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 Le bout du monde [Arichis]

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Cléophas d'Angleroy
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MessageSujet: Le bout du monde [Arichis]   Le bout du monde [Arichis] I_icon_minitimeVen 15 Mai 2015 - 21:09


« Alors c’est cela, Ydril ? »

Elle paraissait moins imposante que sur les enluminures, ses murailles plus trapues, ses tourelles moins hautes. Derrière le bois ajouré du palanquin tu admirais la masse travailleuse, bêcheuse et silencieuse qui, fourche à la main, cultivait et retournait cette terre sèche du sud de la péninsule. Les gens du pays avaient la face brunie par le Soleil et le labeur, les muscles saillants et gonflés de la manipulation de leurs outils de fer et de fonte tandis que leurs mains et leurs haillons étaient blanchis par l’écume. Cette petite terre coincée entre deux océans, avec ses effluves de lavandin, d’iode et de maquis, avait un air de bout du monde. Par-delà les toits blanchis à la chaux de la cité-riante, qui avait vu s’entasser les morts et les dolents, il n’y avait plus qu’un horizon infini chargé des rêves de milliers de générations d’hommes, de cartographes, de navigateurs, d’explorateurs, de marchands et d’autres curieux. Même pour toi, cette ville portuaire annonçait la fin de quelque chose.

Il faut dire pourtant que le voyage n’avait pas été long depuis Soltariel, suffisamment toutefois pour qu’on dût s’arrêter et apprêter ton bras droit d’une nouvelle gaze fraîche et parfumée te dévoilant l’état de tes plaies, toujours suintantes, toujours écarlates. Que diable faisait Lévantique ? Où, ses prières ? Où, ses sortilèges ? Encore une fois on dut appliquer du vin épicé, du vinaigre en sirop et un cataplasme épais dans l’espoir que tu cicatrises, mais ils étaient naïfs les physiciens qui pensaient qu’un peu de pommade pourrait calmer la morsure du feu de Pharet. On s’inquiétait en secret de ton état de santé, craignant un mal caché qui se serait propagé à l’intérieur de ton corps car de l’extérieur, rien ne laissait paraître de ton état de convalescent. C’était sans doute cela qui alimentait la légende désormais vivace du Serafein, du Feu-Sauvé qu’on saluait dans les rues de Merval – s’ils savaient. Tu profitais des quelques heures de conscience que t’offrait la Damedieu pour griffonner quelques missives qu’on prendrait soin d’envoyer depuis un des colombiers depuis la pointe méridionale de la péninsule et continuer d’avancer sur tes chroniques. Ce vieil amour qui t’avait balancé de cour en cour lorsque tu n’étais qu’un jeune nobliau d’une maison des plus secondaires, tu le retrouvais. Sans pouvoir l’expliquer, tu sentais qu’un jour la péninsule aurait besoin d’une autre version des faits, d’une autre version que celle que le Boucher et ses sbires étaient en train d’écrire avec le sang des justes et des innocents. C’est justement ce sentiment qui t’avait incité à prendre contact avec le comte d’Ydril, ce vieil insubordonné qui avait irrigué la péninsule d’un sang qui, comme celui de tous les hommes, était viciable à l’air libre.

On avait annoncé ta venue par une courte missive, néanmoins courtoise. Ydril était devenue un lieu de rendez-vous pour la nouvelle cour qui se faisait un plaisir d’y élire ses quartiers d’été, maintenant qu’elle ne pouvait plus prendre l’air à Edelys et que Merval était trop exotique à leur goût, aussi tu savais que l’on t’y recevrait sans rechigner, d’autant plus que tu restais le Grand Chancelier du Royaume et Prince du Mervallois. D’aucuns au Nord auraient pu se poser la question de ton identité mais ta suite servait à montrer l’étendue de ta puissance nouvellement acquise, nouvellement reçue des mains même de la Damedieu par l’intermédiaire de la régente au nom du Roy-très-saint, Bohémond le Premier de son nom. Il suffisait de compter le nombre d’écuyers, de montures, de porte-malles et d’autres badauds que l’or attirait pour savoir qu’on comptait sur l’un des pairs du royaume, de cet ancien royaume qui n’en avait jamais été un et dont tu ne voulais en aucun revoir les contours. Mais personne n’avait à savoir cela, point encore du moins. Non, pour le moment, seul comptaient l’Anoszia, ses rides et sa réputation de vassal téméraire qui avait néanmoins été gracié par une princesse non moins hardie. Alors qu’on approchait d’une des portes de la cité, le calme plat de la campagne se mua en une compotée de cris, de rires, de huées, d’éclats de fer, le tout parsemé de cet horrible accent ydrilote qui semblait avilir cette langue péninsulaire qui, en elle-même, n’avait déjà rien d’agréable. Fallait-il que ces traîtres du Médian t’aient aussi fait perdre le goût de ton propre langage en plus de celui de rendre la justice ? Même juché sur son trône en plumes d’oie, le Boucher parvenait à ruiner tes plus infimes moments de grâce et de sincérité comme celui-ci où tu étais là devant un royaume en paix, insouciant des manigances de couloirs et du nid de serpents qui se cachait dans les hautes herbes. D’un geste tu fis stopper le convoi et descendis de ton palanquin – l’air était bon.

La cité ne portait pas tant de stigmates que tu l’imaginais. Les visages n’étaient point affligés ni les femmes apeurées. Il y avait toujours autant d’enfants dans les caniveaux, de linges pendant aux fenêtres des auberges et toujours autant de bannières flottant dans le vent au-dessus du palais comtal qui apparaissait comme lavé du sang de ses traîtres : la vision bien que banale était presque enchanteresse, et tu pouvais comprendre pourquoi le comte tenait tant à son siège taillé dans le calcaire. Tu pouvais le comprendre car après tout, Merval n’était pas si lointaine de sa cousine méridionale, elle était seulement plus exotique. La traversée de la ville se fit en douceur, flanqué de tes gardes en armures d’apparat, de quelques cataphractaires reluisants et d’une armée de thuriféraires, de céroféraires et de chantres qui berçaient ta montée vers le palais par des chants d’une exquise beauté. On comptait aussi des bannerets, des porte-glaive, des porte-sceptre et la foule habituelle de maîtres-queux, d’alchimistes, d’érudits, de marchands, de curieux et d’autres badauds qui profitaient de la garde d’un prince pour voyager en toute sûreté à travers les landes. Le tout formait néanmoins une foule assez compacte qui s’étirait depuis la porte jusque dans les rues en un long fil de pourpre qui semblait n’avoir pas de fin. On passait les dernières demeures et on s’approchait du palais comtal. Plus de badauds aux fenêtres mais des gardes aux regards tantôt torves, tantôt émerveillés mais toujours étonnés de voir ce spectacle se dérouler devant leurs yeux. Avaient-ils seulement mis le pied une fois à la capitale s’ils s’étonnaient de voir une si modeste procession devant celles qu’on traînait devant le dais royal au temps de la paix d’Arsinoé ? Les dieux avaient-ils abandonné l’esprit de ces bonnes gens pour qu’ainsi ils s’émerveillassent de simples apparats ? Que diraient-ils s’ils étaient à Merval, les pauvres.

Pour le moment, tu n’étais plus à Merval en revanche tu étais à Ydril et même en son cœur. La silhouette du palais te toisait de même que ses bannières, ses gardes et ses tourelles toujours aussi trapues vues de près. Bientôt on te déposerait face à une flopée de pages et de petits dignitaires qui te conduiraient au maître des lieux, bientôt il faudrait que tu quittes ton cocon de lin et d’acajou pour sortir de nouveau au grand air et donner à voir la splendeur d’un royaume qui n’en était qu’à ses balbutiements. La seule idée de devoir à nouveau afficher une face de seigneur te chargea de migraines si fortes que la tête commença à t’en tourner. Elles ne se calmèrent pas lorsque l’eunuque se présenta dans le palanquin, ni lorsqu’il te revêtit de la chlamyde de pourpre et d’or. L’œil fixé dans le vide de cette cour pavée et remplie de noblesse, tu sentis à peine le poids du sceptre peser dans ta paume et la chaleur de l’encensoir chauffer les poils de ton torse. C’était devenu une habitude de cacher un petit encensoir sous ta tunique, souvenir de ce feu qui avait failli à te ravir au monde des vivants, pour t’envelopper d’un nuage de fumée que tout le monde attribuait à de la magie. Il fallait dire qu’on avait fait graver sur le petit objet de la taille d’un abricot les runes « Qui brûle mais ne s’éteint » afin que de jour comme de nuit tu sois enveloppé d’une brume qui sentait bon le pin, le ciste, les cyprès et le cuir. La clameur des chants, on ne peut plus forte était devenue un bruit sourd à tes oreilles de même que l’armée de chantres en habits d’andrinople ne ressemblait plus qu’à une forêt d’arbres en flammes. L’eunuque aux mains poudrées déposa une couronne sur ton front et tandis qu’un autre ouvrait la porte du palanquin, il te poussa légèrement vers la sortie.

Tous tes sens te revirent aussitôt et la tête ne te tournait plus. Ta vue eut juste le temps de se stabiliser sur l’homme qui se tenait dans l’obscurité des portes grandes ouvertes du palais. C’était un homme fier et fort, grisé par les années, la barbe salée comme la mer et le regard tranchant comme l’épée. L’eunuque se pencha discrètement à ton oreille pour te souffler son nom.

«Je sais qui c’est. » lui répondis-tu sèchement.

L’Anoszia.

Le voyage touchait à sa fin.
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Arichis d'Anoszia
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MessageSujet: Re: Le bout du monde [Arichis]   Le bout du monde [Arichis] I_icon_minitimeVen 29 Mai 2015 - 0:48

On avait entendu parler de l’Angleroy ici et là. Une désagréable rumeur circulait à son propos, il aurait incendié la capitale des hommes avec du feu de Pharet avant de fuir avec sa suite, Néera pour le punir de son forfait l’aurait léché avec ce même feu une partie du corps, afin de lui rappeler jour et nuit son sacrilège. Mais Arichis comprenait. Il aurait fait de même s’il était le dernier gardien d’un royaume en perdition sous la coupe d’avides voisins méprisants. Il aurait tout brûlé, mais contrairement au Chancelier, il ne se serait pas montré lâche et aurait fait ce qu’il devait faire. Brûler avec sa cité car ainsi passe la gloire du monde. Sur la plus haute tour de Peyredrac, L’Anoszia contemplait l’Eris, regardant dans la direction de Meca et se remémorant une ancienne conversation avec Maciste, avant sa maladie. La grande île des pirates qui avait tant fait parler d’elle lors de la dernière décennie. Ydril était le plus grand port de la péninsule, on y déchargeait des marchandises venant de Baaz’Hima à Naelis, et de Lante jusqu’à la voisine Ysaroise, mais on y déchargeait également de la contrebande et des marchandises volées venant de Meca. On y écoulait ce qui avait été volé par des pirates sur les marchés noirs. Arichis décolla son regard de l’étendue bleue lorsqu’on l’informa que le Princillon, comme on aimait l’appeler dans le langecin allait bientôt pénétrer la ville.

Son arrivée était attendue. Son annonce avait été faite par une missive simple mais suffisante, le motif de la visite restait toutefois flou. Alors on s’était préparé pour recevoir le numéro deux du royaume. Le palais avait été nettoyé de fond en comble par les esclaves afin de faire briller toute argenterie et statue de marbre, d’ailleurs durant les journées qui précédaient cette venue, Arichis posait pour des maitres sculpteurs afin d’avoir sa propre effigie au château, cadeau des Yspania qui faisaient tout pour se faire pardonner. De grandes tables avaient été installées dans la cour intérieure du château et la table d’honneur sur l’estrade perpendiculaire aux autres tablées. Elles étaient dressées sous de grandes tentes pour se protéger du soleil entre plusieurs carrés de jardins. On pouvait de là, dans le calme, entendre le bruit des vagues de l’Eris venant se fracasser contre les rochers. Une troupe d’artistes, appartenant à la princesse estreventine Milynéa avait été embauché pour l’évènement. Le tout était de montrer aux mervalois que les Anoszia savaient recevoir les personnalités importantes en bonne et dû forme. D’autant plus que la ville n’était pas en reste, elle aussi avait entendu la nouvelle. Elle aussi s’était préparée. Avec le retour de l’esclave, le marché des corps faisait une bonne affaire. Des établissements avec des esclaves sexuelles ouvraient ici et là, offrant des services moins chères aux citadins. Des bains publics également, aux ambiances estreventines, proposant des masseurs eunuques et masseuses enchainées. Les tavernes et les auberges étaient heureuses de recevoir tout ce beau monde qui devait accompagner la suite de l’Angleroy. Partout, claquées à la brise, les bannières des dragons d’or et de sinople, les dragons anoszia et systolie qui régnaient sur le comté.

Le Gryfon était là. Sa procession suivait. Alors Arichis se déplaça aux portes, vêtu d’une tunique d’apparats sable brodé d’or, pas question de mettre une armure sous ce soleil, et d’une cape rouge rabattu sur l’épaule et amenée sous le bras gauche, d’un rouge brillant. Autour de lui, les piquiers de la garde pourpre, drapés de rouge et couronné d’un heaume d’apparats aux reflets dorés et à la forme d’une tête de dragon. La garde du régent. La milice des Systolie avait été démantelée, totalement, les gaillards avaient trouvé d’autres armées privées qui enrôlés ou avaient tout juste raccrochés. La garde pourpre était devenue la garde d’honneur du comté. Et elle était présente, en quasi-totalité.


« Son Altesse Princière, Cléophas d’Angleroy, Prince du Mervalois et Chancelier de Sa Majesté le Roy Bohémond Ier. »

Les trompettes sonnèrent, une deux et trois fois pendant que ledit prince descendait de son palanquin. Couronné. Arichis ne l’avait jamais rencontré, ils n’avaient pas servi les mêmes rois et donc pas fréquentait l’ancienne capitale en même temps, mais il était reconnaissable entre milles. L’homme qui avait soi-disant brûlé Diantra, celui qui avait acté la scission du royaume. Le patriarche leva ses bras, à hauteur de ses épaules et clama assez fort pour ceux qui précédaient le prince.

« Soyez les bienvenue à la Bellà-Ydril. » Il n’avait pas l’accent aussi chantant que les autres ydriains, mais la sonorité de ses phrases trahissait malgré tout ses origines méridionales. Il patienta le temps qu’ils grimpent tous les marches et les guida vers la cour intérieure, où un banquet les attendait.

Cléophas n’était pas aussi grand que ce à quoi il s’attendait finalement.

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Cléophas d'Angleroy
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MessageSujet: Re: Le bout du monde [Arichis]   Le bout du monde [Arichis] I_icon_minitimeJeu 4 Juin 2015 - 23:41


« Prince du Mervalois, qu’est-ce que c’est encore ? Merval. Mer-val, ce n’est pas compliqué. Merval ! »

Tu ruminais. Ydril était vraiment le Sud, ce Sud qui avait la réputation de n’être au fait de rien de ce qui se passait au Nord, c’est-à-dire au-delà des forêts et des collines de Soltariel. Sauf que ce héraut ne venait pas d’Ydril mais de chez toi, ou plutôt de chez Kahina. A le regarder de plus près ce n’était qu’un petit éphèbe joufflu, ses yeux engoncés entre des arcades proéminentes et les pommettes saillantes d’un poupon, qu’il était. Il avait bien appris sa leçon, hormis la leçon était truffée d’erreurs. Mais pouvais-tu lui en vouloir vraiment à ce jeune homme de ne pas connaître ta titulature telle qu’elle avait été inscrite dans les registres princiers au soir de ton couronnement ? A son égard tu te montrerais clément, le temps n’était pas aux remontrances, aux écartèlements ou autres supplices qui, s’ils étaient d’un exotisme indéniable, pouvaient s’avérer déconcertants. Arichis se tenait face à toi, planté comme une tige de fer dans le sable, encadré par ses rangées de gardes qui dégageaient une odeur de faconde et de cire à lustrer. Encadré par ses molosses, le Comte faisait pâle figure, tassé sur ses vieux os sans doute las des guerres passées, de celles à venir –et elles seraient nombreuses si l’on en croyait l’ardeur de sa descendance à vouloir rompre les chevilles de tous les rois qu’il rencontrait. Néanmoins, sur ce visage qui gardait en ses rides la trace des trahisons passées et celles d’une éternelle suspicion tu pouvais déceler une once d’humanité là, quelque part derrière la trouble couleur de ses iris que l’éclat du Soleil voilait à tes yeux. D’un ample geste tu t’approchas de lui et l’embrassa fraternellement. Fallait-il y voir le signe d’un pardon venu de la capitale, scellé dans la chair ? Ou d’un pardon venu de plus haut encore, de ces demeures de nuages et de zéphyrs dont la rumeur disait que tu étais un représentant ? Pour toi ce n’était qu’une embrassade amicale à cet homme qui, en dépit de ses nombreuses erreurs, avait pour lui un certain honneur ; à cet homme qui en dépit d’une descendance larvée et d’une semence apparemment empoisonnée avait eu le bon réflexe que d’embrasser la véritable Couronne pour l’optique d’une paix plus véritable encore. Et puis après tout, ne fallait-il pas pardonner à ceux qui reconnaissaient leurs fautes, puisque toi-même tu avais échappé aux rets de la mort ? N’était-ce pas justement pour apporter comme une vague d’eau fraîche, l’infini pardon à ceux qui se repentiraient ? Au Boucher lui-même s’il laissait mourir en lui l’orgueil qui l’avait mené à déchirer un royaume ? Tout ceci passait en ton esprit alors que ton bras gauche reposait sur le dos du suderon, le droit restant caché sous les plis de ta chlamyde.

« Adafaee ! Mon frère.  Ainsi je mets un visage sur ce nom qui a fait trembler le Langecin et le Soltaar tout entiers. Je dois le dire, l’ami, je vous imaginais moins grisonnant. »

L’ydrilote ne dessillait pas les lèvres tout au plus avait-il réussi à esquisser un rictus du coin de l’œil. Le mot était donc vrai : l’homme avait le cœur salé et plus endurci qu’une coquille d’huître. Cela te changerait bien des exubérances mervaloises où l’on se faisait un devoir de rire à grande voix et de pleurer à chaudes larmes pour exprimer la joie ou la contrition. Au moins, il avait le sens de l’accueil. La cour avait beau être close et le tonnerre de l’Eris assourdissant, les relents iodés d’algues et d’aldéhydes avaient beau te bourrer les narines, tu pouvais entendre le doux chant d’un trouvère et percevoir parmi mille arômes qui se bousculaient, celui du sucre et des fruits mûrs qui attendaient au soleil. Un sourire s’accrocha à ton visage à l’idée de croquer dans une prune juteuse et de te délecter de son suc et de sa chair empourprant tes lèvres et ton menton, tant et si bien que dans un élan de fugace allégresse tu fis s’approcher deux jeunes pages : ils avaient à peine atteint leur quinzième année, tous deux issus d’une même fratrie, presque jumeaux tant ils se ressemblaient par la taille et les traits. Côte à côte, ils se détachèrent de la suite et s’avancèrent, noyés sous de grandes pelisses écarlates rehaussées de fourrure blanche qui se prolongeaient en des traînes insolemment longues. Ils présentèrent à leur hôte un coffret chacun, qu’ils ouvrirent soigneusement. Tu leur fis signe de s’approcher de plus près, les présentant à Arichis.

Dans le plus gros des coffrets, tout en cuivre ciselé, on ne voyait qu’une chose. De l’eau. Ou plutôt de la glace qui avait tenu le trajet par la grâce des Cinq et l’aide salutaire de quelques mages dont la discrétion avait été récompensée. Merval était une terre où les étés pouvaient être torrides alors que devait-il en être d’Ydril ? C’était le luxe suprême du palais princier de proposer en plein été à ses hôtes, lorsque le Soleil brûlait le pavé, des coupes débordant de glace pilée. Et voici que tu en offrais un plein coffret à l’ydrilote qui assurément comprendrait la valeur d’une denrée si rare, si précieuse, si fragile en ces terres. Tout réaliste que tu étais, tu savais que cela ne contenterait pas l’appétit d’un homme dont l’ambition avait poussé au pire, aussi tu lui présentas le deuxième coffret. Celui-ci ne payait pas de mine et en l’ouvrant, on ne voyait rien qu’un morceau de velours noir. Tu en tiras une bille, ou plutôt une pierre en forme de goutte de la taille d’une nèfle. C’était une pierre noire comme la nuit, une sorte d’obsidienne en laquelle s’étaient formés des cristaux qui à la lumière viraient à l’indigo et surtout, en son cœur brûlait une larme de feu de Pharet, toujours vive, toujours chaude qu’on avait enfermée dans la pierre alors qu’elle brûlait encore. En vérité, tu ne devais cet exploit à aucun orfèvre sinon au plus grand des orfèvres, Mogar, qui avait dispersé quelques-unes de ces billes dans les grottes de Merval où la naphte affleurait, ou du moins c’est ce que disait la légende. Sans comprendre comment ni pourquoi la flamme restait vivace et la pierre tenace, tu avais fait ramasser chacune de ces merveilles pour les consigner en un lieu reclus. Jamais tu ne t’étais essayé à briser la pierre, ta prudence et ton instinct de survie ayant tempéré ta curiosité mais aujourd’hui, tu offrais ce cœur pulsant de Mogar en espérant qu’il réchauffe celui, pétrifié, de l’Anoszia. Le saisissant de ta main saine, tu la lui déposas dans la paume et l’œil verrouillé dans le sien tu lui dis, suave et serpent :

« A ne pas mettre entre toutes les mains. »

Derrière toi, les thuriféraires agitaient leurs encensoirs et embrumaient la cour tandis que le reste des chantres et des pages passait les portes et s’amassait derrière le palanquin. Merval aussi avait le sens de la mise en scène, d’autant plus que tu étais devenu le sujet d’un cérémonial pompeux et précis, vieux de plusieurs siècles et que l’on avait déterré lorsqu’il avait fallu te rendre les hommages dus. Après quelques politesses enfin vous passâtes à la suite. La cour avait des allures de lice en plein tournoi : l’argenterie, les tentes, l’estrade et les morceaux de verdure se frayant un passage entre les tréteaux des tables. Dans cet écrin taillé dans la roche, tu pouvais entendre l’Eris déchaînant ses lames contre le piton rocheux sur lequel était posé le château. Au-dessus de ce chaos de saphir et d’écume, les jardins comme suspendus avaient une odeur de paradis et l’on pouvait aisément s’imaginer à la place d’un dieu qui, du haut de son repos guettait nonchalamment le tumulte miradelphien. C’était à dire le vrai, un peu de cela. Arichis et toi en somme aviez quitté le devant des combats et les lignes de rixe pour vous retrouver au donjon, si haut et si loin que l’odeur de sang, d’urine, de sueur et de terre retournée si particulière aux batailles ne pouvait vous atteindre. L’heure n’était pas encore très haute, aussi, pendant que vos suites respectives apprenaient à se connaître Arichis et toi marchâtes dans les jardins et là, tu t’adressas à lui.

« J’admire votre poigne Arichis. En passant dans la ville, personne n’aurait pu dire qu’elle avait été le théâtre d’une guerre fratricide qui aurait pu déchirer le Soltaar entier. Il faut croire que vous avez le soutien de la populace ce qui, en nos temps troublés, n’est pas chose évidente. Je me demande comment Diantra s’accommode de la venue du Boucher et de ses sbires. Nul doute qu’à l’heure même des groupes entiers doivent se réunir en milices pour semer la pagaille dans ce qu’il reste de la capitale. »

Car tu n’avais toujours pas eu de nouvelles de Diantra. Toute correspondance avait été interrompue et tes quelques amis négociants n’avaient plus leurs entrées dans cette capitale ravagée par la ruine, les flammes, l’insécurité et bientôt la famine. La dernière image que tu avais de la ville était celle des tours du palais emportées dans des gerbes de flammes dansant sous les coups de fouets d’un vent battant. L’air empestait le soufre et la poix, une chape de fumée noire, plus que la nuit, pesait au-dessus des toits de la cité et soufflait au Sud, là d’où tu étais ressorti des souterrains. Damys t’en avait bien apporté quelques nouvelles ainsi que la rumeur qui parcourait les camps de réfugiés installés sous les murs de Merval et de Soltariel mais rien de tangible, rien de concret, laissant libre cours à ton imagination. Assurément, il faudrait au Velterien de forts arguments pour asseoir son autorité plutôt que sa légitimité sur un peuple farouche et épuisé par les guerres de roitelets. Ces arguments tu les connaissais : ils s’appelaient pals, fourches, piques, échafauds ; miliciens, cavaliers et autres gardes d’apparat qui débarqueraient en foule dans les rues, pour les sécuriser diraient-ils. Tu te demandais comment le peuple prendrait cette soudaine irruption de soldats étrangers dans ses rues encore enfumées et visqueuses de suie. Le royaume n’était plus qu’un rêve : il n’avait jamais été autre chose qu’un songe sorti d’un esprit téméraire mais tout aussi tyrannique, celui du premier Fyram qui, au nom d’une prétendue vision, entreprit la conquête d’une multitude de cités plus vieilles que son sang. Tu devais le reconnaître : il avait réussi. Mais la débâcle de son héritage prouvait  bien une chose : que les œuvres humaines sont vouées à la ruine. Tu comptais bien ne pas réitérer le fiasco connu par tes ancêtres, celui qui vit s’effondrer le plus beau des Empires et ses principautés. Toi, Cléophas, quel serait ton héritage ? A cette pensée, tu repris la parole.

« Une chose me chagrine toutefois. Bien que je me réjouisse de ce que vous ayez prêté serment à la véritable Couronne et n’ayez pas profité des troubles récents pour faire sécession ou pire, rejoindre les rangs des félons, je suis en situation –et quelle situation- de remarquer qu’il n’en est pas de même concernant les autres de votre lignée. Vous devez bien comprendre l’embarras dans lequel cela place la Couronne...

Voyez ! Le fils d’un des garants de la sureté du Roi : insoumis, félon, parvenu, prêtant serment à l’ennemi juré de notre bon Roy, au même homme qui a forcé la Régente sa Mère à fuir vers Sharas, cet homme qui dans sa rage meurtrière a plongé Chrystabel dans le sang et le Médian dans la misère, cet homme même qui ne vit que dans l’optique d’ôter la Couronne du front de notre suzerain pour se la poser sur la tête ! Dois-je aussi rappeler que votre fils a récemment mené une attaque contre Nelen, terres exclusives de notre Roy ? Aussi je viens vous demander Arichis : quelle réaction devrons-nous espérer de votre part ?

Croyez bien que je vous consulte pour éviter d’autres désastres. Si la Couronne elle-même devait répondre à cet affront, qui sait quelles en seraient les pertes ?
»

Oui, toi aussi tu pensais à ton héritage, à celui de Bohémond, ce bonhomme plus blond que les blés qui avait toute ton affection de par celle que tu portais envers sa mère. D’aucuns tournaient leurs regards vers une tiare sertie de diamants, d’autres vers les marches du Nord et les terres inconnues par-delà l’Adurie. Toi, c’est vers l’Est que ton regard se portait, cet Orient qui respirait les épices et le passé, d’où tout a commencé et où tout serait récapitulé…
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