Cogne dur, et évite les chaises [Aleth]

Le Sanglier d’Aduram était bien rempli, ce soir-là. Non, ce n’est pas un animal, mais bien l’une des tavernes les plus prisées de la roture naelisienne. Elle n’avait pas aussi bon public que les établissements bourgeois, mais son ambiance était toujours au beau fixe, et la plupart du temps, les clients, même éméchés, se tenaient à carreau pour éviter de se faire sortir définitivement. Le patron, Rolf, avait la réputation d’être rancunier, et d’avoir quelques contacts au sein de la garde, et de la Légion. C’était à moitié vrai, puisque lesdits contacts étaient en réalité certains clients qui venaient se pochtronner presque tous les jours dans sa gargote. A une table, d’ailleurs, il y avait un de ces fameux clients, assis avec trois de ses amis.

« Allez Hend', dis-nous c’qui va pas… »

Le premier à parler était un petit laid au sobriquet ridicule. Gilles le Louche. Sous ses airs de fripouille perverse, aux yeux luisants et à la bouche tordue d’un rictus salasse, se cachait l’un des espions au service de Naelis. Son nez de bois, première chose qu’on remarque quand on daigne lui jeter un coup d’œil, en a surpris plus d’un. Le pauvre Gilles en est même fort affligé, bien qu’il préfère porter cette prothèse que de montrer à tous son horrible tronche aux allures porcines.

« C’est vrai quoi, tu bois plus ! Avant, tu nous battais tous au concours d’boisson… »

Esberth. Un Oësgardien tout ce qu’il y avait de plus normal. Joueur, râleur, provocateur… Il portait ses cheveux blonds très courts, et une boucle d’oreille d’argent à l’oreille droite, qui ornait autrefois la tête d’une bourgeoise d’Isgaard. Sur son visage narquois, aux pommettes hautes, une légère cicatrice passait de son arcade sourcilière droite à sa joue, vestige du terrible siège d’Amblère, à l’époque de Goar de Falkenbourg…

«  C’est ta sœur qui t’a encore mis une torgnole ? D’habitude, c’est pas ça qui t’arrête… »

Le troisième homme était Maurice, dit le Croustillant. Personne ne connaît l’origine de ce sobriquet étrange, voire douteux. Tout ce qu’il y avait à savoir, c’est qu’il détestait qu’on le massacre ou qu’on l’omette. Un air toujours affable sur le visage, et une paire d’yeux gris enfoncés dans leurs orbites, Maurice semblait un peu plus apprêté que ses compagnons de table. Avec non pas une, mais deux boucles d’oreilles (en fer, cette fois), il essayait de paraître fringant dans ses habits de premier choix, volés pour l’occasion. Ses longs cheveux roux, aux mèches blanches sur les tempes, descendaient en favoris sur ses joues.

« Rien. J’essaye d’arrêter, c’tout… »

Hendrick, le fameux client, jouait quant à lui avec son godet, faisant tourner l’eau claire à l’intérieur de celui-ci. Il restait égal à lui-même, les cheveux toujours sur les épaules, et un peu sur le visage. Il avait néanmoins arrangé sa barbe, par la volonté du Capitaine Meister. Elle était bien mieux taillée à présent. Tout en posant son regard sur ses amis, il leva d’un coup de coude le récipient, et but l’eau d’une traite. Esberth fit la moue.

« C’est l’monde à l’envers, feu d’Othar… »

A l’instant même où Hendrick s’apprêtait à répondre par une énième blague, une silhouette pénétra à l’intérieur de la taverne, ouvrant la porte et laissant pénétrer un courant d’air. Comme à l’accoutumée, les saoulards curieux posèrent leurs mirettes sur le nouvel arrivant, et s’étonnèrent de voir une femme, en lieu et place du nouveau compagnon de beuverie qu’ils s’attendaient à voir entrer. La plupart dévisagèrent la jeune femme, qui marchait avec assurance au milieu des tables, se dirigeant vers l’une d’elles. Hendrick, quant à lui, posa son regard brun sur la femme, étudiant sa silhouette. Fine, et au visage presqu’angélique, elle attira un peu plus longtemps les yeux de l’Oësgardien, qui finit par en décrocher son regard lorsque la main de Gilles lui tapota l’épaule.

« Hey ! V’là Hendrick qui mate à nouveau ! T’as r’trouvé ta paire de boules qu’t’avais perdu à Oësgard ? »

L’archer sourit, avant de répondre, calmement :

« On r’parle de mon aventure avec celle qui t’a ravalé la façade ? »

Les deux autres compères ricanèrent en regardant le Louche, qui s’était prostré sur sa chaise, bras croisés, le regard haineux et le rictus crispé.

« Salaud… »

Hendrick osa à nouveau un regard en direction de la nouvelle arrivante. Elle lui faisait penser, à bien des égards, à Adélaïde. Mais lorsque ses yeux se posèrent sur la table où était assise la demoiselle, il vit également trois hommes, des Naelisiens de pure souche, s’approcher de la table pour entamer une discussion avec la nouvelle. Lorsqu’Hendrick vit l’un des Naelisiens appuyer son avant-bras sur un pilier de bois, il roula des yeux. Encore des dragueurs qui couraient la gueuse… Il regarda ses amis, qui lui rendirent une œillade entendue. Puis, leurs regards se rivèrent sur la table, où les trois autres gus commençaient à devenir envahissant…

Les secondes avançaient, et Hendrick continuait d’observer les trois hommes, qui, d’après le visage de la demoiselle attablée, devaient être tout sauf obséquieux. Parce qu’en plus d’être des coureurs de jupons, ils avaient des approches de vilains mal dégrossis… Dommage, elle méritait un peu mieux. Il observa les échanges des quatre protagonistes, bien qu’il n’entendait pas grand-chose. Il se prit néanmoins à rire lorsque l’un des types commanda un vin aux épices, et que la jolie blonde avait préféré prendre de la liqueur. C’est qu’elle avait du mordant et de la répartie… A la table, tous les Nordiens ricanèrent, attirant un court instant le regard d’un des dragueurs invétérés. Puis, Hendrick souffla à Esberth :

« On dirait Gilles en train d’aguicher… »

Le Croustillant s’esclaffa, alors que le Louche n’avait pas entendu. Hendrick revint bien vite à la scène, lorsque soudain, deux des gredins tentèrent de s’approcher de la femme assise. L’Oësgardien se préparait à se lever d’un bond, quand il vit un couteau être tiré par la dame, qui cloua la manche d’un des agresseurs à la table. Un coude partit en pleine face de l’un des hommes, qui tituba, tandis qu’un autre, bien malchanceux, se mangea l’arrière de sa tête en essayant de la prendre en traître.

C’est là qu’Hendrick vit le premier homme retirer la dague du bois de la table, prêt à s’en servir face à la demoiselle. Ni une ni deux, le Sgardien se retrouva debout, la cruche d’un de ses amis à la main. Il se précipita alors que le Naelisien levait son surin, venant frapper de son pied dans le creux de son genou. L’agresseur, surprit, grogna, puis mit un genou à terre, tournant son visage vers le nouvel arrivant. Ce dernier, armé de sa cruche, la fracassa contre la tête du pauvre hère, qui finit à terre dans un bruit sourd. L’anse toujours en main, garnie d’éclats de terre cuite, Hendrick releva la tête pour regarder celle qu’il avait décidé d’aider. De plus près, il remarqua ses oreilles légèrement pointues. Une Elfe donc ? Il cherchait quelque chose à dire…

Soudain, de derrière lui, une chaise grinça. Gilles hurla à Hendrick de se coucher, et lorsque ce dernier baissa la tête, il vit voler au-dessus de lui une chope en fer. Il se retourna vivement, pour voir un autre homme le regarder avec des yeux farouches.

« Hey, le Nordien ! Tu t’calmes tout d’suite, ou j’viens t’chercher ! »

Une rumeur monta dans la salle. Les autres gars du Nord commençaient à se regarder, certains à se lever. Ce fut Gilles qui se leva sur sa chaise, poing levé.

« Hey, le Naelisien ! T’cherches à savoir si ton ancien a encore sa barbe sur son cadavre ? »

La rumeur monta de plus en plus, alors qu’à la table d’où la rixe était partie, plus personne ne bougeait, pas même les anciens agresseurs, qui regardaient les événements avec des yeux paniqués. Hendrick retourna son regard vers l’Elfe, son tesson de terre cuite toujours à la main.

« Heu… Pas qu’je doute de tes capacités, mais tu d’vrais peut-être faire gaffe aux cruches qui vont voler… »

Les bruits s’intensifièrent dans la salle. Il y avait deux camps, prêts à se mettre des mandales de maçons dans la tronche, que ce soit pour l’honneur, pour faire passer la frustration, ou pour le plaisir de la baston. Le premier coup vint de Gilles, qui, en parfait trublion, lança une autre chope de terre cuite en plein sur la tempe du Naelisien qui s’était levé et avait pris la parole. Il s’effondra sur le sol, et c’est à ce moment précis que Rolf, le tenancier, revint de l’arrière-boutique, pour voir tout ce beau monde à couteaux tirés. Il écarquilla les yeux. Non… Pas une bagarre… Pas chez lui… Pas le Sanglier d’Aduram…

« Je vous interd… »

~ Ambiance Tables-Qui-Volent ~

La salle explosa d’elle-même, les truands s’arrogeant le droit de se saisir des chaises comme objets contondants, et les autres des cruches et chopes sur la table, qu’elles soient vides ou remplies. Les Nordiens et les Naelisiens s’entre-écharpaient si bien que Maurice, Esberth et Gilles firent front face à quatre autres types, jouant du poing pour qu’ils s’étalent face contre terre. D’un bout à l’autre de la salle, des voisins de table se frappaient, des rivaux s’étranglaient, et les deux gros partis régionaux s’affrontaient dans un bras de fer général, fait d’hommes éméchés et de casseurs invétérés. Même Rolf se mit à ravaler la façade à quiconque se lançait dans la bagarre, s’étant saisi de son gourdin pour faire taire la rixe générale.

Hendrick vit l’un des Naelisiens de tout à l’heure lui décrocher un direct du droit. Il recula sa tête, laissant venir le garnement, avant de brusquement rapprocher sa tête pour lui asséner un méchant coup de boule sur le nez. Ce dernier explosa, et son propriétaire hurla, avant de finir au sol, gémissant. A l’aide de son tesson de terre cuite, Hendrick fit manger le sol à un autre hère en perdition, qui cherchait à lui asséner un coup de chope par l’arrière. Il repoussa l’homme d’un coup de pied, alors qu’il était tombé à genoux suite à son assaut.

Il voulait voir comment se débrouillait la demoiselle… et il devait avouer qu’elle savait y faire, en combat. Mais à peine s’était-il concentré à nouveau sur le combat qu’une grosse montagne de lard et de muscle vint l’alpaguer pour l’envoyer contre le pilier de soutènement, le faisant trembler. Hendrick jura pour son dos meurtri, et se redressa sur ses gambettes. Le colosse lui courut dessus, prêt à lui casser la tête avec son bras tendu, lorsque l’Oësgardien, au moment opportun, se déporta sur la gauche, pour laisser le grand dadais s’écraser la tête la première contre le bois du madrier. Ce dernier branla encore, mais tint bon. Hendrick asséna alors un uppercut à la grosse masse, qui allait s’écraser contre l’ancienne table occupée par l’Elfe. Il lui jeta un coup d’œil :

« Ca d’vient chaud ! On s’taille ?! »

Il lorgna également discrètement sur son groupe de copains. Ils ne déméritaient vraiment pas… Tels des héros de l’ancienne Sgarde, ils étaient au centre de la castagne, distribuant poings et pieds à qui n’en avait pas assez reçu. Esberth avait déjà la lèvre enflée, et Gilles avait perdu son nez en bois durant l’assaut, mais le trio se défendait extrêmement bien. Hendrick fit manger ses jointures à un type qui passait par là… avant de regarder si la porte de sortie était libre. Malheureusement, les combats faisaient rage, et de nombreux groupes bloquaient le seul accès vers l’extérieur.

S’ils voulaient sortir, ils devraient le faire en foudroyant de la roture…

La jeune femme montra la porte de service à Hendrick, lui proposant une solution plus intelligente et moins musclée de se tirer de là. L’archer acquiesça, faisant signe à ses comparses de le suivre, beuglant leurs noms pour couvrir le brouhaha des chaises qui se cassent et des cris des blessés. Maurice fut le premier à se dégager, suivi de près par Gilles, puis Esberth, qui essayait de tenir deux hommes à distance avec un tesson pointu. Le groupuscule se fraya un chemin dans la rixe, et le Croustillant ne dut son salut qu’à l’extrême vélocité de l’Elfe, qui empêcha sans trop de problèmes un gros ours de frapper Maurice au visage, alors qu’il était en train de l’étrangler. Le roux décocha un petit sourire à sa sauveuse, voulant lui sortir un compliment… mais elle était déjà en tête de course pour sortir de ce merdier.

Hendrick envoya son pied contre le dossier d’une chaise, pour la faire tomber aux pieds d’un homme armé d’un couteau. Ce dernier, l’arme lui échappant des mains, trébucha sur le meuble, se cognant la mâchoire contre le sol. Une brique vola non loin de la tête de l’Oësgardien, qui se retourna pour voir d’où cela venait. Tout ce qu’il vit, c’est la silhouette massive de Rolf se dresser sur la trajectoire du projectile, regardant le lanceur avec des yeux enflammés.

« Des briques ?! Des briques dans MON Sanglier d’Aduram ?! Bande de Puysards démoniaques ! »

Hendrick ne voulait pas regarder le massacre qui allait suivre… Il préféra se concentrer sur la fuite de la bande. Ils pénétrèrent dans une sorte d’antichambre, où les vivres étaient entreposés. L’Elfe, taciturne, avait fermé la porte derrière elle en silence, et avait étudié celle de la sortie, pour essayer sans nul doute de la crocheter. Pendant qu’elle était occupée à utiliser ses crochets, les autres ne chômèrent pas… Gilles ne put résister lorsqu’il vit le gros jambon à l’os qui pendait au mur. Ses yeux grossirent, et son ventre gronda. Ni une, ni deux, il attrapa le jambon, essayant de l’extraire du filet qui le retenait. Esberth, lui, faisait main basse sur de l’alcool, étudiant les étiquettes avec attention. Quant à Maurice, hé bien… il était devant la porte, en train d’essayer de la retenir. Un gros molosse poussait sans nul doute derrière, car à chaque charge, le Croustillant se sentait reculer, bien qu’il soit calé de tout son poids contre la porte. Les gonds ne tiendraient pas longtemps… Désespérément, il appela Gilles à l’aide.

Lorsqu’il ne put tenir plus longtemps, la porte céda, et Maurice s’étala face contre terre. Le géant entra dans la pièce, mais ne put faire un pas de plus. Le jambon à l’os se fracassa sur sa tête de tout son poids, porté par un Gilles à moitié désespéré de voir de la bonne nourriture ainsi gâchée… Pourtant, le coup sembla très efficace. L’immense défonceur de porte tituba, avant de s’étaler dans l’entrée, tombant en arrière sur un autre type qui essayait de passer. Gilles releva Maurice, qui le remercia en souriant.

« Boarf, tu vaux bien un jambon… »

Il regarda ce qu’il restait de son futur repas. Il n’avait pas grand-chose, mais il savait qu’il ne serait plus aussi… savoureux.

Hendrick, quant à lui, était resté aux côtés de l’Elfe, la regardant œuvrer.

« Tu fais ça souvent ? »

A en croire les outils qu’elle semblait porter en permanence, il avait déjà sa réponse. Plus encore lorsque la serrure céda, et que la porte pu être ouverte. Il regarda ses amis, qu’il siffla.

« Allez ! On s’barre ! »

Esberth gronda.

« J’ai pas eu ma dose… »

Néanmoins, tous s’engouffrèrent par la porte, sortant à l’air libre du soir. Le soleil était déjà sous les frondaisons des masures de la ville, et une intense lumière rouge baignait l’atmosphère. La petite bande s’autorisa à souffler. Esberth passait un doigt sur sa lèvre, pendant que Gilles paradait avec son jambon. Hendrick, lui s’appuya contre le mur, regardant de plus près la demoiselle avec qui il s’était enfui. Elle était très jolie, avec un visage séduisant. Ses longs cheveux blonds lui rappelaient sans détour Adélaïde, et c’était encore plus vrai d’aussi près. Il cessa de la regarder lorsque cette dernière posa ses yeux sur lui. Il lui sourit, néanmoins.

« Tu t’bas bien. On s’rait peut-être bien plus mal en point sans toi. »

Il se redressa un instant, pour mieux entendre la porte s’ouvrir violemment. Il regarda, et vit Gilles s’engouffrer à l’intérieur, son jambon à la main. Esberth le suivit rapidement, essayant de le rattraper. Hendrick chercha Maurice du regard. Ce dernier, exaspéré, lui lança :

« C’est Gilles… Il a perdu son nez dans la taverne, et il veut le retrouver ! »

Hendrick pesta.

« He bien va l’aider ! Il a coûté assez cher comme ça… »

Le Croustillant acquiesça, et s’engouffra à son tour dans la taverne, dont il referma la porte en la claquant. Hendrick ricana.

« A peine sortis qu’ils rentrent… Mes amis doivent te sembler bizarres. »

Il porta à nouveau son regard sur l’Elfe.

« Dis-moi… Comment tu t’appelles ? »

Il remarqua la main éraflée de la jeune femme. Il plissa les yeux.

« Hmmm… Va falloir nettoyer ça. C’est des dents, hm ? L’avait p’têt’ les chicots pourris. J’ferais gaffe, si j’étais toi. »

Il sortit une outre de derrière lui, qu’il lui tendit doucement. Ses yeux étaient toujours braqués sur son visage.

Hendrick ne pouvait qu’acquiescer à la remarque de l’Elfe. Ils n’avaient rien de commun, mais bon, leur amitié n’avait pas commencé dans un petit village, plutôt sur un champ de bataille. En Oësgard, on n’était pas ami avec ceux que l’on voulait, mais bien ceux que l’on avait. Néanmoins, le petit sourire sur le visage de la jeune femme fut communicatif, puisqu’il se para du même. A la demande de son nom, il apprit une chose nouvelle. Il ne s’agissait pas entièrement d’une Elfe… Elle était donc une de ces demi-sang qu’on trouvait à foison en Ithri’Vaan ? Peut-être était-elle vraiment jeune, après tout ? Au lieu d’avoir cinq-cents ans et d’en paraître seulement vingt…

Diane… Il avait connu une Diane. Mais ce n’était pas le même genre de personnage. La veuve du boulanger de son village, qui avait pris un fameux tour de taille à force de s’empiffrer, n’avait pas grand-chose avoir avec la fine silhouette de la demi-elfe. En revanche, tout comme elle, elle se rappelait facilement des noms… Il hocha de la tête.

« Oui. Hendrick. »

Elle s’était saisie de l’outre, au contenu honteusement alcoolisé. Honteusement, car l’archer était censé arrêter la boisson. Il avait néanmoins gardé un peu d’eau-de-vie, au cas où il recommencerait à penser à sa famille ou à Nulhadon. Il se disait que c’était peut-être une meilleure utilisation qu’en faisait Diane, qui lâchait à l’instant un juron en noyant sa main blessée dans l’alcool. Sa remarque amusa quelque peu Hendrick. Oui, ça aurait été intéressant d’aller coller une dernière patate à l’abruti qui l’avait attaquée. Il devait sûrement être étendu entre deux tables, à l’heure qu’il est. Ou alors, un Nordien lui pissait dessus. Il avait déjà vu Gilles le faire, donc, bon…

Après lui avoir rendu l’outre salvatrice, Diane lui dit qu’elle avait entendu quelque chose. Elle parlait sans nul doute de la manière dont il l’avait regardée tout à l’heure, si élégamment commentée par ce pervers de Gilles. Hendrick avait toujours les yeux posés sur la demi-elfe. Ça n’avait pas l’air d’une raillerie, aussi, le Nordien joua carte sur table, comme il avait l’habitude de le faire. Il haussa les épaules.

« Tu dois souvent sentir le r’gard des hommes sur toi, non ? Enfin, j’pense que tu dois en attirer plus d’un. Même la pire des merdes comme ceux d’tantôt. »

Il rangea son outre, réfléchissant à ce qu’il avait dit, et ce qu’il allait dire. Après un bref instant, il croisa à nouveau les bras, face à Diane.

« Par contre, t’as pas eu l’temps de prendre quelque chose à boire, j’ai vu. J’connais un établissement pas très loin, un peu mieux fréquenté. Tu veux que j’te montre ? »

Il sourit faiblement.

« Ils ont de la liqueur de mirabelle. »

Hendrick fut un peu déçu que Diane refuse son offre. En réalité, il s’était attendu à ce qu’elle accède à sa demande, compte tenu des événements. Néanmoins, il se dit que ce n’était que partie remise. Elle disait être nouvelle, non pas ‘de passage’, ce qui signifiait également qu’elle comptait rester un moment. L’archer ne pouvait qu’espérer la revoir au détour d’une ruelle, ou dans l’embrasure de la porte d’une taverne… Peut-être même le Sanglier d’Aduram, si on les laissait encore rentrer après les dégâts de ce soir ! Hendrick connaissait le gérant, c’était plus simple pour passer la porte dans le bon sens.

Etonnamment, elle l’invita même à se revoir à cet endroit précis. L’idée emballait l’Oësgardien, qui acquiesça en souriant.

« Moi ça m’va. Je s’rai là. »

Au moins l’avait-elle invité à y aller. Ce n’était pas comme si elle n’avait pas non plus envie de le revoir, apparemment. Diane s’approcha de l’homme du Nord, avant de poser sa main sur sa poitrine. Hendrick sentit le léger contact de la paume, malgré ses vêtements. Elle rapprocha son visage, afin de lui donner un léger baiser sur sa joue barbue. Lorsqu’elle le regarda avec son petit sourire sur les lèvres, Hendrick posa également son regard sur elle. Dieux, qu’elle était plus jolie encore quand elle souriait. Elle lui souhaita la bonne nuit, avant de se reculer, ôtant sa main légère de la poitrine du Sgardien. Elle s’en alla en tournant les talons, et en disparaissant dans une venelle mal éclairée.

Distraitement, la main de Hendrick passa sur sa joue. Il avait le regard posé sur l’angle de rue, comme pour voir si elle était encore là. C’est à ce moment-là qu’un bruit de porte maltraitée retentit dans l’air ambiant, déversant dans la rue une troupe de zigotos un peu spéciaux ; ceux qu’on appellerait bientôt les ‘Joyeux Sgardiens’. Gilles en tête, exhibant triomphalement son nez retrouvé, le groupe claironnait sa victoire au petit jour, comme si cela pouvait intéresser qui que ce soit… Maurice avait l’air d’avoir reçu un énorme coup sur son ‘joli’ visage, et l’un de ses yeux avait les paupières mauves et gonflées. Quelqu’un devait bien payer la négligence du Louche, et c’était malheureusement tombé sur lui…

« J’l’ai eu ! J’ai mon nez ! Hey, Hendrick, j’ai mon nez ! »

L’Oësgardien tourna à peine son visage.

« Ha… Bien, Gilles. C’est bien. »

Le courtaud défiguré s’approcha de son vieil ami. Il le regarda d’un œil circonspect.

« Bah, et qwé, elle est où la blonde ? »

Le regard de Hendrick se tourna à nouveau vers l’allée par laquelle Diane avait tiré sa révérence.

« Partie. Quelque part. »

Sur le visage du Nordien se dessina alors un petit sourire. Un vrai sourire.