu es quelqu'un de vraiment bien. Et, je sais bien que tu me trouves bizarre et aussi que je parle trop. Mais je ne peux rien y faire tu vois ! Je parlerai toujours trop ! Et je serai toujours une pirate ! Enfin en tout cas je suis née pirate, c'est mon sang qui veut ça. Pourtant je fais de gros efforts ! Je ne suis pas cet être sanglant que tu penses que je suis ! Si, si ! En plus c'est de ta faute tout ça !

De sa faute ? Le guérisseur la regarda en fronçant les sourcils. Il comprenait que la jeune femme était sur le chemin de la rédemption, mais pourquoi était-il de sa faute... en fait, qu’est-ce qui était de sa faute ?

L’humaine tenta de se reprendre :

- Euh... C'est pas ce que je voulais dire. Enfin si, c'est ta faute mais c'est en bien. Et si tu es toujours d'accord et que tu penses que tes oreilles peuvent survivre à ça, je serais ravie de te raconter mon histoire. Je ne connais pas du tout la ville alors je te laisse le soin de choisir l'endroit où nous pourrons, peut-être, enfin boire ce verre !

En vérité, malgré qu’il connût bien la ville, le mage ne connaît nul endroit où il était possible de boire un verre. Il chercha donc du regard autour de lui, mais ne trouva pas ce qu’il cherchait. Il arpenta donc les rues de Diantra, suivi d’Ash, feignant savoir où il allait, mais en fait il n’en avait aucune idée. Heureusement, à un tournant, il entraperçut une enseigne qui indiquait un endroit qui semblait bien et assez tranquille.

Entre temps, la jeune femme lui posait une foule de questions, que le thaumaturge répondit avec plaisir, même si des fois elle était un peu indiscrète, mais cela l'importunait peu. Elle lui demanda tout d’abord son âge.

- J’ai 122 ans, avoua Iözynn, bien que je n’en aie pas l’air. Mais je ne suis en rien un vieillard. Le temps passe différemment chez les elfes que chez les hommes. À ton âge, je n’étais encore qu’un poupon. En comparaison, je devrais environ avoir… une vingtaine d’années si j’étais humain. La différence est que je ne peux mourir, à moins d’être blessé mortellement. Et toi, quel âge as-tu ?

Vint ensuite la question sur le pourquoi de son choix de carrière – soit la magie des soins. Il lui expliqua :

- Je n’ai pas vraiment choisi de devenir guérisseur. Nagayth m’a accueilli à Alëandir, la capitale elfe, alors que je n’étais qu’un bébé. Il m’a appris très jeune les rudiments de la magie. Mon maître m’a aussi formé au combat. Je n’aime pas ôter des vies inutilement, donc je ne prends les armes qu’en cas de besoin. Tout à l’heure, j’ignore ce qu'il m'est advenu. Normalement, je ne réagis pas ainsi. J’aurais tout simplement pu envoyer au gros homme une vague d’apaisement – c’est l’un des pouvoirs que je possède. Mais je m’écarte du sujet. Bien que je n’aie jamais choisi ce que j’allais devenir, j’affectionne beaucoup mon métier, et je ne le changerais pour rien en monde. Il me permet de faire des contacts variés avec différentes gens.

Il poursuivit :

- À quoi ressemblait mon maître ? Eh bien…

Il arrêta sa phrase, baissant le regard. Cela faisait longtemps qu’on ne l’avais pas questionné sur Nagayth. Penser à lui le rendait souvent quelque peu mélancolique. Il avait été comme son propre père. Il ne fit qu’une brève description physique pour ne pas afficher sa tristesse devant Ash :

- Eh bien, il était assez grand et malgré son âge avancé, il était relativement en forme. Ses cheveux étaient blancs, et comme tous les elfes, il était imberbe.

Il ajouta à voix basse :

- Il était quelqu’un de bien.

La jeune femme lui demanda alors où il avait grandi :

- J’ai grandi dans la petite cabane de mon maître, à Alëandir, répondit Iözynn. Durant ma jeunesse, j’ai surtout été formé au combat, mais surtout à la magie, à la fabrication de potions et de baumes, etc.

Il lui raconta alors son origine, que Nagayth lui avait révélée par une belle journée ensoleillée et qu’il avait eu beaucoup de mal à absorber par la suite. (Voir fiche de présentation pour plus d’information) L’humaine l’écoutait avec intérêt.

Ils arrivèrent enfin devant l’enseigne que le guérisseur avait trouvée par hasard. Le mage dit :

- J’ai tellement parlé, et nous n’avons même pas commencé à boire ! Maintenant, c'est à ton tour de me parler de toi.

Iözynn parlait plus souvent à des gens issus du peuple elfique qu’aux autres races. Il était surtout curieux, mais en profiterait pour essayer de peut-être mieux comprendre les humains ; après tout, même s’il le connaissait assez bien, il y avait toujours des choses à apprendre, et cela, il avait eu l’occasion de le constater plusieurs fois dans sa vie !

Ash sembla réfléchir, puis elle lui raconta qu’elle avait trouvé un oisillon sur la rive d’une quelconque île. L’animal était blessé quand elle s’était endormie, blottie contre lui. Lorsqu’elle s’était réveillée, tous ses maux étaient apparemment disparus.

- Enfin bref... J'avais dû finir par m'endormir d'épuisement et, lorsque je m'étais réveillée, il était guéri ! termina la jeune femme, qu’Iözynn écoutait attentivement. C'était un vrai miracle ! Alors je pense, maintenant, que, peut-être, je posséderais moi aussi cette magie ! Qu'en penses-tu ? C'est convainquant n'est-ce pas ? Même Oeil-Noir n'en revenait pas ! Il m'avait même aidée à repérer le nid, les parents étaient fort heureusement partis chasser et j'avais pu remettre le petit à sa place, avec ses 2 frères !

L’humaine était très enthousiaste. Elle trépignait sur son siège. Le guérisseur resta un moment songeur. Puis il prit enfin la parole :

- En effet, c’est assez convainquant, mais ça ne veut rien dire non plus.

Le mage croyait aux miracles, et une entité supérieure aurait aussi pu écouter les prières d’Ash, sauvant ainsi la vie de la petite créature. Ou ça pouvait être au chose…

- Si tu veux vraiment savoir si tu as de la magie en toi, il faudrait que tu passes le petit test dont je t’ai parlé tout à l’heure.

Sans avertissement, il se leva de sa chaise et se dirigea vers le comptoir de la taverne. Il demanda à l’homme qui s’en occupait – un homme assez gras, chauve et dont une petite barbichette garnissait le menton, qui était en train d’essuyer un pichet de bière :

- Excusez-moi de vous déranger, mais pourriez-vous me passer un couteau, s’il vous plaît ? Je n'en aurai que pour un instant.

- Bien sûr, répondit l’autre.

Il posa le récipient qu’il essuyait et prit un ustensile qui traînait sur le comptoir. Il le passa au thaumaturge.

- Merci, fit ce dernier, et il retourna auprès de son interlocutrice.

Il leva la manche de son vêtement et posa son bras sur la table, la paume vers le haut. Il comptait s’entailler légèrement, juste assez pour que la plaie ne se referme pas immédiatement. Ash tenterait alors de refermer la blessure. Si elle ne réussirait pas, il se guérirait lui-même – ce qui ne devrait prendre que quelques secondes, l’estafilade étant superficielle. Après tout, la vue du sang n’effraierait certainement pas l’humaine. Mais s’il advenait que c’était le cas - Iözynn en doutait grandement – elle ne serait probablement pas dans la mesure de devenir guérisseuse, car le mage avait vu de nombreuses gens sanguinolents. Heureusement, son métier ne se limitait pas à cela. Il confectionnait aussi des elixirs, des potions et d’autres produits qui permettaient de se rétablir plus rapidement ou ayant de quelconques autres fonctions curatives, ainsi que des baumes de toutes sortes.

Le thaumaturge jeta un bref regard autour de lui. Leur table se situait un peu à l’écart des autres, donc personne ne se demanderait ce qu’il était en train de fabriquer. Il posa le plat de la lame du couteau contre son avant-bras. Puis, il se mit lentement à cocher une petite partie de sa peau. Un peu de sang s’en écoula. Il posa son couteau à peine souillé du liquide vermeil sur la table et leva la tête vers son interlocutrice, un sourire accroché aux lèvres. Il n’était pas quelqu’un de sadique, loin de là, mais il trouvait drôle l’expression que certaines personnes pouvaient afficher lorsqu’ils apercevaient du plasma sanguin.

Il dit :

- Maintenant, Ash, place la paume de ta main à quelques centimètres de la coupure que je me suite faite. Si tu possèdes réellement la magie de ma caste en toi, tu ne devrais pas déployer trop d’efforts et elle se refermera rapidement. Si ce n’est pas le cas, ne te décourages pas, si tu comptes devenir réellement devenir guérisseuse… tu peux toujours apprendre l’herboristerie et la confection de produits médicinaux. Mais, bien sûr, tu n’es obligée à rien de cela…

Il attendit que la jeune femme – cette dernière paraissait quelque peu fébrile -, exécute l’action.

Ash tendit lentement une main tremblante au-dessus de la blessure, s’approchant légèrement de l’estafilade. Elle sembla se concentrer fortement. Mais l’interrogation se lisait dans son regard. C’était mauvais signe. Iözynn n’avait presque pas à réfléchir quand il voulait soigner quelqu’un, sauf s’il exécutait un sortilège un peu plus complexe ou qu’il désirait guérir une blessure majeure. Il soupira. La jeune femme était tellement concentrée qu’elle ne sembla pas le remarquer. Elle ne possédait certainement pas de magie – du moins, pas de sa caste – en elle, ou alors très peu, trop peu pour être dans la capacité de la manier. L’humaine serait sûrement déçue, car elle paraissait très enthousiaste à l’idée de posséder des pouvoirs. Le guérisseur décida de refermer sa blessure par lui-même. Il avait cru que l’ex-pirate comprendrait que c’était lui qui s’était guéri, mais ce ne fut pas le cas. Elle se leva de sa chaise, la faisant tomber bruyamment au sol. Puis elle attrapa les mains du mage, chantonnant gaiement :

- J'ai réussi! J'ai réussi!

Elle se mit à danser joyeusement.

- C'est formidable! Alors je suis une guérisseuse ça y est? Je vais devenir ton apprentie? Je vais peut-être rencontrer d'autres elfes. Peut être même des drows! Mais j'espère pas de trop près ahah! C'est formidable j'arrive pas à m'arrêter de parler! J'espère que ça ne te dérange pas, auquel cas je peux me contrôler. Ou pas! En fait ça sort tout seul c'est incroyable !

Autour, les gens observaient la scène avec incrédulité. Quelques-uns semblaient aussi trouver la situation cocasse. Mais le thaumaturge était malaisé par les regards qu’on lui jetait à lui aussi. Il tenta de calmer son interlocutrice :

- Ash… Ash…

Mais cette dernière ne semblait pas l’entendre.

- Ash ! fit-il d’une voix un peu plus forte, mais tout de même sereine. Je suis désolé de te dire ça, mais… c’est moi qui ai fermé la blessure. Je ne crois pas que… tu as de pouvoirs…

Voyant la mine qu’affichait l’humaine, il essaya de la consoler :

- Comme je t’ai déjà dit, tu peux toujours apprendre l’herboristerie et la confection de produits curatifs. Que tu ne sois pas guérisseuse n’empêche pas que tu peux toujours venir en aide aux autres personnes.

Autour d’eux, les quelques gens avaient cessé de les observer et poursuivaient leurs occupations.

Il se leva et alla porter son couteau légèrement teinté de cramoisi au tavernier, l’essuyant avec un pan de sa toge – l’ustensile n’était pas assez sale pour tâcher son vêtement. L’homme, qui essuyait toujours des verres, le prit sans passer de commentaire. Il avait probablement lui aussi vu ce qui s’était déroulé quelques instants plus tôt. Iözynn le remercia d’un bref mouvement de la tête.

Il retourna auprès d’Ash. Cette dernière semblait encore déçue. Le guérisseur se rappela qu’elle avait parlé de devenir son apprentie. Son apprentie… Il n’avait quitté son maître il n’y avait que quelques années. Il faut cependant avouer que son enseignement était presque arrivé à terme. Il s'ennuyait un peu, seule dans sa meure. Le mage serait-il dans la mesure d’apprendre son métier à quelqu’un d’autre ? La jeune femme semblait enthousiaste à l’idée de rencontrer d’autres elfes. Elle ne serait peut-être pas aussi bien vue qu’elle le croyait à Alëandir. Heureusement, son habitation se situait un peu à l’écart de la zone active de la cité elfique. Il ne risquait pas de croiser trop de gens embêtants. Le thaumaturge se surprit à l’idée de devenir un «maître». Nagayth était beaucoup plus vieux que lui quand il avait commencé à lui enseigner. Sans s’en rendre compte, Iözynn s’était quelque peu lié d’amitié avec l’humaine. Elle avait toujours un sujet sur quoi discuter, et depuis qu’il l’avait rencontrée, il ne s’était jamais ennuyé. D’ailleurs, il était parti vers les marchés, mais il avait complètement oublié d’aller acheter ses herbes et autres produits !

Ces mots sortirent tout seuls de la bouche du guérisseur :

- Ça te dirait de m’accompagner à Alëandir pour apprendre certaines techniques d’herboristerie... et autres choses ? Tu pourrais m’assister dans mes activités.

Mais qu’avait-il fait ? Il était principalement venu à Diantra pour se donner un moment de repos. En revenant à la capitale elfique, il aurait le double de travail à effectuer ! Or, étrangement, sa fatigue semblait s’être envolée. De toute façon, il était trop tard pour revenir sur ses paroles. Il avait déjà parlé.

Ash leva la tête en sa direction. Elle fixait, incrédule, comme si elle ne le croyait pas. Mais ses lèvres s’étirèrent lentement en un sourire. Elle déclara :

- Si tu es en train de me demander de devenir ton assistante, j'accepte avec grand plaisir ! Je ne vais pas te dire que j'apprends vite car je n'en sais rien ! La seule chose que j'ai jamais apprise c'est le maniement du sabre et le...enfin bref ! Chez les pirates je suppose que c'est plus ou moins inné... Mais dans tous les cas je te garantis que je ferai tous les efforts nécessaires ! Quant à Alëandir, j'adorerais vraiment pouvoir visiter cet endroit ! Ca doit être formidable ! Quand partons-nous ? Quand commence mon apprentissage ?

La jeune femme paraissait très enthousiaste à l’idée de devenir son apprentie – mais ça, Iözynn l’avait déjà remarqué. Il fut amusé par la jubilation de son interlocutrice. Voyant qu’elle avait terminé de boire son verre de lait, il répondit à sa dernière question :

- Pourquoi pas maintenant ?

En effet, en se rendant au marché de Diantra, il pourrait en profiter pour lui montrer les herbes les plus simples, les achetant par la même occasion.

Il se leva de son siège, laissant quelques écus qu’il transportait sur lui sur la table pour payer son breuvage, en même temps celui de l’humaine, car il ne savait pas s’il elle possédait beaucoup d’argent. La petite bourse qui pendait à sa ceinture ne contenait pas grand-chose : à peine ce qu’il lui fallait pour payer le petit auberge dans lequel il dormait et la nourriture. Il en avait apporté un peu plus pour s’acheter ses herbes, mais à peine. Heureusement, dans sa cabane à Alëandir, il disposerait de suffisamment d’argent pour subsister pendant près d’un an à Diantra, bien que cela serait inutile. La majeure partie était un héritage de ses parents, ça mère ayant laissé cet argent, qui appartenait à son père, pour son fils. Une autre plus petite part provenait de feu Nagayth. De temps en temps, des patients lui offraient aussi de l’argent pour ses soins ; le guérisseur refusait souvent de se l’approprier, mais plusieurs insistaient, et il se voyait obligé de prendre les pièces qu’on lui tendait. Qui eût cru que dans sa rudimentaire demeure dans la forêt, le mage dissimulait un peu d’or ?

Le thaumaturge quitta la taverne, suivi de l’ex-pirate. Sur son chemin vers les marchés, il l’informa :

- Pour le départ, c’est quand tu veux. Je m’apprêtais à partir dans quelques jours seulement, mais il serait, je crois, inutile d’attendre.

Ils parvinrent enfin à l’endroit où l’on vendait toutes sortes de choses. Iözynn trouva un étal ou un marchand vendait des herbes à un bon prix – c’était l’endroit où il se les appropriait le plus souvent. Ayant déjà rencontré le vendeur auparavant, il le salua d’un bref mouvement de la tête. Puis il lui indiqua que ce qu’il était venu chercher. Le guérisseur présentait chaque herbe qu’on lui tendait à Ash, en lui faisant un court résumé de ses principales propriétés et caractéristiques.

- Tu vois, celle-ci est une ithidjaan*, une plante qu’on peut retrouver assez couramment plus au nord, en partie dans le territoire des nains. Elle a de nombreux effets thérapeutiques intéressants. Par exemple, elle permet d’immuniser contre certains poisons. Elle est aussi utile dans la confection de certains baumes et autres potions curatives. Son arôme est particulier. Sens-la, tu vas voir !

Il passa la petite feuille qu’il tenait à la jeune femme pour qu’elle voit à quoi elle ressemblait et pour qu’elle puisse sentir son odeur spéciale, puis il la rangea dans une petite besace qu’il avait traînée exprès pour placer les plantes qu’il allait chercher à Diantra. Il fit de même avec environ une dizaine d’herbes, après quoi il indiqua à l’humaine qu’il avait terminé sa commande.

- Quand comptais-tu quitter le capitale humaine ? Si tu veux, nous pouvons partir dès maintenant. Il faudrait juste que je paye l’homme qui s’occupe de l’auberge dans laquelle je passe mes nuits depuis le début de mon séjour à Diantra.

[* ithidjaan = De ma création, c'est que je ne m'y connais pas beaucoup dans les plantes qui poussent en Miradelphia, alors j'en ai inventé une. ^^]