Les ailes de l'espoir [Terminé]

Début Karfias, deuxième mois d'été
An 9 du 11ème cycle

La nuit était conforme aux normes de la saison. Le ciel était clair et crépit d’une multitude d’étoiles. Eparpillées de manière aléatoires, elles brillaient toutes à différentes intensités. Aucune lune n’était là pour venir perturber leur éclat, assombrissant les paysages et leur donnant un charme assez particulier. L’air était lourd et l’absence de vent n’était pas pour améliorer les choses.
Si l’on y regardait bien, on pouvait deviner malgré la nuit d’épais nuages noirs qui se profilaient à l’horizon. Parfois, une lueur blanche les animait avant qu’un grondement lointain ne survienne quelques secondes plus tard. Il était encore impossible de dire si l’orage allait atteindre Thetien ou passer juste à côté. Pourtant tout le monde l’espérait…

Dans la nuit noire, au milieu du tonnerre qui ne se percevait encore que comme un bruit de fond, on pouvait entendre une voix qui appelait. La voix était celle d’un homme et le nom qu’il invoquait n’avait qu’une syllabe.

-Mac ! Maaac !

Hiradrilion parcourrait les jardins du palais, encore vêtu de son uniforme qu’il n’avait pas eu le temps d’enlever. A peine avait-il appris que la petite elfe avait disparue qu’il s’était lancé à sa recherche. Le fait qu’elle s’absente sans en parler à personne n’était pas rare. Toutefois, les conditions de cette disparition-ci étaient différentes… Et l’orage n’était pas le seul en cause.

Le garde ne cessait d’appeler son amie mais sans s’arrêter. Il avait sa petite idée concernant l’endroit où la trouver et il s’y rendait sans détour. Il existait un recoin des jardins qui était bien au calme, nuit et jour. C’était là qu’elle se réfugiait lorsqu’elle avait besoin de tranquillité et de solitude.

-Mac ? Tu es là ?

Hiradrilion s’était arrêté. Le nez vers le ciel, il cherchait dans les arbres la petite esclave sans parvenir à la voir. Mais, si elle ne voulait pas être trouvée, jamais il n’y parviendrait…

-C’est Laliëmerel qui m’envoie. Elle est très inquiète.

Première tentative… Toutefois, si Macabre avait une certaine affection pour sa gouvernante, elle n’était pas encore sensible à l’empathie.

-Elle m’a dit que les dernières recherches pour ta famille n’avaient rien données. J’en suis désolé. Mais je ne peux pas t’aider si tu restes cachée.

Hiradrilion se tourna vers plusieurs arbres en espérant la voir sortir de l’ombre qui devait probablement l’abriter mais, après un moment, il comprit que s’il avait touché une corde sensible ce n’était pas celle-là qui la ferait sortir.

-Ce n’est peut-être qu’une maigre consolation mais, même si nous ne sommes pas ta famille, nous seront toujours là pour veiller sur toi. Et puis tu as le Seigneur Elwëndrion. Tu n’es pas seule.

Toujours aux aguets, le garde ne vit pas un mouvement dans les feuillages, ne perçut pas un son autre que celui de l’orage lointain.

-Allez Mac. Montre-toi, je sais que tu es là.

Mais rien… Hiradrilion poussa un soupir. Ce n’était pas la peine d’insister, elle ne bougerait pas. A la fois frustré par son échec et attristé pour son amie, il entreprit de faire demi-tour après lui avoir adressé un dernier mot.

-Bien, je te laisse tranquille. Essai de rentrer avant l’orage si tu l’entends s’approcher. Ou au moins de t’abriter…

Traînant à moitié des pieds, l’elfe fit marche arrière et reprit la direction du Palais.
Sur une des branches, de l’autre côté d’un tronc, une petite silhouette blanche était recroquevillée sur elle-même. Ses bras entourant ses genoux, Macabre fixait le vide devant elle. Elle avait entendu son ami mais avait fait la sourde oreille. Elle n’avait eu à user de magie pour se cacher, le garde ne pouvant la voir depuis là où il se trouvait. Au moins, Fineldor n’avait pas pu sentir sa présence comme ça… Tant mieux. Elle voulait être seule. Sans même savoir pourquoi. Elle en ressentait juste le besoin.

A quelques lieux de là, battait des ailes une chouette, s'éloignant de la tempête en usant des courants ascendants amenés par l'Orage, les vents chauds rencontraient les vents froids, dans un balais aérien des plus compliqués à suivre. La Vieille chouette glissait cependant sur ces courants avec l'aisance de l'expérience, ne battant des ailes que lorsque l'air se faisait absent.

Oui... Elle était haut dans le ciel, oui, elle s'éloignait de l'orage tumultueux, mais cela ne l'empêchait cependant pas de se rapprocher d'une averse tiède... Il ressentait plus que n'importe quel être... La Chouette d'Ousömos ressentait la Symphonie, là où certain la penserait disparue... Il l'entendait chanter à cœur joie alors que certains la penserait annihilée par les cités de pierre. Il entendait ainsi celle-ci lui apporter les souffrances d'une Sœur.

Minuscule Sœur, frêle oisillon posé sur sa branche, ses yeux de rapace le guidèrent facilement jusqu'à sa cible... Il vola en cercle précis au dessus de cet arbre, descendant le long d'un couloir aérien avant de glisser sous l'abri de feuillage, ses ailes immenses se recroquevillant légèrement alors que ses serres s'emparaient d'une branche dans un geste gracieux...

La chouette s'était approchée du sol à un tel point que n'importe quel elfe aurait perçu cela comme une action de la Mère en personne, un geste, un signe... Mais l'oisillon qu'il observait de ses deux grands yeux ne put que l'attrister... La chouette se tourna sur elle-même, faisant à moitié face à cette Sœur englobée dans sa tristesse... Penchant sa tête d'une telle manière que seule un animal de cette race en serait capable, il utilisa ses serres pour se déplacer avec agilité dans les branches de l'arbre, faisant preuve d'une agitation presque douée d'une conscience profonde... Alors que celle-ci croisait ses yeux, elle ne put que distinguer l'infinie sagesse que la créature dégagée....

Macabre avait entendu l’oiseau volé non loin d’elle et avait levé les yeux vers lui. Elle ne s’attendait toutefois pas à le voir s’approcher d’avancer, se poser et enfin marcher dans sa direction. La petite elfe ne fréquentait pas beaucoup d’animaux mais elle les comprenait aisément… puisqu’elle se comportait comme eux. Alors, une chose était sûre, si la chouette n’avait pas l’air méchante, ce qu’elle faisait n’avait rien de normal… Pourtant, elle resta immobile et la regarda s’arrêter près d’elle sans rien dire ni faire.
En réponse à son mouvement de tête, la frêle esclave l’imita. Certes sa tête ne pouvait se pencher autant que la sienne mais elle réussit presque à mettre son regard face au siens. Elle ne le faisait pas pour se moquer mais plutôt dans un geste de curiosité.

L’oiseau claqua du bec, une fois... Il agita légèrement ses ailes, et une série de flashs vint s'emparer de la vue de l'oisillon, sans pour autant être brusque, ils défilaient lentement, étalant là une question sur le pourquoi de son état... Bien sûr, beaucoup penseraient qu'une telle chose est impossible, qu'aucun être doté d'autant de puissance n'aurait pu s'intéresser à une créature aussi frêle que cette oisillon perchée... Et pourtant, ce n'était parfois que pour se procurer un sentiment d'existence, ou bien même pouvoir apporter son aide qu'une personne doté d'une puissance si arrogante s'intéressait à d'autres. Ces flashs n'étaient qu'un ensemble d'images, assemblant des mots en elfique parfois ancien, parfois nouveau, montrant des discussions bien différentes et pourtant si proches... Les mots se décrivaient par la situation elle-même, et même le plus idiot des êtres en aurait compris le sens...

Alors qu’elle était sous le coup du sort de la chouette, Macabre redressa la tête. Elle vit les mots mais sans les comprendre. Certes, elle avait appris à lire mais seulement la langue commune. L’elfique lui était si compliqué qu’elle ne parvenait même pas à prononcer un prénom correctement. Sa gouvernante était affublée sur surnom de Lalë et son protecteur de Fideldor…

Alors qu'elle sortait de cette transe imagée, la chouette trônait juste à ses côtés, au moins aussi grande qu'elle... Ses plumes dorées se voyaient dotée du reflet des étoiles perçant au travers des feuillages, minuscule lumière pourtant captée par la beauté de ce plumage... Son regard ne se portait pas sur l'oisillon, mais bien plus sur l'Orage... Il en connaissait la cause, et quand bien même légions penseraient là un simple court du climat locale, celui-ci semblait y prêter bien plus attention que tout un chacun... Certes il serait violent, mais là n'était pas la seule raison.

Après quelques instants, Macabre finit par revenir complètement à a réalité. Tournant son regard vers l’oiseau, elle fronça les sourcils. Pourquoi ? Tout d’abord parce que, en plus d’avoir un comportement étrange, le volatile était doué de pouvoirs magiques. Ensuite, il connaissait l’elfique… Quel animal, aussi intelligent soit-il, savait le lire ?!! Et enfin, eh bien… Elle n’avait pas compris le message.

Une hermine glissait entre les ailes de la chouette, ne semblant pas pour autant la déranger, vivant sa vie en se glissant entre les immenses plumes... S'enroulant parfois autour de l'imposante branche sur laquelle les deux êtres étaient posés. L'Hermine observa l'Oisillon, reniflant légèrement en sa direction avant de se glisser vers elle calmement, penchant sa tête intriguée, avant de se glisser sous la branche, vivement... Remontant derrière elle pour venir se glisser sur son dos, s'agrippant à ce qu'elle revêtait pour venir se lover dans son cou... Sentant une certaine crainte de la part de l'Oisillon, elle n'insista pas, glissant avec autant de fluidité jusqu'à la branche, retournant se lover dans les pattes de la chouette.... Tout cela était bien irréel, et pourtant.

Macabre n’avait pas bougé. Mais entre l’arrivée de la chouette et l’hermine qui l’accompagnait, cela commençait à faire beaucoup d’étrangeté… Sans compter que la jeune elfe semblait plus farouche que la petite boule de poil…
Alors que l’hermine s’en allait, sa présence avait attiré l’attention de quelqu’un d’autre… Passant la tête entre les bras de l’esclave qui reposaient sur ses genoux, l’heleth reniä qui l’accompagnait partout (ou presque) apparut et chercha sa comparse poilue du regard. L’apercevant, elle se stoppa et la fixa, curieuse. Après un instant, l’animal grimpa l’obstacle des jambes de sa compagne avant de descendre à ses pieds. Elle approcha doucement pour se rapprocher des nouveaux venus. Ce qui l’intéressait vraiment c’était celle qui avait perturbé sa sieste et pour qui elle avait une curiosité amusée.

Délaissant cet amusant spectacle des yeux, Macabre lave le regard vers la chouette.

-Vous êtes qui ?

Bien qu’elle ait été victime d’un cruel manque d’éducation durant toute son enfance, la petite esclave était loin d’être idiote. Une fois la surprise passée, elle avait compris que cet oiseau n’était pas ce qu’il semblait… Mais avoir résolution ce mystère en soulevait bien d’autres…

La chouette observa la jeune elfe, bougeant la tête sur le côté, pourquoi toujours se demander qui il était ? Ne pouvaient-ils pas simplement accepter son aide et le laisser les aider comme il savait si bien le faire ?
Elle s'ébroua, hérissant ses plumes un court instant avant de nicher sa tête dans ce qui lui servait de cou, il n'userait que du plus simple des artifices, il laisserait les images parler...
Usant de sa magie comme il le faisait à son habitude, la chouette envoya une série d'images concernant le passé de l'être qu'il était, infime fragment de sa vie qui fut envoyé en un instant... Elle patienta, jusqu'à ce qu'elle semble avoir compris, qui il était, et pourquoi il se trouvait là... Attendant calmement à ce qu'elle lui réponde.

Macabre fut moins surprise la seconde fois et elle lutta moins contre les images qui apparaissaient dans son esprit. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre que cet oiseau n’était autre qu’un elfe qui voulait lui venir en aide. Même si cette empathie et cette volonté de prendre soin d’inconnu lui échappait totalement, elle avait depuis longtemps arrêté de chercher à comprendre. Aussi, elle renonça à réfléchir à nouveau sur le sujet et se contenta de l’accepter.
La chouette étendit ses ailes, laissant le vent apporté par l'orage menaçant glisser entre ses plumes, gonfler celles-ci au risque de se faire emporter, écoutant attentivement les quelques mots qui sortirent des lèvres de la jeune elfe, dont il ne comprenait que de loin tout ce qu'elle avait endurée, son esprit lui restant fermé et celui-ci ne voulant pas la brusquer...

-Je ne sais pas qui je suis. On cherche mais ça donne rien…

La petite elfe ne s’attendait pas à grand-chose de la part de la chouette. Elle ne faisait que lui dire ce qui n’allait pas pour répondre à sa question silencieuse. Peut-être allait-elle essayer de la consoler ou simplement reprendre son envol… Comment savoir. Anaëh lui semblait toujours aussi étrange et imprévisible.

La chouette hulula, observant la jeune elfe de ses grands yeux... arrangeant sa tête dans des sens ahurissant même pour une chouette d'Ousömos, la bête finit par prendre la forme d'un elfe, un être particulièrement vieillis, des rides parsemant presque chaque centimètre de sa peau, son corps semblant frêle, se parsemait de frissons face au vent froid... Il était nu, certes, mais cela lui importait peu, il observait le lointain, toujours cet Orage menaçant...

-Les réponses... Commença sa voix vieillie et rugueuse, alors qu'il se balançait légèrement d'avant en arrière, l'Hermine lui servant d'acolyte préférant se lover dans son cou et cacher en partie sa pudeur de la touffe de poil blanc qu'elle représentait, touffe de poil blanc se mêlant à ses cheveux extrêmement longs et soyeux. Les réponses... Dans tes .... Souvenirs. Il tourna son visage vers elle, il n'avait rien de charmant, mais ce visage vieilli se voulait rassurant, presque paternel, un sourire léger se glissant sur ses lèvres. Ouvre.... Toi. Dit-il en avançant une main osseuse vers elle, d'une douceur presque sainte, ne voulant pas violer son espace, il restait à bonne distance, tendant juste une main vers la sienne... Elle... N'avait qu'à la prendre... La prendre pour accepter son aide.

Macabre regarda la chouette changer de forme, le visage figé, les épaules crispés et les yeux grands ouverts. Elle savait qu’il était druide, avait entendu parler de cette forme de magie mais ne l’avait encore jamais observée. Et, comme tout ce qu’elle ne connaissait pas, cela lui faisait peur. Presque paralysée, au niveau de la colonne vertébrale, les quelques mots du vieil elfe la sortirent de son état, reconnectant son esprit à la réalité. Ayant des difficultés avec les mots, elle ne comprit pas ce qu’il voulait lui dire…

-Je ne me souviens pas. Je ne sais pas…

Difficile de savoir si elle avait volontairement interrompu sa phrase ou si c’était de voir l’insistance avec laquelle cette main tendue réclamait la sienne qui la fit se couper dans son élan… Toujours était-il qu’elle finit par voir son geste et par l’interpréter correctement. Lalë lui demandait sa main parfois… Surtout lorsqu’elles sortaient dans la cité ou lorsqu’il y avait beaucoup de monde. Elle n’avait toujours pas compris le sens de ce geste… et ne le comprenait pas plus dans le cas présent.
Macabre hésita à plusieurs reprises mais, finalement, elle monta lentement sa main vers les doigts pointés sur elle. Elle ne se doutait pas une seconde de ce qu’il allait faire mais son désir de trouver les réponses à ses questions était tellement important que la peur avait été temporairement reléguée au second plan.

Alors que les doigts de la demoiselle effleurèrent les siens, la chouette plongea dans son esprit, aussi vif qu'une flèche, aussi précis que celle-ci, défilant tout ses souvenirs se faufilant dans chaque recoin sans pour autant les faire ressurgir... D'une précision chirurgicale il parvint à la source du problème... L'Ombre, cette ombre qu'ils avaient construit sur son passé, l'empêchant de se rappeler qui ELLE était, tous ses souvenirs, un véritable lavage de cerveau, tout n'était qu'une mise en scène, ils n'avaient rien effacé... Ils les avaient juste obstrués... Cependant... Forcer le passage serait douloureux, pour elle, comme pour lui...

De l'extérieur... Tout semblait... En suspend, ce toucher directe avait fais disparaître l'Orage, une douce chaleur avait gagné l'arbre, une lumière douce et tamisée, rien de violent ou d'oppressant, juste un sentiment de quiétude...

La chouette ne savait réellement que faire... Forcer le passage serait douloureux, elle ressentirait bien des choses qui ne l'aideraient pas, la peur, la haine, la possibilité que tout cela ressurgisse d'un seul trait pourrait tout autant l'assommer et la traumatiser que lui ouvrir d'autres portes... Elle devait être prête avant tout... Et ça...

-... Veux-tu.... Suivre... Un vieillard le long d'un chemin... ? Laissa s'échapper la voix rocailleuse et fatiguée du vieillard.

Macabre ne se rendit compte de rien tandis que le vieil elfe pénétrait son esprit pour passer ses souvenirs en revue. Elle ne comprit même pas ce qu'il faisait. Elle avait certes entendu parler de la magie de l'esprit mais, comme Neraën le lui avait dit, on pouvait le pratiquer sur elle sans qu'elle n'en ressente les effets. A moins d'aller là où elle ne voulait pas... Ou, dans ce cas, là où elle-même ne pouvait se rendre.
Elle ne se rendit pas davantage compte du changement qui s'opéra autour d'elle. Certes l'orage avait cessé et le temps semblait se faire bien plus clément mais elle n'y prêta guère plus d'attention que nécessaire. Pour l'instant, ce qui la préoccupait, c'était cet elfe.
Son invitation la surprit un peu et elle ne put s'empêcher de se demander s'il savait seulement encore marcher. Il n'avait visiblement pas l'habitude d'être sous forme bipède... Toujours impressionnée par sa magie et inquiétée par le comportement de cet inconnu, elle n'ouvrit pas la bouche pour lui répondre. Toutefois, elle hocha la tête en guise d'accord.

L'elfe étendit ses bras vers le sol, déguisant une série de marches à l'aide des racines de l'arbre, alors qu'ils descendaient délicatement de cette branche surélevée, ils se glissèrent entre les méandres de racines s'élevant aux alentours, reprenant leur droit sur la pierre... Les dessins de ses doigts sur l'écorce laissaient place à des feuillages, déguisant la nature en un véritable labyrinthe... Ce labyrinthe ils le traverseraient à deux... Mais elle le ferait pourtant seule... Il la guida à l'entrée, un labyrinthe de feuillages... Elle se trouvait minuscule dans ce labyrinthe, alors qu'elle sentait la main de cet elfe la quitter, et ce corps s'étirer vers l'avant, se transformant en cette chouette qu'elle avait vue tantôt, elle sentie une irrésistible envie de le suivre... Et alors que la chouette s'effaçait dans les multiples feuillages... Elle se trouvait seule, dans un espace non pas effrayant et aussi clos... Mais bel et bien un labyrinthe... Méandres de ses pensées propres et de ses souvenirs, de son imagination morte née et de tout ce passé qui lui était inconnu...

Macabre devait avancer. L’inconnu ne l’effrayait pas mais elle trouvait fou de suivre aveuglément l’elfe-chouette sans même le connaître. Elle le ferait pourtant et cela le plus naturellement du monde. De la même manière qu’elle venait de descendre l’escalier de racine et qu’elle se trouvait devant un labyrinthe qui ne se trouvait pas là avant. Elle se savait dans les jardins du Palais et n’en reconnaissait rien. Et pourtant, tout était normal. Comme dans un rêve… A part que les rêves de la petite elfe étaient bien moins doux et la réveillaient en larmes.
La chouette volait devant elle et lui montrait le chemin. Alors, sans plus réfléchir, elle la suivit. Elle s’arrêta à la première intersection et de pencha pour voir plus avant, posant une main sur le feuillage. Ce simple geste eut un effet très inattendu et elle retira aussitôt ses doigts. Une image lui était revenue en mémoire. C’était pendant son dernier cours de magie où, une fois de plus, elle avait fait montre d’une grande puissance mais d’une certaine incapacité à maîtriser complètement ce qu’elle faisait.
Regardant un peu plus loin, elle crut voir la chouette disparaître à un nouveau virage. Elle courut pour essayer de le rattraper mais sans succès. Il était déjà parti trop loin. Elle s’engagea toutefois dans la même direction que lui et, en passant, elle effleura une branche qui dépassait. Cette fois, elle vit le visage d’un elfe en pleine nuit. Elle le reconnut sans mal, il s’agissait du Protecteur qu’elle avait rencontré après son intronisation et avec qui elle avait passé un agréable moment au clair des lunes.

Macabre commençait à comprendre… En touchant les murs du labyrinthe, des souvenirs lui revenaient. Ces deux-là étaient récents, le premier plus que l’autre… Est-ce qu’en s’enfonçant plus avant elle remonterait le passé ? Il n’y avait qu’une seule façon de le savoir… Courant de nouveau, elle passa quelques intersections avant de s’arrêter face à un pan de feuillages. Lentement, elle approcha sa main et finit par la poser au contact de la verdure. Elle vit alors celle qu’elle appelait Lalë. Elle essayait de la coiffer sans utiliser de miroir et Macabre ne tenait pas en place, voulant voir ce qu’elle faisait avec ses mains. Elle n’avait alors pas pleinement confiance en elle…
Sa théorie était donc vérifiée. En remontant dans le labyrinthe, elle remontait le temps. Alors la chouette voulait lui montrer qui elle était ?! La petite elfe étudiait la théorie de la magie depuis quelques années déjà, elle savait ce qui était réalisable ou pas. Elle savait quelle forme de magie il utilisait et il était visiblement très puissant. S’il l’emmenait dans ce périple, il savait surement que ses souvenirs, ceux qu’elle croyait perdus, étaient toujours là.
Un mouvement sur sa gauche lui fit brusquement tourner la tête. C’était la chouette. Sans réfléchir, elle se remit à courir dans sa direction. Elle la suivit ainsi durant un long moment, touchant parfois les parois du labyrinthe. Un souvenir, de plus en plus ancien, lui revenait alors en mémoire. Certaines qu’elle connaissait, d’autres qu’elle avait oubliés. Ainsi, elle revécut ses premiers jours au Palais après la nomination de Fineldor en tant que Protecteur, l’essayage de sa première robe, son premier livre, sa rencontre avec Laliëmerel, sa première page d’écriture, sa capture par Fineldor tandis qu’elle essayait de le voler… Elle avait mal vécu plusieurs de ses expériences mais toutes étaient devenues de bons souvenirs à présent.
Remontant d’avantage dans le passé, les souvenirs se firent de plus en plus rares et flous. Avant Fineldor, sa vie avait été pleine de souffrances. Elle s’en souvenait parfaitement et n’en éprouvait pas de tristesse ou de peur, même en temps normal. Toutefois, la chouette semblait vouloir lui éviter de souffrir, ne serait-ce qu’un peu, alors qu’ils s’approchaient du jour où elle avait perdu son identité. Mais cela, elle n’en avait même pas conscience. Elle savait qu’elle se rapprochait du but et espérait de tout cœur se rappeler de son nom.

Au détour d’un énième virage, Macabre s’arrêta. La chouette était posée sur une branche et l’attendait. C’était la fin du voyage. Les souvenirs qui devaient se trouver plus loin étaient sans doute trop flous pour être compréhensibles. Il fallait dire que la petite elfe était très jeune lorsqu’elle avait tout oublié. Son esprit était très malléable et ce qu’elle avait vécu avait obscurci le passé.
Lentement, Macabre s’approcha du mur près de l’oiseau et s’arrêta juste devant. Jetant un dernier regard sur l’animal, elle prit une grande inspiration avant de finalement lever la main et tendre le bras en direction du mur…
Le souvenir n’était pas très net. La petite elfe se sentait toute insouciante. Elle courait dans une rue… Une rue pourtant pleine de verdure, pas comme le Puy ou en Ithri’Vaan. Elle poussa une porte et regarda de tous côtés. Un homme grand et blond était là, de dos. Elle se glissa à l’intérieur et s’arrêta près d’un établi pour prendre une pierre. Une pierre non taillée, blanche à moitié transparente. Une pierre qu’elle connaissait… Elle l’allait repartir lorsque deux bras la retinrent. Mais, loin de hurler de peur, elle cria de surprise puis se mit à rire. Elle se tourna vers l’elfe blond qui lui souriait. Il lui parla mais elle ne comprenait pas les mots qui raisonnèrent, inaudibles. Cet homme, elle le connaissait… Elle avait confiance en lui… Et… Autre chose qu’elle ne se souvenait pas avoir déjà ressenti. L’homme la lâcha et elle resta près de lui. Elle lui montra la pierre, il la prit pour l’examiner puis la lui rendit en lui souriant à nouveau. Une femme rentra. Elle se retourna vers elle et le souvenir s’estompa…

Macabre baissa sa main, à moitié tremblante. Les images étaient floues et elle n’avait pu qu’apercevoir des fragments de visages. A mesure qu’elle revenait à la « réalité », elle commençait à interpréter ce qu’elle avait vu. Elle était dans une cité elfe ? Qui était cet homme ? Il était gentil avec elle… Comme Lalë… La situation qu’elle avait vue lui semblait correspondre à la définition qu’on lui avait faite du bonheur. Elle avait oublié tout ça… Elle n’avait toujours pas de nom… Elle avait vu sa pierre de lune… Ce souvenir était-il bien à elle ?
La petite elfe était dans un état indescriptible. Elle qui ne savait pas gérer ses émotions, elle se retrouvait noyée dans un flot de plusieurs sensations dont elle ignorait tout et qui venaient se mélanger sans qu’elle ne parvienne à en interpréter une seule. Se laissant aller en arrière, ses jambes cédèrent sous son faible poids et elle se retrouva assise la seconde d’après. Cela faisait beaucoup pour une personne normale. Pour elle, la chose était bien pire. Ce qu’elle ressentait était trop compliqué. Elle ne savait ni le décrire ni le gérer. Devait-elle crier ? Ou pleurer ? De joie, de tristesse ou de colère ? Envers son maître, envers elle, envers le monde qui était mal fait ?
Pour l’heure, le visage de Macabre n’exprimait rien hormis une certaine catatonie et elle fixait le vide devant elle, perdue dans ce tourbillon de sentiments nombreux et contradictoires qui l‘emportaient au loin.

La chouette se tenait à quelques mètres de Macabre, l'observant de cette position. La tête penchée sur le côté gauche. Il l'observait calmement, il connaissait ce sentiment particulier. Celui de "retrouver une vie". D'apprendre la vie d'un être qui n'était pas soi-même. Car ce qu'elle avait vu, n'était pour elle que l'histoire d'une personne inconnue, elle reniait toujours cette partie d'elle, et son travail c'était la mettre sur le chemin. Sur la voie.

-Ne restes pas planté là... Découvre. Son corps reprit forme humanoïde, sa main vint se poser sur son épaule, genoux à terre, lui souriant.

Il disparu lentement, s'effaçant comme l'aurait fait un rêve... Le décor s'efface, le temps revint à la tempête, l'illusion s'effaçant... La chouette n'était plus là, seules les pensées accompagnaient la jeune fille...

Mac vit disparaître l’elfe sans comprendre. Puis elle revint à la réalité. Elle était toujours assise à sa place dans son arbre. Le rongeur aux épines se tenait devant elle, l’air à moitié inquiet : Elle n’avait pas réagi à ses dernières sollicitations et cela ne lui ressemblait pas. Pas à ce point-là en tout cas car la tempête faisait rage. Le vent soufflait de toutes ses forces, l’eau tombait en trombe et les éclairs fendaient les nuages noirs dans un son fracassant.
La chouette s’était envolée, probablement depuis longtemps, et son emprise sur son esprit avait été tel qu’elle n’avait rien senti des intempéries jusqu’à ce qu’il la réveille.

D’un geste, Macabre demanda à son compagnon à poils de monter sur elle. La petite bête s’accrocha de toutes ses forces au tissu de sa robe et à ses cheveux, la griffant même par moment. L’ancienne esclave n’eut aucune réaction visible, cette douleur n’était rien pour elle. Elle n’eut même aucun effet sur sa concentration tandis qu’elle jetait un sort… Par ce temps, tout autour d’elle n’était qu’ombre. Il lui était donc facile de s’abriter et de circuler.
En quelques instants, elle fut au pied de l’arbre et puis dernière l’arbre suivant. Il ne lui fallut que quelques minutes pour rejoindre le palais mais elle ne fut réellement à l’abri que lorsqu’elle entra dans un bâtiment, les allées couvertes et les couloirs extérieurs ne suffisaient même pas à la protéger de la pluie.
Sans même prendre la peine de passer par sa chambre, Macabre trouva le moyen de se procurer un linge pour se sécher brièvement. Non pas pour se préserver du froid et de la maladie mais parce qu’elle avait l’interdiction de toucher un livre dans cet état. Elle n’était pas totalement sûre de ce qu’il s’était passé ni de ce qu’était la chouette exactement. Tout ce qu’elle savait, c’est qu’elle l’avait aidée.
A quoi ?
A trouver une piste…

Tirant légèrement sur la chaîne accrochée à son cou, elle porta à ses yeux une petite pierre taillée qui lui servait de focaliseur de magie. Que sa vision soit réelle ou non, elle avait mis en lumière un fait incontestable : cette pierre lui avait toujours appartenue et ce n’était certainement pas au Puy d’Elda que l’on pourrait trouver un objet avec si peu de valeur. Elle devait donc l’avoir eu en sa possession avant… Avant qu’elle ne perde la mémoire. Peut-être même ne venait-elle as du Puy… Mais pour en être sûre, elle devait chercher…
Ouvrant les deux battants de la bibliothèque, elle ne prit même pas la peine de les refermer avant de commencer à parcourir les étals de livres en quête de la section qui l’intéressait. Le lendemain matin, Laliëmerel, inquiète d’avoir trouvé le lit de la petite elfe vide, partit à sa recherche et la trouva assise à même le sol dans une allée de la bibliothèque, au milieu d’un grand nombre de livres pour la plupart ouverts, certains servant juste à marquer quelques pages. Ses cheveux et ses vêtements portaient encore la marque des intempéries de la nuit. Il lui fallut bien du travail pour parvenir à lui faire lâcher ses livres. Elle dût toutefois lui concéder quelques petites choses comme la fourniture d’un grand nombre de marque pages et le transport de ces livres jusque dans sa chambre afin qu’elle ne perde rien de sa travail de la nuit. Après un bain et un séchage dans les règles, la gouvernante laissa la petite elfe se reposer. Malheureusement, elle retourna vite à ses livres, incapable de trouver le sommeil…