Mort à Edelys

Sombre attendait tranquillement dans la taverne avec son complice. Ce dernier se nommait officiellement Robert Lanfeut. Il avait ouvert il y a quelques ennéades un commerce à Edelys et les gardes ne lui prêtait plus trop d’intention. En effet il vendait à un bon prix des produits missedois et était un terrible négociateur. Ainsi personne ne se méfiait de lui. De plus étant missédois il était un sujet de l’un des vainqueurs de la guerre, voir un marchand profiter de cette aubaine n’était ainsi guère étonnant. Et de nombreux autres marchands c’étaient installé en ville profitant du départ de nombre de leurs concurrents locaux pendant la guerre. La couverture était idéal, et le lieu de vente tout autant. Ils étaient installés dans la même rue que l’hôtel du jeune Robert de la Herse. A priori ce dernier n’avait rien à reprocher aux missédois et n’hésitait pas à venir leur parler, l’opposition avec le baron était avant tout politique, et ils pourraient profiter de cela.

Sombre avait alors prit un nouveau nom, celui de Eude Rieubois. Il n’était pas marchand mais s’occupais depuis peu des chevaux de cette auberge qui accueillait nombre de personne voyageant sur la route de l’Or. Cette auberge était coquète, comme on pouvait s’y attendre au vu de la fréquentation, la guerre avait à peine ralentit les affaires. Le passage de nombreux langecins avait aidé le patron de l’auberge à se faire de joli bénéfice, et il fermait volontiers les yeux sur les activités du lieu de Sombre contre quelques pièces d’or. Les deux hommes étaient au rez de chaussée de cette auberge à deux étages et buvaient tranquillement un petit vin langecin. Les hommes attendaient une troisième personne, d'ailleurs il n'y avait qu'une seul chaise de libre à leur table, situé juste en face des deux hommes .Après un petit moment de silence Robert se pencha vers Eude:

Tu pense qu’elle viendra ?

Oui elle semblait intéressée et puis l’or motive souvent les gens, surtout de nos jours. J’espère juste que son maudit oiseau restera à Langehack.

Tu as peur des oiseaux maintenant ? Tu n’es peut être plus fait ce métier !

Rigole bien, mais je t’assure que cet oiseau n’est pas normal ! Tient maintenant j’espère qu’elle va le ramener pour que tu puisses le voir.

Si tu le dis ! Bon j’ai pensé à quelques approches pour notre bon ami ! J’espère que la rouquine saura quoi faire ! Et puis après tout c’est elle qui prend les risques… doit t’on la laisser vivre après ?

Oui, on peut encore en avoir besoin de ces services et puis si elle sait tenir sa langue …

L’odeur de l’auberge l’assaillit à peine eut-elle mis un pied dans la salle principale. Le feu de bois crépitant dans un âtre immense, les effluves de sueur et de cuir émanant des clients, la bonne nourriture et l’alcool rance. Une auberge comme elle en avait souvent visité. Les traits masqués par sa capuche, Selenia parcourut la salle du regard pour trouver toutes les sorties – une porte menait aux cuisines, une autre au fond de la pièce devait mener dehors – et ses yeux s’arrêtèrent sur l’homme en noir qui s’était présenté dans son herboristerie quelques jours plus tôt. Sombre… Le coin de ses lèvres se releva en un sourire narquois. Ce petit nom l’amusait toujours autant. Il était assis à une table à l’autre bout de la salle, en compagnie d’un autre homme. Tous deux discutaient à voix basses, penchés l’un vers l’autre.

La jeune femme se dirigea tranquillement vers eux, Belladone toujours perchée sur son épaule. La corneille tournait la tête de droite et de gauche pour examiner la pièce de ses yeux noirs, certainement à la recherche d’un brin de nourriture à voler ou d’une poutre pour se percher. La présence de l’oiseau s’attira les regards de bien des curieux et le propriétaire fronça les sourcils d’un air mécontent. Cependant, ce dernier ne pipa mot lorsqu’il s’aperçu que la femme encapuchonnée se dirigeait vers Sombre et son camarade. Apparemment, l’émissaire avait ses habitudes ici et le propriétaire ne posait pas de question. Elle n’aimait que moyennement les rendez-vous en public, cela pouvait s’avérer dangereux ; elle espérait donc que l’homme savait tenir sa langue, et qu’aucun client ne leur prêterait attention. Elle n’avait pas très envie de passer de l’autre côté de sitôt.

Selenia se laissa tomber sur une chaise à la table de Sombre et se plaça de manière à pouvoir garder un œil sur la porte principale et la porte de derrière. Quiconque passerait le seuil de ses portes attirerait son regard. Belladone sauta souplement sur la table où elle trottina en poussant de petits cris impatients, explorant les chopes et les mains des deux hommes à la recherche de nourriture. L’air affolé des deux compagnons lui arracha un petit rire moqueur.

-Bien. Messieurs, bonjour. Tenir ce genre de discussion en public n’est pas du meilleur ton, j’espère donc que vous savez ce que vous faites et que cet endroit est sûr.

Selenia tapota deux fois sur la table de son index ganté de cuir noir et la corneille revint immédiatement vers elle, sauta sur son bras et reprit sa place sur l’épaule de la jeune femme où elle attendit bien sagement.

-Passons aux choses sérieuses si vous le voulez bien, j’aimerai repartir au plus tôt.

Et éviter de me faire tuer par l’un de vous, qui aurait estimé que les secrets à protéger valent plus que ma vie.

Ce qui était très certainement le cas, mais l’herboriste savait garder le silence, surtout lorsque sa vie était en jeu. Elle prenait la vie des gens, mais personne ne prendrait la sienne sans qu’elle ne se batte.

La femme finit par arriver et se dirigea vers les deux hommes. L’aubergiste remarqua bien vite qu’elle se dirigeait vers la table de Sombre et garda ses distances.  Hélas pour les deux hommes elle était venue avec sa corneille.   Ce maudit oiseau se mit à rechercher de la nourriture sur la table et dans les mains des deux nobles, ce qui les énerva plus que de raison. Cette maudite créature se rendait t’elle compte que sans sa maitresse elle aurait déjà eu le cou rompu ?  Même si la rouquine ne risquait rien pour l’instant sa corneille n’aurait pas cette chance.  La femme prit alors la parole, ces propos firent sourirent les deux hommes. La femme n’avait manifestement pas l’habitude de travailler en groupe. Sombre –alias Eude Rieubois lui répondit dans un large sourire :


Et bien vous avez tellement honte de votre oncle ici présent que vous ne souhaitez pas le voir en public ? Aaaah mon cher Robert Lanfeut, vous avez trop bon cœur avec elle !

Oh que voulez vous  Eude, ses parents morts et son mari mort en combattant contre les troupes de Nimmio , elle n’a plus que moi. Mais bon quelle idée mon frère a-t-il eu de s’installer à Christabel !  Sans cela son gendre n’aurait pas été dans l’armée royale et ne serait pas mort sur le champ de bataille. Enfin j’espère ma nièce que vous n’avez rien contre les troupes de Velteroc, elles sont en garnison  à Edelys.  

Car oui vous logerez chez votre oncle au dessus de sa boutique ! Mais c’est un très bon quartier  vous savez la demeure de Robert de la Herse, un homme important de la ville, est située non loin de la.   Cela vous donne une idée  de la bonne place qu’occupe votre Oncle. Ah moi-même je travail ici, donc si vous avez besoin d’aide je m’occupe des chevaux ! J’ai beaucoup de respect pour les veuves de guerre !  Et je suis sur que beaucoup vous aiderons en ville à trouver une situation, je vous conseille de tendre l’oreille aux rumeurs d’embauches.


Mais il commence à se faire tard !  Voulez vous bien m’accompagner ma très cher Nièce ?


Les deux hommes avaient beaucoup parlé  mais leurs propos n’avaient rien de choquant pour quiconque écoutait la conversation. Ce qui était peu probable, les deux hommes avaient fait attention à ne pas avoir de voisin. L’auberge était assez animée, aidé pour cela par un barde qui chantait une bien belle chanson. Il aurait été ainsi difficile d’écouter les trois comploteurs. Sombre avait toujours préféré les lieux animés pour les rendez vous, il était toujours plus difficile de surveiller –et surtout d’écouter- efficacement quelqu’un dans ces conditions. Tout ce qu’il espérait maintenant c’est que la rouquine se trouve un nom bien christabelois et trouve vite un moyen de supprimer la cible.

Battant le sol de ses bottes de cuir, Robert de la Herse faisait les cent pas dans l'appartement qu'il occupait à l'étage de sa maison. Le parquet craquait sous chacun de ses pas. Dans la pièce faiblement éclairée par une bougie à moitié consumée, Messire de la Herse aiguisait un poignard de chasse, tout en conversant avec un homme de confiance.

Sa maison était l'une des plus belles d'Edelys. C'était une bâtisse de construction récente, comme l'était pratiquement toute la ville, d'ailleurs. Quelques années plus tôt, il ne se dressait là que le castel d'Aetius d'Ivrey, devenue par la suite la résidence estivale de la famille royale. Symbole du pouvoir du Régent Aetius, dont l'héritage controversé avait suscité cette guerre, ce domaine s'étendait pratiquement aux portes de Diantra. A ce titre, Edelys n'avait pas manqué de susciter la convoitise des bouchers du Médian suite à la bataille des champs pourpres, et les habitants d'Edelys avaient encore en mémoire le splendide numéro que Robert avait joué aux vainqueurs. S'il jouissait déjà d'une solide réputation, cet épisode était le parfait exemple de l'audace qui animait cet astucieux chevalier : semant la confusion entre les velteriens et les langecins pourtant alliés, il était presque parvenu à provoquer un incident diplomatique, en refusant d'ouvrir les portes au sire de Missède quand ce dernier ignorait que la ville s'était déjà rendue à Nimmio de Velteroc. La plaisanterie eut été parfaite si Jorah de Parmepeyre le bedonnant, âme damnée de ce dernier, n'était pas parvenu à apaiser tout ce petit monde. Par la suite, Robert de la Herse s'était défendu de toute intention malveillante, et si personne n'était dupe, aucune preuve ne pouvait l'accabler. La Herse étant un homme respecté et fort apprécié à Edelys, le bedonnant n'avait pas cherché à le sanctionner, craignant de provoquer de nouvelles tensions.

En-dehors de quelques langecins venus faire commerce à Edelys, ils n'étaient pas nombreux à avoir tiré profit de cette guerre. Bien au contraire, la ruine de Diantra, la prime cité, avait retiré des chalands à Edelys. Le commerce reprendrait ; mais il reprenait lentement, sous la houlette de quelques esprits astucieux. Aussi la garnison velterienne qui maintenait l'ordre à Edelys n'était pas particulièrement appréciée par les locaux ; malgré tout, la cohabitation se passait sans heurt - jusqu'à maintenant.

La demeure de Robert de la Herse était sûre. A tout moment de la journée, l'unique porte d'entrée était gardée par un homme dont le zèle et la fidélité n'étaient plus à prouver, encore qu'on le dise porté sur la bouteille. Son seul compagnon était un vieux chien à la gueule écumante de bave, infesté de puces et qui toisait les passants d'un air méchant. Pour le reste, Robert de la Herse n'avait pas jugé utile - et n'avait guère les moyens - de s'entourer d'une garde personnelle, aussi la maison n'était habitée que par son entourage proche, à savoir un fidèle écuyer et quelques valets.