De Merval a Missede [PV Missede]

Citation :

"Au Grand-Chancelier de la péninsule et Seigneur Justiciaire de Diantra par la Grâce du Conseil Cleophas d’Angleroy : salut.

Mon ami. Je suis heureux de recevoir de vous cette missive qui n’aurait pus être mieux accueillie en ces temps de troubles et d’incertitudes qui déchirent le royaume. J’accepte avec l’humilité que m’impose le respect de votre charge la paix que vous m’offrez.

Je n’ai nulle envie de prendre les armes et de partir en guerre. Aussi longtemps que vos gens n’offenseront pas les terres de Missède, vous trouverez en moi un interlocuteur attentif et ouvert à toutes possibilités qui permettraient d’éviter que ne se déchire le royaume et de nous voir entrer en rapports de conflits.

Fort peu de fols ont été engendrés par le Langehack et je ne pense ni ne veux être de ce nombre.

Malgré la confiance et l’amitié que je vous porte, et si je regrette d’avoir dut prononcer ces mots dans la cathédrale, il n’en reste pas moins qu’ils sont sortit de ma bouche et par conséquent, je suis, d’après les dires de Dame Arsinoé, relégué au rang des conspirateurs. Si je vous sais un homme juste et honnête, cette confiance, je ne saurais l’accorder à chaque hommes de Diantra qui pourraient tenter d’obtenir une récompense pour la capture d’un ‘’félon’’. Je ne peux donc me rendre à Diantra.

Pour autant, je vous l’ai dit, je serais aussi longtemps qu’il n’y aura pas d’offence à mon endroit un interlocuteur attentif. Aussi, comme vous l’avez-vous-même proposé, je vous propose de me retrouver dans une quinzaine au lieu dit de Trois-Chemins. C’est un petit village à la frontière entre Diantra et Missède de votre côté de la frontière. Ainsi, je vous propose de vous y retrouver avec chacun vingt chevaliers d’escorte et d’y discuter comme deux hommes capables de raisons.

Ci-écrit par Viktor de Missède, quatrième du nom, baron de Missède, seigneur de Missède, d’Ethin, de Chiard et d’Ybaen, légitime seigneur de la Roseraie et d’Isgaard. "

A peine eut-il reçu la missive que le chancelier se mit en quête d'y répondre. Si le temps lui manquait depuis l'indicible incident, la sagesse lui dictait de donner importance a cet homme. Les mots qui étaient écrits dans la parcheminade assuraient a Cleophas qu'il avait face a lui une personne de confiance. Les guerres, le Sud en avait eu assez et ces deux seigneurs signeraient une ère nouvelle, celle de la quiétude ; bien loin des tumultes qui secoueraient la péninsule ; loin de ces querelles de chattes, de ces questions politiques qui minaient un royaume déjà fragile, fragilisé, en passe de sombrer. La somme des arguments finit de convaincre le chancelier-bonhomme qui la plume en main écrivit sa réponse et s'apprêta a rejoindre le lieu-dit des Trois-Chemins. C'était disait-on une paisible bourgade, perdue dans les campagnes royales. Parfait endroit pour la parfaite entrevue ! Lorsqu'enfin tout eut été écrit, le chancelier renvoya un de ses messagers les plus prestes en la cité de Missede. Ce jeune homme, malgré sa ligne de sourcil tant proeminente que fournie, lorgna aussi discrètement qu'il le put les lignes du mervalois. Contre toute attente, il y comprit quelques lignes et s'estima fier ; car il était chuchoté dans la chancellerie que le Mervalois s'exprimait dans un verbe si abscons qu'on le pensait sorti d'un temps inconnu.

"Au chevalier et baron de Missede,

Gloire a vous, votre modestie vous fait honneur. Je suis bienheureux de votre réponse et ayez l'assurance que je ferai mon possible afin que cette embetante situation se dénoue au plus vite. Notre régente est une dame vouée aux anciennes vertus, attachée a l'importance des voeux d'autant plus sacrés s'ils sont prêtés en un saint lieu. Mais n'ayez crainte car la promptitude de ses émotions n'altère en rien sa discrétion, aussi elle saura peser dans la balance de la justice les arguments que je mettrai a votre faveur.

J'ai de bonnes entreprises a votre égard dont nous disputerons une fois retrouvés au lieu que nous avons convenu. Au jour que vous recevrez mon billet mes préparatifs seront achevés et je serai en partance pour l'endroit. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'une escorte mais soit, convenons de la clause.

Paix ; et que Neera vous donne des ailes et vous porte en bonne condition jusque les Trois-Chemins.

Ci-écrit par Cleophas d'Angleroy, Baron de Merval, Grand-Chancelier de la péninsule et Seigneur Justiciaire de Diantra par la grâce du Conseil."

On envoya le vélin par destrier, rapide et léger. Si jamais l'office du chancelier reçut une réponse, il n'en fut pas informé et jugea l'accord toujours scellé. Rapidement on s'attela aux préparatifs: chevaux reposés, cartes examinées, malles remplies de bonne mangeaille, gardes parés de leurs armures et de leurs lances brillantes. Le voyage serait court : on comptait moins de deux levers de Soleil jusqu'à la destination,"joliette et pittoresque" pouvait-on lire. La coterie quitta Diantra par une poterne, peu heureuse de s'aventurer le long des rues et de se frayer passage entre les étals crasseux et les caniveaux débordants de fange et d'eau sale. On emprunta la route qui partait vers Langehack puis a la grande fourche, au lieu que de choisir le chemin qui parcourait la cote de sel, on choisit celui qui menait a Missede.

Le baron et ses gardes inonderent le bourg qui s'etirait difficilement le long du chemin. Quelques chaumières, murs de torchis voire de pierre pour le bourgmestre ainsi qu'une auberge qui sortait de toutes les bâtisses par ses cloisons hautes et couvertes d'ocre faisaient le coeur des Trois-Chemins. De maigres caravanes traversaient le lieu, cortèges effeuillés, lui donnant un semblant d'animation. Quelques soudards a la recherche de contrats s'attroupaient devant la taverne, des pèlerins austères s'agenouillaient devant une image de Neera et les simples voyageurs attendaient sagement dans leur cariole qu'on revint a eux les bras chargés de pain de route et de porc séché. C'est naturellement que le Mervalois et sa troupe passèrent presque inaperçu, cachés sous leurs longues pelisses couvertes de poussière. Un homme alla quérir quelques nouvelles : on n'avait point encore vu de cortège semblable traverser la place. A cette nouvelle, Cleophas décida de s'éloigner du fourmillant cloaque et de se rendre dans une prairie voisine ou paissaient -disait on- des cerfs aussi blancs que la Lune. C'était apparemment sous l'oeil bienveillant du cerf berthildois qu'echangeraient le gryffonesque Mervalois et son voisin du Missede.

"Voyons bien ce qui nous attend"

Ce qui devait s’avérer n’être qu’une simple entrevue s’allait transformer en une démonstration de splendeur. L’attente aux Trois-Chemins ne fut pas longue avant qu’on aperçût la troupe de Missède parader devant les étals des marchands médusés. Les bannières flottaient au grand vent de la campagne, les cuirasses étincelaient au soleil : il semblait n’y avoir pas de nuages pour obscurcir cette entrevue. Cette arène ceinte de soldats en armes allait pourtant être le théâtre d’une paix, durable espérait-on du côté de Diantra. Mandaté par nul autre que lui-même, le chancelier allait à la rencontre de ce vieux voisin qu’il n’avait aperçu que sous la pompe étouffante de Sainte-Deina, le cœur pur et l’âme vertueuse, n’ayant d’autre intérêt que la quiétude de cette région. Pendant quelques minutes, aucun des deux seigneurs n’osait s’avancer et la tension déjà palpable grandissait entre les troupes. Allait-on démonter et se serrer la main ? Allait-on courir à la perte d’on ne savait qui ? Verrait-on de quelque horizon surgir un groupe de loqueteux en armes ? La négative tomba rapidement quand le seigneur de Missède s’avança au-devant du Mervalois, sa salamandre plantée au milieu de la clairière. Cléophas lança un regard à ses officiers, et alla rejoindre son voisin et ami. Le banneret suivait le chancelier quelques pas en retrait.

Il s’arrêta net à deux pas du missédois, tout appareillé de superbe. Ses traits étaient ceux d’un homme jeune et ses yeux criaient à l’honneur et à la chevalerie. Le chancelier l’avait jaugé, déjà, lorsqu’il suivit le cortège des félons quittant la basilique seulement trop peu et de trop loin. Là, il l’avait face à lui, sans artifices ni palabres pompeuses. Dans la simplicité de la rencontre, Cléophas retrouvait l’honnêteté de l’interlocuteur. Tous ces moments fugaces lui en rappelaient d’autres, ceux-là où il avait vu les félons avant qu’ils ne le deviennent. Revenait à lui la mémoire de la dame du Val, qui l’avait accueilli dans sa demeure, hospitalière ; cette même dameresse qui crachait sur la couronne et sur le royaume tout entier. Il l’avait cru bonne et s’était fourvoyé ; maintenant il espérait ne pas commettre la même erreur pour le sieur de Missède, qui avait su jouer de ses ruses pour rester hors des conflits qui ravagèrent la péninsule. Cette neutralité comme inscrite dans le sang des langecins, Cléophas ne la souhaitait pas compromettre. A aucun prix.

« Ami…je suis heureux de vous voir. Il en est parmi mon entourage qui me défendaient de venir dénudé au milieu d’une assemblée de soldats, mais je vous l’assure : je ne vis pas pour me méfier de ceux qui me tiennent des paroles d’amitié. Laissons cela aux tyrans. Si je suis ici, ce n’est ni pour mon plaisir, ni pour mon loisir mais bien résolu à mettre un terme à ce froid qui s’est drapé sur nos relations, et de laisser avec lui ma fierté. Les augures sont bons quant au succès de cette entrevue et ce sont les Dieux qui parlent, non moi. Dites-moi, ami, pourquoi vous être rangé du côté des traîtres quand vous êtes tout sauf de la race de ceux qui malconvoitent ? Notre régente n’éprouve point de mauvais sentiment à votre égard, je dirais même le contraire. Vous n’étiez pas de ceux que la cour voyait d’un œil prudent alors pourquoi vous stigmatiser de la sorte ? Et vous ostraciser par la même occasion ? Ces gens-là qui veulent la mort du royaume pour leur propre satisfaction, ils ne seront pas prompts à vous aider. L’ont-ils déjà fait seulement ? Mais passons, n’allons pas de suite nous miner l’esprit de funestes pensées : dites-moi simplement : comment vous portez-vous ces temps derniers ? »

La question était honnête. Il en espérait de la réponse. Lui, tout ce qu’il voulait, c’était un peu de calme. Juste. Un peu. De calme.