Le pèlerinage des drows de rien – Aux portes de la Faille

Ils sont de tous âges, de toutes les strates. Leur peau peut être aussi sombre que grise, car en ce lieu, en ce temps, tous les drows se mêlent et se chamaillent pour une miette d'espace, dans l'attente. Ils sont la réponse primaire du Puy à l'apparition d'un dragon. Une foule d'inconscients. songe l'un des sombres. Vêtu des pieds à la tête d'une armure lourde à la brillance griffée par d'innombrables coups, une lame à l'infini tranchant sagement rangée à sa hanche, le guerrier reste droit au milieu de cette foule de délurés fanatiques, son maigre paquetage à ses pieds. Son visage, à peine visible par delà la mince fente de son casque, est figé en une expression d'impassibilité alors que, dans le secret de son pectoral de métal, son coeur bat, résolu.

"Que le Destructeur me foudroie." dit-on.

Tournant la tête, le sombre avise un autre guerrier, moins lourdement vêtu, s'approchant, repoussant de la botte un indigeant, tout en arborhant un air révérencieux à son attention. Une longue chevelure blanche encadre son visage défiguré, dont un coup de masse a emporté un oeil et l'arcade sourcilière qui va avec.

"Maître Yaultho... L'on ne vous a point vu sur les champs de batailles, dernièrement. fait-il dans une révérence qui sonne faux, à peine sardonique. Est-ce donc pour ceci que vous vous prépariez ? Quelque vision divine peut-être, et vous ne prévenez pas vos..."

Son jeu s'acheva dans une gerbe sanglante, celle-la même qui jaillit de sa bouche quand le gantelet de plate de son interlocuteur la percuta, dans un geste de violence froide. Un petit cercle silencieux naquit aussitôt autour d'eux, tandis que des sourires se dévoilaient à moitié à la vue de la chute du beau parleur. Ce dernier mit un instant à s'en remettre, dont le guerrier armuré profita pour s'en s'éloigner sans un mot.

"C'est... C'est donc bien vrai ce que l'on dit... Que la Vieille Lame a perdu tout sens de l'hum... commença le défiguré qui se relevait.

Sa tirade s'acheva dans un *BONC* métallique, et le bruit que fit son corps en retombant, une petite marmite roulant près de son visage au nez ensanglanté. Tandis qu'un marmot piaillait de sa voix fluette de future victime, le Yaultho récupéra son paquetage avant d'aller se chercher un coin tranquille, laissant sa vieille connaissance se faire dépouiller par les plus faibles. Des charognards. Le dragon nous dévorera, tous. songea-t-il, sans que cette pensée ne lui déplaise.

Ce fut une arrivée plutôt heureuse que celle de Ta'Zeyr, il n'était pas question de tuer qui que ce soit, ça changeait un peu il faut bien l'admettre. Une arrivée accompagnée de rires et ponctuée par quelques notes de lyre relaxantes, même si elles furent noyées par le vacarme que produisait le camp. La prêtresse, pourtant, aurait bien fait un sacrifice au Prime Dragon dans l'espoir d'obtenir sa bénédiction avant le long voyage jusqu'à sa demeure. A regarder tous ces princes du monde, comme dirait le flagorneur, rassemblés ici il semblait qu'effectivement une bénédiction divine allait être nécessaire. Le camp était large certes mais Ta'Zeyr craignait que justement tous ces gens ne plaisent guère au dieu. Ils étaient trop bruyants trop longtemps, on ne retrouvait pas la concision de la foudre et encore moins l'harmonie ou la puissance du tonnerre. Certes il y avait des rires mais qu'ils étaient dissonants! Que diraient les dieux... ou en tout cas le dieu, celui qu'ils allaient rencontrer et qui sûrement allait les châtier. Les châtier eux mais pas elle car la prêtresse se savait être un parangon de vertus ecclésiastique.

C'est donc une prêtresse aux longs cheveux blancs dont deux mèches retombaient, paradoxalement, pudiquement sur sa poitrine qui rentra dans le camp, assise dans un chariot. Le chariot en question avait été prit par un groupe de soldats qui avait visiblement pensé à la logistique qu'un tel périple supposait. Ils avaient accepté Ta'Zeyr par respect pour son statut, après tout elle faisait parti du clergé. En tout cas c'était ce qu'elle pensait, sûrement qu'ils l'avait accepté pour ne pas s'attirer les foudres du dieu qu'elle représentait et qu'ils allaient rencontrer dans peu de temps. Cependant maintenant qu'elle était arrivée au camp il était temps qu'ils se séparent car, évidemment, elle ne leur faisait pas confiance et l'idée de passer la nuit avec eux la faisait frissonner et pour l'occasion ce n'était pas un frisson agréable ; après tout, les soldats avaient pour réputation d'être brusque. Alors elle marcha dans le camp à la recherche d'un coin où dormir, d'une tente à réquisitionner car elle n'allait quand même pas dormir à la belle étoile, ce n'est pas digne de son rang.

Déjà ils s'entre-déchirent pensa la prêtresse en voyant un elfe s’effondrer après avoir reçu un marmite en cuivre dans la tête. A ce rythme-là je n'aurai plus personne à sacrifier quand nous arriverons devant Zhak'Bar continua-t-elle, plongée dans ses pensées, en arpentant le camp comme un fantôme tout en jouant distraitement quelques notes sur sa lyre pour accompagner son cheminement.