Solidarité féminine? [Pv Aleth]

La route se poursuivait encore pour Caley. Elle s’étirait à ses pieds tel un ruban sans fin, traçant son chemin à travers les forêts denses, les collines et les plaines jusqu’à atteindre les régions au climat plus ardent. Fille de la péninsule, Caley n’était pas habituée à ce genre de température et ses vêtements n’étaient guère adaptés. Résultat : elle avait terriblement chaud, manquait continuellement d’eau fraiche en plus d’attirer l’attention des badauds qui s’amusaient de son accoutrement. Difficile de passer inaperçu et comme Caley détestait avoir l’attention sur elle, la jeune femme restait constamment sur ses gardes de peur que quelque chose ne lui arrive. Quand même, on la connaissait un peu. Ce n’était pas la première fois qu’elle se trouvait dans la région. Certains avaient usé de ses services comme guide pour voyager ou avaient marchandé avec elle les quelques produits qu’elle avait ramassés durant ses pérégrinations. Malgré tout, elle n’avait pas une très bonne réputation. Baaz'Hima foisonne d’étranger venu de partout, principalement des marchands avides de richesses. Ici, on pouvait facilement tomber sur une troupe de nains ayant quitté leur vénérable montage et dans la minute suivante croiser une somptueuse délégation elfe dont la beauté fascinait depuis toujours la jeune femme. Toutefois, Caley n’entrait pas dans la catégorie des invités de marque. Elle n’était pas une marchande. Au mieux, on la voyait comme une vagabonde. On considérait d’un mauvais œil l’épée qu’elle gardait bien en vue, la main constamment sur la garde, prête à la sortir de son fourreau à la moindre alerte. On connaissait son caractère irascible et on en était venu à l’associé à une série de vols et affaires non élucidé. Les gardes la surveillaient étroitement dès qu’elle mettait les pieds dans la ville. Pourtant, Caley n’avait rien à se reprocher, mais elle savait qu’il suffisait d’un mauvais pas pour faire changer la balance. Bref, même si elle aimait cette ville, elle avait l’impression de marcher sur des œufs chaque fois qu’elle y mettait les pieds.

Caley n’avait pas l’intention de s’attarder trop longtemps dans la région. Elle était impatiente de retrouver des terres plus accueillantes et au temps plus agréable. Ici, le soleil tapait désagréablement sur sa tête et si elle ne faisait pas attention, elle se sentait rapidement désorientée et faible. Caley voulait surtout prendre les dernières nouvelles. Avec autant de gens venant d’un peu partout, c’était l’endroit idéal pour savoir ce qui se passait ailleurs. La jeune femme surveillait surtout les conflits qui déchiraient parfois les nobles de la région. Elle pouvait ensuite éviter soigneusement ses endroits. Avec l’expérience, elle savait maintenant qu’il valait mieux éviter de croiser une troupe de soldats en pleine campagne dans un endroit isolé. L’ennui les poussait parfois à prendre pour cible les femmes qui avaient le malheur de croiser leur route.

Caley avait laissé Una au soin d’un palefrenier dans une écurie publique avant de s’enfoncer dans les rues de la ville. Elle était étourdie par la foule dense qui avait pris d’assaut la capitale. C’était le repère idéal pour les voleurs qui pouvaient approcher aisément leurs cibles et ensuite disparaitre parmi les gens sans se faire remarquer. Caley avait vu ce manège si souvent, mais comme elle ne voulait pas s’attirer plus d’ennui, elle n’intervenait jamais. Plus d’une fois, elle s’était dit que ce serait tellement facile de faire ça, mais comme elle est une jeune femme honnête, elle n’osait pas. La rue ne fera pas d’elle une voleuse, c’est certain. Même si elle avait très faim parfois, elle ne voulait pas s’abaisser à ce genre de chose. Caley n’était pas complètement démunie, elle avait certains talents pour la survie. Elle connaissait la forêt comme le fond de sa poche, elle pouvait chasser aussi et elle maniait les armes habilement. Il faudra qu’elle soit vraiment poussée à la pire extrémité pour en venir à devenir une voleuse ou pire, une prostituée. Si le vol était déshonorant, vendre son corps était bien pire à ses yeux. Sur la route, elle avait croisé une foule d’établissements de la sorte et dans tous les genres. Certains affichaient un luxe certain et les femmes qui s’y trouvaient semblaient prendre un certain plaisir. D’autres n’étaient pas mieux que des trous à rats et les filles ressemblent à des ombres décharnées, au visage vérolé et au ventre flasque suite à de trop nombreuses grossesses. Autour d’elles grouillait une progéniture aussi maladive qu’elles et dont le destin des filles était déjà tout tracé et ça commençait parfois à un très jeune âge. Plus d’une fois, elle avait échappé de justesse à ce genre d’établissement lorsque sa route avait croisé par mégarde celui de rabatteur sans scrupules qui gagnaient leur vie en vendant les filles à des bordels. Il faut dire que Caley est une jolie femme et elle voyage seule. Personne ne semblait l’attendre, donc personne ne la chercherait si elle venait à disparaître et Caley le savait que trop bien. Souvent, ces rabatteurs n’étaient pas que de simples gros bras faciles à berner, mais des hommes bien entraînés, parfois d’anciens soldats capables de se défendre. Un contre un, ça pouvait aller, mais dès l’instant où ils s’y prenaient à plusieurs, la seule option pour Caley était la fuite.

Délaissant la rue achalandée, Caley s’engouffra dans une ruelle étroite et pratiquement déserte. Un chat passa à ses pieds, une proie dans la gueule. Un enfant l’observait à la fenêtre d’une maison, un sourire taquin sur son visage. Caley n’aimait pas la vie urbaine, mais d’un autre côté, ce genre de choses lui manquait. Ça lui rappelait la maison et Diantra. Ça lui rappelait sa prime jeunesse et les moments passés dans la ville avec son oncle lorsqu’elle suivait ses enseignements. C’était peut-être pour ça qu’elle n’aimait plus la vie urbaine : elle lui rappelait ce qu’elle avait perdu. Cette ville était un vrai labyrinthe et il était particulièrement facile de s’y perdre, même avec un bon sens de l’orientation. La ruelle déboucha sur une rue passante. Le marché ne devait plus être bien loin. Elle pouvait sentir l’odeur des épices et la foule semblait converger dans cette direction. La jeune femme emboîta le pas, n’ayant aucune idée de ce qu’elle cherchait. Elle n’avait pas l’intention d’acheter, mais d’aller à la cueillette d’informations. Elle n’avait pas non plus l’intention de s’attarder. Elle avait chaud et ne souhaitait plus qu’une seule chose : se trouver un endroit ombragé où passé le restant de la journée jusqu’à ce que le soleil tombe enfin à l’horizon.

En marchant, Caley ne remarqua pas les trois hommes dissimulés par une alcôve, le regard rivé sur les passants. Ils faisaient du repérage, engagé par l’une des grandes maisons de prostitution de la ville. Évidemment, ils n’étaient pas là pour trouver des victimes consentantes, mais de la chair fraiche qu’il sera facile de mater. Plusieurs jeunes femmes déambulaient dans la rue, pressées d’atteindre le marché, mais parmi elles, Caley se démarquait comme une tache d’encre sur une feuille blanche. Une étrangère qui ne savait visiblement pas grand-chose à la vie ici et qui marchait seule. Aucun compagnon en vue, une arme à la ceinture, mais rien de vraiment impressionnant ainsi qu’un joli visage. Certains hommes apprécient les femmes dominantes et Caley aurait certainement son lot d’admirateur… À condition, bien entendu, de mettre la main sur elle. Un échange de regard, le trio lui emboîta le pas à une distance raisonnable. Le but était de la traquer et de la repousser dans l’une des nombreuses impasses de la ville. D’une nature méfiante, Caley a toujours plus ou moins le sentiment d’être suivie lorsqu’elle est en ville. C’est la foule qui lui donne cette fausse impression. Cette fois, elle avait raison et du coin de l’œil, elle pouvait voir ses hommes qui marchaient au même pas qu’elle. Ils avaient surtout cette allure particulière qu’elle avait déjà vue avant. Lors de sa rencontre avec Marik, des hommes semblables avaient voulu s’en prendre à elle, mais le vieux soldat l’avait aidé. Malheureusement pour elle, il était peu probable de le voir surgir à l’improviste pour l’aider de nouveau. Caley n’attendit pas que ses craintes soient confirmées. Elle pressa le pas en espérant pouvoir les perdre parmi les habitants. Malheureusement, ils connaissent nettement mieux la ville que Caley qui courrait maintenant sans trop savoir où elle s’en allait. Elle ne vit pas cette jeune femme qui débouchait d’une rue perpendiculaire. Caley la percuta de plein fouet. Elle la regarda dans les yeux, la détresse clairement visible dans son regard, mais elle n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit. Les hommes allaient la rattraper alors elle reprit sa course. Elle se termina quelques mètres plus loin, dans une impasse. Cette histoire avait quelque chose de déjà vu. La rodeuse n’était certainement pas dans son élément dans cette ville. Caley se retourna, l’épée à la main, prête à faire face à ses adversaires.

Ce que la vie au Palais en tant que garde du corps pouvait être ennuyeuse parfois... Les épouses, concubines et favorites passaient le temps comme elles le pouvaient, attendant que ce soit à leur tour de passer dans la couche du Prince. En définitive, Azhar était sans doute celui qui s'amusait le plus, se payant ce qu'il voulait quand l'envie l'en prenait et se tapant une à plusieurs femmes par jour. La mercenaire, elle, devait passer ses journées à faire le pied de grue devant une porte, à filer le train de sa seigneurie ou de l'une de ses dulcinées et à essayer de trouver du repos dans un gigantesque dortoir rempli d'hommes dont aucun n'était... "valide".
La vie au sein de la compagnie lui manquait souvent. Les combats palpitants, les soirées au coin du feu de camp ou à la taverne des Hypolitains, et les coups d'un soir... Sans parler de l'intimité ! Aleth était loin d'être pudique mais elle appréciait de pouvoir s'isoler parfois afin de se retrouver seule avec elle-même. Quant à ses besoins charnels, si elle devait compter sur ses voisins de lits, elle aurait aussi vite fait de s'occuper d'elle toute seule. Et cela n'avait rien d'attrayant à ses yeux.

Afin de combler ces manques, la mercenaire découchait de manière régulière. Elle se faufilait à l'extérieur des murs du Palais en pleine nuit et se rendait dans un bar pas trop miteux. Elle s'installait ensuite au comptoir et attendait qu'on l'aborde, lorsqu'elle ne prenait pas les devants en faisant du rentre-dedans à un gars dont le physique la titillait. Elle avait du flaire pour détecter les types louches et les manières adéquates pour leur faire passer leur chemin vite fait bien fait...
Après avoir échangé quelques mots et vidé plusieurs verres, elle prenait ensuite une chambre et y entraînait sa conquête. Même si elle ne parvenait toujours pas à atteindre l'extase, elle avait appris à se satisfaire du plaisir que pouvait lui procurer un homme durant un rapport intense. Elle se resservait autant de fois qu'elle en avait besoin et, lorsqu'elle estimait qu'elle en avait eu suffisamment, elle l'invitait à la laisser seule. Le plus souvent, elle jouait les romantiques et les raccompagnait, leur offrant une dernière étreinte, un dernier baiser. Mais parfois, pour cause de mauvaise humeur ou face à un homme insistant, elle employait la manière forte et le gars se retrouvait en tenue légère dans le couloir avant de se voir balancer ses affaires au visage, lorsque ce n'est pas par la fenêtre... Elle pouvait ainsi profiter de la chambre pour elle toute seule pour le reste de la nuit.

Cette fois, Aleth avait abusé des bienfaits d'un jeune homme plutôt intelligent et bien bâti, menuisier de son métier. La soirée avait été très agréable et la nuit particulièrement bonne... Son amant avait quitté la chambre sans faire d'histoire et elle s'était couchée très enjouée, se remémorant leur dernier baiser plutôt passionné. Au petit matin, la bonne humeur était toujours au rendez-vous. Elle s'était étirée et avait pris un bain commandé la veille au soir avant d'avaler un bon petit déjeuner. Une fois fin prête, elle quitta l'auberge et prit la direction du Palais. La matinée était déjà bien avancée et le Grand Akhaban allait hurler mais rien ne semblait pouvoir entamer son moral.
La mercenaire se frayait un chemin à travers la foule à laquelle elle était désormais habituée. Entre Sol'Dorn et la principauté de l'Ouest, les différences étaient nombreuses mais elle appréciait cette vie. Ici, sa race n'était pas vraiment un problème car la mixité était très grande. On ne la dévisageait pas, hormis pour sa beauté, ce qui était plutôt plaisant. Devant son équipement chargé, les importuns peu zélés la laissait passer son chemin. Pour les plus audacieux, il lui suffisait de faire entendre qu'elle était Akhaban ou qu'elle émasculerait quiconque chercherait à s'en prendre à elle pour avoir la paix. Elle ne redoutait donc pas de se promener seule dans les rues, de jour comme de nuit.

Mais alors que son esprit rêvassait encore sur la nuit qu'elle venait de passer, Aleth fut brutalement rappelée à la réalité. Littéralement. Secouant la tête, elle se rendit compte qu'elle était allongée sur le sol car quelqu'un l'avait percutée de plein fouet. La sang-mêlé aurait bien lancé une réplique cinglante mais l'humaine se relevait déjà pour s'éloigner comme si elle avait Tyra aux fesses. Une main sur sa bourse, elle s'assura qu'elle n'avait pas été volée, même si la manœuvre aurait été plutôt grossière... Après s'être relevée, la mercenaire suivit la femme du regard et ne tarda pas à repérer ceux qui la poursuivaient. Des rabatteurs... Aleth ne les aimait pas, ni pour leurs manières, ni pour leur travail.
Sans prendre le temps d'y réfléchir, elle leur emboîta le pas. Visiblement, la fille qu'il suivait ne devait pas être du coin car elle se rendit droit dans une impasse isolée et se retrouva piégée, ses poursuivants lui bloquant toute retraite. Leurs ricanements avaient quelque chose de malsain et de détestable. Les trois gaillards avançaient prudemment vers elle, arme en main, cherchant le moyen de la chopper. Ils ne virent même pas la silhouette de la mercenaire qui se détachait de la lumière de la rue encombrée, pas plus qu'ils n'entendirent ses pas rapides tandis qu'elle prenait de l'élan. Montant sur un tonneau qui se trouvait là et utilisant une poutre qui dépassait d'une des habitations adjacentes, Aleth réalisa une acrobatie pour passer par dessus les trois hommes et atterrir entre leur cible et eux. Tout en se redressant, elle saisit ses armes et leur fit face, un sourire calme et assuré aux lèvres.

-Je passais une très belle journée jusque là mais donnez-moi une seule bonne raison pour rosser du rabatteur et je serais comblée.

Son insigne bien en vue, l'Akhaban ne craignait pas leur réaction. Et même si, dans la panique, ils décidaient d'attaquer, ce n'était pas trois gars armés qui lui feraient peur. Elle était entraîné pour ça et avait connu bien pire...
Jouant de toute l'intimidation dont elle était capable, elle fit un pas vers eux. Son attitude transpirait l'assurance et son regard dur fixait les importuns sans faiblir.

-Laissez la dame tranquille ou je vous ferais couiner plus fort que votre mère quand elle vous mettait au monde.

Visiblement, la jeune humaine avait autant de verve qu'elle, ce qui lui plaisait beaucoup. Il était assez rare de croiser une femme sachant se battre et qui en plus était capable de prendre le combat pour une forme d'amusement. Et puisque sa compagne d'un jour jouait à ce petit jeu... Pourquoi ne pas énerver encore plus ces fumiers de rabatteurs ? Elle prit un air pensif en enchaînant avec une nouvelle réplique provocatrice.

-Je suis déjà entourée d'eunuques toute la journée mais, vu leur tronche, je ne suis pas sûre que trois de plus seraient une grosse perte...

Devant les figures énervées des trois lascars, Aleth adressa un sourire à la femme qui se tenait à présent à sa droite. Lorsqu'elle porta à nouveau le regard vers leurs adversaires, ils s'étaient séparés et deux d'entre eux lui faisaient face. Apparemment, son insigne ne les avait pas dissuadé, pas plus que l'allure intrigante de ses lames acérées.

-Mauvaise décision.

Aleth s'écarta de quelques pas sur la gauche pour laisser à sa camarade l'espace nécessaire pour le combat. Elle saurait sans doute se débrouiller avec le rabatteur qui lui avait été désigné. Ceux qui l'affrontaient semblaient un poil plus adroits et l'un d'eux étaient relativement bien équipé pour un guerrier occasionnel. Une petite épée courte en main et des appuis solides faisaient sa force. Elle s'attacherait donc à se débarrasser du moins expérimenté en premier. Ce qui fut chose assez vite faite... Celui-ci se jeta sur elle dès le départ et elle n'eut qu'à l'esquiver et à lui donner un peu plus d'élan avec un coup de pied pour l'envoyer la tête la première contre le mur qui se trouvait derrière elle. A genou, les mains sur le crâne, il ne bougerait plus pendant un petit moment. Le temps pour la demi elfe de s'occuper de son acolyte.
Le rabatteur fit tournoyer son épée à plusieurs reprises par quelques mouvements plutôt habiles du poignet. Peut-être voulait-il l'impressionner pour la pousser à abandonner. Après tout, il n'avait pas vraiment intérêt à affronter un garde du corps du Seigneur de la cité. L'Akhaban haussa un sourcil et lui sourit, amusée.

-Tu veux jouer à ça ?

A son tour, Aleth commença à faire tournoyer les deux lames. Juste avec les poignets d'abord, et lentement. Puis elle alla de plus en plus vite, jusqu'à ce que l'on distingue tout juste ses armes. Elle ne se contenta bientôt plus d'utiliser ses poignets, étendant son mouvement jusqu'à ses coudes puis ses épaules pour faire passer des lames, toujours en mouvement, tout autour d'elle. Elle fit ensuite quelques pas en direction du rabatteur qui commença à reculer, comprenant qu'il ne faisait pas le poids... La mercenaire acheva finalement sa figure, frottant ses lames l'une contre l'autre, produisant ainsi un son métallique avant de s'immobiliser, un pied en avant, ses armes aux poings, prête à bondir si ça ne lui suffisait pas encore. Mais le salaud avait déjà reculé si loin qu'il était presque dans la lumière de la ruelle. Son compagnon ventru tailladé à l'abdomen avait déjà filé et disparaissait dans la foule.
Aleth rangea l'une de ses lames et fit volte face. Elle attrapa le troisième larron par le col et l'attira vers la ruelle avant de le jeter vers son compagnon. Il tituba et chuta. Le dernier rabatteur encore debout hésita puis vint finalement récupérer son acolyte avant de filer à son tour. Satisfaite, l'Akhaban rangea sa dernière arme et se tourna vers la jeune humaine. Elle la fixa un court instant, la détaillant brièvement, avant de rompre le silence.

-Désolé, tu voulais régler tes comptes avec ceux-là aussi peut-être ?

L'air faussement sérieux de la mercenaire ne trompait pas. Elle était d'excellente humeur déjà avant de se mêler de ce qui ne la regardait pas mais c'était bien mieux encore maintenant. Le Grand Akhaban pourrait toujours lui hurler dessus, elle serait totalement sourde. Plus rien ne pouvait noircir cette journée.
Elle lui adressa finalement un sourire amusé. Elle s'avança vers elle avant de lui tendre la main.

-Aleth, mercenaire.

Aleth n'avait pas vraiment besoin que la jeune femme qui se tenait devant elle en dise plus pour qu'elle comprenne à qui elle avait affaire. Sa présentation était presque inutile. Une femme voyageant seule, armée mais ne possédant pas un équipement des mieux entretenus, amenée à tuer sans vraiment le vouloir... Caley errait sur les routes sans autre protection que sa lame. La mercenaire ne put s'empêcher de penser qu'elle aurait pu finir comme elle si elle n'avait pas croisé le chemin de quelques membres de sa compagnie. Mais peut-être cette femme avait-elle choisi cette vie... Elle n'en savait pas encore assez long sur elle pour le savoir.

-Mercenaire, hein? Ça explique ta technique. Tu sais te battre, pas de doutes, mais ces types ont quand même voulu t’affronter. Finalement, ils avaient peut-être plus de couilles que je ne le pensais.

-Des couilles ou juste la trouille de rentrer les mains vides.

Une pensée amusant intérieurement la demie-elfe. Caley pensait ses compétences martiales liées à son emploi... Si seulement elle savait qui l'avait instruite et dans quel but elle serait sans doute surprise. Mais à elle, comme à tout autre, elle ne pourrait rien dire et elle ne lâcherait pas une seule allusion sur son entraînement. En huit ans, aucun de ses compères n'avait jamais rien appris sur elle avant son entrée dans la compagnie, et elle avait bien l'intention que les choses demeurent ainsi.
Quant aux rabatteurs, s'ils avaient une récompense pour leurs bonnes prises, il fallait aussi reconnaître que leur situation n'était guère enviable s'il devait revenir les mains. Surtout si le patron ou la patronne attendait du sang neuf.

-On ferait mieux de ne pas rester ici trop longtemps. Crois en mon expérience, ces hommes ont plus de ressources qu’il n’y parait.

Aleth afficha un air amusé. Sa nouvelle comparse avait prononcé cette phrase comme si elle ignorait tout de ce genre de vie. Bien sûr qu'ils trouveraient le moyen de revenir mais ça ne l'effrayait pas vraiment. Son travail consistait à déjouer des tentatives d'assassinat bien plus tordues et impressionnantes que ça. Alors ce n'était pas ces quelques hommes mal équipés et entraîné à donner des gifles qui allaient lui faire peur. Toutefois, elle pouvait comprendre que Caley soit plus soucieuse à ce sujet.

-J'ai un tour de garde à prendre... Mais je peux te trouver un abri avant.

S'engageant dans la rue, elle passa devant la rôdeuse sans la regarder.

-Suis-moi.

Elle ignorait si elle lui ferait suffisamment confiance pour la suivre. Elle venait certes de lui sauver les miches mais elle ignorait tout d'elle. Sans doute ne connaissait-elle même pas la signification de son insigne et, quand bien même, cela ne la mettait pas à l'abri de tomber sur quelqu'un de peu recommandable. Un petit coup d'œil derrière elle lui permettrait de rapidement savoir si elle devait continuer sa route ou si elle pouvait retourner directement au palais.

Aleth avançait d'un pas sûr, vérifiant de temps en temps que Caley la suivait toujours. En deux ans, elle avait appris à connaître les rues et les quartiers de Baaz'Hima. Si elles avaient été attaqué dans le quartier populaire et marchand, il en existait bien d'autres plus riches ou plus pauvres, plus dangereux ou plus calmes. L'Akhaban les avaient tous parcourus, certains comme une citoyenne lambda, d'autres aussi discrètement qu'elle en était capable. Elle avait repéré les quartiers mal famés et ceux où elle pourrait trouver de la bonne chair pour ses nuits de liberté mais aussi ceux où elle pouvait tout simplement jouir du calme et de la tranquillité dont elle avait parfois besoin en tant que solitaire. C'était d'ailleurs dans ce dernier qu'elle emmenait l'étrangère. Là-bas, elle pourrait se reposer à loisir sans craindre à nouveau les rabatteurs.

Par moment, Aleth se retournait mais son regard semblait passer à travers la rôdeuse. Elle ne cherchait alors plus à voir si elle la suivait toujours mais si quelqu'un d'autre les suivait. Par mesure de sécurité, elle prit quelques chemins détournés en passant par de petites ruelles encombrées dans lesquelles il était facile de perdre quelqu'un de gênant.
Puis, assez subitement, les rues de désengorgèrent pour laisser place à un grand calme ambiant. A la place du bruit assourdissant des marchés, il ne parvenait plus aux oreilles des deux femmes que le doux son du vie paisible. Une femme faisant sa lessive, quelques enfants qui jouaient gentiment, un petit groupe de vieux jouant aux dés... Le contraste avec la ville agitée et hyperactive était plutôt saisissant.
Aleth avançait toujours, suivait les rues qu'elle connaissait plus que bien. A quelques pâtés de maisons se trouvait une auberge dont la devanture était des plus soignées. Elle en poussa la porte qui donnait sur une petite entrée ouverte sur une salle aux tables bien lavées et disposées de manière structurée. A peine entrées, les deux femmes furent accueillit par un homme de belle stature qui sortait de derrière le comptoir.

-Aleth ! Cela faisait longtemps qu'on ne t'avait pas vue par ici ! Qu'Est-ce qui t'amène ?

-Bonjour Nassim. Je suis pressée, on m'attend au palais mais j'aurais besoin de tes services.

La mercenaire jeta un œil en direction de Caley avant de continuer.

-La dame aurait besoin d'un endroit tranquille où se reposer. Tu pourrais lui trouver ça ?

Nassim observa la nouvelle venue. Sa tenue n'inspirait pas vraiment confiance mais l'aubergiste était quelqu'un d'ouvert et de bon. Il leva les bras au ciel et parla avec un ton plein d'enthousiasme.

-Qu'Est-ce que je ne ferais pas pour un garde de notre Seigneur et une bonne cliente ! J'ai une petite chambre de libre. Ca ne sera pas le grand luxe mais ça devrait faire l'affaire.

Aleth lui adressa un signe de tête en guise de remerciement. Elle savait que Nassim avait quelques chambres pas chères qu'il réservait pour ce genre de situation. Elles n'étaient certes pas dignes de son établissement mais elles étaient plus propres que celles des taudis et le quartier était bien plus sûr. La mercenaire se tourna finalement vers Caley.

-Nassim s'occupera bien de toi. Il n'y a pas d'hôte plus agréable dans toute la cité.

L'aubergiste eut un petit rire devant la flatterie de l'Akhaban et la laissa poursuivre.

-Je reviendrais ce soir après mon service. Si tu es toujours là...

Aleth n'avait pas vraiment le temps de savoir si sa proposition lui convenait et elle n'avait pas les manière d'une dame bien éduquée. Elle ne pouvait rien faire de plus pour le moment (et encore moins pour une inconnue) et savait qu'elle allait se prendre un savon en arrivant... Ce qui aurait pu la déranger si elle avait le moindre respect pour cet idiot de Grand Akhaban.
Nassim, fidèle à sa réputation, entreprit de s'occuper de sa nouvelle cliente.

-Vous avez faim peut-être ? Il y a encore du petit déjeuner et sans me vanter je dois faire les meilleurs baghirs de la ville !

Le soir venu, Aleth se trouvait à nouveau dans les rues de Baaz'Hima. Sortir deux soirs de suite n'était pas dans ses habitudes mais cette fois elle n'avait pas l'intention de découcher. Ou en tout cas, elle ne comptait pas se chercher de la compagnie pour la nuit. Ses intentions étaient bien différentes car elle avait pris le chemin menant à l'auberge de Nassim à qui elle avait confié la charge de prendre soin d'une fille qu'elle avait tiré d'affaire alors qu'elle en ignorait tout.
On ne pouvait pas vraiment dire de cette Akhaban qu'elle avait une grande âme et qu'elle faisait preuve de beaucoup de charité. Elle savait mieux que quiconque que le monde était cruel et injuste et elle avait ses propres problèmes à gérer. Toutefois, il lui arrivait de venir en aide à son prochain sans rien attendre en retour. Ce matin-là, Aleth était intervenue pour empêcher une femme d'avoir à coucher avec un homme contre son gré parce qu'elle détestait cette idée mais aussi parce qu'elle savait qu'elle ne risquait pas grand chose, sûre qu'elle était de ses compétences martiales. Mais à présent, elle voulait en savoir un peu plus sur celle qu'elle avait aidée, ce qui lui semblait légitime.
Le fait qu'elle ne soit pas déjà partie serait déjà un bon point.

Entrant dans l'auberge, la mercenaire constata que l'activité était bien plus importante que lorsqu'elle était passé le matin même. La plupart des tables accueillaient quelques voyageurs ou gars du coin qui dînaient dans le calme. Seules quelques voix s'élevaient, formant un cadre sonore vivant et agréable.
Aleth s'approcha du comptoir où se trouvait le propriétaire des lieux et le salua.

-Je me disais bien que tu repasserais. Mais tu viens tard dis donc, la journée a été longue ?

-Pas mal oui. "Elle" est toujours là ?

-Ouiii ! Ca a l'air d'être une fille très bien. Un peu sombre mais très bien. Un peu comme toi en somme !

Aleth esquissa un sourire en coin et secoua la tête de gauche à droite. Elle ne se considérait pas comme quelqu'un de sombre mais plutôt comme ayant une partie de son histoire qu'elle ne souhaitait pas évoquer. Sans doute en était-il de même pour Caley, voilà tout. Auquel cas, ça ne la dérangeait pas outre mesure. Ce qui l'intéressait n'était pas tellement le passé mais plutôt de savoir à quel genre de personne elle avait affaire.

-Tu peux nous installer à une table ?

-Bien sûr. Assis-toi, je vais vous servir.

Nassim lui indiqua une table libre située dans un coin confortable de la salle puis envoya quelqu'un trouver la rôdeuse. Aleth défit les boucles qui retenaient les armes dans son dos pour pouvoir s'installer plus confortablement. Ayant peu de risques de rencontrer des problèmes dans ce quartier de la cité, elle posa ses lames sur le dossier de sa chaise. Personne n'y toucherait (ni n'aurait intérêt à le faire...). Elle retira ensuite sa veste et la posa sur la chaise d'à côté sans faire attention à l'insigne qui était resté en vue.
Se trouvant à présent dans une tenue plus confortable, elle prit place et observa les gens de la salle en attendant l'arrivée de Caley. Elle repensa à sa journée longue et pleine de péripéties. Au moins, elle avait pu travailler en solo, ce qu'elle n'avait pas fait depuis longtemps, et elle avait impressionné le Prince ce qui lui avait valu une jolie prime. Sans compter le clou de la journée : la destitution du Grand Akhaban de son poste. Ce traitre incompétent ne manquerait à personne... Ou en tout cas, pas à elle !

Aleth avait repéré la table où Caley discutait avec deux hommes. Elle les observa un moment, même après que la rôdeuse se soit levée pour venir la rejoindre. Elle était méfiante, pas vraiment par nature mais par obligation et ce depuis Sol'Dorn et, avant ça, d'Alonna. Toutefois, ce qui intéressait la mercenaire, ce n'était pas de savoir ce que Caley trafiquait avec eux. Ce n'était pas ses oignons. Elle était en revanche bien plus intéressée par la sécurité de son employeur et accessoirement de la sienne car, même si elle n'avait pas été inquiétée depuis sa fugue, elle se devait de demeurer vigilante.

Finalement, Aleth tourna son regard vers la rôdeuse alors qu'elle n'était plus qu'à quelques pas de sa table. Elle l'invita à s'installer tandis que l'aubergiste venait dans leur direction, un verre du vin local dans chaque main. L'Akhaban n'était pas du genre à se formaliser sur la politesse. Elle-même ne respectait pas vraiment les règles en vigueur, pas même avec le Prince. Après tout, il ne la payait pas pour faire des courbettes... C'est pourquoi elle lui répondit de la même manière.

-Je pensais pas en avoir pour aussi longtemps. Un petit imprévu au Palais.

Elle fut interrompue par l'arrivée de Nassim qui déposa un verre devant chacune d'elle.

-Y'a quoi au menu ce soir grand chef ?

-Agneau, boulgour et légumes.

Aleth fit un signe de tête en direction de Caley pour savoir si elle avait faim avant de passer commande. L'aubergiste repartit alors et, arrivé à hauteur des cuisines, cria le nombre d'assiette dont il avait besoin et pour quelle table avant de retourner à son comptoir. Pendant ce temps, la mercenaire reprit la conversation, semblant ignorer les hommes avec qui la rôdeuse discutait un instant plus tôt.

-J'imagine que tu n'as pas l'habitude d'attendre tranquillement quelque part ?

L'Akhaban eut un sourire en coin. Sur ce point, elles étaient très différentes. Bien qu'impatience dans ses relations sociales, elle était capable d'attendre aussi longtemps que nécessaire pour parvenir à ses fins dans les autres domaines. Toutefois, elle imaginait sans peine ce que pouvait éprouver quelqu'un qui ne tient pas en place et que l'on contraint à ne pas bouger.

-Les rues sont encore moins sûres la nuit que le jour. Je te conseille d'attendre l'aube. Je peux te donner un itinéraire pour aller où tu veux sans risque si ça t'intéresse.

Aleth écouta l'anecdote sur Ascanio d'un air amusé. Elle ne le connaissait pas mais l'idée de se retrouver dans la même situation avec Azhar avait de quoi faire sourire. Il était certes quelqu'un de mesuré et d'intelligent, il n'en serait sans doute pas moins une plaie une fois sorti de ses draps de soie et pataugeant dans la boue. Il perdrait beaucoup dans son estime et son respect... Déjà qu'il n'était pas facile à gagner...

-Je vois ce que tu veux dire. Les princes ont l'habitude de tout avoir sur un plateau et quand tu leur dis "non, c'est impossible" c'est dur pour eux de comprendre. Et plus ils en ont dans les coffres, pire c'est.

Baaz'Hima était une ville particulièrement riche alors on pouvait aisément deviner ce qu'il en était de la fortune de son Seigneur. Mais pour l'instant, Aleth s'était tenue relativement loin d'Azhar et n'avait fait qu'entendre parlé de ses exigences. Elle n'avait pas eu à vivre la chose de près. Ce jour-là, c'était d'ailleurs la première fois qu'elle lui avait parlé vraiment... Tout ça pour lui sauver les miches.

Nassim apporta de verres avec un pichet d'eau et un autre d'alcool. La mercenaire se servit un verre et en proposa un à Caley avant de boire une gorgée. Elle avait bien mérité un peu de détente après la journée qu'elle venait de passer...
Elle écouta néanmoins son interlocutrice lui parler du contrat que l'on venait de lui proposer. Sans pouvoir s'en empêcher, Aleth porta à nouveau son regard sur les deux hommes et les étudia. Vouloir éviter les routes n'était généralement pas bon signe. Soit ils préparaient des affaires louches, soit ils voulaient éviter de se faire voler quelque chose de précieux par des bandits de grands chemins. De toute façon, ces hommes partaient. La sécurité d'Azhar n'était donc sans doute pas compromise.
Pas par eux en tous cas.

-Ça ne doit pas être facile d'être mercenaire.

Aleth reporta son attention sur la rôdeuse et l'écouta jusqu'au bout. Elle était effectivement bien placée pour comprendre les problèmes que Caley rencontrait, d'autant qu'elle ne cachait pas sa beauté et ses atouts féminins. Toutefois, elle avait pour elle l'assurance de pouvoir toujours se sortir de ce genre de situation car elle n'avait pas été entraînée à se défendre... mais à tuer de manière rapide et efficace.

-C'est pour ça que j'étais dans une compagnie. Et, oui, il y a très peu de femmes dans le milieu. Mais les seules attaques sont tu es la cible dans ce genre d'organisation, c'est de leurs moqueries ou de leur envie de te protéger. Jusqu'à ce que tu leur aies montré que tu vaux ton salaire. Là, ils te considèrent comme leur égal.

Deux assiettes fumantes furent posées devant chacune par un serveur de l'auberge qui commença à vouloir demander le règlement du repas comme ça se faisait pour éviter les mauvais payeurs. Nassim le coupa dans son élan, rabrouant son employé en lui demandant de ne pas insulter de la sorte une Akhaban : Elle n'oublierait pas de payer en partant !
Aleth saisit son couvert et commença à préparer une bouchée.

-J'ai laissé une place libre en partant si jamais ça t'intéresse.

Elle enfourna alors sa cuillère. Décidément, c'était toujours aussi bon... Mais il fallait aimer manger un épicé, même si Nassim prenait soin de ne pas trop pimenter ses plats pour les étrangers.