Derrière forteresse de pierres et vitraux colorés | Irys

Gilles de Deina était un homme de taille modeste mais au physique imposant. Son nom, qu’il portait avec fierté, était celui que le Temple lui avait donné à sa naissance. Ses cheveux noirs en bataille rendaient l’image d’une personne malitorne, constat immédiatement démenti dès lors qu’on lui adressait quelques mots. Son éloquence scolastique donnait à chacun de ses mots une teinte philosophique et c’était avec plaisir que l’on écoutait ses sages sermons. Une sur-robe grise sur laquelle était épinglée une aile d’argent était le signe de la position de l’homme au temple. Elu parmi ses congénères, il s’adonnait depuis lors à la gestion du Culte et revêtait l’habit du Grand Intendant ; une tâche dans laquelle il se passionnait et s’impliquait au quotidien de façon exemplaire. Lorsqu’on voulait donner un exemple de personne travailleur, persévérant, courageux et probant, c’était le nom de Gilles qui était cité.

Assis sur une chaise et accoudé sur ses livres de compte, l’intendant fronçait les sourcils. A l’autre bout de la table, Irys avait croisé les jambes et attendait patiemment les comptes-rendus de l’homme. De jour en jour, travailler avec le quadragénaire se révélait être enrichissant. Son honnêteté légendaire et son franc-parler lui valait les mille louanges de la Haute-Prêtresse.

«– Hmm… »

La veuve esquissa un sourire. Ses doigts se perdirent dans ses mèches blanches et elle leva les yeux au ciel, pensive. Le retour à Diantra avait été synonyme de repos. S’installant dans la routine d’une fonction qui lui pesait encore sur les épaules, elle avait profité des dernières ennéades à trier, ranger, classer les affaires laissées en plan. Depuis longtemps elle n’avait pu s’évader et donner, sans le compter, du temps à Laarth. Elle en avait donc profité.

«– Deux cent soixante-douze souverains et treize écus. »

Gilles releva la tête de ses parchemins.

«– La somme que nous avons reversés dans la reconstruction de la Royale Cité. Avec l’impôt prélevé par la Ligue, les bâtiments sont rénovés peu à peu. Cela prendra encore plusieurs années, mais Diantra redeviendra la ville qu’elle a été… avant tout ceci. »

Il replongea dans les lignes tortueuses de l’encre sur le papier et y promena son doigt jusqu’à trouver l’information recherchée.

«– Grâce aux dons du feu duc de Langehack et celle apportée par les Hautvalois, l’hospice a tenu et nous n’avons plus autant de famine dans les rues. Malgré tout nous dépendons de leur générosité… La population gronde encore quelque peu de l’arrivée de Nimmio de Velteroc et de sa femme, mais de jours en jours les tensions semblent s’apaiser. Quant à vous… votre arrivée fut remarquée. On dit déjà que plus que quiconque, vous méritez votre titre de « Bienveillante » »

La vieille femme garda le sourire sur ses lèvres et écouta distraitement le Grand-Intendant déblatérer les coûts, qu’il disait excessif, de l’élévation. Celle-ci remontait à sept ennéades, et pourtant il semblait à Irys qu’elle revêtait la tiare d’argent hier. Elle balaya les interrogations de l’homme :

«– Nous savions ce qu’allait nous coûter le banquet. C’est un luxe que nous pouvions nous permettre, ainsi je n’y reviendrai pas.
– Très bien, Votre Bienveillance. acquiesça l’homme. A ce propos… avez-vous pris connaissance des dispositions de la Ligue ?»

Une ride barra son front, signe de son appréhension. Comme pour le confirmer, Irys poussa un discret soupir.

«– Je suis on ne peut plus partagée, Grand Intendant. Voir la lignée Firaam être ainsi bafouée ne m’enchante pas plus que de provoquer une nouvelle lutte pour le trône diantrais. La Royauté devra être rétablie, il en va de la survie du Royaume. C’est aux Hommes de s’entendre sur à qui de droit reviendra la couronne. Nous ne désignerons aucun roi. »

Gilles hocha la tête, un air grave peint sur ses traits.. Ayant terminé, il se leva et disparut dans un salut profondément révérencieux. Laissée seule, Irys se surprit à penser à ses enfants, repartis pour Langehack. Leurs retrouvailles avaient été courtes mais intenses.

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Quelques ennéades plus tôt…

«– Mère ! »

La jeune fille sauta dans les bras de sa mère. Les deux femmes échangèrent une embrassade, où quelques larmes virent s’inviter sur leurs joues. Quelques pas en retrait, Philémon observait sa sœur et sa mère, n’osant se rapprocher. Invité d’un regard de la prêtresse à approcher, il s’avança sur les pavés de la cathédrale et se mêla à l’étreinte.

«– Vous m’avez manqué… bien plus que ce que je peux m l’avouer. »

Posant ses mains sur les épaules de son fils, qui la surplombait d’une tête et demie, elle prit un pas de recul pour admirer ses deux enfants. Aliénor allait sur ses dix sept ans et revêtait la robe blanche des adeptes. L’autre avait vingt-trois ans révolu et portait à son côté une épée au service de son duché.

«– Comment va votre oncle ?
– Le Seigneur Oldaric va bien, mais il commence à sentir le poids des ans. Le duché se remet doucement de la tragédie qu’il a traversée. Encore hier, des camarades s’en allaient pour Sharas… »

Le visage grave de son fils lui fit prendre conscience de quelque chose : il était un homme. Il n’était son enfant, mais un chevalier, un guerrier, un homme. Comme pour sceller ce constat à jamais, son visage s’éclaira :

«– Mère, je… je voudrai votre bénédiction. »

Devant le regard interrogateur de la Haute-Prêtresse, il ajouta :

«– J’ai demandé mon aimée en mariage. »

Le visage d'Irys s'éclaira.